Publié le 26 Décembre 2008

"The Stroke that kills", survivrez-vous à la guitare électrique ?
   La guitare électrique est l'un des instruments les plus fétichisés, les plus adulés depuis l'avènement du jazz et du rock. Moins d'un siècle après sa naissance dans les années 1920, elle est devenue un instrument de répertoire, et fascine aussi bien les compositeurs de musique contemporaine. Le guitariste Seth Josel, instrumentiste renommé sur la scène contemporaine internationale, nous offre avec The Stroke that kills, paru début décembre 2008 chez New World Records, un florilège incandescent dû à six compositeurs majeurs d'aujourd'hui.
  Le disque décline la guitare électrique en solo ou jusqu'à six instruments, avec parfois adjonction de deux basses. Elle est souvent confrontée à elle-même grâce à des systèmes de retardement : voici la guitare jouant avec la nymphe Echo, jusqu'au vertige, jusqu'à l'incendie comme sur l'extraordinaire premier titre, "Until it Blazes", composition d'Eve Beglarian. Guitare radieuse, transparente, multipliée, poursuivie par les doux échos dans des cercles brûlants où émergent des notes comme des étincelles à la surface de l'océan sonore ; et puis ce crescendo final, la guitare épaissie en lave fulgurante !! Un des titres de l'année, à coup sûr, qui confirme tout le bien que je pense d'Eve (déjà célébrée ici).

Alvin Curran, que je ne présente plus (il a une catégorie à lui tout seul...), signe le second titre, scindé en trois parties de longueurs très inégales, "Strum City I, II, III", une exploration de la guitare à base de strumming, la frappe rapide et répétée finissant par produire des harmoniques ponctuées par les sons graves des deux basses : l'auditeur est emporté dans un maëlstrom, cerné par le mur de guitares sur lequel il finit projeté...il pourra souffler pendant les parties II et III, plus méditatives. Le trip continue avec "Slapback" de Michael Fiday, élève de George Crumb et Louis Andriessen, qui donne un morceau d'allure très rock, inspiré par un enregistrement en concert de Pete Townsend, le guitariste des Who, qui jouait en duo avec le son de sa guitare réverbéré par les murs. Morceau hallucinant à écouter au casque : dans la voie de droite, la performance du guitariste, dans celle de gauche, son écho déclenché un huitième de note plus tard, ce qui finit par créer une intrication formidable de rythmes et de riffs. Avec un final presque cristallin, d'une finesse inattendue après l'orage magnétique ! On doit à David Dramm, un compositeur que je découvre (tout comme Michael Fiday), le titre éponyme, pour trois guitares électriques : strumming très rythmique, d'esprit flamenco au départ (composé pour le Amsterdam Guitar Trio), plus rude aux guitares électriques, morceau à la texture très répétitive qui se charge de résonances superposées, "cassé" au bout de sept minutes par un passage introspectif, comme hésitant, en voie de reconstruction avant une reprise furieuse, syncopée, des batteries de strumming. Arrivé là, l'auditeur est prêt à tout, et ça arrive, voilà une "stoned guitar" pilotée par Gustavo Matamoros, natif de Caracas, émule de Earle Brown et donc proche de la constellation post-cagienne (derrière cet affreux néologisme, vous aurez peut-être reconnu John Cage...), qui fut le directeur artistique du Subtronics Experimental Music and Sound Art Festival de Miami. Mais "stoned" n'évoque aucune substance hallucinogène, seulement la conduite de la pièce : "Avec une pierre, remonte les cordes de la guitare depuis le chevalet jusqu'au sillet de tête." Dérive mon beau délire débâcle des cordes fusion battements navire night en perdition tout se confond dans la torsion des sons...Le disque s'achève sur "Canon for Six guitars" de Tom Johnson, composition nettement plus faible, à l'écriture trop rigide : n'est pas Bach qui veut, je sais, je suis dur, passons. De toute façon, un des albums de l'année !

Paru en 2008 chez New World Records / 8 plages / 61 minutes environ
Pour aller plus loin :
- le site du guitariste, avec quelques extraits d'autres interprétations en écoute (notamment du Berio)
- un site cofondé par le guitariste, consacré à répertorier toutes les compositions consacrées à la guitare. Avis aux amateurs !

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 novembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales

Publié le 20 Décembre 2008

Zoë Keating : le violoncelle puissance 16 !
  
Zoë Keating
Zoe Keating - one cello x 16 : natoma

   Née au Canada d'une mère anglaise et d'un père américain, Zoë Keating a commencé à jouer du violoncelle dans le placard à balais de son école primaire anglaise. Suit une formation classique à New-York où sa famille a déménagé, elle participe déjà à des orchestres de jeunes ou d'adultes. Une fois réussis ses examens, elle part pour Los Angeles, où elle joue dans des groupes rock. Les collaborations se multiplient, notamment avec Raspoutina, étonnant groupe de chambre-rock, entre 2002 et 2006, avec DJ Shadow ou encore Amanda Palmer. Avec son violoncelle et son ordinateur portable ou son matériel électronique, elle joue un peu partout, dans le désert ou dans les clubs punks, les églises médiévales ou les festivals.
   Elle se consacre maintenant pour l'essentiel à sa carrière solo, utilisant le son naturel de son violoncelle pour produire plusieurs couches sonores. Le son de l'instrument est capturé en direct par plusieurs microphones disséminés sur la table d'harmonie ou le manche, enregistré en temps réel par un ordinateur qu'elle contrôle avec les pieds et réutilisé immédiatement. Le résultat sur one celo x 16 : natoma, premier CD sorti en 2005, est impressionnant. Zoë Keating s'inscrit avec bonheur dans un post-minimalisme décomplexé, entre pop et musique contemporaine. Les morceaux sont rythmés en frappant sur l'instrument, développent des atmosphères envoûtantes à base de boucles et variations sinueuses. L'un des plus beaux titres, Frozen angels, est la musique d'un film de science-fiction éponyme sorti lui aussi en 2005. A chaque écoute des premières mesures de ces anges gelés, je pense au film de Roman Polanski, La Neuvième porte, c'est dire le troublant pouvoir de cette musique à ce moment-là spectrale. Rêverie frémissante ou langoureuse, mélancolie foudroyée, incantation hypnotique, sont distillées par ce véritable orchestre de violoncelles. Je ne sais s'il faut prendre à la lettre le" x 16" du titre, mais toujours est-il que l'auditeur est enveloppé dans la tourmente majestueuse, dans les échos démultipliés des anges déchus. Seule la dernière pièce, legions (aftermath), retravaille le son de l'instrument en l'étirant. Un disque hanté, qui vous hantera longtemps, longtemps...Le disque a été enregistré dans son studio personnel au 964, rue Natoma, à San Francisco.

 

 

Paru en 2005 / 8 plages / 53 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

- le site officiel de Zoë Keating.
- Zoe Keating en concert en décembre 2013

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 novembre 2020)

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Publié le 18 Décembre 2008

Michael Byron : "Dreamers of pearl", le piano en mouvement perpétuel.
   Michael Byron, né en 1953, écrit pour le piano depuis plus de trente ans, appartient à ce qu'on peut appeler la seconde génération des Minimalistes de la Côte Ouest, très marquée par la CalArts (California Institute of the Arts) fondée à Burbanks en 1970 grâce à l'argent de la famille Disney (authentique !). C'est dans cette école originale qu'il suit des cours consacrés à John Cage sous la direction de ses deux mentors, James Tenney et Richard Teitelbaum. A Los Angeles, il rencontre David Garland, Lou Harrison, Robert Ashley. Après un séjour à Toronto, il se fixe à New-York au milieu des années soixante-dix, joue dans les clubs des musiques de sa composition avec des amis : hardcore, punk, noise. Il collabore à divers projets avec La Monte Young, se tient un peu à l'écart des courants en vue, s'engageant dans une voie indépendante, comme nombre de compositeurs expérimentaux. Aussi reste-t-il peu connu encore, malgré une production importante, constituée essentiellement de musique instrumentale dans laquelle on trouve, à côté des oeuvres pour piano, aussi bien une pièce pour shakuhachi qu'un rondo pour un orchestre d'instruments occidentaux et orientaux.
   Dreamers of pearl est en trois parties, chacune avoisinant les vingt minutes, sur le schéma rapide-lent-rapide. Si les titres sont presque outrageusement lyriques (Enchanting the stars / A Bird Revealing the Unknown to the Sky / It is the Night and Dawn of Constellations Irradiated ), les pièces elles-mêmes sont dénuées de toute référence sentimentale, narrative. Il s'agit de piano pur, étincelant. La musique procède par des sortes de balbutiements réitérés et perpétuellement variés, sur des rythmiques asymétriques. L'ensemble est virtuose, non pour déployer des phrases mélodiques, mais pour reconstruire le dialogue incessant entre les deux voix, les deux couches pianistiques. On pense au jazz, sans l'abandon : musique tenue, rigoureuse, mouvante et insaisissable, qui nous prend dans son maillage têtu. Au bout, sans doute, il y a la perle, coagulation de rêves toujours recommencés. Une musique exigeante, qui ne supporte pas l'écoute distraite. Il faut plonger, épouser le mouvement pour ramener cette perle...
 Paru en 2008 chez New World Records / 3 plages / 53 minutes environ
Le disque se trouve encore sur le site de New World Records.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 novembre 2020)

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Publié le 13 Décembre 2008

My Brightest Diamond : "a thousand shark's teeth", n'ayez plus peur des requins !

    Née dans une famille de musiciens, soumise à des influences musicales variées allant du tango au gospel et au jazz, Shara Worden a étudié le piano, puis l'opéra  et la composition à l'université : Purcell et Debussy s'ajoutent à son paysage musical. Elle chante le Pierrot lunaire de Schoënberg, participe à plusieurs groupes new-yorkais en tant que chanteuse avant de mettre sur pied My Brightest diamond, son groupe, son ensemble, qui sort un premier disque en 2006.
   a thousand shark's teeth est le second, et c'est une superbe réussite. L'album commence plutôt rock avec "Inside a boy", lyrique et énergique, tout de suite la voix limpide, qui plane très haut, guitares et cordes nerveuses. "Ice & the storm" est une ballade avec harpe cristalline et cordes crissantes, un peu parasitée par des envolées conventionnelles, un point plus faible, un. Nous en sommes aux hors d'œuvre. "If I were a queen" ouvre le pays des merveilles : quatuor à cordes moelleux, voix suave, une ravissante miniature. Avec "Apples", le quatrième morceau, le violoncelle se fait langoureux, les percussions intrigantes, la voix dérape dans les souvenirs, côté Kate Bush, Björk. "From the top of the world" oscille entre ballade sucrée et discrets accents reggae ou folk, au risque d'agacer les durs rockeurs. Le disque décolle une nouvelle fois avec "Black & costaud", admirable composition, bouleversante, clarinette et quatuor à cordes, percussions frémissantes, mini-symphonie à la klézmer avec une coda dépouillée. Dès lors, les séraphins nous environnent, c'est "to Pluto's moon", "this is a state of electric ocean", rarement on aura mieux chanté l'amour infini. Shara Worden transcende la variété, infusée de musique de chambre et servie par un sens très sûr de la composition qui réserve à chaque instant des surprises dans les timbres, les tempos. Le morceau se termine par un crescendo de guitares saturées qui ne déparerait pas chez Portishead ou Sonic Youth. "Bass player" semble une chanson des Balkans, prend de la hauteur, finit en apesanteur, la grâce. Survient "Goodbye forever", totalement trouble, hanté, qui se développe en houles incantatoires parsemées de notes lumineuses de guitares et de glockenspiel, avant l'hypnose finale : " come closer to me / still". Des percussions étranges ouvrent et ponctuent "Like a sieve", chant fragile troué de quasi-silences, cordes pizzicati. Le disque s'achève par un morceau lyrique et sombre sur l'attente " : I can see you shining", murmures amoureux, extase languissante, guitares lourdes, cordes déchirantes, quelques riffs rageurs en arrière-plan, et puis la disparition...

  Lecteurs, vous allez me dire que nous voilà aux antipodes de Gordon Mumma encensé voici peu dans ces pages, que le romantisme vilipendé naguère envahit nos oreilles. C'est indéniable, mais cela ne change rien : le charme de ce disque est irrésistible parce que Shara Worden n'a pas peur du sublime, que son chant est naturellement sublime. Et puis quelle compositrice ! Une chanson pour elle ne consiste pas à répéter quelques pauvres mesures épuisées au bout de trente secondes, c'est une mélodie au sens le plus noble du terme, un mini poème où chacun de ses quinze (si j'ai bien compté) musiciens peut apporter sa touche, c'est enfin la rencontre réussie entre une formation de chambre et un groupe pop. Oubliez toutes vos réticences, laissez-vous aller !

Paru en 2008 chez Asthmatic Kitty Records / 11 plages / 46 minutes environ
Pour aller plus loin 
- - album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 novembre 2020)

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Publié le 4 Décembre 2008

Gordon Mumma : "Music for solo piano", le jardin secret d'un pionnier.
   Gordon Mumma, s'il est peu connu en France, est une des figures marquantes de la musique électronique. Né en 1935, la même année que Terry Riley et un an avant Steve Reich, Gordon Mumma fait des études de piano et de trompette avant de commencer une carrière de trompettiste dans des orchestres symphoniques. A la fin des années 50, il rencontre Robert Ashley avec qui il fonde le "Cooperative studio for Electronic Music". Dans les années 60, il met au point des équipements musicaux électroniques pour John Cage et David Tudor et devient comme eux entre 1966 et 1974 l'un des compositeurs attitrés de la Merce Cunningham Dance Company. Il multiplie les collaborations, notamment avec Fred Frith ou Anthony Braxton, joue d'un cor qu'il prolonge par un appareillage électronique lui permettant de modifier les sons produits en direct et devance les premiers synthétiseurs en opérant de même sur un piano. Inventeur d'instruments "cybersonic", comme il les nomme, sculptures sonores et dispositifs mixtes pour instruments acoustiques et ordinateurs lui sont familières.
 

   Il existe pourtant un autre Gordon Mumma, connaisseur du Mikrokosmos de Bela Bartok, que le pianiste belge Daan Vandewalle nous permet de découvrir dans un double-cd de presque deux heures et demie de musique. Plus d'électronique, de modification, amplification. Du piano, solo, plus de soixante-dix pièces courtes, la plus courte de huit secondes dédiée à Robert Ashley, la plus longue dépassant de peu les cinq minutes. Le contraire du spectaculaire : musique raréfiée, variations mystérieuses. Les cycles s'appellent, traduits,  "Jardin"(en français, lui), "Greffages", Mélodies sans paroles", "Panier d'égarés", sans oublier la "Boîte à Sushi", déclinée en "Sushi verticaux" et "Sushi horizontaux". De brefs éclats, résonances et dissonances, des notes qui tombent comme des couteaux étincelants dans le silence. Webern rôde, Satie se profile sans apparaître, un moine zen propose des haïku pianistiques, il y a de tout cela dans ces pièces incisives, ramassées sur elles-mêmes comme autant de micro-méditations. Tout sauf séduire, nous conduire plutôt, nous réduire à l'attention pour entendre le presque inaudible, les confins du son, je pense par exemple au troisisème sushi horizontal : une brève déflagration, suivie du retour obstiné d'une note très faible, à peine frappée, apparition-disparition comme une figure de Giacometti. Cette musique fera horreur à tous les amateurs de remplissage et d'effets, à tous les consommateurs de fond sonore, tant elle sculpte le silence avec une elliptique parcimonie, d'un geste franc, non dénué de joie ou de grâce pour qui accepte de se laisser aller à sa secrète beauté.  D'autres morceaux sont plus loquaces, mais jamais appuyés, ils passent en léger tourbillon, attendent devant nous quelques instants avant de se dissoudre, de s'éclipser. Un beau double album de musique pure, débarrassée de tout romantisme, de tout encrassement sentimental : rude à première écoute, je veux bien en convenir, mais quelle lumière sous les doigts de Daan Vandewalle !

Paru en 2008 chez New World Records  / 2 cds : 78 plages / plus de 140 minutes
Pour aller plus loin :
- le site de Gordon Mumma.
- un beau blog, en partie en anglais, avec un article sur le même disque.
- le site de New World Records pour écouter des extraits ou commander le disque.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 novembre 2020)

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Publié le 2 Décembre 2008

Piano Circus : six pianos pour de nouveaux horizons musicaux.
  
Deux disques cultes de cet ensemble créé en 1989 pour interpréter Six pianos de Steve Reich. J'avais perdu leur trace au moment de la disparition du label Argo, ce très beau label de Decca consacré aux musiques anglo-saxonnes contemporaines, souvent minimalistes. L'ensemble existe toujours, parcourt le monde, propose d'écouter des musiciens qui écrivent spécialement pour eux. 
 
Piano Circus : six pianos pour de nouveaux horizons musicaux.
 
  
Deux CDs récents sont disponibles sur leur site. Sur Transmission, le titre éponyme, du compositeur estonien Erkki-Sven Tüür, est vraiment extraordinaire.
 
- le site de Piano Circus (on peut écouter en streaming en restant sur les noms des compositeurs, à la page des enregistrements).
 
 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 novembre 2020)

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