Publié le 26 Décembre 2008
Le disque décline la guitare électrique en solo ou jusqu'à six instruments, avec parfois adjonction de deux basses. Elle est souvent confrontée à elle-même grâce à des systèmes de retardement : voici la guitare jouant avec la nymphe Echo, jusqu'au vertige, jusqu'à l'incendie comme sur l'extraordinaire premier titre, "Until it Blazes", composition d'Eve Beglarian. Guitare radieuse, transparente, multipliée, poursuivie par les doux échos dans des cercles brûlants où émergent des notes comme des étincelles à la surface de l'océan sonore ; et puis ce crescendo final, la guitare épaissie en lave fulgurante !! Un des titres de l'année, à coup sûr, qui confirme tout le bien que je pense d'Eve (déjà célébrée ici).
Alvin Curran, que je ne présente plus (il a une catégorie à lui tout seul...), signe le second titre, scindé en trois parties de longueurs très inégales, "Strum City I, II, III", une exploration de la guitare à base de strumming, la frappe rapide et répétée finissant par produire des harmoniques ponctuées par les sons graves des deux basses : l'auditeur est emporté dans un maëlstrom, cerné par le mur de guitares sur lequel il finit projeté...il pourra souffler pendant les parties II et III, plus méditatives. Le trip continue avec "Slapback" de Michael Fiday, élève de George Crumb et Louis Andriessen, qui donne un morceau d'allure très rock, inspiré par un enregistrement en concert de Pete Townsend, le guitariste des Who, qui jouait en duo avec le son de sa guitare réverbéré par les murs. Morceau hallucinant à écouter au casque : dans la voie de droite, la performance du guitariste, dans celle de gauche, son écho déclenché un huitième de note plus tard, ce qui finit par créer une intrication formidable de rythmes et de riffs. Avec un final presque cristallin, d'une finesse inattendue après l'orage magnétique ! On doit à David Dramm, un compositeur que je découvre (tout comme Michael Fiday), le titre éponyme, pour trois guitares électriques : strumming très rythmique, d'esprit flamenco au départ (composé pour le Amsterdam Guitar Trio), plus rude aux guitares électriques, morceau à la texture très répétitive qui se charge de résonances superposées, "cassé" au bout de sept minutes par un passage introspectif, comme hésitant, en voie de reconstruction avant une reprise furieuse, syncopée, des batteries de strumming. Arrivé là, l'auditeur est prêt à tout, et ça arrive, voilà une "stoned guitar" pilotée par Gustavo Matamoros, natif de Caracas, émule de Earle Brown et donc proche de la constellation post-cagienne (derrière cet affreux néologisme, vous aurez peut-être reconnu John Cage...), qui fut le directeur artistique du Subtronics Experimental Music and Sound Art Festival de Miami. Mais "stoned" n'évoque aucune substance hallucinogène, seulement la conduite de la pièce : "Avec une pierre, remonte les cordes de la guitare depuis le chevalet jusqu'au sillet de tête." Dérive mon beau délire débâcle des cordes fusion battements navire night en perdition tout se confond dans la torsion des sons...Le disque s'achève sur "Canon for Six guitars" de Tom Johnson, composition nettement plus faible, à l'écriture trop rigide : n'est pas Bach qui veut, je sais, je suis dur, passons. De toute façon, un des albums de l'année !
Paru en 2008 chez New World Records / 8 plages / 61 minutes environ
Pour aller plus loin :
- le site du guitariste, avec quelques extraits d'autres interprétations en écoute (notamment du Berio)
- un site cofondé par le guitariste, consacré à répertorier toutes les compositions consacrées à la guitare. Avis aux amateurs !
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 novembre 2020)