Publié le 27 Juin 2025
[À propos des compositeurs et du disque]
Le disque regroupe deux portraits, celui de la collaboration entre deux canadiens de Vancouver, la compositrice et artiste Michelle Helene Mackenzie et le compositeur et interprète de musique électronique écrite Stefan Maier, et celui de la compositrice américaine Olivia Block, déjà présentée ici pour sa collaboration avec Lea Bertucci sur le disque I Know the Number of the Sand and the Measure of the Sea paru en avril de cette année.
Pourquoi ensemble ? Les deux portraits sont fortement liés à deux lieux originaux, caractérisés par une forme de vie spécifique. Le premier est inspiré par Sanzhi Pod City, un village abandonné de maisons de science-fiction en forme de soucoupes volantes imaginées par l'architecte finlandais Matti Suuronen dans le nord de Taïwan, dans lequel ont proliféré la végétation et les insectes, en particulier cinq espèces de mantes orchidées qui ressemblent de manière troublante à des fleurs. Les deux musiciens y ont trouvé la matière de leur inspiration. La lagune de San Ignacio en Basse-Californie du Sud au Mexique a été le réservoir d'enregistrements de terrain d'Olivia Block pour le second. Cette lagune est appréciée des baleines grises qui s'y reproduisent et hibernent. Le travail de la compositrice vise à donner une idée du paysage sonore subjectif des baleines soumises aux bruits des activités humaines.
[L'impression des oreilles]
« Orchid Mantis »
Un gargouillis accompagné de la boucle d'une fine lame sonore ouvre « Orchid Mantis » avant qu'un énorme son percussif, peut-être déjà un bol chantant amplifié, ne vienne hanter la pièce. Les amples résonances de cloches, les stridulations d'insectes, se mêlent pour créer une ambiance d'intense écoute, émerveillée. Les deux artistes ne se contentent pas d'une description d'environnement, ils transportent l'auditeur dans un monde oriental à n'en pas douter, comme si nous étions à l'orée d'un temple. Aussi, à côté de courts passages de sons de terrain, la musique composée garde la place principale, intègre d'ailleurs magnifiquement le milieu pour le sublimer. Elle laisse le silence creuser des absences pour que surgisse mieux le mystère de la Vie, ses battements, ses respirations, ses vibrations rayonnantes d'une beauté translucide. Leur musique cherche à être insecte-monde, se déploie dans les tintements, cette fois de multiples cloches, la montée de bourdons animés. Jouant d'une savante alternance entre moments de saisie de l'imperceptible et crescendos rituels impressionnants, elle est fleur, comme ces insectes, entre éclosion et épanouissement fabuleux, puis disparition avec le retour de la fine lame sonore initiale. Elle chante le miracle, et c'est vraiment très très beau !
« Breach »
Olivia Block nous immerge d'emblée dans le monde sous-marin des baleines, de leurs chants glissants, déformés, de leurs conversations bavardes, démultipliées, envahies par des milliers de battements, de bruits (de moteurs ?). Oui, les baleines subissent les hommes et leurs ravages auditifs. Laissons de côté le plaidoyer. La musique d'Olivia Block, affronte les bruits, leur brutale étrangeté, comme des myriades d'oiseaux de mer piaillant dans les cercles de l'enfer. Du silence qui suit ce vacarme, remontent des signaux sonores, des vagues d'une intensité lumineuse vacillante, vagues saturées d'éléments d'un langage inconnu, antévocalique. Les sons synthétiques de l'orgue traduisent et enrobent des échanges qui nous restent infiniment déconcertants, comme les bégaiements d'une beauté émouvante et encore hors de portée.
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Deux pièces aux frontières de la musique concrète et de l'ambiante, qui déjouent les pièges d'une musique de pur collectage de terrain par une approche visionnaire ritualisée (« Orchid Mantis ») ou une empathie puissamment dépaysante, tantôt presque dantesque, tantôt d'un bucolique aquatique inattendu (« Breach »).
Paru le 16 mai 2025 chez Portraits GRM (Paris, France) / 2 plages / 40 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :