Publié le 28 Novembre 2011
Dès le premier titre, j'ai su que je chroniquerai cet album, le quatrième d'Amute, pseudonyme du musicien belge Jérôme Deuson. "When it begins", entrée éblouissante, nous emporte d'emblée par son lyrisme sombre, tendu, celui d'un Tangerine Dream des premiers albums, Phaedra (1974) surtout avec l'envoûtant "Mysterious semblance at the strand of nightmares" : vagues de claviers, chavirements grandioses sur les rivages de l'Ailleurs, voix archangéliques lointaines, tout cela s'échouant sur quelques notes de guitare. Les marteaux piqueurs flous ouvrant le titre suivant, "Everyday is", donnent la couleur d'une pièce à la fois plus industrielle, puissante, post rock aussi pour tout dire, et en même temps toujours dans une veine ambiante et électronique, quelque part entre un Tim Hecker sur son orgue dans une cathédrale abandonnée et presque un Père Ubu par les vocaux rageurs, d'une pâte très épaisse.
Méph. - Ah oui, ça fait du bien !
Dio. - Tiens, il faut que tu t'en mêles ?
Méph. - Je suivais avec inquiétude ta dérive vers une quiétude néo-classicisante soporifique...
Dio. - Je ne réponds pas à tes insinuations. Parfois, je me demande si tu n'es pas sourd : comme quoi malice ne rime pas avec finesse de l'oreille...Ce qui compte, c'est que tu me rejoignes !
Méph. - Merci pour les compliments. Je reviens à l'album. "Fast forward the past" est une belle ballade post rock, guitare lumière dans une temporalité distendue - on a l'impression que le temps patine - peuplée d'étranges objets sonores qui envahissent le devant de la scène, chœurs voilés...
Dio. - Quant au titre éponyme, il ne ment pas. Nappes d'anthracite, forages dans des mines étranges, envols légers nimbés d'une atmosphère irréelle.
Meph. - Appelle ça par son nom, de la poésie sonore, attention pas de la mièvre, de la brute, pleine de chauves-souris dont les ailes battent dans le noir profond.
Dio. - Et l'on descend encore avec "Thierry" où soufflent des vents souterrains violents de particules électroniques : guitare distordue en flamme, quelque chose d'infernal, non ?
Meph. - Tu me tends la perche : Thierry doit être un damné dont le corps torturé produit ce qu'on n'attendrait pas de lui, une fulgurance sourde, belle...Le titre suivant me semble autoriser mon audace : "So easy to fall", chant fragile et maladroit en boucles hypnotiques, bientôt se gonflant d'énergies telluriques, puissamment rythmées. Superbe métamorphose, les damnés se redressent et clament du fond des cavernes obscures. J'applaudis !
Dio. - Dans ce contexte, "Drive" est d'abord un miracle de transparence avant de devenir l'hymne doucement implacable de la délivrance : une force est en marche, irrésistible, fascinante.
Meph. - Dont "Violent blur" serait la dispersion dans les espaces infinis. On arrive logiquement - par la logique imaginaire de cette musique visionnaire - dans le "Desert" du titre neuf, titre lentement pulsé, le plus ambiant, hanté par des voix fragmentées, murmurantes, de lumineuses et glauques sidérations. Comme un territoire à réinventer, d'où la remontée des énergies, le superbe crescendo habillé de violoncelle sensuel, menacé en fin de parcours par une dépression lourde déchirée d'une clarté déclinante. Nous voici au pays du "Dead hero", balayé de drones opaques animés de déflagrations intérieures : puis un paysage désolé envahi par une rythmique machinique...
Dio. - Un disque très intense, sombre...
Meph. - Déjà dit, vieux ! Mieux que cela : un superbe opéra des espaces enfouis, une odyssée ténébreuse, qui réussit une confondante fusion entre l'acoustique et l'électronique. Les amateurs de Guillaume Gargaud, et de quelques autres créateurs inspirés, seront ravis !
Dio. - Et c'est publié par un label indépendant bruxellois, Humpty Dumpty Records, que nous saluons chaleureusement.
Paru chez Humpty Dumpty Records en Octobre 2011/ 10 titres / 46 minutes
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 avril 2021)