Publié le 19 Août 2022
Réjouissons-nous, mes frères et sœurs, puisque la musique de Hans Otte (1926 - 2007) est enfin reconnue à sa juste valeur. Lorsque je le célébrais, au tout début de ce blog, en 2007, je pense, sans vanité aucune, que j'étais l'un des premiers, au moins en France, à défendre la musique de ce compositeur allemand qui fit toujours passer sa musique après celle des autres. Il fut en effet directeur musical de Radio Brême de 1959 à 1984. L'enregistrement de cette œuvre maîtresse de la fin du vingtième siècle qu'est Das Buch der Klänge (Le Livre des sons) fut pour moi une révélation. Je n'eus pas connaissance de ce qui fut sans doute le premier enregistrement, celui donné par le pianiste néerlandais Ralph van Raat pour la maison de disques allemande Kuckuck Schallplaten en 1984. C'est le pianiste allemand Herbert Henck qui me fit découvrir Otte grâce à son interprétation publiée chez ECM New series en 1999. En 2006, Celestial Harmonies donna un généreux double album, sous les doigts du compositeur lui-même. En 2007, la même maison de disque publia le Stundenbuch (Le Livre des Heures), quarante-huit pièce pour piano à deux mains en quatre livres, interprété par le pianiste australien Roger Woodward. Pour moi, Hans Otte était bien installé au firmament, où je le place toujours.
Depuis... la renommée est doucement venue, et on le joue un peu partout. Des pianistes défricheurs comme R. Andrew Lee ou Nicolas Horvath en ont donné des versions intégrales. La pianiste allemande Kristine Scholz, qui vit en Suède depuis 1972, lui consacre la majeure partie d'un disque paru chez Thanatosis (label indépendant de Stockholm) il y a quelques mois à peine. On pourra regretter qu'elle n'ait choisi que quatre des douze pièces du Livre des sons, présentées de plus dans le désordre : respectivement les IV, II, IX et XII. Bien sûr, la dynamique du son est aujourd'hui meilleure, ou du moins, sans doute parce que les microphones sont placés beaucoup plus près de l'instrument, elle donne une proximité tranchante que ne présente ni la version Henck, ni celle du compositeur. On pourrait en discuter à l'infini, selon que vous préférez un peu de halo, un effet de lointain, ou qu'au contraire vous voulez un son cristallin, pur, proche. Je suis assez séduit par la version de Kristine Scholz, d'une très droite lucidité si je puis dire, moins souple que la version de Otte. C'est net sur la pièce II, rivière sonore fastueuse : avec elle, on voit les galets du fond, l'eau étincelle. Sans doute perd-on un peu du mystère de cette musique, par exemple pour la pièce IV, enveloppée et doucement résonante chez Otte, nettement découpée, silhouettée par l'allemande qui lui donne une netteté, une présence presque violente, alors que Henck jouait d'un contraste entre le tranchant et l'évanescent assez différent.
Nota. Comme j'ai retrouvé la version de Ralph van Raat de 1984, je vous la mets en écoute après celle de Kristine pour la partie II.
Pour la pièce IX, Kristine Scholz en donne une version sévère, moins rapide que celle de Henck, là encore assez sculpturale, alors que Otte dessine, appuie peu. C'est assez impressionnant. La pièce XII, presque humble chez Henck, plus lumineuse et décidée chez Otto, Kristine Scholz en fait une marche impassible non dénuée de grandeur.
Ci-dessous : Hans Otte pour la XII
Alors pourquoi le compositeur américain John Cage (1912 - 1992) figure-t-il sur ce disque ? Hans Otte et John Cage se sont rencontrés pour la première fois à l'Université de Yale en 1950. Lorsque Otte fut devenu directeur musical de Radio Bremen et organisateur de plusieurs festivals, John Cage fut régulièrement invité dans ceux-ci. Leur amitié musicale explique donc sa présence aux côtés de celle de l'allemand sur ce disque.
Music for piano 4-19, composé en 1953 pour un nombre non précisé de pianos, est ici interprété pour piano seul. Comme souvent chez Cage, l'interprète a une marge de latitude : tempi et dynamique sont laissés à son appréciation. Il faut rappeler également que Cage recourait au Yi-King, ou Livre des Mutations, pour décider des clefs, des altérations et de la technique (ordinaire, pizzicato ou en sourdine). Kristine Scholz, ayant choisi d'utiliser la pédale forte en permanence, en donne une version résonante, les dix-neuf minutes devenant une longue méditation jalonnée de silences. Les changements de technique créent comme des voix différentes, donc une étrange polyphonie qui me fascine toujours autant chez lui. Une splendeur !
Belle idée que de ressembler deux compositeurs qui ont changé chacun à sa manière notre rapport au piano ! L'impressionnante rigueur de Kristine Scholz les donne à entendre magnifiquement avec son Steinway de 1921, aux harmoniques quasiment feuilletés.
Paru en avril 2022 chez Phanatosis Produktion (Suède) / 5 plages / 42 minutes environ
Une dernière proposition d'écoute pour la partie II : une pianiste lituanienne, Gabija Natalevičienė, lors d'un festival d'été à Vilnius en 2015. Il faut faire la part des conditions d'enregistrement, en direct, dans une salle où la réverbération est forte. Version fluidissime, qui n'échappe pas, je trouve, à des alanguis, à une mollesse compromettant la ferme architecture de cette musique d'une étincelante beauté, en effet...