Publié le 31 Janvier 2017
C'est en écrivant mon article consacré à Aorta que j'ai découvert le disque précédent de la pianiste Vicky Chow, consacré à une œuvre de Tristan Perich, jeune compositeur né en 1982, devenu célèbre par ses compositions électroniques n'utilisant jamais plus de 1 bit d'information en même temps. Il a déjà publié deux albums sur le label Cantaloupe Music : 1-Bit Music en 2007 et 1-Bit Symphony en 2010. Un troisième titré Noise Patterns est sorti sur un autre label en 2016, deux ans après celui qui m'occupe maintenant, Surface Image. Pour situer ce compositeur atypique, je précise que, non content d'avoir reçu des récompenses académiques dans le milieu de la musique électronique, il a été artiste invité au festival Sónar de Barcelone en 2010.
La rencontre avec la pianiste Vicky Chow l'a conduit à composer pour le piano une œuvre de longue haleine, qui entrelace le flux pianistique avec quarante canaux électroniques à un bit. Il en résulte une pièce très reichienne, tendue par une constante pulsation, d'un minimalisme fascinant de rigueur. Je suis surpris de ne pas trouver dans les présentations la référence à Steve Reich, pourtant pour moi tellement évidente. Bien sûr, Tristan Perich, c'est un Steve Reich de l'ère électronique. Comme chez Steve, les motifs sont inlassablement répétés et variés, avec un jeu d'échos, de décalages, de superpositions qui multiplie les plans, enveloppant l'auditeur dans une tapisserie sonore chatoyante, dynamique, avec des crescendos puissants, de véritables courants. La différence, c'est que les sons électroniques sont d'une incroyable plasticité, changent de texture et de couleur autour du piano, se rapprochant de lui ou s'en éloignant selon les moments ; ils constituent un véritable orchestre, car les quarante haut-parleurs interagissent avec l'acoustique du piano au point de générer l'impression de cordes, de synthétiseurs, d'orgue, selon les passages. Que le lecteur ne s'effraie pas ! Toute cette technologie - je serais incapable de rentrer dans les détails ! - débouche sur une musique vraiment écoutable, d'une incroyable beauté. On sent les sons onduler, on les entend changer au fil de la trame inlassable. La vie ne cesse de sourdre de cette surface harmonieuse, à laquelle les surgissements harmoniques multiples donnent un relief changeant. Surface Image, c'est une vague sans fin, un chant, une ode prodigieuse, capable de recouvrir toutes les laideurs du monde de sa rutilance impétueuse. L'auditeur est happé, immergé (s'il l'écoute vraiment, au casque ou dans de bonnes conditions), ravi. Tout est effacé. Il n'y a plus rien que cette évidence illuminante. L'électronique est au service de la négation de la transcendance, de l'abolition de l'opposition entre surface et profondeur dans la mesure où l'image de surface produite inclut tout ce qui naît en son sein, se veut pure immanence : plus de dualité, un monisme rayonnant.
Alors ? Oubliez mes divagations philosophiques... Voilà selon moi un chef d'œuvre de la musique du vingt-et-unième siècle, n'ayons pas peur des mots ! Magistralement interprété !
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Paru en 2014 sur le label New Amsterdam Records / 1 titre / 63'
Pour aller plus loin :
- la page consacrée au disque sur le site de Vicky.
- la composition en écoute (et plus) sur bandcamp ci-dessous :
- Vicky interprète l'œuvre en direct à la Roundhouse de Vancouver :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 août 2021)