Publié le 29 Août 2011

Peter Broderick - Music for FALLING FROM TREES

J'avais chroniqué  Under Geant Trees, premier album d'Efterklang, cet étonnant groupe danois avec lequel a tourné un temps Peter Broderick, musicien américain né en 1987, multi-instrumentiste qui mène depuis une carrière solo de compositeur assez passionnante. Entre ambiance, folk, post-minimalisme, la musique de Peter n'est pas si éloignée de l'esprit de Dakota Suite que je célébrais récemment, ou encore de Slow Six.

   Avec cette pièce orchestrale en sept parties destinée à un spectacle de danse contemporaine d'Adrienne Hart, il a réussi un petit tour de force : composer en trois semaines à partir d'un vieux piano cassé, de son violon et de son alto, une œuvre qui convienne à la chorégraphe avec son scénario narrant la lutte d'un homme pour conserver son identité dans un hôpital psychiatrique. Chaque section a un noyau écrit, le reste ayant été improvisé. Tous les instruments sont joués par le compositeur, qui a parfois retraité les sons produits pour étoffer la pâte. Cela donne une atmosphère à la fois intimiste, intense, avec des explosions incroyables, à la mesure du combat mené. "Introduction au patient", le premier titre, est dite avec le piano cassé, comme pour suggérer les fêlures de l'être. L'alto s'essaye à la reconstruction en notes glissées, bientôt soutenu par le violon démultiplié pendant la "Patient observation", magnifique et poignante : quelle belle musique de chambre ! Le piano moribond ouvre "Pill induced slumber", mais l'énergie revient avec un pulse répétitif obstiné qui s'amplifie en strumming où viennent se mélanger les cordes, créant une ambiance hallucinée.

    Puis vient le rêve, titre quatre :  de la poussière sonore sort le piano évanescent, nimbé d'une aura électronique, et le pulse, le pulse reichien le plus pur surgit, ce n'est pas moi qui en voudrais à Peter de piller Steve, car c'est formidablment bien vu, et d'ailleurs aéré par un pizzicato folk délicieux. "Awaken / Panic / Restraint" commence grandiose, piano strummant (si j'ose le néologisme !!) et cordes majestueuses, puis tout se défait en glissandi, piano glauque et bancal, mélancolie noire que va tenter d'écarter le puissant "Electroconvulsive shock", mélodieux, envoûtant, tout en boucles et en stries, deux textures de cordes et de curieuses percusssions retraitées. Vous avez suivi "The path to recovery" : vous êtes apaisé, un peu fatigué, le piano est avare de ses notes, finit toutefois par ébaucher une mélodie, une danse, presque, fragile et incertaine, à laquelle se joignent les cordes émues, crescendo revient la vie... Un très beau petit (par la durée) disque, qui témoigne d'un sens très sûr des atmosphères : on y met vite des images, on reconstruit l'histoire, et, en l'absence de toute indication, la musique se suffit heureusement à elle-même.

   Un mot sur le titre du disque et du spectacle : j'adore cette idée de tomber des arbres, et je ne peux m'empêcher de songer au beau livre fou d'Italo Calvino, Le Baron perché, autre délice. Vous aurez remarqué qu'un avait commencé avec des arbres, d'ailleurs, géants de surcroît...

Paru en 2009 chez Western Vinyl / 7 titres / 29 minutes.

Pour aller plus loin

- le site de Peter Broderick.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 12 avril 2021)

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Publié le 22 Août 2011

Dakota Suite & Emanuele Errante - The North Green Down

   Formation de chambre à géométrie variable, Dakota Suite livre avec The North Green Down son douzième album. Dédié à la mémoire de la belle-sœur de son fondateur et pivot, l'anglais Chris Hooson, n'en déduisez pas trop vite que la musique qui en résulte soit funèbre ou d'un pathétique appuyé. Elle se veut souvenir, hymne lumineux à la vie. En guise de pochette intérieure, la photographie en noir et blanc d'Hannah riante. Et quatre-vingt minutes entre musique ambiante, folk et minimalisme dépouillé, le tout habillé de l'électronique subtile de l'italien Emanuele Errante. Le piano de Chris se taille la part du lion, relayé parfois par sa guitare. Une clarinette, deux violoncelles, celui de l'américain David Darling, qui a déjà collaboré à d'autres enregistrements de Dakota Suite, et celui de Colin Dunkley, qui intervient également au piano.

  Le disque est en fait une longue suite de dix-huit pièces jalonnée par les sept variations du titre éponyme, absolument magnifique. Une phrase de piano, d'abord douce, s'insinue et, comme si elle diffusait une aura de lumière, amène dans son sillage guitare, claviers cristallins entre clavecin et harpe : lent tournoiement merveilleux..."Leegte" reprend sur le mode méditatif le thème initial, laissant chaque note résonner, prolongée par de discrets échos. La guitare ouvre "A Hymn to Haruki Murakami", continue sur cette veine retenue, même si un manteau orchestral ouvre soudain l'espace sonore. Avec "Le Viti del Mondo" se termine ce qu'on pourrait considérer comme un vaste prologue en forme de marche nocturne à travers le champ des veilleuses de la pochette : laissons dormir les morts, captons plutôt leur lumière rémanente pour en tirer l'énergie nécessaire à la poursuite du voyage.

    La seconde variation du morceau titre montre en effet le réveil des forces enfouies. Titre incantatoire, puissamment scandé par la guitare, avec des flammèches électroniques qui incendient l'arrière-plan. La troisième variation retrouve le souffle avec la clarinette solo, vite soutenue par le piano qui soulève à chaque note des gerbes étincelantes, lui-même relayé par le second piano plus dans les graves. Le disque a pris de l'altitude : on sent qu'une œuvre se forme, mais la cathédrale qu'emplit le violoncelle de "A Worm out Life (with cello)" est sans doute le moment le plus discutable du disque, trop emphatique, d'où la prise de congé de "Away from This Silence", avec la reprise en main du piano. Les dix titres suivants sont dans l'ensemble superbes, là encore avec une petite faiblesse sur "They Could Feel the End of All Things", où les violoncelles en font un peu trop à mon sens. Le piano de Chris Hooson et l'environnement électronique d'Emanuele Errante y sont au meilleur, fascinants de beauté rigoureuse. La cinquième partie de "The North Green Down", qui me fait irrésistiblement penser à  Phelan Sheppard avec sa harpe tranquille, est l'un des sommets de cet hommage : boucles de harpe ponctuées de percussion sourde, cordes frottées en second plan, irrisations de claviers au fond puis sur le devant. Une aube se lève sur la rivière doucement agitée de tourbillons...La sixième variation nous offre quant à elle un magnifique duo piano-violoncelle au lyrisme éperdu : très impressionnant, surtout en l'écoutant de nuit en traversant une forêt vénérable ! L'album se referme avec la reprise du premier titre, dont on ne se lasse pas. Un disque au-delà de la tristesse et de la mélancolie, emprunt d'une lumière sereine, sublime dans les plus beaux passages, et ils sont nombreux.

Paru chez Lidar en 2011 / 18 titres / 80 minutes

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 1er avril 2021)

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Publié le 15 Août 2011

Douwe Eisenga - The Piano Files : eaux d'artifice minimalistes.

   L'été sera placé sous le double signe d'Alva Noto et de Douwe Eisenga. Je reviens en effet vers ce compositeur néerlandais, représentant actif d'un minimalisme serein, lumineux. The Piano Files, paru en 2009 chez Zefir Records, rassemble cinq pièces pour un, deux ou quatre pianos. Si l'on excepte le cinquième titre, sous les doigts du pianiste Marcel Worms, les autres titres sont interprétés par Jeroen van Veen, auquel on doit déjà deux coffrets magistraux de 10 cds chacun sous le titre The Minimal Piano Collection (le premier est chroniqué ici), deux fois en duo avec son épouse Sandra, et en multipistes sur Les Chants estivaux, pour quatre pianos.
   Cloud Atlas, le premier titre, écrit en 2008 pour la production éponyme inspirée du roman de David Mitchell, nous prend comme une berceuse océanique, avec son balancement très doux, son carillonnement envoûtant. Une sourdine dans les medium-graves, et la mélodie du second piano qui grimpe parfois dans un registre plus aigu. Le flux harmonieux ne nous abandonnera pas, tant les deux pianos avancent dans un éclaboussement de lumière, décrivent des boucles ascendantes irrésistibles. Le soleil se baigne dans la mer, le temps distendu d'une célébration de la beauté joyeuse. Un peu plus de onze minutes de bonheur pour ce chef d'œuvre du minimalisme. Je sais que le titre réfère à un nuage, mais cette musique est ruissellement, transport sur le dos ondulé d'une mer euphorisante.

Douwe Eisenga - The Piano Files : eaux d'artifice minimalistes.

   Les Chants estivaux, pour quatre pianos, semblera moins évident, facile : n'oublions pas que la quadriphonie était accompagnée d'une mise en espace élaborée par des architectes lors de la première. Néanmoins, ces presque vingt-et-une minutes sont impressionnantes : imaginez quatre pianos partis à l'assaut d'une escalade toujours à recommencer, enlaçant leur obstacle de boucles toujours plus serrées, vous aurez une idée de la structure immobile-tourbillonnante de ce morceau virtuose, assez proche du climat de Music for Wiek. C'est un titre fou, un numéro de derviche lors d'un rite ascétique, une aspiration au gouffre sublimée. Theme I, pour piano solo, est tout le contraire : calme, limpide, une barque glisse en cercles lents autour d'une source, elle danse, s'élève dans une lévitation extasiée. Magnifique moment.

   Le compositeur dit avoir composé City Lines pour deux pianos après avoir réentendu Tubular Bells bien des années après sa parution et en pensant aux œuvres de Simeon ten Holt, autre compositeur néerlandais représentatif d'un minimalisme européen vivace. Pièce très chantante, aux boucles presque guillerettes, qui joue des chevauchements et des ruptures pour une échappée belle échevelée : musique séduisante, étincelante, réjouissante... L'album se termine avec Growing Worm pour piano solo : sautillements hésitants, enroulements de côté, puis des bonds, des précautions, le ver s'enhardit et se contorsionne avec une certaine majesté raide. Pièce qui a le sens du grotesque et de la farce !

   De toute façon, vous reviendrez à Cloud Atlas, d'une grâce miraculeuse...

   Paru en 2009 chez Zéphir Records / 5 titres / 57 minutes.

Pour aller plus loin

- le site de Zefir Records.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 1er avril 2021)

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