Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.

Publié le 7 Décembre 2007

Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.
   Après John Cage et son "invention" du piano préparé voici plus de soixante ans, voici Michael Harrison et son piano harmonique, mis au point dès 1986. De quoi s'agit-il ? En Occident, depuis le dix-huitième siècle, les instruments sont accordés selon le principe du tempérament égal : l'intervalle d'octave est divisé en douze demi-tons identiques. Il n'en est pas de même dans les musiques extra-européennes, ni dans les musiques traditionnelles, ni dans le chant grégorien par exemple. L'intonation juste ne recherche pas l'égalité d'intervalle standardisée par un fabricant anglais de piano au dix-neuvième siècle : les intervalles sont issus de quotients de nombres entiers, donc inégaux, ce qui entraîne la possibilité d'avoir une grande variété d'échelles possibles. Fondée sur des proportions mathématiques parfaites telles que décrites déjà par Pythagore, elle crée des harmonies vraiment consonantes, conformes aux lois vibratoires. Aussi Iégor Reznikoff, dans son livre Chant chrétien antique occidental n'hésite-t-il pas à écrire ceci :  " D'excellents musiciens restent perplexes quand on leur dit que l'accord actuel du piano est faux, et qu'on le leur fait entendre. J'en ai fait personnellement l'expérience quand je me suis mis à travailler la musique antique et le répertoire occidental ancien. Pour mieux approcher cette musique, j'ai non seulement arrêté de jouer du piano et de faire des concerts de musique de chambre ou de chanter dans des chorales, mais pendant longtemps je me suis abstenu d'écouter de la musique occidentale, n'écoutant que des musiques dont on peut être sûr quant à la rigueur de la transmission orale, de la musique sacrée au sens strict du terme et remontant aux traditions les plus anciennes - la nuit des temps - et sur lesquelles, en tout cas, aucune musique récente n'avait eu d'influence. Je n'écoutais que de ces musiques et ne travaillais que la résonance harmonique d'une corde. Alors peu à peu, au bout de neuf mois de cette ascèse, l'oreille se déconditionne, une physiologie plus fine  réapparaît, un nuage se lève, on peut entonner des intervalles justes, les varier d'un comma... Ce fut avec la très célèbre Symphonie en sol mineur n°40 de Mozart que je repris contact avec la musique occidentale. Expérience inoubliable, tout me parut faux d'un bout à l'autre..."  
              Michael Harrison, d'abord claviériste rock, puis pianiste et improvisateur, a reçu une formation de piano à la fois classique et orientée vers le jazz et a suivi un cursus de composition à l'Université d'Orégon. Sa fascination pour l'intonation juste est liée à son intérêt pour la musique classique du Nord de l'Inde. En 1978, il commence à chanter et à étudier sous la direction du grand chanteur indien Pandit Pran Nath, qui dispense son enseignement à deux musiciens américains appelés à un grand avenir, Terry Riley et La Mounte Young. Il chante alors les ragas en s'accompagnant de la tampura, luth qui émet un bourdon aux harmoniques très riches : cette attention nouvelle aux micro-intervalles l'amène à trouver faux les pianos occidentaux. Dès lors, ses recherches commencent, d'autant que, installé à New-York, il travaille en étroite collaboration avec La Mounte Young, l'un des pionniers du minimalisme, pour préparer l'accordage spécial nécessaire au grand œuvre de celui-ci, son monumental Well-tuned piano, d'une durée de six heures et demie. C'est à ce moment-là, en 1986, qu'il "crée" le piano harmonique, un grand piano conventionnel qui, modifié, permet, en alternant deux accordages distincts, de jouer 24 notes sur une octave. En 1987, il devient l'unique personne autorisée par La Monte Young à interpréter son œuvre. Depuis, Michael Harrison se produit à travers les États-Unis et l'Europe, donnant des conférences et des cours pour présenter l'intonation juste. Il est aussi président de l'Académie américaine de musique classique indienne.
 

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   In Flight, sorti en 1987, est idéal pour aborder l'œuvre de Michael Harrison. L'album permet de confronter le piano "traditionnel", accordé selon le principe du tempérament égal sur six titres, et le piano harmonique en intonation juste sur deux titres. La même fougue lyrique, chantante, emporte ces compositions transparentes, aériennes. L'auditeur est pris dans des tourbillons de grâce, des stases mystérieuses, pour célébrer la danse de la Vie. J'ai pensé parfois à un pianiste comme Vassilis Tsabropoulos (cf. article du 11 juillet) lorsqu'il réinvente des hymnes byzantins.
 

Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.

   Si vous n'avez pas pesté contre le piano "mal accordé" des deux morceaux en intonation juste, franchissez le pas. From Ancient Worlds, paru en 1992 chez New Albion Records, entièrement pour piano harmonique, est une pure merveille, un voyage de l'âme vers la Beauté absolue. Enregistré dans la cathédrale Saint John The Divine de New-York, le piano devient le vaisseau radieux d'une antique et éternelle quête. Il sonne parfois comme une harpe, comme des cloches. Chaque note est gorgée d'harmoniques qui finissent par tisser un voile de drones, d'échos, comme une mer profonde qui enveloppe la ligne mélodique. Immergé, le corps de l'auditeur rentre en vibration avec les vagues pulsantes de l'irrésistible marée illuminante, avec les plages sillonnées de douces coulées calmes ou fulgurantes; l'esprit s'abandonne et s'abolit dans la splendeur, si loin, si loin des étroites limites du moi, lavé : " Et dès lors, je me suis baigné dans le poème/ (des Harmoniques)infusé d'astres.." L'écoute véritable est chemin mystique vers la Rose...

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Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.

Soutenu par La Monte Young et Terry Riley dès ses débuts, Michael Harrison a rencontré aussi Stephen Scott, qui a co-produit l'album ci-dessus et dont je parlerai très bientôt, et il exerce une influence profonde sur les générations suivantes. Cantaloupe, le label de Bang on a Can, ce festival permanent de toutes les musiques inventives fondé en 1987 par Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe, lui rend aujourd'hui hommage en publiant sa dernière œuvre, Revelation, soixante-douze minutes intemporelles. Le même miracle que pour From Ancient Worlds, cette fraîcheur sublime qui arrache l'être tout entier à la contingence de la médiocrité pour le sommer de contempler la multiple Splendeur de la Nécessité inconnue, du grand Mystère qui nous informe et nous traverse trop souvent à notre insu. L'interprétation de ces incroyables "ragas" pianistiques, sans aucun prolongement électronique ou effet de studio, est tout simplement prodigieuse. Je vous reparlerai de Michael Harrison, dont le terrrain d'action ne se limite pas au piano.

In Flight est paru en 1987 chez Fortuna records

From Ancient Worlds  en 1992 chez New Albion Records

Revelation en 2007 chez Cantaloupe Music

- le site de Cantaloupe
On peut accompagner les musiques de Michael  par une lecture intégrale de Introduction au désert (Obsidiane / Collection "Les Solitudes", 1996) de Gérard Cartier, je vous invite à lire quelques poèmes de cet auteur ici.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores )

Michael Harrison : l'intonation juste, la révolution du piano harmonique.
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