Publié le 22 Novembre 2024
[À propos du disque et du compositeur]
David Lang... il est au cœur de ce blog depuis longtemps. Je vous renvoie à l'un des nombreux articles que j'ai consacrés à ses disques [tapez son nom dans la rubrique "recherche" en haut à droite ]. Pour cette nouvelle œuvre monolithique de plus d'une heure, je lui cède la parole. J'aime la simplicité de ses propos :
« Il y a un grand fossé entre la façon dont la musique classique nous apprend à ressentir les émotions et la façon dont nous les ressentons réellement.
La musique occidentale a une tradition solidement établie d’acceptation des grands changements de tempérament et d’humeur – nous n’avons aucun problème à penser qu’un morceau peut passer sans heurt d’un murmure doux à un son assourdissant. Cependant, lorsque je pense à la façon dont ma vie fonctionne réellement, je ne le pense pas en termes de sauts émotionnels géants d’un extrême à un autre – la plupart de mes émotions ne vont pas d’une félicité extrême à une misère déchirante et inversement, le tout en peu de temps ; ma gamme est beaucoup plus étroite et évolue trop lentement pour cela. Dans ma pièce Darker, je voulais créer une pièce musicale qui corresponde davantage à mon propre récit émotionnel qu’à celui que nous avons hérité de la musique dramatique du passé.
Darker ressemble à bien des égards plus à un objet qu’à un morceau de musique. C’est un passage lent et long de quelque chose de plutôt uniforme et agréable à quelque chose d’un peu moins agréable. Mon œuvre, comme la vie, déploie beaucoup d’efforts pour parcourir une très courte distance, du beau vers un peu moins beau, d’un peu de lumière vers quelque chose d’un peu plus sombre. »
Darker est interprété par l'ensemble Signal sous la direction de Brad Lubman : sept violons / deux altos / deux violoncelles / une contrebasse. Et rien d'autre !
[L'impression des oreilles]
L'œuvre s'ouvre sur un glissement de toutes les cordes, repris en dessous par des violons. Le même glissement se reproduit, plus centré sur les cordes graves, frangé par altos et violons. Ce glissement est comme une courbe, une révérence, qui sera répétée tout au long de la pièce. Une pièce qui tire sa révérence, inlassablement, avec une grâce suave, profonde. Une broderie de fins aigus, de médiums, enveloppe, enlace la révérence dans son réseau changeant. Structurée par une lente pulsation, une sorte de mouvement perpétuel, la pièce avance souverainement, majestueusement. C'est aussi comme un canon toujours recommencé, une fugue immense, dilatée, qui nous entraîne dans ses traînes ajourées. La somptuosité de l'écriture des cordes donne d'ailleurs à darker une robe baroque. David Lang transcende le minimalisme pour inventer le minimalisme baroque.
La révérence, c'est aussi dans son mouvement creusé comme une acceptation de la Mort, de l'inéluctable, mais la Vie renaît, encore et encore, avec des gestes vifs et finement saccadés, tente de s'accrocher à la vague obscure et si belle, c'est une étreinte renouvelée, une mise Amor. L'emprise du sombre progresse, les cordes tremblent de plus en plus, la Vie s'essouffle, et l'âme exprimée plane hors de cette envoûtante torsion, volette dans l'agonie frémissante et langoureuse des cordes...
[ à écouter sans image, sans sauce Liquid Music concoctée par une artiste visuelle. La musique se suffit à elle-même ! ]
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Comme un immense et sublime Requiem pour cordes seules, sans parole.
Paru le 4 octobre chez Cantaloupe Music (Brooklyn, New-York) / 1 plage / 1 heure et quatre minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp