Publié le 28 Octobre 2008

Terry Riley : les Keyboard studies 1 et 2 au piano par Fabrizio Ottaviucci.

   Déjà publiées en 2002 par le pianiste allemand Steffen Schleiermacher (cf. article du 14 août 2007) dans une version  pour clavier électronique piloté par ordinateur, les Keyboard Studies 1 et 2 reparaissent réinventées pour plusieurs pianos par Fabrizio Ottaviucci, pianiste italien qui a notamment étudié l'œuvre pianistique de Giacinto Scelsi. " Les Keyboard Studies 1 et 2 font partie d'un travail commencé en 1964. Leur nature est fondée sur l'improvisation. Les deux mains mettent en relation entre eux des patterns de durées différentes, continuellement répétés. Chaque module comprend de deux à neuf mesures et les mains peuvent se déplacer librement d'un cycle à l'autre et créer des séquences de notes spontanées et aléatoires. Chaque pattern est construit sur une gamme ou un mode fixés. Occasionnellement peuvent naître des passages mélodiques qui sont le résultat de différents modules liés l'un à l'autre." écrit Riley à propos de ces deux compositions qui représentent parmi les premières tentatives de mettre en pratique les idées minimalistes associées au concept temporel de répétition continue. Plus de quarante après, ces pièces continuent de fasciner et de susciter de nouvelles versions, comme In C, mais avec beaucoup de retard, car les partitions, réduites à quelques indications, sont restées longtemps dans les cartons. Cette nouvelle version est a priori plus austère, moins colorée et dynamique que celle de Schleiermacher, mais se révèle passionnante après plusieurs écoutes. L'étude 1 est d'une linéarité rigoureuse, créant un état de méditation flottante favorable à la saisie des images sonores qui montent à la surface de la ligne rythmique continue. Plus hypnotique, la seconde déploie davantage de niveaux et ménage quelques cassures dans la progression, d'où une impression de reconstruction et d'approfondissement, de plénitude. Tread on the trail, une pièce de 1965, complète le programme. Construite sur la réitération et la dilatation de fragments de phrasés jazzy sur fond continu de notes graves percussives, elle est une sorte de danse dégingandée, disloquée, reprise jusqu'à épuisement. Avec Terry Riley, marchez sur la piste du bonheur !
Paru en 2008 chez Stradivarius / 3 plages / 56 minutes environ

Fabrizio Ottaviucci interprète les Keyboard studies

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 novembre 2020)

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Publié le 24 Octobre 2008

Idem, "The Sixth Aspiration Museum Overview": la rage de la beauté !

   Idem, groupe nantais, en est à son sixième album. Aspiration Museum Overview est un cocktail impressionnant de morceaux électro-rock, post-rock, on ne sait plus très bien et peu importe, tant l'auditeur est emporté dans cette musique au lyrisme flamboyant, aux assises rythmiques rigoureuses. Servi par des voix aux inflexions machiniques ou insinuantes qui se fondent dans les guitares déchaînées, l'album est abouti, magistralement construit pour distiller des atmosphères épaisses ou frénétiques, hypnotiques. Échaudé par des groupes de post-rock aux  titres lourds et poussifs (les derniers Sigur Ross ou Mogwai...), je renais en écoutant ces compositions ramassées comme des fauves, langoureuses, vénéneuses, qui se détendent dans des bonds étincelants. Le son tient de l'industriel calciné, du bruitisme bien digéré.. C'est mieux que les Américains d'Explosions in the sky ou Filmschool, c'est peu dire. De Who or what, le premier titre, à Extrod erty, le onzième, la même énergie fougueuse innerve cet album intelligent, capable de moments introspectifs fascinants. Une splendide réussite !

Paru en 2008 chez Jarring Effects / 11 titres / 48 minutes environ

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 novembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 19 Octobre 2008

Agoria : "Go fast", quand la techno trouve ses voix.
   Le DJ Sébastien Devaud, alias Agoria, revient avec la bande originale de Go Fast, film qui raconte l'histoire d'un policier infiltré dans un réseau de trafiquants de drogue. Après le très bon The Green Armchair, paru en 2006 déjà chez PIAS, Agoria surprend par son éclectisme et son sens des atmosphères, des couleurs. C'est un disque à faire écouter aux détracteurs de la techno, qui pensent que cette musique est désincarnée, monotone et froide. Altre voci, l'étonnant second titre, joue merveilleusement avec la voix de la mère de Sébastien, chanteuse d'opéra, pour produire un titre décalé, entre mystère des voix bulgares et techno intergalactique grâce à des échos démultipliés. Suit un  titre d'une techno très minimale, sobre, puis Dust, joli morceau disco-groove chanté avec une nonchalance sucrée, errance agrémentée de cordes à l'arrière-plan. Pending between two worlds est un court intermède aux cordes saturées, suite d'appels intenses. Eden développe des ondes frénétiques en couches frémissantes, puissamment rythmées, introduction instrumentale à Solarized, deuxième grand moment de l'album : techno ramassée, envoûtante, sur laquelle la voix androgyne de Scalde ondule avec une grâce ineffable. Un grand, très grand plaisir, ce Solarized, hélas suivi de titres moins inspirés, le vaguement atmosphérique Go fast, la poursuite percussive désastreuse Run Run Run. L'album se termine un peu mieux avec Diva Drive, sept minutes d'une techno bien tenue, sans surprise, comme un orgasme inabouti. Un album inégal, on l'aura compris, avec deux titres-phares qui tirent le tout, à prolonger par les excellents mix et remix du quatre titre Dust featuring Scalde.
Paru en 2008 chez Pias / 12 plages / 53 minutes environ

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 15 novembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 12 Octobre 2008

Jean-Louis Murat / Elodie Lauten : de Tristan à Don Juan, deux mythes revivifiés.
  Je ne connaissais pratiquement pas Jean-Louis Murat avant Tristan, paru en mars de cette année. Et me voilà pris au charme du troubadour, multi-instrumentiste, parolier et compositeur, qui signe à lui tout seul un disque léger et grave, élaboré et évident. Sans doute," Mousse noire" a tout du hit, le trop habituel vide abyssal des paroles en moins : toute la différence avec la chanson commerciale est déjà là, dans le texte, la langue travaillée avec bonheur. Comme chez Apollinaire, l'élégiaque y côtoie l'obscène pour dissoudre d'emblée l'insupportable sentimentalité des chansons dites d'amour : " Flot amer au gosier d'amant / Dans la boue qui va pataugeant / Doux Colin foutez donc Margot / Rien ne sais je t'ai dans la peau ". Rien d'appuyé toutefois, aucune emphase dans cette errance amoureuse qui évite non sans malice tous les clichés, navigue entre gaieté et désespoir avec un naturel confondant, une naïveté salutaire. Jean-Louis Murat réussit le tour de force de sortir Tristan de sa gangue épaisse d'amoureux transi pour en faire un amant lumineux et sensible, toujours brûlant de désir, jusqu'à retrouver des accents ronsardiens dans la réaffirmation finale d'un Carpe diem intemporel : " Ma  cyprine céleste / Près du cercueil que devient la beauté ? / Vous périrez ma chère / Peut-être même / m'entendrez-vous chanter ". L'album, toujours mélodiquement inspiré, réserve de plus de purs chefs d'œuvre bouleversants et délicats comme "L'amour en fuite", "L'hermine", ou encore "Chante bonheur", cantique miraculeux et tournoyant qui " chante bonheur / Au vent mauvais ". Une divine surprise, et une pochette superbe !
Paru en 2008 chez V2 Music  / 10 plages / 43 minutes environ
   
Jean-Louis Murat / Elodie Lauten : de Tristan à Don Juan, deux mythes revivifiés.

   Les hasards des sorties me comblent. Il s'agit à vrai dire d'une réédition. L'opéra d'Elodie Lauten, composé en 1984 et paru en 1985 sur le label Cat Collectors Productions, vient d'être republié en juillet 2008 par Unseen worlds. Il faut saluer cette réapparition d'une œuvre-clé d'un post-minimalisme radical et flamboyant. Conçu pour voix de soprano, alto, contralto et baryton, cet opéra recourt aussi au violoncelle, à la guitare électrique, au trombone, sous la houlette d'un Fairlight CMI, synthétiseur-échantillonneur et d'un instrument fabriqué par Élodie, une sorte de lyre triangulaire électro-acoustique. Après une introduction à la lyre, les deux actes confrontent Don Juan à la Mort. Celle-ci se montre à lui sous les traits d'une de ses nombreuses conquêtes  qui lui parle en langues pour lui révéler progressivement combien désertique a été sa vie, provoquant chez Don Juan une véritable désintégration intérieure, hallucinée, avant sa délivrance, sa transfiguration. Elodie Lauten nous entraîne dans un espace intérieur vertigineux, peuplé de voix fantomales, animé de forces sourdes comme des mantras telluriques. A mon sens, un opéra aussi important que le Einstein on the beach de Philip Glass, dont la célébrité tient peut-être autant au talent du metteur en scène Robert Wilson. Ajoutons qu'Élodie Lauten est une enchanteresse redoutable avec sa voix profonde d'alto ou de contralto, et qu'elle réussit au passage un étourdissant duo avec le ténor Arthur Russell. Cette new-yorkaise d'origine française mérite décidément d'être plus connue : c'est une artiste majeure d'aujourd'hui, puissamment originale, qui sait allier dans une alchimie dépaysante voix, instruments acoustiques et sons électroniques.

Reparu en juillet 2008 chez Unseen Worlds / 10 plages / 52 minutes environ
Pour aller plus loin :
- Un très bel article d'hommage par le critique et compositeur Kyle Gann, avec partitions et échantillons sonores, utilisé lors d'une conférence à Helsinski en septembre 2015.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 15 novembre 2020)

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Publié le 3 Octobre 2008

Spyweirdos, John Mourjopoulos, Floros Floridis : "Epistrophy at Utopia", un étrange sous-marin électro mâtiné de jazz minimal.

Il s'appelle Spyros Chronopoulos, cet athénien né en 1980, et fait de la musique depuis 1993, apprend-on sur son très beau site. Déjà le nom me fait rêver : contracté en Spyweirdos, l'espion étrange, dieu des sons, chronophage halluciné par ses études de physique, spécialité acoustique. Quand, par surcroît, il invite deux musiciens de jazz, John Mourjopoulos, aussi professeur d'acoustique à Thessalonique, et Floros Floridis, improvisateur averti, le résultat est totalement dépaysant, renversant. Imaginez. Le disque s'ouvre sur un arrangement  hérétique et flamboyant  d'Epistrophy  de Thelonius Monk, parasité par des échantillons bruitistes et des remontées humides de sous-sol. Ethnic Music cleansing commence par un chant murmuré recouvert par un échantillon d'instruments méconnaissables, avant de laisser la place à des boucles cuivrées puis à un duo jazz piano-contrebasse achevé par la batterie pour relaisser la place au chant initial. Après ces mises en oreille, la porte s'ouvre sur l'inconnu, Spyweirdos investit la Wet house : il y pleut, tout suinte, l'orgue s'insinue dans les coins, vous enveloppe comme de loin, appels de la maison engloutie d'un film de Tarkovski, avec des chevauchements de bandes sonores d'époques révolues qui finissent absorbées par les claviers liquides. At, le quatrième titre, peut alors se déployer, majestueux, orgue et hautbois suave sur un fil rythmique frémissant, piano à l'arrière-plan, le tout ponctué de déchirements puissants de saxophones basses (à vérifier) : impressionnant et inoubliable morceau, d'une densité rare ! Utopia semble revenir au jazz pour jouer en virtuose des changements de vitesse, du ralenti énigmatique du piano au début, rejoint par la basse, le saxophone dans un phrasé miné par  des  aplats mécaniques, aux brusques et courtes accelérations frénétiques qui achèvent de disloquer l'ensemble. En hommage à l'inventeur d'instruments et au compositeur de bandes sons pour dessins animés Raymond Scott, Raymond bound est un joyeux et irrévérencieux compendium de fragments hétéroclites coulés dans une cadence rythmique quasi immobile, menacée d'effilochement, guettée par des poussées mièvres, recouverte in fine par le tintinnabulement d'un troupeau mené par son berger...Arrivé à ce stade, on est prêt à tout, l'alphabet des possibilités a défilé dans un raccourci audacieux, un sens très sûr de l'espace sonore. Les trois musiciens assènent le coup de grâce, The letter after Oméga, géniale synthèse d'une musique ambiante habitée et fascinante, et d'un jazz profond et chaleureux, réduit à son essence, débarrassé de sa tendance au bavardage : boîtes à rythmes, souffles rauques, claviers étagés et parcimonieux au bord du silence. Tout sombre, il n'y a plus rien, puis le morceau caché surgit pour nous happer dans ses strates de lumières obscures, aux découpures rythmiques implacables. Apothéose électronique de toute beauté pour un disque étonnant et remarquablement conçu. 
Paru en avril 2008 chez Ad Noiseam / 7 plages / 45 minutes environ
Prolongements
- le site personnel du musicien.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

- une autre vidéo, pour la face étrange de Spyweirdos, musique extraite de "Ten Numbers" :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 novembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...