Publié le 30 Mai 2009

Archive : "Controlling crowds", le temps tranquille de la chute.
Je cède. Archive fait son entrée sur INACTUELLES avec son huitième album, Controlling Crowds.

Meph. - Alors ? Boursouflure pseudo-onirique ? Camembert planant indigeste ? Soporifique hip-hop plombé à l'électro ? Symphonies de soupirs synthétiques ?
Dio. - Je me doutais que tu te manifesterais. J'avais écouté distraitement les précédents albums (pas tous, mea culpa), mis en mémoire "Londinium", le premier, que j'ai ensuite effacé. Je trouvais ça emphatique, lourdaud, pas désagréable d'ailleurs...
Meph. - Parce que maintenant ils chaussent des semelles de vent ?
Dio. - Je n'irai pas jusque là. L'emphase ici est en phase (ah ! ah !) avec leur projet. Album long, qui prend son temps, creuse son sillon, soigné, entre post-rock mâtiné d'électro et hip-hop assez sombre et plutôt rare à dire vrai.
Meph. - Oui, l'excellent "Bastardised ink", avec Rosko John, ou "Quiet time" et ses beats enveloppés de claviers en nuages sombres
Dio. - La voix voilée de "Whore"...
Meph. - Relent d'apocalypse confisquée, nous sommes loin du rap, ça patauge dans la guimauve sur la fin, non ?
Dio. - Je te l'accorde, et on tombe dans le joli avec "Chaos", piano domestiqué et l'orchestre de Cannes /Provence / Côte d'Azur sévit sévère...
Meph. - Il est présent sur d'autres titres, heureusement moins envahissant. Jamais entendu un "Chaos" aussi calme : allez plutôt voir Caos calmo, le superbe film d'Antonello Grimaldi. "Razed to the ground" est plus réjouissant, légions démoniaques en sourdine lointaine, je suis dans mon élément, retour de Rosko John, rythmes bondissants et grondeurs, claviers superposés. Dommage que "Funeral" verse dans le grandiloquent, le funèbre pour pompes à cirer. Consternant. Faudrait leur dire d'écouter "The Carbon Copy building" et son extraordinaire "Funeral march of the unfinished desserts"
Dio. - Tu sais qu'on fait tout à l'envers ? On n'a pratiquement pas parlé de la première moitié de l'album, et notre discussion tourne à l'éreintement.

 

 

Meph. - J'aime l'ouverture éponyme, orgue balbutiant, comme enrayé. Long et lourd décollage, trop lourd diront certains. C'est qu'ils ne se prennent pas pour des anges. Musique incarnée, hantée par la chute, ça revient dans les paroles, fly with me falling through the night, ça sue la solitude traquée, une épouvante sourde. Une revendication d'être ici, the world is my playground too, cour de récréation menacée par la venue des controlling crowds, foules contrôlées et contrôleuses qui haïssent la différence.
Dio. - D'où "Bullets", belle invitation à regarder un homme ordinaire dans les yeux, à le toucher, superbe chanson pop au lyrisme incantatoire.
Meph. - Et la plainte écorchée de "Words on signs": Close those eyes down, we all fall down, into the space, gone with no trace(...)There's nobody for me here now.
Dio. - Et le chant fragile de "Dangervisit", le morceau le plus émouvant, rageur sur la fin.
Meph. - La boucle est bouclée. On en est à "Quiet time", le cinquième titre.
Dio. - Tu vas rire. Je vais encore parler des illustrations. Je ne trouve pas le nom de l'artiste, c'est curieux. Elles sont à l'image de ce monde naufragé, perdu dans l'espace, où l'organique déchiré dévoile le squelette, tout s'agglutine et se replie dans un camaïeu de bleu froid. Je pense à un artiste comme Miodrag  Djuric, alias Dado : il a un site étonnant, à découvrir !!
Meph. - Pas de conclusion ? Tu t'échappes !!
Dio. - Très bien pour la première moitié, parfois calamiteux pour la seconde, à part "Bastardised Ink",  et, partiellement, "Kings of speed" et "Whore", qui ont tendance à s'enliser. Ne boudons pas notre plaisir : nobody's perfect !
Meph. - Reste à méditer sur le titre de cet article, que je trouve vraiment mauvais...
Dio. - J'ai cru qu'il te plairait !

Paru en 2009 chez Warner Music / 13 plages / 76 minutes environ
 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 26 Mai 2009

"Siwan", Mansur Al-Hallâj et Saint Jean de la Croix : rencontres mystiques.
  Avec Siwan, Jon Balke, Amina Alaoui et les musiciens qui les accompagnent nous invitent à poursuivre le voyage. Je vous propose deux pistes. La première, celle du dernier titre, sur le texte de Jean de la Croix, que l'on peut trouver dans la collection Poésie / Gallimard, bilingue avec la très belle traduction de Jacques Ancet. (désolé, je n'arrive pas à mettre sur deux colonnes...)

COPLAS

 hechas sobre un éxtasis
de harta contemplación

Entréme donde no supe,
y quedéme no sabiendo,
toda sciencia trascendiendo.

1. Yo no supe dónde entraba,
pero cuando allí me vi,
sin saber dónde me estaba,
grandes cosas entendí.
no diré lo que sentí,
que me quedé no sabiendo,
toda sciencia trascendiendo.                                           

2. De paz y de piedad
era la sciencia perfecta,
en profunda soledad,
entendida vía recta ;
era cosa tan secreta,
que me quedé balbuciendo,
toda sciencia trascendiendo.

3. Estaba tan embebido,
tan absorto y ajenado,
que se quedó mi sentido
de todo sentir privado ;
y el espíritu, dotado
de un entender no entendiendo,
toda sciencia transcendiendo.

4. El que allí llega de vero,
de sí mismo desfallesce ;
cuanto sabía primero
mucho bajo le paresce ;
y su sciencia tanto cresce,
que se queda no sabiendo,
toda sciencia trascendiendo.

5. Cuanto más alto se sube,
tanto menos se entendía
qué es la tenebrosa nube
que a la noche esclarecía ;
por eso quien la sabía
queda siempre no sabiendo,
toda sciencia trascendiendo.

6. Este saber no sabiendo
es de tan alto poder,
que los sabios arguyendo
jamás le pueden vencer ;
que no llega su saber
a no entender entendiendo,
toda sciencia trascendiendo.

7. Y es de tan alta excelencia
aqueste sumo saber,
que no hay facutad ni sciencia
que le puedan emprender ;
quien le supiere vencer
con un no saber sabiendo,
irá siempre trascendiendo.

 

8. Y si lo queréis oír,
consiste esta suma sciencia
en un subido sentir
de la divinal esencia ;
es obra de su clemencia
hacer quedar no entendiendo,
toda sciencia trascendiendo.

 

COUPLETS                                                           

faits sur une extase

de très haute contemplation                          

 

je suis entré où ne savais

et je suis resté ne sachant

toute science dépassant

 

moi je n'ai pas su où j'entrais

mais lorsqu'en cet endroit me vis

sans savoir où je me trouvais

de grandes choses j'ai compris

point ne dirai ce qu'ai senti

car je suis resté ne sachant

toute science dépassant

 

De piété de quiétude

c'était là science parfaite

au profond d'une solitude

une voie entendue directe

c'était là chose si secrète

que suis resté balbutiant

toute science dépassant

 

J'étais en tel ravissement

si absorbé si transporté

qu'est demeuré mon sentiment

de tout sentir dépossédé

ainsi que mon esprit doué

d'un comprendre non comprenant

toute science dépassant                                                                 

 

Qui en ce lieu parvient vraiment

de soi-même a perdu le sens

ce qu'il savait auparavant

tout cela lui semble ignorance

et tant augmente sa science

qu'il en demeure ne sachant

toute science dépassant

 

D'autant plus haut il est monté

et d'autant moins il a compris

quelle ténébreuse nuée

venait illuminer la nuit

celui qui savoir en a pris

il reste toujours ne sachant

toute science dépassant

 

Il est ce non savoir sachant

chargé d'un si puissant pouvoir

que les sages argumentant

n'en tireront jamais victoire

car il ne peut tout leur savoir

ne point comprendre en comprenant

toute science dépassant

 

Et une si haute excellence

est en ce suprême savoir

que ni faculté ni science

de le défier n’a pouvoir

qui de soi tirera victoire

avec un non savoir sachant

il ira toujours dépassant

 

et si vous désirez l’ouïr

cette souveraine science

consiste en un très haut sentir

de la toute divine essence

c’est une œuvre de sa clémence

faire rester ne comprenant

toute science dépassant


 La deuxième piste est celle de Mansur Al-Hallâj, mystique soufi persan surnommé "L'Ivre de Dieu", né en 857 et crucifié et décapité en 922 à Bagdad après un très long procès. grâce à une vidéo proposant une curieuse musique électro-soufie de Ghaffar Youcef, dont je ne peux rien vous dire...

Premier poème :

« J’ai un Bien-Aimé que je visite dans les solitudes.
« Présent et absent aux regards

« Tu ne me vois pas l’écouter avec l’ouïe

« Pour comprendre les mots qu’Il dit

« Mots sans forme ni prononciation

« Et qui ne ressemblent pas à la mélodie des voix.

« C’est comme si, en m’adressant à Lui

« Par la pensée, je m’adressais à moi-même

« Présent et absent, proche et lointain.

« Les figures des qualifications ne peuvent Le contenir
« Il est plus près que la conscience pour l’imagination
« Et plus caché que les pensées évidentes.

 

Second poème :

« Je ne cesse de flotter dans les mers de l’amour

« Les flots me soulèvent et m’abaissent

« Tantôt les flots me soulèvent
« Tantôt je chois et sombre
« Enfin Il m’amena en amour
« Là où il n’y a pas de rivage
« J’appelai Celui dont je ne dévoile pas le nom

« Et que jamais je ne trahis en amour

« Que mon âme ne t’en veuille pas, Seigneur,

« Car tel ne fut pas notre pacte !

En écoute, Souffle de la brise, poème d'Al-Hallâj mis en musique et interprété par Abed Azrié.

Brise

O souffle léger du vent,

Va dire au jeune faon

Que de boire à la source 

ne fait qu'aviver ma soif.

Celui que j'aime habite mes entrailles,

Qu'il foule ma joue s'il le veut.

Son âme est mon âme, et la mienne la sienne,

Son désir est le mien, et mon désir est le sien.

 

 

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges, #La Musique et les Mots

Publié le 22 Mai 2009

Jon Balke / Amina Alaoui : "Siwan", entre Orient et Occident.

   Le pianiste norvégien Jon Balke, musicien de jazz, et la chanteuse marocaine Amina Alaoui, formée dans la tradition gharnati (genre musical de la ville de Grenade) sur un même disque, "Siwan", qui signifie équilibre ou balance. Si l'on ajoute que participent également Jon Hassell, trompettiste et musicien électronique qui joua avec Brian Eno, Keir Eddine M'Kachiche, violoniste virtuose algérien, Pedram Khavar Zamini, percussionniste iranien, Andreas Arend, luthiste allemand, Helge Norbakken, percussionniste norvégien, et les Barokksolisten sous la direction du violoniste Bjarte Eike, on se dira peut-être que voilà encore la énième rencontre pseudo-fusionnelle entre musiques du monde et jazz ou autres. La rencontre a été pensée, et elle est magnifiquement réussie. Jon Balke, qui dirige plusieurs ensembles de jazz, est fasciné  depuis trente ans par la musique d'Oum Kalsoum, la grande chanteuse égyptienne morte en 1975, celle qui fut surnommée "l'Astre d'Orient", véritable légende aujourd'hui encore. Invité au Maroc par un club marocain pour composer du jazz, il découvre la chanteuse Amina Alaoui, qui s'inspire de la musique andalouse. Il la rencontre, le projet "Siwan" prend forme, se traduit par la constitution d'un orchestre qui réunit des musiciens venus du jazz, de la musique traditionnelle et de la sphère baroque. Qu'ont-ils en commun ? Un certain rapport avec l'improvisation. De plus, Jon Balke sait que la musique andalouse est l'une des sources de la musique baroque. Quelques concerts de Bergen au Caire, des sessions d'enregistrement  entre 2006 et 2008, témoignent de l'activité de cet orchestre utopique. Et ce disque, qui renouvelle heureusement le catalogue ECM.
   L'album s'ouvre sur "Tuchia", instrumental dans l'esprit oriental, avec un beau dialogue entre le violon  tout en mélismes et l'orchestre baroque somptueux de toutes ses cordes suaves. Atmosphère recueillie, prélude à un voyage qui va convoquer toute la culture andalouse. Car les textes interprétés en espagnol, en arabe, sont tirés des grands mystiques ou grands penseurs des trois monothéismes présents en Andalousie, cet âge d'or où  ils se côtoyèrent pour créer une civilisation brillante et raffinée que la reconquête catholique brisera définitivement. De Al Hallaj, le grand mystique soufi supplicié à Bagdad en 922, à Jean de la Croix, mystique catholique espagnol mort en 1591. "Ya Andalucin" juxtapose la voix pleine, vibrante d'Amina, le clavecin et les cordes baroques avant l'entrée en scène du percusionniste iranien et du violoniste algérien  pour un court morceau intense sur un texte en espagnol de
Ibn Khafaja, poète andalou. "Jadwa" s'enchaîne au précédent, baroque et oriental dans un bel équilibre souligné par le violon qui virevolte, le chant intériorisé d'un texte de Al Homaidi. La trompette de Jon Hassell ouvre le morceau suivant, accompagnée discrètement aux percussions : on retrouve le timbre brumeux de l'américain, très inspiré par la musique classique indienne à ses débuts et qui n'a pas dédaigné, notamment dans "Maarifa Steet", de nous entraîner vers l'Orient. Le miracle de ce disque, c'est de ne jamais donner  l'impression d'un collage, ni d'une fusion. Tout coexiste, en équilibre comme le dit le titre, tout à fait justifié. Tout respire et s'écoute, grâce à l'intelligence de compositions à la fois denses et aérées, et grâce à la voix d'Amina Alaoui, interprète inspirée de textes que l'on devine sublimes (faute d'avoir les traductions pour l'instant : la pochette les fournira-t-elle, ou au moins les originaux ?). Un bonheur constant, ce disque !
Mes morceaux préférés : "Jadwa", le 3 / "Thulathyath", sur un texte d'Al-Hallaj, le 10 / "Toda sciencia Transcendiento", sur un texte de Jean de la Croix, le 11.

Paru en 2009 chez ECM Records / 11 plages / 64 minutes environ
 

À écouter également
- le pianiste grec Vassilis Tsabropoulos et la violoncelliste allemande Anja Lechner : voir article ici.
- Zarani, de Zad M
oultaka. Sorti en octobre 2004 sur le label L'Empreinte digitale, la magnifique rencontre entre un pianiste libanais, soliste et compositeur, et la voix impressionnante de Fadia Tomb El-Hage, chanteuse libanaise. Choc extraordinaire entre la musique contemporaine et le répertoire traditionnel, là aussi avec un choix judicieux de poèmes anonymes ou non de différentes époques.

Jon Balke / Amina Alaoui : "Siwan", entre Orient et Occident.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges, #Musiques du Monde - Folk

Publié le 13 Mai 2009

Spyweirdos : "Wetsound orchestra", dans les ténèbres de la lumière.
  
Troisième disque de Spyros Polychronopoulos, alias Spyweirdos, Wetsound Orchestra est un double album d'électronique ambiante d'une abyssale beauté. De l'eau goutte quelque part, l'orgue sourd de tous les coins, piqueté de craquements. Fissurations, invasions dans un univers liquide : c'est "cellar", ouverture qui donne le ton, ponctuée de notes de claviers en boucles obstinées. "already happened tomorrow" est d'abord tout en déhanchement rythmique de micro-cellules avant le surgissement épisodique de nappes d'orgue, de drones et de cordes plaintives. Spyweirdos sculpte des atmosphères raréfiées dans un esprit minimaliste abstrait. "3.5 ec" surfe sur un rythme binaire obsédant de claquements secs, s'interrompt pour repartir, nimbé la plupart du temps d'une brume d'orgue tournoyant. "portal" se  réduit à une substructure rythmique de piquetis parcourue de gargouillements, suggérant un infra-monde de machines organiques livrées à elles-mêmes. L'eau est omni-présente pendant "fallen", le disque semble rayé, mêle le bruit liquide des rames et le beat sec d'une boîte à rythme qui bégaie, sur fond d'orgue mélancolique, de voix qui s'appellent : aura de désastre, d'après rencontre avec les sirènes...Reste la bulle des rêves, "bubble of dreams", vaporeux et lointain poudroiement de lumière d'obstinato d'orgue tandis que la rythmique s'agite au premier plan, se débat avant de se fondre dans la comète persistante. "u", syncopes et borborygmes, rabat le rêve au niveau d'une sorte d'inconscient tissé de matières et de voix dévitalisées.

    Le morceau suivant, "the key",est l'un des plus exemplaires de ce disque habité, d'une écriture inventive où l'électronique digère les sons acoustiques pour les intégrer dans cet orchestre des mondes perdus et retrouvés. Percussions qui rejaillissent comme les gouttes précipitées dans un bassin, piano impérial, claviers insinuants, frémissements de frottis sonores minuscules : monde magique, né à l'instant, intense et pur ! Musicien visionnaire, ce Spyweirdos : écoutez le morceau suivant, "innsbruck", son atmosphère discrètement industrielle suggérée à petites touches, l'emploi de cordes graves en leitmotiv émotionnel encadré de forces sourdes, statiques jusqu'au vertige, peu à peu saturées comme de cris d'oiseaux métalliques charmeurs... Lorsque l'humanité aura disparue, restera la beauté sans appel des incantations supra-humaines, le chant des chants de la matière enfin libérée, libre de s'exprimer. "should be a spell" fait entendre un violon cosmique dans la brume merveilleuse des origines éternelles, inentendues des hommes-narcisses.
   Le deuxième cd prolonge cet opus magnifique par des remix passionnants, inspirés. Alva Noto, Gyro-Gyro, B.Fleischmann, Funckarma, Horchata et quelques autres, prouvent à nouveau la fécondité inépuisable de la musique électronique d'aujourd'hui lorsqu'elle est au service d'un projet artistique authentique.
Paru en 2006 chez Poeta Negra, label grec disparu depuis peu. Disque disponible si on cherche bien, notamment ici)
Pour aller plus loin
- mon articulet (le mot existe !) du 28 avril, et l'article consacré au disque en collaboration avec John Mourjopoulos et Floros Floridis.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 7 Mai 2009

Tod Dockstader : "aerial #1", l'étrange symphonie des ondes courtes.
   Qui connaît aujourd'hui Tod Dockstader ? Né en 1932, ce compositeur américain est pourtant une des grandes figures de la musique électronique ou de la musique concrète. Fellini s'est servi de ses "Eight electronic pieces" de 1960 pour son film Satyricon en 1969.

Dio.- Je sens ta pernicieuse influence.
Meph.- Quoi ? Tu n'aimes pas ce disque ?
Dio.- Si, mais je crains la spécialisation, mon cher.

 

Meph.- Je ne m'en plaindrais pas. L'électronique me convient. Tod tire des ondes courtes un véritable chant qui me rappelle celui, doux à mes oreilles, de mes damnés chéris.
Dio.- C'est vrai que ce compositeur a sans doute beaucoup souffert de ne pas pouvoir pendant si longtemps produire la musique qu'il entendait. Il n'avait pas assez de références universitaires pour avoir accès aux studios. Il a dû, lui qui n'avait rien moins qu'élaboré quelques unes des oeuvres les plus ambitieuses de la musique électronique dans les années 60, comme son "Apocalypse" ou sa "Quatermass" (on en reparlera bientôt), travailler dans un studio spécialisé dans les films éducatifs, les dessins animés où il fournissait images et sons.
Meph.- Heureusement qu'une nouvelle génération de musiciens s'est rendu compte de son importance.
Dio.- Oui, il est devenu célèbre. Il a pu se remettre à composer dans les années 90.
Meph.- Il est revenu à la radio qui a bercé son enfance, celle des ondes courtes, des stations qu'on a du mal à capter, des grésillements, des plages incroyables entre les stations, avec des espaces sonores inouïs. Il s'est mis à collectionner ces matériaux sur des centaines de bandes magnétiques.
Dio.- Et l'ordinateur est arrivé...
Meph.- Le coup de pouce qui a facilité le mixage et qui a permis un transfert de qualité, sans déperdition, des sons utilisés.
Dio.- D'accord. mais ça ne me dit pas pourquoi tu aimes tant la musique électronique, et celle de Tod en particulier.
Meph.- Tod est une sorte de matérialiste. Il est emballé par la nature physique du son, cette matière concrète qu'il va faire chanter. Il écoute dans le vide la chute éternelle des corps.
Dio.- Tu t'y connais dans ce domaine...
Meph.- Qui ne chute pas ne connait rien au sublime !
Dio.- Ne te vexe pas. Revenons à "aerial #1", le premier d'une trilogie. Des ondes courtes, toujours des ondes courtes, ce n'est pas un peu lassant ?
Meph.- Tod a tiré de son stock, pour ce premier volume, 15 titres qui se fondent les uns dans les autres pour créer un continuum d'une surprenante variété. Les douze minutes de "Song" , l'ouverture de l'album, nous plongent dans un véritable space-opéra pour voix spectrales, anges déchus : surgissements constants, froissements, traînées de météorites magnétiques créent une atmosphère dramatique accrue par de brusques déflagrations. ll faut écouter ça assez fort pour profiter des textures sonores qui se déploient à grande vitesse. Les titres suivants sont éloquents : "OM", pour sa psalmodie statique, aux raclements gutturaux ; "Rumble", grondements et gargouillis en boucles obsédantes, striées d'ondes aiguës ; "Shout", comme une révolte survoltée ; "Raga", oriental en diable -si tu me le permets, j'entends presque le sitar ; "Dada", vertige et hallucination...
Dio.- Laissons la suite aux cosmonautes !
Meph.- Même sur terre, nous sommes des cosmonautes, l'oublierais-tu ?
Dio.- Certes...C'est vrai que ce disque, déconcertant de prime abord, finit par être très attachant. Et puis, pour ce qui est d'être singulier, je ne crains pas tes sarcasmes comme avec les Gutter Twins...
Meph.- Oseras-tu encore parler de mon influence pernicieuse ?
Dio.- Tu es pardonné.
Meph.- J'ai horreur de ça... Disons aux sceptiques d'écouter "Myst", le neuvième titre, formidable de fulgurances rebelles. J'aimerais pour finir proposer une expérience. Ecoutez Tod en contemplant cet extraordinaire tableau de Rubens, Der Höllensturz der Verdammten, La Chute des Damnés, qui se trouve dans l'Ancienne Pinacothèque de Münich.
Dio.- Tu leur payes le déplacement ?
Meph.- J'ai des pouvoirs, moi. Le voici. N'éclairez que le tableau, n'écoutez que Tod. Si vous ne frémissez pas jusqu'au fond de vos carcasses, vous n'êtes même plus bon pour moi...
Rubens - La Chute des Damnés (Höllensturz der Verdammten)

Rubens - La Chute des Damnés (Höllensturz der Verdammten)

Pour aller plus loin
- The Unofficial Tod Dockstader Web Site, très bien fait , où l'on peut écouter une grande partie de son œuvre.

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 4 Mai 2009

Dani Joss : "Shaper of form", tout un monde d'épiphanies limpides.

   Deuxième disque de l'allemand Dani Joss après Liquid photography sorti en 2004 sur le remarquable label grec Poeta Negra, Shaper of form, sorti en 2006 sur le même label, est une révélation majeure, pas très facile à se procurer (absent des grandes plates-formes, l'une d'entre elles ne proposant que des MP3s du premier album, mini-album pour être exact).
 

Dani Joss est bien un fabricant, un créateur de forme(s), comme l'indique le titre du disque. Aucune forme préétablie, reconnaissable, ne structure des morceaux qui évoluent enveloppés de silence. Des sons surgissent et s'ordonnent dans l'espace, viennent offrir leurs textures, esquissent peut-être une histoire : apparitions, disparitions, dans un climat de hiératisme merveilleux, d'intense concentration. Rien d'appuyé, la sobriété est de mise, qui met en valeur le grain des instruments, la finesse de la mise en scène. Chaque morceau se fait incantation grâce à une véritable symbiose entre sons acoustiques et électroniques. C'est dire qu'il est malaisé de classer une telle œuvre. Six musiciens grecs, au piano, basson, cymbales frottées, percussions, violoncelle, fournissent la trame acoustique, tandis que Dani Joss assure l'environnement électronique. "Souls" ouvre l'album : sur continuum d'orgue, le piano picore quelques notes en boucles lentes, le violoncelle joue pizzicato, claviers et drones se croisent dans une atmosphère orageuse, des bruits éclatent comme de petites bulles, des pas s'éloignent, une porte grince. Cinq minutes huit secondes pour entrer dans la chambre hantée, dans cette musique habitée, dépaysante. "Circles / Fingers" commence par une stridulation aigüe et douce à la fois, ponctuée de clochettes cristallines, vibrantes. Un vent grave se lève au loin, un gong rejoint le concert de clochettes, chants d'oiseaux synthétiques, pépiements, grincements, battements liquides comme des envols lourds, coda de crépitements rythmiques. La musique est constamment passionnante, parce qu'elle semble toujours naissante, couler de source, libre d'aller où elle veut. "Expectations" a des airs de musique tibétaine avec ses cymbales, son arrière-plan de chants de drones. Troué de brutales interruptions, il renaît chaque fois plus intense, agité dans la seconde moitié de ses un peu plus de cinq minutes par de puissantes percussions. Dani Joss relève à l'évidence autant de la pure musique contemporaine que de la seule sphère électronique par ce souci des textures, ce goût constant de l'expérimentation. Je songe en l'écoutant à l'univers de Kaija Saariaho, par exemple. L'album culmine avec les douze minutes de "Misconception population". Formidable ouverture de basson et drones, fanfare solennelle parcourue de déflagrations somptueuses, de déchirements dramatiques. Des chuchotements s'invitent,  un texte poétique semble se dire, tandis que les sons électroniques tissent un réseau mouvant d'aigus à la limite du perceptible. Reviennent les clochettes, tintinnabulantes, un tambour bat quelque part, les claviers nous encerclent, le temps s'étire, fasciné par la musique envoûtante et envoûtée, peu à peu parasitée par des grappes minuscules de notes d'une sorte de xylophone.

Lecteurs, vous êtes habitués à mes chroniques enthousiastes - je ne chronique ici que ce qui me plaît, notez-le bien, mais j'essaie de les graduer, et quand je lâche le mot de "chef d'oeuvre", j'aimerais qu'il ait encore pour vous tout son sens. Les belles musiques ne sont pas rares pour ceux qui cherchent vraiment, les chefs d'oeuvre le sont un peu plus. "of change", le cinquième titre, confirme l'impression. Cohérence globale d'un projet ambitieux, déconcertant sans doute pour tous ceux qui attendent des schémas musicaux, magnifique et stimulant pour ceux qui s'abandonnent à la splendeur de ces épiphanies limpides. "approxima" s'approche de la musique industrielle par son atmosphère saturée de percussions sauvages, de bruits métalliques, avant d'être transformé par l'irruption sans appel du piano qui nous transporte vers les carillons de "destinations", court morceau de moins de deux minutes où apparaît une improbable guitare. Et c'est "of goodbyes", entrée magistrale au piano, cordes genre dulcimer avec une parcimonie brouillée, élégie tremblée qui prend des allures de thrène antique très retenu, digne. Second sommet de ce disque admirable, qui rejoint mon panthéon personnel d'œuvres nécessaires !!

Paru en 2006 chez Poeta Negra / 8 plages / 42 minutes environ
Pour aller plus loin :
- le site de Dani Joss.
- le très beau site du label Poeta Negra semble avoir disparu (il fonctionnait encore voici peu, et on pouvait commander... à condition d'être patient, environ trois mois et demi avant de voir arriver les galettes convoitées ! Le label lui-même a cessé ses activités en 2008.

- album en écoute et en vente sur bandcamp (fichiers seulement, plus rien de physique):

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques