Publié le 28 Mars 2012
Felt, sorti fin 2011 chez Erased Tapes, est le troisième album du pianiste allemand Nils Frahm sur le label fondé en 2007 par Robert Raths. Logique, cette fidélité, puisque le compositeur s'inscrit exactement dans la ligne définie par le fondateur, quelque part entre musique classique, ou néo-classique, voire contemporaine, et pop, entre acoustique et électronique. Erased Tapes aime les confluences. Music for Confluence est d'ailleurs au catalogue de la maison, c'est le titre d'un album de Peter Broderick — presqu'un habitué de ces colonnes —, l'américain étant devenu un ami de l'allemand, ils ont enregistré ensemble sous le nom d'Oliveray.
Soucieux de ne pas déranger ses voisins, Nils Frahm a "chaussé" son piano de feutre ("felt" en anglais), matière qu'il a logée entre les cordes et les marteaux, tandis que les micros touchaient presque les cordes. Écouteurs sur les oreilles, il a dû pousser à fond le volume pour s'entendre, ce qui a permis à d'autres sons de s'inviter : craquements du parquet en bois, respiration, actionnement des mécanismes internes du piano et frappes amorties...La musique se prolonge ainsi de bruits parfois amplifiés par des échos, réverbérations. Les pièces sont apparemment à demi-improvisées à partir de canevas mélodiques, d'où l'intérêt à mon sens assez inégal du disque, et donc sa place dans ce que j'appelle maintenant le "Purgatoire (Notes d'écoute)" [ Catégorie supprimée depuis ].
Si tout le disque était à l'image du premier titre, "Keep", ce serait une merveille ! Notes répétées, flux, jeu percussif du piano, très vite la pièce prend des allures reichiennes évidentes, avec de magnifiques ponctuations graves, profondes, les marimbas se mêlant au notes de piano (sans doute un clavier polyvalent, en fait). Je jubile, vous vous en doutez, et j'attends la suite...
"Less", titre trop bien porté, emphatique, du ralenti façon ECM, écoutez-comme-c'est-émouvant-mon-peu-de-notes-qui résonnent, avec un tempo mou...
Meph. - Terrible, du jazz narcissique. Je ne comprends pas que tu persistes !
Dio. - Tiens, te revoilà ?
Meph. - J'ai entendu le mot "purgatoire"...
Dio. - "Keep", j'aurais tant aimé que ce soit "Keeeeeeeeeeeeeeeep".
Meph. - Et tu attends, vieil optimiste ?
Dio. - Bien sûr, après un tel début, et malgré "Less". "Familiar" remonte un peu la pente, très belle mélodie, accompagnée par un métallophone diaphane. Joli.
Meph. - Tu ne débordes pas d'enthousiasme. Je te sens au bord de la déprime...
Dio. - C'est que ça se gâte à nouveau avec le maniéré "Unter", qui a tellement peu à dire qu'on laisse les bruits se répandre.
Meph. - Alors ?
Dio. - J'ai eu très peur avec le début de "Old thought", une minute en face à face avec une sorte de bandonéon manié par un Dino Saluzzi dégoulinant d'épaisse mélancolie.
Meph. - Dire que tu as écouté Dino Saluzzi ! C'est impardonnable : au feu, ce fatras sentimentalo-emphatique.
Dio. - J'ai eu raison de persister. "Old thought", passé cette introduction, est un miracle. Sur un continuum pianistique calme, feutré justement, se détachent des sons cristallins de glockenspiel. Une ambiance proche des meilleurs Dakota Suite, comme une hallucination légère qui vous tourne vers une lumière lointaine. "Snippet" continue d'abord sur ce registre, suite de virgules interrogatives, pour hélas sombrer...
Meph. - Dans du bouillon keith jarrettien, un maniérisme jazzy, cache-misère élégant du vide.
Dio. - Tu n'exagères même pas. L'inspiration n'est pas au rendez-vous. "Kind" est un curieux hybride, Harold Budd revisité par Keith...
Meph. - Hélas, nous voilà loin de "Pensive Aphrodite" sur l'album A Song for Lost Blossoms !
Dio. - La fin très buddienne est quand même assez belle.
Meph. - "Pause" porte bien son titre, non ?
Dio. - Je te sens sarcastique...
Meph. - On le serait à moins ! Insupportable, ces notes détachées, cette mièvrerie à prétention rêveuse, prétendûment agrémentée des bruits alentours. Une musique à décrocher la mâchoire.
Dio. - J'avoue que je n'y croyais plus. Pourtant, un troisième morceau, le dernier, "More", est vraiment superbe. On retrouve le flux, une inspiration minimaliste dynamique : ça trace, ça avance, on est saisi. Bel entrelacement des lignes, une fougue qui soulève. De l'enthousiasme, enfin, pour une composition solide, qui tient malgré un passage risqué après quatre minutes, grâce à une résurgence de l'élan initial, voilé de torsades decrescendo.
Meph. - On l'attend au tournant, quand il joue avec Peter Broderick.
Dio. - Et pourtant tu connais ma réticence par rapport aux enregistrements sans support physique...
Meph. - Seulement un vinyl, ou du MP3 de haute qualité qu'ils disent...
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Paru chez Erased Tapes en 2011 / 9 titres / 43 minutes.
Meilleurs titres : "Keep"(1) / "Old Thought"(5) / "More"(9)
Pour aller plus loin
- le site de Nils Frahm.
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 22 avril 2021)