du post-rock aux sombres bruits

Publié le 28 Septembre 2023

Transtilla - Transtilla III

      Transtilla bouscule mes prévisions de publication ! Ils passent en force, en urgence ! Transtilla, c'est le duo formé par deux musiciens néerlandais que je connais bien, Anne-Chris Bakker et Romke Kleefstra (l'un des deux frères). Du premier, je me souviens du choc de Weerzien en 2012, puis de Tussenlicht en 2013, de sa collaboration avec l'anglais Andrew Heath sur Lichtzin en 2018 puis a gift for the ephemerist en 2019, et bien sûr de sa participation au trio qu'il formait avec les deux frères Kleefstra, Romke et Jan, par exemple sur le magnifique Sinne op'e Wangen en 2014, de son appartenance à Piipstjilling avec un autre néerlandais fondamental, Machinefabriek (dont je ne parviens pas à suivre les publications...). Du second, je viens déjà de parler, il me resterait à mentionner l'aventure de The Alvaret Ensemble dont les deux frères ont fait partie.

Sous le signe de l'incandescence

   Je les retrouve sous un jour musical un peu différent. Les toiles délicates, ambiantes, méditatives, ont cédé la place à une musique bouillante, brûlante. "Ferlern" ("perdu" en frison, la langue des frères Kleefstra) donne le ton : guitare saturée, drones rageurs, c'est une coulée magmatique puissante qui nous transporte loin ! "Paesens" ("des pays" en frison) commence comme finissait Weerzien : un ailleurs de glace trouble, mais vite soulevé par une force irrépressible, tout explose dans un brouillard hachuré, zébré, la guitare déchirée dans un mur de drones. Une claque magistrale ! La musique ambiante est ici court-circuitée par un post-rock flamboyant. "All Love Lost", au titre si romantique, est une descente aux enfers dans des giclées de gaz. De la musique au chalumeau, avec des drones tournoyants, épais, puis des nappes somptueuses léchant les murs de l'abîme, des vagues immenses, tout le rayonnement de Lucifer vous enveloppant de velours noir pour une plongée infinie dans le fourmillement de la matière. Titre absolument sublime !

   Après ces tempêtes, les deux titres suivants paraissent plus calmes. "Petre de la Meuse" déploie une falaise radieuse de boucles de guitare et de textures électroniques, parcourue de trajectoires montantes, comme une musique jetée à l'escalade du ciel, cette fois. Après les abîmes, l'empyrée... Quant au dernier, "Sketch for Paul", c'est une merveille de délicatesse extatique, violon et guitare au centre d'un foyer d'une extraordinaire intensité dans un accelerando et crescendo fabuleux, libérant des millions d'esprits avant de se résorber dans le néant primordial...

   Le miracle d'une musique ardente, illuminée par une énergie...infernale ou/et céleste !

Paraît le 29 septembre 2023 chez Midira Records (Allemagne) / 5 plages / 43 minutes environ

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   N'ayant pas d'extraits musicaux en dehors du bandcamp, je vous propose une incursion dans Transtilla II...tout aussi recommandable, moins débordant que le III, mais superbe !

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Publié le 14 Août 2023

Mission to the Sun - Sophia Oscillations

   Deuxième album de ce duo de Détroit, Chris Samuels aux synthétiseurs, échantillons, à la programmation et aux boîtes à rythme, Kirill Slavin pour les textes et la voix. Si l'on peut penser aux Legendary Pink Dots pour la voix sombre et incantatoire de Kirill, on évoquera aussi bien les meilleurs albums du label Crammed Discs avec des groupes comme Aqsak Maboul, Tuxedomoon ou Minimal Compact.

Une musique d'Enfer...

    C'est une musique flamboyante, dramatique, attirante comme un trou noir. Et la signification du premier titre "Drowning" est à prendre comme une plongée dans les eaux du subconscient sur une planète inconnue... la nôtre peut-être. Vagues de synthétiseur, rythmique lourde, voix fondue dans les drones, un régal post mélancolique ! Le titre éponyme évoque un monde terrifiant à travers des rafales sèches, des boucles obsédantes et une diction détachée de dandy infernal. "Censor Sickness" affole comme un rock acide, halluciné, les paroles dites presque comme du rap. Mission to the sun fait surgir un univers post-industriel, peuplé de machines délirantes. "Unborn" semble se situer à l'intérieur d'une gigantesque machine à sou ou d'un jeu de massacre. "Attrition" est plus déchiré, boursouflé, pilonné : tout brûle, le disque atteint l'un de ses points d'incandescence, pulvérisé avec "Cornerstone", rock post punk ravagé, distordu par des riffs acérés, soulevé par des éruptions denses, sombres. Grandiose épopée apocalyptique !

   "Touch" sonne comme un après fantomatique, les paroles glaciales mêlées à des murmures alors que tourne un drone énorme parcouru de déflagrations, puis que tout semble se désagréger dans un vent nocturne. "No Fondation" apporte une conclusion épique, zébrée, glitchante, métallique, de toute sauvage beauté.

  Cet album est une messe noire ardente pour des temps foudroyés !

 

Paru mi-juillet 2023 chez Felte (Los Angeles) / 8 plages / 32 minutes environ

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Publié le 2 Juin 2023

All Hands_Make Light - Darling the Dawn

   Je reviens régulièrement au label de Montréal Constellation, qui nous a donné à entendre Carla Bozulich ou Thee Silver Mt Zion Memorial Orchestra (je n'évoque que mes préférés !). Le duo est formé par Ariel Engle (La Force, Broken Social Scene) et Efrim Manuel Menuck (Godspeed You! Black Emperor, Thee Silver Mt. Zion - justement !). Je passe sur leurs carrières respectives. Ce qui compte, c'est que leur disque est rien moins qu'un immense hymne à l'aube, c'est-à-dire la lumière naissante, renaissante, triomphant de la nuit. Une musique au fond sans âge, que les étiquettes sont impuissantes à décrire : de l'électro post-rock mâtinée de punk, du rock alternatif psychédélique avec guitares saturées, voix fondues dans le mur sonore...

Aucune idée, si ce n'est remplir un espace vide...

   Voilà ce que dit Efrim de la naissance du projet. "Un ascenseur de moineaux", traduction du premier titre "A Sparrows' Lift", envoûtante chanson avec la voix d'Efrim sous des voûtes saturées, nous projette dans la levée de l'aube. L'ivresse de la célébration est là dès "We Live On A Fucking Planet and Baby That's the Sun" : lumière mêlée d'ombres, rythme cérémoniel de la basse obsédante. Les deux voix s'étreignent sur un fond rayonnant de synthétiseurs / orgue. Le monde est vibration, suspension , attente de la force solaire qui monte dans un crescendo magnifique, illuminant, tourbillonnant, les voix emportées dans un vortex grandiose, une explosion de lumière. Et le feu du ciel tomba sur la terre : la perspective est apocalyptique, la musique nous entraîne au-delà, vers le Jugement Dernier, l'Apothéose christique... [vidéo ci-dessous soumise à une limite d'âge, non vous ne rêvez pas...visible seulement sur YT]

  "Waiting for the Light to Quit", n'est-ce pas une prière ? Fervente, répétitive, comme dans une cathédrale vibrante, parcourue de zébrures troubles... Le train onirique nous emmène vers "A Workers' Graveyard (Poor Eternal)", la tombe du grand ouvrier peut-être, la tombe de Dieu, mort à l'ouvrage. Le titre suivant, "The Sons and Daughters of Poor Eternal", convoque fils et filles du Pauvre Éternel dans un hymne bien saturé d'orgue et de vents électroniques, d'ondes cosmiques. Post-rock énorme, batterie en feu, voix d'Ariel comme d'un ange déchu noyé dans la tourmente sans fin, salutation hallucinée. Un des grands moments de l'album ! La lumière irradie, c'est "Anchor", la venue de la Puissance qui tournoie en cercles lents sur le monde, la vois d'Ariel montant peu à peu dans une ascension éperdue.

   "Couchez-vous dans les roses, Chérie" : dans les roses de l'aube, flamboyantes, animées d'une pulsation sourde, voix brûlée parmi le mur de lumière fourmillante, la venue extatique et tordue de la pure lumière qui consumera le monde.

   Un album brûlant d'une haute flamme pour une célébration puissante et inspirée !

Paru en avril 2023 chez Constellation / 7 plages / 45 minutes environ

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Publié le 24 Mai 2023

Houses of Worship - Migration

   Houses of Worship est le fruit de la collaboration entre deux artistes installés à Montréal (Canada), Eric Quach (Thisquietarmy) et Jim Demos ( Hellenica). Comme leurs chemins se sont croisés plusieurs fois, ils ont décidé de faire un disque en commun. Peu de temps après la sortie de l'album, ils donnent des concerts dans les rues de Montréal depuis un camion (vu du dessus sur la couverture de l'album), concerts filmés et enregistrés. Je ne dirai rien du film, ne l'ayant pas vu. Ni des déclarations d'intention, contextuelles et déjà dépassées...Eric Quach a collaboré notamment avec Godspeed You ! Black Emperor ou Nadja.

   Douze titres d'une musique ambiante expérimentale dans la mouvance du post-rock et des musiques bruitistes (noise). On n'est pas loin non plus du métal, de la musique industrielle, avec des paysages électroniques marqués par les drones de guitare. C'est une musique lourde, puissante, volontiers hypnotique, aimant les atmosphères saturées, enflammées. Délicats s'abstenir ! Entre "Hanging Electric", le premier titre, et "Throbbing Magnetics, le dernier, ce sont autant d'hymnes noirs à l'énergie. J'aime bien la dimension épique de cette musique naturellement grandiose, emphatique dans le meilleur sens du terme, en ce quel aime l'excès, la démesure. Certains titres deviennent d'ailleurs des exercices de transe, comme "Belz" (titre 2). Curieusement, des ambiances voilées, troubles, ne sont pas sans évoquer les premiers albums de Tangerine Dream : "Champs des possibles" (titre 4), semble une nouvelle version de Mysterious Semblance at the Strand of Nightmares (sur Phaedra, 1974), d'ailleurs absolument superbe.

    N'en déduisez pas trop vite que vous en aurez constamment plein les oreilles. Les deux hommes distillent parfois des plages méditatives, comme "Walla Olo" (titre 5), qui, sur un rythme lent de longues boucles, développe un paysage psychédélique. C'est vrai que la frénésie guette, comme dans "Jardin du Cari"(titre 6), aux guitares allumées sur un rythme bondissant, mais cette musique ne connaît pas la hâte, s'abandonne volontiers.

   Maisons de culte, nous dit le titre. Serait-ce un thérémine sur le titre 8, "Industrial Estate Bird_s-Eye" ? La mélodie serpentine incante cette pièce cérémonielle, brûlante, formidable descente aux Enfers. Ce disque généreux offre jusqu'au bout de très belles pièces, comme "Polytethylene Terephthalate" (titre 10 : il faudrait sans doute lire "Polyethylene" ???), incandescence de gazes déchirées...Les deux derniers titres plongent dans le noir, envahis d'amples volutes de drones de guitare. "Throbbing Magnetics" termine magistralement ce disque dense par une sorte de lamento hyper-mélancolique orageux, ténébreux, hanté par des voix subliminales.

    Un disque post-industriel très sombre, superbe !

Paru en novembre 2022 chez Midira Records / 12 plages / 1h et 11 minutes environ

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Publié le 30 Mars 2023

Puce Moment - Epic Ellipses

    Puce Moment est le projet, "laboratoire de recherche" du duo formé par Pénélope Michel, violoncelliste de formation classique, chanteuse et multi-instrumentiste, et l'artiste sonore et plasticien Nicolas Devos. Tous les deux avaient déjà fondé, en 2005, un groupe électronique expérimental baptisé... Cercueil. Ils ont composé des bandes sonores pour des spectacles de danse, des films. Ils ont en particulier tourné en France et en Europe en proposant des ciné-concerts, notamment pour Eraserhead de David Lynch. Ces quelques informations vous donnent une idée de l'orientation de leur univers sonore, une musique électronique épaisse, une ambiante atmosphérique sombre bien lestée de drones.

   Percussion rebondissante, zébrures électriques, crachotements électroniques, c'est le début du premier titre, "Allotropia", nuages asphyxiants à avancée lente, avec explosions troubles et accélérations frénétiques, formidables. Le morceau est hypnotique, l'allotropie est après tout une autre manière de désigner la reprise sous d'autres formes de motifs. L'adjectif "épique" convient bien à cette musique guerrière, avec le déchaînement de la voix dans les hauteurs de foudre, les marteaux-piqueurs percussifs au rythme lent. Un début tout à fait grandiose qui donne des frissons !

   Les deux titres suivants sont moins flamboyants. "Sykli" est plus renfermé sur lui-même, sorte de boule énorme parcourue de bruits inquiétants. Une toile d'orgue distordu à la Tim Hecker sert de fond à une pulsation sourde, à de mystérieuses cornes de brume. Une musique comme une reptation difficile au bord de l'agonie ou au bord du Styx dans des marais parcourus par d'étranges oiseaux difformes. "Motor" cliquète, fait du sur place avant de démarrer vraiment : ambiante sombre, minimale, avatar glauque d'une techno embrumée. La voix de Pénélope Michel reste perchée dans la machine, se contentant de bribes mélodiques à peine modulées. Au fur et à mesure que le crescendo s'épaissit, une onde lointaine monte, déferlante, énorme, opaque, avant de disparaître dans le ralenti du moteur.

   Faut-il comprendre le dernier titre, "Taifuu", comme une deuxième allusion cinématographique ? Si le nom du duo semble emprunté au film de Kenneth Anger de 1949, ce titre viendrait du film d'animation japonais de Yôjirô Arai, Le typhon de Noruda (Taifuu no Noruda ) sorti en 2015. Peu importe me direz-vous, sauf que cette double référence rejoint le goût du duo pour les ciné-concerts ! L'épique n'est-il pas cinématographique par nature ? "Taifuu" est un titre planant, atmosphérique, d'abord tout en ouatés à peine oscillants. Une fine striure s'introduit dans la masse sombre ; l'apparition d'un battement régulier marque le début de la tourmente, du typhon. Des tournoiements puissants occupent l'espace, puis tout semble sur le point de s'apaiser, mais çà revient, le battement est devenu coups lourds espacés, dramatiques. Des vents de particules se croisent, des textures se déchirent et hurlent. Le typhon est une meute de loups cosmiques qui s'éloigne dans la nuit infinie.

    Un disque hallu-ciné (correcteur pas content, mais j'assume!), d'une noire grandeur.

Paru en mars 2023 chez Sub Rosa Label  / 4 plages / 39 minutes environ

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En écho : Les Épées de l'Abîme / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

En écho : Les Épées de l'Abîme / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

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Publié le 28 Février 2023

Amp - Echoesfromtheholocene

   Amp est un groupe de post-rock électronique actif depuis les années 1995 autour de l'anglais Richard F. Walker ( dit Richard Amp), avec des collaborateurs variables. Après un arrêt de deux ans, le groupe a pris la forme d'un duo avec la chanteuse française Karine Charff. Pour vous y retrouver, il faut préciser que Ampbase désigne une plateforme internet regroupant les multiples projets de Richard Amp sous son nom ou d'autres. Vous y trouverez une longue présentation de l'évolution du groupe, avec des extraits à écouter. Comme souvent, les épithètes définissant la catégorie musicale du groupe ou duo sont aussi variées que fluctuantes. La collaboration avec le label Kranky vous permettra peut-être de mieux situer leur famille élective : rock alternatif à tendance ambiante brumeuse, avec vocaux indiscernables (ou quasiment), mélancolie aux lents développements.

Richard Amp et Karine Charff regardant vers le continent

Richard Amp et Karine Charff regardant vers le continent

   Je passe vite sur le projet, les intentions, toujours si belles : écrire une complainte sur le sort de notre écosystème perdu, détruit par la société capitaliste. Je ne cesse de lire ce genre de propos. Je passe aussi sur le fait, toujours déplorable pour moi, que Katrine Charff abandonne, pas totalement c'est vrai, le français au profit de l'anglais, ce qui m'amène généralement à écarter le disque, par mouvement d'humeur. Je passe parce que les paroles sont fondues dans la musique, sont devenues pure musique. Il faut vraiment une écoute très attentive pour les suivre, ce que l'excellent livret permet de faire si on le souhaite. Excellent livret : belles photographies, et tous les textes ! Je pardonne tout. Et puis la musique est là...

  Neuf titres parfois assez longs, neuf dérives mélancoliques prenantes. La voix ondule au ras de la musique, se croise avec son fantôme dans les vagues amples des synthétiseurs et autres instruments et logiciels électroniques utilisés par Richard. F. Walker. Infinis bercements du désespoir tranquille dans la majesté des soirs de noire solitude. « In this caged sorrow / Crushed of all hope / The soul / Longing for rest / Black solitude / Distress / Distress » entend-on dans le premier titre " Time and tides". Le duo excelle dans les lentes dérives au bord de l'informe, tel ce magnifique "Lament Lentement" dont le titre joue sur les deux langues. Orgue grave, friselis de synthétiseurs lumineux, voix murmurante de Katrine, hurlements vagues d'esprits-loups, le monde croule doucement...

Amp - Echoesfromtheholocene

   Des vents puissants se déchaînent, des questions se posent : c'est le tourmenté et tournoyant "Canwesavetheworld", avant le majestueux "Hollowscene" tout en drones veloutés, en mystérieux échos. "Drift Plastic Blues" prend la forme d'une chanson explosée, d'une déclamation polyphonique du poème sur fond de mouvements liquides et de quelques accords écorchés de guitare. "Sparkle No" est encore plus crépusculaire, le chant noyé dans la texture mouvante d'un mur composé de longues boucles plates, traversé de mini événements sonores.

Amp - Echoesfromtheholocene
  L'élégie des âmes perdues

   C'est le prélude au plus long morceau, au plus émouvant, au plus beau, "To the Night (Falls)" : une mélopée dépouillée comme une longue chute, menée par le piano qui la ponctue de notes espacées, un peu voilées. La voix épouse la mélodie du piano, prolongée par des drapés suaves de cordes et de synthétiseurs, la voix se dédouble, se multiplie, humble et si douce dans ses voiles de désespoir. Le sommet de l'album. "AdieuSirène", tout en grondements troubles très post-rock atmosphérique, termine cette vision noire d'un futur proche (?).

Titres préférés :

1) "To the Night (Falls)", le titre 8

2) "Lament Lamentation" (le 3) et "Time and Tides" (le 1)

Paraît le 3 mars 2023 chez Ampbase / 9 plages / 53 minutes environ

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- pas d'extraits sur les plateformes pour le moment

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Publié le 6 Janvier 2023

Simona Zamboli - A Laugh Will Bury You

   Musicienne électronique et chasseuse de sons : ainsi se définit Simona Zamboli, de Milan (Italie). Je me retrouve assez mal dans le dédale de ses nombreuses productions, et je ne sais si je pourrai vous trouver une illustration sonore, l'album n'étant ni sur bandcamp ni sur YouTube. Si le rire est fragile rébellion, comme elle le dit à propos de son album, il faut reconnaître que le disque dans son entier semble en rébellion contre tous les clichés, tous les attendus. Pas de son léché ou impeccable, oh non, un son agressif, brutal, bruitiste, qui congédie les notions d'harmonie, de fluidité, de clarté. Nous sommes dans un univers chargé, saturé, hoquetant, déchiré. Un titre comme "Corrosive Tears" dit bien cette anti-esthétique, ce refus du joli et des bons sentiments lénifiants. Cette musique détruit, attaque de toutes ses lames, elle laisse le monde dehors nous dit le titre 9 : "Leave the World Behind", que je lis comme un ordre, pour accéder à son monde souterrain (titre 2 : "Underworld"). Cela ne veut pas dire non plus que la beauté soit absente, à condition de la concevoir comme absolument obsédante, avec des boucles folles, des rythmes de plomb, un foisonnement chaotique, des sons déformés. Certains titres oscillent entre post-punk et musique industrielle, expérimentale : mais ravagée, comme le titre éponyme, hallucinant déferlement de déflagrations, tirs, cisaillements, mais monstrueuse, telle une hydre déchaînée n'en finissant pas de cracher son dégoût, son rejet absolu !

  Si on envisage les titres, un cheminement se dessine : le titre 1, "Haunting Ruined Landscapes", survole un monde détruit, quasi inaudible, réduit à des gargouillis, des squelettes mélodiques aplatis ;  on croit entendre pendant quelques secondes le travail de destruction qui a produit ces ruines. Le titre 2, "Underworld", c'est l'entrée dans un univers industriel marqué par un pilonnage rythmique puissant, épais, accompagné de rouages inhumains, grinçants. Suit un titre de techno minimale dans un premier temps, "I'm not there", la voix remplacée par un curieux coassement, puis véritable sous forme d'un halo lointain tandis que nous avons l'impression d'être dans l'antre de Vulcain : forgerie d'un monde inconnu ! Les trois titres suivants, "Dive", "Movement" et "Breathe", nous apprennent à vivre dans ce nouveau monde dans lequel nous sommes immergés, contraints par un balbutiement-pulsion et des coups de fouet électronique : la plongée, "Dive", est virtuellement infinie, nous laisse peu à peu cependant en étrange pays, et nous sommes accueillis par une vraie voix, un fragment en boucle bientôt mêlé à un second, et surtout à une turgescence sonore, un capharnaüm sidérant.  "Breathe" offre un bref exemple de mélodie à l'arrière-plan, recouvert par un picotement sonore : nouvel adieu au monde d'avant. "Giuditta & Oloferne", titre biblique s'il en est (la mise à mort du général Holopherne, envoyé par Nabuchodonosor, grâce à une ruse de la juive Judith, qui sauve ainsi son peuple), évoque une guerre sombre, interminable, tout en boucles ronflantes, encrassées de particules électroniques coagulées. La suite, vous la connaissez un peu déjà..

  Au total, un "Cruel World" (titre 11), évocation onirique (cauchemardesque !) d'un monde réduit à quelques mouvements répétés, déchiré par des forces obscures...

   Un disque visionnaire et décapant, évidemment pas pour les délicats.

Pas d'extrait du disque à vous proposer. Faute de mieux, une performance studio de Simona Zamboli, beaucoup moins sombre et plus sage que le disque, je trouve...

Paru fin décembre 2022 chez Mille Plateaux / 11 plages / 57 minutes environ

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Publié le 13 Octobre 2022

Darkroom - Fallout 4

   Le duo Darkroom, né à la fin des années quatre-vingt dix pour écrire une musique de film (Daylight, en 1998), a aujourd'hui plus de dix albums à son actif. Michael Bearpark joue de la guitare et des pédales, et Andrew Ostler manie synthétiseur modulaire et ordinateur. Fallout 4 est le quatrième album de la série Fallout (le numéro 1 sorti en 2001).

   Trois titres longs, entre presque quinze minutes et vingt-cinq minutes. Et pas une seconde d'ennui pour cette musique ambiante, atmosphérique, qui utilise intelligemment l'électronique pour nous plonger dans un univers sans cesse changeant, rythmé, chaleureux. Le premier titre, "It's Clear From the Air", commence par une belle introduction en glissendis superposés, doucement pulsés : c'est lumineux, tranquille, et vous voilà emportés dans un voyage coloré zébré de crissements de guitares, ondulé par les vagues de drones, de claviers et de guitare qui ne cessent de surgir. Quinze minutes de plaisir sonore !

 

Darkroom par Rob Blackham

Darkroom par Rob Blackham

   Le second titre, "Quaanaaq (Parts 1 & 2)", le plus long, part sur des phrases de guitare en boucle sur un fond de drones épais. D'une atmosphérique plus noire, il se développe lentement autour de textures plus troubles. Après trois minutes, un double battement percussif, l'un sous forme d'une sorte de jappement, fait décoller le morceau, de fait pas très éloigné d'une techno ambiante bientôt soutenue par une batterie synthétique, ou de la musique d'un groupe comme CAN, dont l'ingénieur du son des Lost tapes du groupe, Jono Podmore, a assuré la mastérisation de l'album. La matière sonore s'enfle, se tord en boucles obsédantes, dans un flux qui ralentit autour de treize à quinze minutes, pour se recharger de lumières cosmiques vacillantes et repartir sur un rythme apaisé en décrivant de grands cercles grondants dans lesquels se lovent les notes de guitare et des éclairs. Toute cette seconde partie est une comète hantée d'une vie minuscule et superbe, la guitare dansant très doucement dans les nuages lourds plombés de brèves zébrures. La grande classe, avec une fin extatique !

  Le dernier titre, "Tuesdays Ghost", est une longue dérive de guitares en virgules lumineuses, sur un fond cyclique de drones, ou inversement, le tout ponctué d'un battement profond plus ou moins espacé. On entend aussi des déformations électroniques de voix. Les sons graves montent, tournoient dans un ciel de plus en plus sombre. On est frappé par l'énergie farouche de ce flux parcouru d'incidents sonores, d'épaississements noirs, au tranchant trouble. C'est une musique exaltante, bouillonnante, au bord de l'explosion, qui pourrait durer toute la nuit. Du post-rock flamboyant, somptueux !

   De quoi ouvrir nos nuits sur l'énergie infinie. Un disque inspiré magnifique.

   

Paru le 25 août 2022 chez Expert Sleepers  /  3 plages / 42 minutes environ

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