Publié le 28 Janvier 2010

Gina Biver et le Fuse ensemble : sur l'aile de la musique.

Gina Biver appartient à cette catégorie de compositeurs américains décomplexés, qui font miel de toutes les influences sans se soucier des appartenances à telle secte ou courant musical. « Je laisse le monde m'influencer. », écrit-elle : jazz, musiques du monde ou contemporaines, électroniques, la sollicitent. Pas étonnant qu'on la retrouve sur INACTUELLES. C'est d'ailleurs par l'intermédiaire d'Eve Beglarian, compositrice célébrée dans ces colonnes, que nous nous sommes "rencontrés". Guitariste de formation, elle écrit aussi bien des pièces acoustiques qu'électroniques, se plaît à tisser des rencontres entre les deux grâce à son ensemble FUSE, créé conjointement par l'artiste nouveau média Edgar Endress. Cet ensemble - qui réunit guitare électrique, piano et claviers électroniques, clarinette, flûte, basson, violon et violoncelle, percussions,  a pour vocation d'interpréter non seulement la musique de sa fondatrice, mais aussi les musiques nouvelles, et de proposer une expérience multimédia qui « fonde ensemble musique, vidéo et humains dans un état liquéfié » comme l'indique son site.

   Je ne connais pas le travail vidéo de l'Ensemble, mais on peut se faire une idée de sa musique par deux cds et les nombreux MP3s disponibles sur son site. "Big Skate" est le premier de l'Ensemble, un cinq titres attachant. Le premier titre éponyme s'ouvre par une grappe sautillante à la clarinette, reprise au violon électrique puis par les autres musiciens. Le morceau est vif, tout en reprises incisives de petits motifs, dans un esprit post-minimaliste, avec des échappées lyriques plus caressantes. S'agit-il de mimer les mouvements de la grande raie qui donne son nom au morceau ? Il y a comme des ondulations, l'atmosphère bucolique des plaines sous-marines suggérée par le rôle solo de la flûte, de brusques accélérations étincelantes, un art du surplace survolté. "Unhinge" joue du trouble des textures, qui bousculent une introduction champêtre à la flûte pour y introduire cassures, superpositions dissonantes, irruptions facétieuses de percussions, glissendi acides ou suaves de cordes. Musique frétillante, virevoltante pour les djinns si prompts à s'évanouir après d'imprévues apparitions. La flûte tente de reprendre le contrôle, tournée en dérision par les autres instruments. Gina dispose les timbres en peintre de miniature, parvenant à donner à la composition à la fois une étonnante profondeur et une grâce acérée dans les transparences.

   "Train" est le morceau phare de ce petit album. Deux marimbas nous entraînent dans un périple dynamique sur fond de sons électroniques mystérieux. Décidément, le train reste une source d'inspiration pour les musiciens. Après Darius Milhaud et Steve Reich, Gina Biver propose un voyage plus exotique. Le jeu entre les marimbas et l'arrière-plan est fascinant d'un bout à l'autre de ces 5'18. Le disque se poursuit avec un exercice difficile, accompagner musicalement un texte poétique, "Those who last", réflexion sur les forces de vie, le temps et l'univers. Je commence seulement à accepter cette composition, agacé d'abord par les intrusions de trompette. Elle a voulu éviter le piège de l'emphase, par un contrepoint volontiers jazzy, après tout concevable lorsqu'il s'agit d'évoquer l'énergie vitale. Ce qui n'empêche pas une fin tissée d'impalpable. Le disque se termine avec "L'infini" (titre en français), très belle composition : sonorités étirées de la clarinette, du violon et du violoncelle qui se répondent en échos majestueux pour une longue introduction, suivie d'un développement dansant traversé de phrases lyriques de violoncelle. J'aime assez que l'infini prenne le visage d'une danse, d'une cadence pleine d'accidents imprévus, de rebonds, sans pesanteurs appuyées. Quelques pirouettes diminuendo en guise de fin.
   Je suis tout étonné d'avoir tant écrit. Je regarde la pochette, si délicate. Une musique papillonnante, ailée, qui tournoie jusqu'au vertige, le vertige de vivre.
Pour aller plus loin
- le site de Gina Biver
- deux photographies de Steven Biver, son mari, que je publie avec sa très aimable autorisation.

Gina Biver et le Fuse ensemble : sur l'aile de la musique.
Gina Biver et le Fuse ensemble : sur l'aile de la musique.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 janvier 2021)

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Publié le 21 Janvier 2010

Ingram Marshall - September Canons
De drame et d'éther
   Introduction majestueuse, brumeuse : les violons frémissent sur place tandis que le violon soliste chante éperdu sur les eaux primordiales. Pas de doute, on est bien sur la galaxie Ingram Marshall, compositeur américain passionnant né en 1942. Pionnier de la musique électronique la plus radicale, assistant de Morton Subotnick au California Institute of Arts, connaisseur de la musique de Java et Bali qu'il a étudiée lors d'un voyage effectué en compagnie de Charlemagne Palestine, il refuse de se laisser enfermer dans un style, une tendance. Dans les marges du minimalisme, il écrit une oeuvre post-romantique hantée par Sibelius, Bach et Charles Ives, ou encore les hymnes de son pays. Aucun dogme, une recherche constante du beau : « Le mot "beau" est difficile à définir, mais d'une certaine manière, il est toujours à l'arrière-plan de ma pensée lorque je compose. Je cherche toujours une expression du magnifique, du beau, du splendide, du sensuel, quelque chose qui saisit, qui est palpable et qui n'est pas désagréable en surface. Je pense vraiment qu'une expérience musicale devrait être enveloppante, et que la réussite d'une pièce est liée à l'implication totale de l'auditeur, presque d'une manière narcotique - pas pour s'enfermer dans une transe, mais pour être vraiment en elle. » Ces propos d'Ingram sur le livret d'accompagnement de September Canons sont la base de son art de la composition en tant qu'art poétique en effet. On peut y ajouter cette remarque, qui relativise l'importance de la structure : « La structure est très importante, mais j'en suis venu à faire confiance à mon attirance intuitive pour le sombre et le beau et l'inépuisable. » Les quatre titres de cet album en sont une éblouissante illustration, en même temps qu'ils offrent une traversée à rebours de trente années de composition.
     "September Canons" (2002) ouvre l'album de manière somptueuse, bel exemple de la manière dont Ingram Marshall transcende l'électronique. Pièce pour violon avec processus électroniques, notammment d'amplification et de retardement, c'est un lamento sur les événements du 11 septembre 2001, d'où son titre. Rien de funèbre pourtant, un lyrisme voluptueux qui transporte très loin, avec cette faculté  impressionnante de donner à entendre les esprits, une musique spirite en un sens, envahie par des nuées virevoltantes, des balbutiements de pizzicati.
  "Peacable Kingdom" combine des sons enregistrés lors d'une procession funéraire sur l'île dalmate de Korcula, des sons de cloche d'église à Belago en Italie, et un ensemble de chambre. C'est au départ une commande d'un cousin de sa femme, fatigué d'entendre  toujours les mêmes marches funèbres  dans cette île où un enterrement est une affaire collective. L'atmosphère est sombre, sans doute influencée par l'histoire pleine de violence et de guerre de la Yougoslavie, mais Ingram précise qu'il pensait beaucoup à une vieille ferme du Vermont baptisée "The Peacable Kingdom" par ses habitants.  La guerre est effacée par un lieu référent à une imagerie pacifique. Là encore, un pas de côté vers l'ailleurs, les circonstances dépaysées pour que surgisse la beauté , pour que s'engouffre le sublime.
   "Woodstone" (1981) est un double hommage. C'est la seule composition pour orchestre gamelan d'Ingram  - un orchestre non pas indonésien ici, mais bien américain, The Berkeley Gamelan, qu'assez facétieusement il se plaît à farcir d'un thème emprunté à la Waldstein Sonata de Beethoven !  Le titre est l'équivalent anglais de "Waldstein". En tout cas, le résultat est un morceau réjouissant aux sonorités cristallines et transparentes, ponctué de brefs moments introspectifs ouatés d'ombres.
   La flûte gambuh, la plus grande des flûtes de la musique balinaise, déploie ses mystères dans le dernier titre, entièrement interprété par le compositeur, qui joue aussi du synthétiseur et utilise en direct des processus électroniques. On remonte aux années 70, pendant lesquelles il élaborait The Fragility Cycles, dont on trouve des fragments épars dans sa discographie. Magnifique fragilité, évanescente et tendre, lointaine et insinuante, très proche dans l'esprit et les inflexions de la symphonie pour cuivres et synthétiseurs Light over Water composée par John Adams en 1983, une des meilleures compositions de ce dernier, publiée d'ailleurs sur le label New Albion, comme la majeure partie de l'œuvre d'Ingram Marshall.
   Le disque n'est toutefois pas sorti sur New Albion, qui semble en veilleuse, mais sur New World Records, qui accomplit un travail remarquable de diffusion des musiques américaines les plus... singulières !
Paru en 2009 chez New World Records / 4 plages / 63 minutes environ
Pour aller plus loin
- ma chronique d'un disque précédent d'Ingram, Dark Waters.
- un bel article consacré à Ingram Marshall sur Néosphères
                                                            

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 janvier 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

Publié le 14 Janvier 2010

Pantha du Prince : "Black Noise", la forêt des sons neige !
   Hendrick Weber, alias Pantha du Prince, connu aussi sous le nom de Glühen 4, Dj, compositeur et bassiste notamment du groupe Stella, sort début février son troisième album, "Black noise". L'allemand a quitté le label de Hambourg Dial Record, surtout connu dans le milieu de la deep house, pour signer chez le britannique Rough Trade, marqué rock, mais reste fidèle à une musique électronique minimale, au croisement de la techno et de la house. Musique limpide, à l'image du lac de montagne de la pochette. Cloches et clochettes, peut-être sous l'influence d'un récent séjour dans les Alpes suisses. Micro-bulles rythmiques, prédominance d'éléments percussifs métalliques et cristallins, sont la base d'une œuvre sous-tendue de sons enregistrés en pleine nature, ces sons dont le spectre sonore échappe en partie aux processus d'enregistrement, d'où le titre de bruit noir choisi, l'expression désignant ce bruit silencieux au cœur des compositions. Certains titres font songer au gamelan de Java et Bali, tant l'électronique fait surgir un orchestre cohérent de métallophones qui déploie d'arachnéennes structures cycliques.
 
   Les ombres d'Autechre  ou d'Aphex Twin planent aussi sur cet univers d'abstraction vibrante et lumineuse. L'intensité ramassée des premiers titres laisse peu à peu la place à des paysages sonores sublimes aérés de sobres envolées aériennes. Un superbe parcours qui s'achève sur le carillonnant - tourbillonnant "Es schneit", magnifique apothéose !
Paru en 2010 chez Rough Trade / 11 plages / 61 minutes environ
Pour aller plus loin
- le site de Pantha du Prince

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 janvier 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 9 Janvier 2010

So Percussion - Trollstilt : un jardin d'instruments !
   

Revoilà nos percussionnistes de So Percussion (Eric Beach, Josh Quillen, Adam Sliwinski, et Jason Treuting), cette fois au service d'un compositeur et polyinstrumentiste étonnant, Dan Trueman, cheville ouvrière du duo Trollstilt.

Dan joue du violon traditionnel norvégien, mais aussi d'autres violons, et utilise volontiers son ordinateur portable, si bien que sa musique transcende allègrement les genres. Monica Mugan pratique la guitare classique et des guitares à cordes en acier.

Pour Five gardens (and-a-half), sorti en 2007 sur le label Shhh Productions, le renfort des gars de So Percussion propulse cette musique parmi les plus expérimentales d'aujourd'hui. Le résultat n'est pas très éloigné des propres productions des quatre percussionnistes, on pense en particulier à Amid the noise (Cantaloupe, 2006). En plus des instruments déjà cités, tubes amplifiés, pots en terre cuite,  pianos jouets, morceaux de bois et de métal, coquillages marins et brouette (vous n'avez pas la berlue...) sont traités par ordinateur pour produire des textures sonores diffusées sur des enceintes hémisphériques (conçues par Dan) disséminées parmi les interprètes. L'idée est de produire des jardins inspirés de grands artistes : trois peintres (Agnes Martin, Henri Matisse, Georges Noël), un musicien (John Cage), et un photographe (Harry Callahan). Et le demi en sus ? Celui des peintures animées de Judy Trueman sur  le superbe DVD qui accompagne le disque.
 
Si les premiers titres font encore penser au folk, sans doute en raison de la place des violons, l'album devient très vite plus inclassable, expérimental et méditatif. Splendeurs étranges, en apesanteur, de gouttes percussives ; murmures et scansions courtes ; appels feutrés du violon méconnaissable, de flûtes veloutées.  « Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir », phrase leitmotiv, donne l'esprit des treize titres ponctués de petits textes dits en anglais ou en français par Rinde Eckert et Jennifer Trueman. Rien à redire à ce parcours riche et varié d'un raffinement absolu, d'une sensibilité exquise qui comble l'oreille si souvent maltraitée. On est dans un jardin enchanté pour 55 minutes. Les peintures animées du DVD sont d'une légèreté rafraîchissante, dessinant tableaux abstraits aux lignes géométriques frêles, aux couleurs à la fois douces et vibrantes.
Paru en 2008 chez New Amsterdam Records / 12 plages / 52 minutes environ
Pour aller plus loin
- le site de So Percussion.
-- album en écoute et en vente sur bandcamp :
Une des sources d'inspiration du disque : Matisse, "La Leçon de piano"

Une des sources d'inspiration du disque : Matisse, "La Leçon de piano"

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 janvier 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales