musique et cinema

Publié le 16 Juin 2018

   Amusant. Le groupe allemand d'électro-pop Liquid Noise reprend ou s'approprie la musique de Jocelyn Pook pour le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut. C'est du moins ainsi que j'interprète la présentation sur YouTube de cette vidéo. Quelques minutes montées en boucle pour une heure devant une énigmatique divinité aux yeux cachés par un croissant de lune, nouvelle Artémis. Pas de trace de "Speed of darkness" dudit Liquid Noise, que j'ai écouté sur le site de Shaman Sound Temple... Donc probablement un moyen habile de faire de la publicité pour la maison de disque et ses poulains.

Profitons-en pour écouter la musique de Jocelyn Pook...

Extrait de Flood (Virgin, 1999), "Forever without end (1999 Remix). Chant : Jonathan Peter Kenny, Melanie Pappenheim.

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 septembre 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges, #Musique et Cinéma

Publié le 23 Mars 2010

Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.

   Ingram Marshall, Morton Feldman, Giacinto Scelsi, John Adams, Brian Eno : cinq compositeurs fétiches de ce blog...présents sur la bande-son du formidable dernier film de Martin Scorsese, Shutter Island. Scénario éblouissant, distribution impeccable, pour un film en hommage à tant de classiques de l'histoire du cinéma que Scorcese a montrés à son équipe pendant le tournage, je n'y reviens pas. À ceux qu'il cite volontiers, il convient d'ajouter Shining de Stanley Kubrick pour au moins trois raisons. L'arrivée sur l'île et l'entrée dans le pénitencier-hôpital, filmées en travelling dramatisés par la musique, avec en particulier un travelling sans doute en hélicoptère, comme pour la traversée des espaces déserts avant l'hôtel dans le film de Kubrick. Ensuite, le choix des lieux : l'hôtel et Ashecliffe sont des prisons-labyrinthes isolées du reste du monde, propices à un fantastique "gothique" assez appuyé. Enfin, la bande-son soignée, qui fait appel à des compositeurs contemporains, voilà qui est tout à fait kubrickien, et je m'en réjouis.

       Mais ce qui m'intéresse ici, c'est l'utilisation de "Fog tropes", morceau d'Ingram Marshall conçu à la fin des années soixante-dix. La composition résulte d'un collage sonore comme Ingram les affectionne : enregistrements de cornes de brume dans la baie de San Francisco, sons maritimes et flûte balinaise "gambuh", le tout retravaillé par des processus électroniques. Le film de Scorsese s'ouvre sur un écran gris, vide, dont émerge au bout de quelques secondes le bateau qui emmène les deux marshalls sur Shutter Island. Ouverture emblématique sur le brouillard (clin d'œil à Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog ?), celui des rêves et des hallucinations qui envahissent le film, celui du trouble que le scénario se plaît à semer dans la conscience du spectateur comme dans celle du pauvre Teddy Daniels. Fog tropes, ce pourrait être le sous-titre du film, d'autant que le décor choisi évoque une autre île qu'Ingram Marshall connaît très bien - à laquelle il a consacré un disque, l'île d'Alcatraz, dans la baie de San Francisco (voir photographie en haut de l'article, c'est à peu près  le visuel du disque).
  
Alcatraz
L'île est célèbre pour son fort militaire, devenu prison militaire entre 1909 et 1933, puis prison fédérale modèle de haute sécurité entre 1934 et 1963. Désaffectée depuis cette date, elle a attiré l'attention d'Ingram et de son ami, le photographe Jim Bengston. Une œuvre conjointe en est résultée. Le disque paru chez New Albion Records en 1991 comporte un livret avec quelques photographies de Jim. D'Alcatraz aux décors de Shutter Island, il n'y a pas loin, d'abord parce que l'architecture pénitentière ou psychiatrique dérive très souvent de l'architecture monastique, et parce qu'il s'agit de deux îles, même si les décors du film mêlent lieux réels et éléments reconstitués. Les notes de production du film éclairent les choix de Scorsese : les côtes rocheuses déchiquetées de Peddocks Island, à moins de 150 kilomètres au large de Boston sont idéales pour l'atmosphère, tandis qu'un ancien hôpital psychiatrique du Massachussets, bâti par l'architecte Thomas Story Kirkbride, fourni un bâtiment de brique rouge à un étage d'allure gothique, avec ses toits élancés, ses grandes pelouses. « L'idée de Kirkbride était de bâtir des sanctuaires aux allures de cathédrales qui procureraient aux malades mentaux un cadre de vie paisible, élégant, moralement ordonné. » nous apprennent ces notes. Encore une parenté avec Alcatraz, prison-modèle qui a fonctionné plutôt bien, tandis que ces hôpitaux, faute de fonds suffisants, s'étaient transformés en lieux inquiétants, mal entretenus et détériorés.  Toujours est-il que le choix d'Ingram Marshall (parmi d'autres, j'en conviens) est comme surdéterminé. Ingram est le Ghost composer  de ce film : n'est-il pas marshal(l), lui aussi, dont le patronyme redouble le "l" final ?  Ajoutons un autre lien sonore : Alcatraz / Ashecliffe...

 D'un pénitencier l'autre...
Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.
Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.
Photographie de Jim Bengston

Photographie de Jim Bengston

Abbaye d'Eberbach / Photographie de Jim Bengston

Abbaye d'Eberbach / Photographie de Jim Bengston

Pour aller plus loin
- deux articles consacrés dans ce blog à Ingram Marshall : September Canons et Dark Waters.

- Dvd en vente sur bandcamp

Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Publié le 7 Mars 2008

Les musiques de Peter Greenaway : de Michael Nyman à David Lang.
Les musiques de Peter Greenaway : de Michael Nyman à David Lang.
  Il n'est pas question d'inventorier ici toutes les musiques des films de Peter Greenaway, mais d'en rassembler quelques unes pour souligner la cohérence des choix du cinéaste. La collaboration avec Michael Nyman est première, le compositeur anglais signant la bande originale de presque tous les films de Greenaway jusque Prospero's Book en 1991.
Michael Nyman
Michael Nyman
  Il y a une évidente affinité entre le cinéma de Greenaway et la musique minimaliste. L'œuvre du réalisateur est profondément obsessionnelle, répétitive. Hantée par les nombres, qu'on pense notamment à Drowning by numbers ou au projet multimédia The Tulse Luper Suitcases, elle revient toujours sur les lieux du crime, de l'escroquerie, fouillant le moindre détail à plusieurs reprises pour faire dire aux objets ce qu'ils nous cachent, ce qu'ils ont à nous révéler. L'enquête avance par boucles successives, par dévoilements progressifs d'une profondeur signifiante. Puisque tout détail est indice, il faut sans cesse y revenir pour l'interroger, le mettre en rapport avec d'autres pour constituer des séries. Tout objet peut devenir ainsi le noyau d'un motif, d'une série de variations qui finissent par constituer l'œuvre entière, dont les principes de base sont la fragmentation et la répétition, et la forme idéale le puzzle. The Tulse Luper Suitcases se fragmente ainsi sur trois écrans géants, se construit sous nos yeux lorsque le spectacle se donne en salle, comme à la Cartonnerie de Reims le vendredi 29 février, monté en direct par le cinéaste qui semble jongler avec les extraits. Chaque image elle-même se démultiplie, se transforme de l'intérieur dans un jeu subtil entre parties fixes et parties animées. Dans cette démarche se retrouvent les patterns (motifs), les loops (boucles) affectionnés par les minimalistes, ainsi que cette impression générale de déroulement d'une sorte de tapisserie sonore (ou visuelle) : pas de place pour le vide, aucune vacuité. Le médium vise à remplir le monde dans un processus hypnotique. Il n'est pas étonnant qu'il explore les mystères symétriques de la génération et de la putréfaction : corps qui s'étreignent, corps qui se défont, se disloquent. Face à cette peur panique du non-sens, de l'insignifiant lié à l'intrusion scandaleuse du hasard, Peter Greenaway et nombre de compositeurs minimalistes opposent le barrage serré des nombres-notes, des signes qui se répètent et prolifèrent dans un auto-engendrement narcissique. Le rêve quasi mystique d'une Unité enfin retrouvée derrière la multiplicité des phénomènes se profile derrière des expériences artistiques qui se veulent totales, totalisantes : le déferlement dans la durée des notes ou des images, des nombres ou des objets, inlassablement brassés et redistribués, vise à épuiser le monde et ses possibles, à le condenser pour le rendre potentiellement infini, immortel. Sublime combat, qui est rarement apprécié à sa juste mesure.
   Relisant les notes du livret de la bande originale de Drowning by numbers, cette proximité de Greenaway avec le minimalisme  me semble éclatante. Il demande alors à Michael Nyman d'écrire 92 (déjà le nombre atomiquede l'uranium qui hante encore Tulse Luper) variations à partir de quatre mesures qui teminent l'exposition du mouvement lent de la Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre de Mozart, ce que le compositeur va réaliser en cassant la séquence et en y insérant de nouveaux matériaux, de nouvelles couches (layers). L'origine, l'unité première, sera toujours repérable sous les transformations, amplifications qui fécondent le noyau initial. C'est Mozart et ce n'est plus lui, c'est un clone minimaliste, doù le charme, l'agacement ou les deux qui saisissent l'auditeur dans ces méandres, ces jeux de miroir, de démultiplication du même. D'où le vertige et l'étrangeté provoqués par cette musique qui danse avec un mort toujours vivant.., "revisité" comme le dit Michael Nyman lui-même.
   "4 mains" , présent sur la bande originale du Ventre de l'architecte, est devenu l'un des morceaux les plus célèbres de Wim Mertens : danse allègre et syncopée, tournoiement presque immobile jusqu'à l'arrêt brutal de la fin, la pièce est au fond une danse macabre camouflée dans ce film hanté par la mort. Quatre mains pour conjurer le néant , comme il faut ailleurs, chez Steve Reich six pianos, ou chez Glenn Branca cent guitares, pour remplir les béances, combler le vide...
    Lors du spectacle donné à Reims, ma surprise fut d'entendre dans les premières minutes la musique de David Lang, sans doute le compositeur vivant le plus impressionnant. De la génération qu'on pourrait appeler post-reichienne, il dépasse les postulats de base du minimalisme pour proposer une musique d'une rigueur et d'une beauté convulsive : "Cheating, Lying, Stealing", interprété par le Bang on a Can-All-Stars, associe de longues plages percussives aux brusques cassures à de bouleversantes intrusions mélodiques de cordes. DJ Radar, "metteur en musique" de Tulse Luper, n'a utilisé que les fragments percussifs les plus métalliques et les plus syncopés pour accompagner le bombardement d'images auquel le réalisateur soumet le spectateur. Magnifique association pour provoquer un arrachement du quotidien et une violente entrée dans l'imaginaire de Greenaway. J'ai vu sur le site du cinéaste qu'il avait d'ailleurs déjà travaillé en collaboration avec David Lang.
   En un sens, Peter Greenaway est un cinéaste minimaliste et post-minimaliste : le moins est le mieux dans cet univers de recyclage et de variations infinies, mais aussi d'inventions de nouvelles perceptions, de nouvelles formes. Car l'obsession ou la répétition, loin de nous ramener au point de départ, nous fait glisser peu à peu dans l'inconnu et le mystère, dans l'opacité troublante du monde et la nature des choses. Les minimalistes et Peter Greenaway ont en commun un sens aigu de la dimension physique du son ou de l'image, de la matière qu'ils explorent sans tabou, au grand dam de tous ceux qui ne cherchent dans l'art que l'oubli ou l'évasion.
   Pour vous récréer après un article dont la longueur m'étonne le premier, deux vidéos, la première pour vous donner une idée de The Tulse Luper Suitcases, la seconde pour faire entendre "4 mains" de Wim Mertens à ceux qui ne connaîtraient pas ce morceau et/ou ce compositeur.
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 août 2020)

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