Publié le 28 Janvier 2013
J'ai chroniqué voici peu l'album Mort aux vaches de Peter Broderick et Rutger Zuydervelt (alias Machinefabriek) : on y rencontrait Jan Kleefstra, sa voix et ses poèmes en frison, qui, avec son frère Jan, crée un univers dont je reparlerai. Or, les deux frères se sont produits avec Anne Chris Makker, ils ont réalisé ensemble deux disques. Anne Chris signe son premier album avec Weerzien.
Un seul long titre de presque une demi-heure, fruit de quatre années de recherches sonores, constitue à lui seul l'album...et suffit à le justifier. Utilisant un archet de violon sur une guitare pour en tirer drones et sons étirés qui s'arrachent en frottis lumineux, il construit un univers à la fois dense et flottant, travaillé par de lents surgissements plongés dans une texture feuilletée obtenue par son ordinateur portable, quelques effets et boucles. Il en résulte une musique aux frontières de l'électroacoustique, des musiques ambiantes et minimales. Surtout, le disque est fascinant parce que l'on sent une orientation : quelque chose se passe dans cette musique. Les balbutiements initiaux sur la guitare préludent à toute une série d'avènements mystérieux, d'immatérielles envolées calmes. Se forme une nébuleuse parcourue de lignes électriques, d'éléments d'un chant de particules en suspension. J'ai plusieurs fois pensé à Guillaume Gargaud en écoutant les premières minutes, mais en plus intériorisé peut-être, avec une subtile intrication de textures glissées semi-transparentes : une vie imperceptible anime ce continuum qui ne cesse d'émettre, de rayonner, parce que, comme sur la couverture, il se craquèle, se fendille pour livrer passage à une matière antérieure, recouverte depuis tant de siècles par des alluvions accumulés. Dès lors, toute la masse se vaporise dans un chant immense qui enveloppe la croûte disloquée d'un brouillard de drones se coagulant en une nappe d'orgue quasi immobile, et surgit dans une envoûtante épiphanie l'ample respiration du monde enfoui. C'est d'une indicible beauté, incrusté de chœurs diaphanes, ciselé par quelques motifs de piano ou de claviers glauques. Quelques craquements signalent une présence discrète : "weerzien" signifie "revoir, rencontrer à nouveau, rejoindre". Une invitation à revoir, rejoindre "ce qui était toujours là" comme l'écrit lui-même Anne Chris, mais qu'on ne savait plus entendre. Une pièce absolument magnifique !
Paru en septembre 2012 chez Somehow Recordings / 1 titre / 28 minutes environ
Je lui associe une découverte récente, celle de Sky Pape, artiste new-yorkaise dont j'aime beaucoup le travail : son univers me paraît proche de celui d'Anne Chris Bakker. Eau et encre Sumi sur papier kozo fabriqué à la main :
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Pour aller plus loin
Sky Pape, encore : encre Sumi sur papier fabriqué à la main.
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mai 2021)