Publié le 29 Mars 2022
Enregistré en direct en avril 2019 dans un auditorium du Mount Holyoke College (une université pour femmes située à South Hadley dans le Massachussets), et mis au point par l'excellent Erdem Helvacioğlu, ElectroResonance s'inscrit dans la perspective de l'écoute profonde développée par Pauline Oliveros. Le concert réunissait trois musiciens qui ont déjà collaboré ensemble à de nombreuses reprises, mais c'est la première fois qu'ils forment un véritable trio. Jane Rigler est une flûtiste innovante mêlant approche traditionnelle et nouveaux langages, une compositrice et improvisatrice, conseillère certifiée en Deep Listening. Curtis Bahn est un compositeur improvisateur, qui s'intéresse non seulement au son, à la technologie, mais aussi au corps, aux gestes. Enfin Thomas Ciufo est un artiste sonore, improvisateur, au croisement notamment de l'électronique et de l'électroacoustique.
Cinq titres : cinq immersions sonores dans un monde de résonances. "Hearing the bell" se développe sur des sons longs, tenus, de flûte et de percussions translucides qui font penser à des bols chantants. On ne sait plus où finit l'acoustique, tant l'ordinateur prend le relais finement, rentre dans le spectre sonore pour en faire rayonner les fibres. Impression d'immatérialité vibrante au seuil du visible, comme si les sons faisaient advenir une matière... spirituelle ! Prenez votre inspiration, c'est "Calm" : la flûte de Jane se fait japonaise, tout en frottements, en souffles doux, relayée par un déchaînement inattendu d'autres souffles, des battements rapprochés, des bruits d'eaux, des vagues énormes et des oiseaux, tout un monde de chuintements, d'interstices. Tout un monde en effet est advenu, esprits glapissants, mouvements soudains, tout un monde lointain est là, incanté par une voix solennelle et mystérieuse. Le calme est grouillant de vie, d'une vie qui tantôt est prête d'exploser, tantôt se vaporise en flux, en eaux de vie ruisselant dans les ténèbres du son. Il suffit d'être là, de tendre l'oreille : et l'on entend ce qui n'a pas de limite, "Boundless", saturé de bruits de terrains, de voix du quotidien, qui s'effacent pour laisser entendre ce qui surgit, une force sourde, un courant de drone, agitation de clochettes délirantes, le bain primordial dans ce qui vient du plus profond, qui envahit l'espace sonore, le fait chanter, le soulève. Beauté irradiante, un chant secret ne cesse de déborder en poussées torsadées, en tintamarre percussif : la pièce tient de la cérémonie chamanique, les démons s'amusent à faire peur, démontent l'univers avec jubilation, mais le chant persiste à l'arrière-plan, s'infiltre entre les coups, s'échappe vers l'indicible. Très grand moment ! Les titres sont de fait enchaînés, l'improvisation laissant libre cours à sa verve. "Listening" semble un hymne hurleur, une gerbe de sons écrasés en cris, avec en son sein des voix enfouies, tout un chœur de lamentations, des ululements, et une remontée débridée des refoulés, des angoisses, résorbée dans le mouvement de "Compassion", titre du dernier mouvement de cette improvisation extraordinaire. La musique a atteint une intensité presque palpable. Les sons se répondent, se fondent dans une fête altière au-delà des particularismes occidentaux ou orientaux. Ils sont lumières virevoltantes, trépidations, grondements, kaléidoscope géant halluciné. C'est l'âme du monde qui déroule ses anneaux, le dragon primordial donne forme à l'informe, dompte la masse en fusion dans une atmosphère apaisée, radieuse, sacrée...
Un disque absolument splendide à écouter d'une seule traite !
Pas d'illustration sonore en dehors de celle proposée ci-dessous par bandcamp (où vous trouverez aussi une assez courte vidéo du trio en concert !
Paru en novembre 2021 chez Neuma Records / 5 plages / 49 minutes environ