Publié le 28 Décembre 2007

Phil Kline, compositeur américain éclectique et sensible.
  
Le compositeur Phil Kline

Qu'il écrive des chansons inspirées par les poèmes que les GI's inscrivaient sur leurs briquets (Zippo songs, 2004) , un remix du Messie de Haendel (Messiah remix, 2004) ou des pages de quatuor à cordes sublimes interprétées par le Quatuor Ethel (chez Cantaloupe, en 2003), Phil Kline est un compositeur new-yorkais qui participe pleinement à l'effervescence artistique de son temps, se rattachant à la mouvance de Bang On A Can. Originaire de l'Ohio, après des études de littérature à l'Université de Columbia, il s'oriente vers une carrière de musicien, devient une des figures de la scène rock new-yorkaise des annnées 80. Il fonde alors le groupe The Del-Byzanteens avec le cinéaste Jim Jarmusch, collabore avec des photographes, des chorégraphes, fait le tour du monde avec l'ensemble de guitares de Glenn Branca. Depuis, il invente des événements, passe allègrement de la musique de chambre à une symphonie pour 21 ipods, crée des installations sonores interactives. C'est pendant l'hiver 1992 qu'il a l'idée d'une sculpture sonore mouvante. Il enregistre les différentes parties d'une oeuvre sur cassettes que quelques douzaines d'amis vont emporter chacun sur un gros radio-cassette. Tous les marcheurs démarrent leurs appareils en même temps et font le tour de Greenwich Village pendant une nuit de décembre. Unsilent Night est née, se rejoue chaque année avec une musique qui se transforme et  une foule toujours plus nombreuse. Cette année, la manifestation prend plus d'ampleur encore, puisqu'elle se déroule entre le premier et le 23 décembre dans 27 villes dont quatre en dehors des États-Unis : Allemagne, Royaume-Uni et Australie voient débarquer les "boomboxes" sur leur sol. Publié en 2001, le disque Unsilent night résulte de plusieurs enregistrements en direct dans les rues de New-York, retravaillés en studio. Entre ambiance et musique électronique, les compositions proposent un univers sonore chaleureux, hanté par des voix multiples (parmi elles, celle d'Alexandra Montano, collaboratrice du Philip Glass Ensemble, présente aussi sur le dernier disque de Maya Beiser) comme de grands hymnes dans les rues enneigées parcourues par des troupeaux aux clochettes tintantes. Apaisant et optimiste, de la lumière dans la grande nuit...

Unsilent Night est paru en 2001 chez Cantaloupe Music

Adorable page d'accueil du site personnel de Phil...

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores )

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Rédigé par dionys

Publié dans #David Lang - Bang On a Can & alentours

Publié le 21 Décembre 2007

Spéciale Alvin Curran (2): le piano sans peur.
Spéciale Alvin Curran (2): le piano sans peur.
Spéciale Alvin Curran (2): le piano sans peur.

  Inner Cities, d'Alvin Curran : l'un des premiers monuments pour piano du vingt-et-unième siècle. Je reviens sur ce coffret de quatre disques publié en 2005 par le label  Long  distance, auquel j'avais consacré un premier article le 8 mai 2007. J'ai proposé l'écoute intégrale du troisième disque. Pas question de tronquer, bien sûr : soixante-et-onze minutes pour prendre le temps d'une œuvre... Quelques mots me sont venus en écoutant Alvin, les voici :

Improvisation sur  Inner Cities 8 et 9 de Alvin Curran

Ténue   rare

            tenue   t’es nue

Seule   égrenée

            en chapelets denses

aigrelets          profonds         solennels

La note           sans reproche              je l’annote

La note est là, venir de la musique qui délivre le silence

Fin de l’angoisse        de la mélodie despotique

Assomption du présent pur

La note           la notte

            retentit            dure

                        redite et déclinée au déclin du silence

            Ostinato soudain

crescendo Bloc Brut de Bruit            SATURATION

La note s’étire s’enlace ô délice à pas de nuit le fantôme

            de Debussy rôde dans la cathédrale du vertige englouti

Grappes fracassées potentiomètres affolés rouge rouge rouge

            raz-de-marée oscillatoire        fracture

de l’écorce sonore

La tombée des sons tourbillonne dans le vide avide           

chute des notes rebelles nuée d’amour pourpre

biffures de sang harmonique sur les parois de l’âme incendiée

Trou autour du ça       ça revient ça insiste s’insinue             nue

La note est venue de musique sur le corps du néant

L’accord est intérieur antérieur à toute structure préétablie

            il danse sur la corde raide époux du rien qu’il épuise

Dans la nuit des possibles il se lance inlassable et puise

                        les notes au lasso pour rendre justice au piano

 

SURGIR                    poussée de graves en laves indécentes

                        escalier du diable                   Eve frémit

            sous les touches qui l’attouchent      

                        nue comme les notes              la notte

Pouls capricant qui s’accélère

les aigus lacèrent les artères

                        les basses martèlent la cuirasse des tympans

De la musique avant toute mièvrerie

Refuse l’odieux de la mélodie

                        ses frisettes de caniche

                        sa mélancolie l’arme à l’œil

                                   et ses garde-à-vous mielleux à l’ordre

                                               si bien tempéré

La musique est tenue de lumière dans la nuit

où s’entend le doux concassage du cosmos

 

Inner Cities   est paru en 2005 chez Long Distance

Eve Egoyan, pianiste canadienne, est la sœur du cinéaste Atom Egoyan. Elle a déjà interprété le cycle d'Alvin en concert. Elle se consacre plus particulièrement au répertoire contemporain, comme en témoigne son site, où des échantillons sont en écoute. Reinier Van Houdt, pianiste néerlandais, interprète lui aussi de préférence les musiciens contemporains (site en néerlandais, anglais et allemand).

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Spéciale Alvin Curran (2): le piano sans peur.

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Publié le 13 Décembre 2007

Michael Harrison, Terry Riley, La Monte Young et l'intonation juste.
    Comme je m'intéresse beaucoup à Michael Harrison en ce moment, j'en profite pour revenir sur un disque enregistré par Terry Riley au début de 1986, donc peu avant la sortie de In Flight, album de Michael sur lequel on trouve deux pièces pour piano accordé selon les principes de l'intonation juste. Il s'agit du double album The Harp of New Albion, en fait la première composition d'envergure enregistrée (et toujours disponible) consacrée au piano ainsi accordé, dont la première exécution eut lieu à Cologne le 8 décembre 1984.  Terry reconnaît que l'idée lui vient de The Well-Tuned Piano (1964) de LaMonte Young, son ami de longue date et mentor. Le Piano bien accordé démarque évidemment Le Clavecin bien Tempéré de Bach, mais, à ma connaissance, il n'y a pas d'enregistrement CD de cette œuvre immense qui, comme beaucoup d'autres de LaMonte Young,  a été conçue comme une performance à vivre en direct. Un DVD présentant une performance de l'œuvre a été projeté en continu pendant quatre mois dans la Dream House conçue par le compositeur et sa compagne Marian Zazeeala dans l'église Saint-Joseph d' Avignon en 2000. Terry Riley et Michael Harrison sont donc les deux grands inspirés qui contribuent à la diffusion des idées géniales de La Monte Young. Je n'ajoute rien sur la musique de Terry : un bonheur absolu, une transe illuminante.
   - Pour savoir presque tout sur La Monte Young, un excellent entretien avec le musicien (en français)

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores )
 

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En lien possible avec les musiques...
Les Lointains intérieurs : lecture de quelques ghazals de Hafez de Chiraz, extraits de la remarquable édition complète du Divan, la première à paraître en français, due à Charles-Henri de Fouchécour et publiée chez Verdier Poche (2006).

Hafez de Chiraz - Le Divan

 

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Rédigé par dionys

Publié dans #Terry Riley, #Minimalisme et alentours

Publié le 7 Décembre 2007

Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.
   Après John Cage et son "invention" du piano préparé voici plus de soixante ans, voici Michael Harrison et son piano harmonique, mis au point dès 1986. De quoi s'agit-il ? En Occident, depuis le dix-huitième siècle, les instruments sont accordés selon le principe du tempérament égal : l'intervalle d'octave est divisé en douze demi-tons identiques. Il n'en est pas de même dans les musiques extra-européennes, ni dans les musiques traditionnelles, ni dans le chant grégorien par exemple. L'intonation juste ne recherche pas l'égalité d'intervalle standardisée par un fabricant anglais de piano au dix-neuvième siècle : les intervalles sont issus de quotients de nombres entiers, donc inégaux, ce qui entraîne la possibilité d'avoir une grande variété d'échelles possibles. Fondée sur des proportions mathématiques parfaites telles que décrites déjà par Pythagore, elle crée des harmonies vraiment consonantes, conformes aux lois vibratoires. Aussi Iégor Reznikoff, dans son livre Chant chrétien antique occidental n'hésite-t-il pas à écrire ceci :  " D'excellents musiciens restent perplexes quand on leur dit que l'accord actuel du piano est faux, et qu'on le leur fait entendre. J'en ai fait personnellement l'expérience quand je me suis mis à travailler la musique antique et le répertoire occidental ancien. Pour mieux approcher cette musique, j'ai non seulement arrêté de jouer du piano et de faire des concerts de musique de chambre ou de chanter dans des chorales, mais pendant longtemps je me suis abstenu d'écouter de la musique occidentale, n'écoutant que des musiques dont on peut être sûr quant à la rigueur de la transmission orale, de la musique sacrée au sens strict du terme et remontant aux traditions les plus anciennes - la nuit des temps - et sur lesquelles, en tout cas, aucune musique récente n'avait eu d'influence. Je n'écoutais que de ces musiques et ne travaillais que la résonance harmonique d'une corde. Alors peu à peu, au bout de neuf mois de cette ascèse, l'oreille se déconditionne, une physiologie plus fine  réapparaît, un nuage se lève, on peut entonner des intervalles justes, les varier d'un comma... Ce fut avec la très célèbre Symphonie en sol mineur n°40 de Mozart que je repris contact avec la musique occidentale. Expérience inoubliable, tout me parut faux d'un bout à l'autre..."  
              Michael Harrison, d'abord claviériste rock, puis pianiste et improvisateur, a reçu une formation de piano à la fois classique et orientée vers le jazz et a suivi un cursus de composition à l'Université d'Orégon. Sa fascination pour l'intonation juste est liée à son intérêt pour la musique classique du Nord de l'Inde. En 1978, il commence à chanter et à étudier sous la direction du grand chanteur indien Pandit Pran Nath, qui dispense son enseignement à deux musiciens américains appelés à un grand avenir, Terry Riley et La Mounte Young. Il chante alors les ragas en s'accompagnant de la tampura, luth qui émet un bourdon aux harmoniques très riches : cette attention nouvelle aux micro-intervalles l'amène à trouver faux les pianos occidentaux. Dès lors, ses recherches commencent, d'autant que, installé à New-York, il travaille en étroite collaboration avec La Mounte Young, l'un des pionniers du minimalisme, pour préparer l'accordage spécial nécessaire au grand œuvre de celui-ci, son monumental Well-tuned piano, d'une durée de six heures et demie. C'est à ce moment-là, en 1986, qu'il "crée" le piano harmonique, un grand piano conventionnel qui, modifié, permet, en alternant deux accordages distincts, de jouer 24 notes sur une octave. En 1987, il devient l'unique personne autorisée par La Monte Young à interpréter son œuvre. Depuis, Michael Harrison se produit à travers les États-Unis et l'Europe, donnant des conférences et des cours pour présenter l'intonation juste. Il est aussi président de l'Académie américaine de musique classique indienne.
 

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   In Flight, sorti en 1987, est idéal pour aborder l'œuvre de Michael Harrison. L'album permet de confronter le piano "traditionnel", accordé selon le principe du tempérament égal sur six titres, et le piano harmonique en intonation juste sur deux titres. La même fougue lyrique, chantante, emporte ces compositions transparentes, aériennes. L'auditeur est pris dans des tourbillons de grâce, des stases mystérieuses, pour célébrer la danse de la Vie. J'ai pensé parfois à un pianiste comme Vassilis Tsabropoulos (cf. article du 11 juillet) lorsqu'il réinvente des hymnes byzantins.
 

Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.

   Si vous n'avez pas pesté contre le piano "mal accordé" des deux morceaux en intonation juste, franchissez le pas. From Ancient Worlds, paru en 1992 chez New Albion Records, entièrement pour piano harmonique, est une pure merveille, un voyage de l'âme vers la Beauté absolue. Enregistré dans la cathédrale Saint John The Divine de New-York, le piano devient le vaisseau radieux d'une antique et éternelle quête. Il sonne parfois comme une harpe, comme des cloches. Chaque note est gorgée d'harmoniques qui finissent par tisser un voile de drones, d'échos, comme une mer profonde qui enveloppe la ligne mélodique. Immergé, le corps de l'auditeur rentre en vibration avec les vagues pulsantes de l'irrésistible marée illuminante, avec les plages sillonnées de douces coulées calmes ou fulgurantes; l'esprit s'abandonne et s'abolit dans la splendeur, si loin, si loin des étroites limites du moi, lavé : " Et dès lors, je me suis baigné dans le poème/ (des Harmoniques)infusé d'astres.." L'écoute véritable est chemin mystique vers la Rose...

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Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.

Soutenu par La Monte Young et Terry Riley dès ses débuts, Michael Harrison a rencontré aussi Stephen Scott, qui a co-produit l'album ci-dessus et dont je parlerai très bientôt, et il exerce une influence profonde sur les générations suivantes. Cantaloupe, le label de Bang on a Can, ce festival permanent de toutes les musiques inventives fondé en 1987 par Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe, lui rend aujourd'hui hommage en publiant sa dernière œuvre, Revelation, soixante-douze minutes intemporelles. Le même miracle que pour From Ancient Worlds, cette fraîcheur sublime qui arrache l'être tout entier à la contingence de la médiocrité pour le sommer de contempler la multiple Splendeur de la Nécessité inconnue, du grand Mystère qui nous informe et nous traverse trop souvent à notre insu. L'interprétation de ces incroyables "ragas" pianistiques, sans aucun prolongement électronique ou effet de studio, est tout simplement prodigieuse. Je vous reparlerai de Michael Harrison, dont le terrrain d'action ne se limite pas au piano.

In Flight est paru en 1987 chez Fortuna records

From Ancient Worlds  en 1992 chez New Albion Records

Revelation en 2007 chez Cantaloupe Music

- le site de Cantaloupe
On peut accompagner les musiques de Michael  par une lecture intégrale de Introduction au désert (Obsidiane / Collection "Les Solitudes", 1996) de Gérard Cartier, je vous invite à lire quelques poèmes de cet auteur ici.

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Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.

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