techno et alentours

Publié le 6 Juin 2023

OTHER:M:OTHER - Metamorph

     Je n'ai pas hésité : le disque s'est imposé d'emblée, éblouissant, après un premier titre déconcertant, ne vous fiez pas à lui ! Le trio autrichien OTHER:M:OTHER est formé par la compositrice Judith Schwarz, membre de groupes comme Chuffdrone ou Little Rosies Kindergarten,  aux diverses percussions, par l'artiste sonore, compositeur et ingénieur Arthur Fussy au synthétiseur modulaire, et par le poète sonore et pianiste de jazz Jul Dillier au piano préparé. La musique a été enregistrée lors de trois concerts en 2022.

   Percussive, rythmique, expérimentale avec un arrière-plan d'improvisation, la musique de OTHER:M:OTHER surprend par son côté décalé, son refus manifeste des formes attendues. Ainsi, après un court premier titre, "Matrics",  percussif, très vif, d'allure expérimentale presque bruitiste, on passe au mystérieux "Lithosphere", mélodies étranges entrecroisées : un titre magnifique pour un film d'horreur tant la musique se fait fantomale, tout en frottements, grondements de drones, déchaînements éclairs de forces obscures. Le travail du son est d'une incroyable précision, et d'une efficacité redoutable ! "Reaktor" est tout aussi enthousiasmant, piano et percussions hypnotiques, synthétiseur inventif. Musique bouillonnante, percutante, jubilatoire ! Un plaisir, ce trio !

[ En contrepoint, une vidéo qui ne correspond pas directement au disque, en tout cas la plus proche du disque parmi les trois proposées, les deux autres étant à mon goût surtout démonstratives et inutilement surexcitées. ]

     Et le titre 4, "Kin", rituel de science-fiction, messe électroacoustique, un univers totalement étrange ! "Humus I" revient à la terre, nous n'en doutons pas, mais une terre inconnue de brefs gestes sonores, fouissements de taupes dans des souterrains kafkaïens, présences mystérieuses : quelle économie d'écriture, et quel résultat fascinant ! Comme son titre pouvait le laisser penser, "Techtonic" propose une techno nerveuse de plaques enchevêtrées, de l'excellente musique de club, que voulez-vous, ce trio n'en fait qu'à ses oreilles, le piano se lançant même dans un passage jazzy très libre sur fond de percussions bondissantes, avec une fin expérimentale, contemporaine, superbe. "Humus II" continue l'exploration d'un infra-monde intriguant : véritable sculpture sonore bruissant de surgissements métalliques, qui enchaîne sur "Unruh", le dernier titre, à nouveau hypnotique, techno acérée aux multiples roulements percussifs, mini-déflagrations et coups de fouet rythmiques. Morceau de transe absolument extraordinaire, débouchant sur une seconde moitié quasiment méditative, synthétiseur bourdonnant, mélodie élégiaque et batterie aux frappes sèches ou percussion apaisée. 

   Un album étincelant, étrange, animé d'une belle fièvre rythmique.

Meilleurs titres : 1) "Unruh" (le 8), "Lithosphere" (le 2), "Reaktor" (le 3), "Kin" (le 4) et "Techtonic" (le 6)

2) les deux "Humus" (5 et 7)

Ne reste sur le carreau que le 1, en somme...petite mise en oreille des instruments avant le début de la séance !

Paru début mai 2023 chez Klanggalerie / 8 plages / 42 minutes environ

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Publié le 10 Mai 2023

Tom Lönnqvist - Enter

   Troisième disque du finlandais Tom Lönnqvist chez Mille Plateaux, après Noir (juin 2021) et Aria (janvier 2022), Enter est inspiré comme les précédents par la nuit polaire, le « kaamos ». Le plus fort, le plus abouti des trois ? Dès "Enter", une techno hypnotique superposant battement rythmique et nappe électronique trouble. Un nocturne abyssal ! "Coin" : puissant vent polaire, dont se dégage un mur d'orgue, une vrille obsédante. Il n'y a plus rien, tout est effacé... Avec "Timber", tambour monotone et toile électronique rayonnante d'un soleil caché. "Boil" continue une œuvre d'éradication, simple fluctuation de micro-battements. Tom Lönnqvist emmène son auditeur très loin dans un monde en négatif, radicalement minimal. C'est encore le cas sur "Calm", une musique quasi industrielle glaciale. Puis tout bascule, c'est "Excide", magnifique techno minimale, frémissante d'une vie minuscule de virgules tremblantes.

  "Solar" propose une autre poussée techno, battement sourd et friselis lumineux, accelerando, crescendo : explosion lente d'un soleil noir ! Formidable morceau ! Drones grondants et granulation électronique, "Rope" ne cesse d'émettre une lumière poussiéreuse, avant le surgissement de gueules dévorantes, infernales : une apocalypse de criquets synthétiques... Le remixe de "Enter" par Ibrahim Alpha Junior, autre artiste présent sur Mille Plateaux, fracture et dissèque le titre de Tom Lönnqvist en lui insufflant une énergie dansante, puis, après l'avoir dégonflé, le propulse dans des sphères "grandioses" : est-ce vraiment sa place ici ? Pour moi, non... Car la série commencée avec "Excipe" continue avec "Alone", train fantôme électronique vers nulle part. "Omen", toile d'orgue aux lentes ondulations, est d'une noire magnificence, puis se piquète de frappes sèches (Steve Reich au loin ?), se désagrège... Au bout du voyage, "Left", d'une monotonie hypnotique, techno atmosphérique radicale soudain envolée, saisie d'une frénésie reichienne (j'y tiens...) : implacable !

   Un disque sous hypnose pour un voyage dans la nuit des nuits. À écouter très fort au casque...vous n'en reviendrez pas !

Paru en avril 2023 chez Mille Plateaux / 12 plages / 52 minutes

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc..., #Techno et alentours

Publié le 23 Mars 2023

Iury Lech - ONTONANOLOGY

   Né en Ukraine, installé à Madrid, Iury Lech a déjà derrière lui une longue carrière, avec un premier disque, Otra Rumorosa Superficie, sorti en 1989 chez Hyades, réédité en 2018 chez Utopia Records. ONTONANOLOGY, sorti en mars 2022, est ressorti début 2023 sous forme vinyle en édition limitée à cent exemplaires. Pionnier de la scène électronique et audiovisuelle en Espagne, Lury Lech est un artiste interdisciplinaire influencé par les compositeurs minimalistes ou des alentours, comme Steve Reich, Terry Riley ou Jon Hassell. Si Otra Rumorosa Superficie me paraît fade et loin des minimalistes, Musica para el final de los cantos, sorti en 1990, est un peu meilleur, très reichien dans son premier titre, la suite étant inégale, engluée par une instrumentation synthétique guimauvesque (j'assume le néologisme). ONTONANOLOGY n'a plus beaucoup de rapport avec cette musique électronique douceâtre, et c'est tant mieux !!!

   ONTONANOLOGY ? Une musique philosophique, à la recherche de l'Être ? Sans doute. Rien à voir en tout cas avec les nains de jardin, si ce n'est par l'échelle microscopique des particules électroniques combinées dans cette musique. Ce qui compte, c'est que la musique de Iury Lech a gagné du nerf, lorgne du côté d'Autechre, de la techno minimale, du glitch. Dès le premier titre, "Stellium", on comprend, on entend que Lury s'est débarrassé des matelas synthétiques à s'endormir très vite. Techno bondissante, minimale, bien sèche, aux drones grondants, c'est un plaisir ! "Wúxiàn" file sur des boucles claquantes, hypnotique et brumeux à souhait, avec de belles déchirures acérées. "Dilapidated Ellipsis" est un assemblage de drones secs et de glitchs qui s'envole dans un lyrisme abstrait et sombre, orageux. Finie la mélancolie de pacotille, les affects douteux..."Tranxenobots" propose un hallucinant voyage en pleine science-fiction : techno pointilliste, réduite à des suites micro-percussives superposées, traversant l'espace sonore en tout sens, c'est d'une beauté à l'os !

  J'entends la cinquième titre, "Ontonanology (et banalité)", comme une mise à mort ironique de l'ancienne manière : les nappes moelleuses sont littéralement trouées par les craquements, un lit de petites morsures serrées. Le moins bon titre en tout cas, pivot un peu mou de l'album ! Heureusement, "Precambric Strain" repart très fort, mitrailleuse répétitive aux brèves fulgurances, avec des tourbillons noirs, une force implacable, pour une plongée finale électroniquement haletante ! Cette deuxième partie se fait presque industrielle avec "Oneiric Atmos", choc d'astres dans l'infini. Toujours hypnotique, elle vire abyssale, inquiétante. Et "Devastated Okeans" nous submerge sous un flux énorme, peuplé de rayonnements ténébreux. Une étrange chevauchée fantastique déferle dans une atmosphère apocalyptique. Absolument excellent ! "Licca Carpatiana" continue dans la même veine très sombre d'une techno ambiante minimale, picotements percussifs serrés, drones et frottements, froissements, sorte de jungle électronique étouffante, dont on ne sortira plus jamais... si ce n'est pour des scénarios de musique sauvage, l'étonnant dernier titre, "Wild Music Scenarios", quasi goguenard dans son aspect grotesque, outrancier. Pas le meilleur à mon sens.

  Un excellent disque de musique électronique techno-ambiante sombre.

Titres préférés : 1) "Stellium" (le 1) / "Tranxenobots" (le 4) / "Precambric Strain" (le 6) / "Oneiric Atmos" (le 7) et "Devastated Okeans" (le 8)

Paru en janvier 2023 chez Amorfik Artifacts / 10 plages / 57 minutes environ

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- rien sur les plate-formes connues, et des vidéos hélas "privatives", comme celle-ci pour "Stellium" sur vimeo(d'autres vidéos sont sur la même page)

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Publié le 28 Septembre 2022

Radboud Mens - Continuous Movement
Radboud Mens - Continuous Movement

   Radboud Mens ? Sous ce nom énigmatique (pour moi en tout cas), se cache un artiste sonore et compositeur qui travaille depuis 1982, qui a produit son premier album de drones en 1995. Depuis de nombreuses années, il conçoit lui-même ses propres instruments acoustiques, ses installations sonores. Il songeait depuis une vingtaine d'années à une sorte d'album total, combinant esthétique glitch, techno minimale, rythmes dub, ambiantes à base de drones. Il en résulte ce double album de seize titres. Fascinant !

   Je n'aime pas tout également. Le premier titre "Conversion" est d'une ambiante glitch peu emballante. Par contre, le titre suivant "Decay (Instant Gratification Mix)" est totalement envoûtant : une techno minimale à ras de drones, du reggae aplati qu'on pourrait écouter jusqu'à la fin des temps ! Le remix suivant "An Enabled Chord", est tout aussi convaincant, une ambiante de drones bien sourds, flamboyant noir dans les ténèbres piquetées de glitchs légers et de sons percussifs. "Cyclic Form (Remix)", conforme à son titre, est une longue traversée paresseuse de paysages arasés. Je préfère le suivant "Tongue (Remix)", une techno ambiante presque radieuse dans son implacable sérénité. "Convolution" a un côté buddien, en dépit des glitchs dansants, puis des éclats enchâssés dans la matière sonore mouvante, de plus en plus mystérieuse au fil de la pièce avec ses molles circonvolutions. Suit un "Continuous" très techno-dub, micro frétillant dans sa robe rapiécée : séduisant ! L'atmosphérique "Polyrythmic Ambient Drone (Remix)" ferme ce premier album avec une composition délicate, élégante, en apesanteur parfois : sur un tapis de vagues ondulées bien rythmées en douceur naissent de courtes virgules scintillantes sans cesse renaissantes. Très belle fin !

   Le second disque est nettement plus ambiant, avec parfois de curieux effets, comme dans "Release", qui prend des allures de raga indien, tant le riche bourdon libère des harmoniques chatoyants. "Start Again" élève sur les ruines d'un paysage sonore une forte pulsation hypnotique, dans un brouillard de textures discrètement exotiques. J'avoue que le rutilant "Again" me paraît très convenu. Passons. "Movement (Remix) " ne me séduit pas plus... Quant à "Again (Reprise)"... je me tais !

   Bref, deux disques qui à mon sens auraient pu fusionner en un, en gardant du deuxième "Modular", "Release" et "Start Again", et presque tout le premier, sauf le premier titre. Mais ce n'est pas à moi de refaire l'édition. Le chef d'œuvre, c'est "Decay (Instant Gratification Mix)", puis "An Enabled Chord (Remix), "Tongue (Remix)" et "Continuous", "Polyrythmic Ambient Drone (Remix)"...

Paraît le 10 septembre 2022 chez ERS Records /  2 cds / 16 plages / 57 + 47 minutes environ

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Publié le 21 Juillet 2022

T. Gowdy - Miracles

   Pour Miracles, son deuxième disque chez Constellation, le producteur montréalais/berlinois T. Gowdy, présent dans de nombreux festivals et galeries, s'appuie sur des sources créées à l'origine en 2018 pour un projet audiovisuel inédit basé sur des images de surveillance. Il couple ces matériaux avec différents procédés électroniques pour nous donner un album de Musique de Danse Intelligente (IDM en anglais : Intelligent Dance Music) qui mérite vraiment le détour.

   "350J"sert de brève préface : atmosphère lourde, épaisse, dont émerge des sons tourbillonnants chargés de scories, déchirés de stries granuleuses. Le titre éponyme nous emporte avec son rythme bondissant, sa mélodie en boucles lancinantes. Émaillé de pétillements percussifs, il mute en ronflements saturés et tressautements internes. La machine IDM est parfaite ! "Déneigeuse", dont le titre ne manque pas d'humour, peut en effet évoquer le démarrage pétaradant d'une déneigeuse, transformé en transe métallique hypnotique, puis en glissements ambiants.

   L'attrait de cette musique tient à sa dimension malgré tout vivante, les textures électroniques agitées de battements, gonflées de pulsations, de renflements. "Transcend I", "U4A" bouillonnent, le deuxième titre hanté par une strate assez proche de la voix humaine dans l'énorme montée orgasmique du plasma électronique. D'où des lignes incantatoires étonnantes. "Vidisions" est un bel échantillon de techno minimale agrémentée de glitches qui s'insère parfaitement dans cet album rigoureux, plus austère au fil des morceaux.

   "Clipse" effectue un virage encore plus net vers une musique électronique abstraite et impeccable, d'une sombre beauté. À mon sens, le chef d'œuvre de ce disque dont "Transcend II" est l'épilogue assez flamboyant.

   Laissez-vous envoûter par cet itinéraire fascinant !

Paru début juin 2022 chez Constellation Records / 8 plages / 38 minutes environ

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Publié le 13 Mai 2022

The Leaf Library + Teruyuki Kurihara - Melody tomb

   Premier fruit de l'association entre le groupe du nord de Londres The Leaf Library, connu pour ses musiques expérimentales oniriques avec couches de guitare, électronique et drones, et le compositeur et producteur japonais Teruyuki Kurihara, artiste de la scène électronique qui a joué un peu partout, collaboré avec plusieurs groupes avant de créer son propre groupe Cherry en 2007, Melody Tomb présente huit titres d'une musique électronique sombre entre techno et drone, aux lignes minimales.

   Le premier titre, "Distal", suit une trajectoire implacable sur un battement rapide de percussion sourde et de coulures métalliques, puis semble exploser en déchirements bruitistes. Début splendide ! "Kite Beach", plus ambiant, est tout en coupures, synthétiseurs glissants et chaleureux, de quoi attendre "Constant Waves", frémissements et orgue en mur grandiose. Très vite, ce troisième titre dérape dans l'étrange, comme si nous étions à l'intérieur d'une machine organique, et c'est dans ces moments que l'album est le meilleur. Si onirisme il y a, c'est celui d'un ailleurs plutôt hanté, mystérieux ! L'atmosphère s'épaissit avec "Various Futures" variations statiques de drones parcourus de coulures soudains perturbées par un pilonnage massif, des cliquetis et des bruits métalliques. Sans doute l'un des morceaux qui justifie le mieux le titre de l'album, Melody Tomb, avec les gargouillis d'une putréfaction machinique ! Tout à fait excellent !

   "Paper Area" est encore meilleur, déchiré, industriel, envahi de résonances étranges, métronimiques. Le disque vire techno, une techno noire, du Autechre allumé, zébré d'éclats bondissants. "Artefact" confirme le virage, et c'est une nouvelle grande claque, déhanchement minimal et répétitif de frappes enveloppées d'un halo sourd, grouillant. On est presque surpris de la douceur de "Boundary", synthétiseurs mélodieux et colorés. Mais les drones sont là, et ils minent la ligne de lumière, la techno revient, le son s'enfle, les frappes se font plus sèches, on est au bord d'un affreux trou noir...L'ironie glacée de "Vertical Margins" sert de postface à ce disque formidable.

   Il y a là une énergie monstrueuse, bouillonnante, qui nous propulse dans cet univers post tout.

Une deuxième collaboration serait dans les tuyaux.

 

Paru fin mars 2022 chez Mille Plateaux / 8 plages / 36 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc..., #Techno et alentours

Publié le 14 Avril 2022

Mad Disc - Material Compositions

   Mad Disc est le projet solo du musicien japonais Takamichi Murata, batteur et percussionniste. Impliqué dans plusieurs groupes, dont le sien, il a collaboré avec de nombreux improvisateurs et compositeurs. Dans Material Compositions, il joue non seulement de la batterie et des percussions diverses, mais fait intervenir l'électronique et les synthétiseurs pour retravailler le son.

    Material Composition 1 commence par le timbre limpide d'une clochette "rin", instrument rituel bouddhiste, qui donne tout de suite à la pièce sa belle solennité. Des sonorités électroniques accompagnent la clochette, formant des motifs obsédants. Peu à peu se développe un univers sonore tout à fait étrange, fascinant, dans lequel les sons synthétiques, les percussions métalliques prennent comme une vie autonome. Une lente pulsation anime la première longue pièce, de plus de vingt minutes. Material 1 est un curieux mélange entre musique expérimentale post-industrielle et musique rituelle un peu folle, la clochette rin utilisée très intensivement pour créer un fond d'harmoniques cristallines foisonnantes. D'autres percussions dépaysent davantage, nous entraînant d'abord vers une atmosphère doucement extatique, mais la fin est un long crescendo d'une puissance trouble ponctué par quelques frappes percussives méditatives. Takamichi Murata réussit une œuvre d'une rare beauté ! Material 2, plus expérimental, a la brutalité de certains apologues zen, entre free jazz et métal, constamment en ébullition, batterie déchaînée et rugissements synthétiques : quel contraste avec le morceau précédent ! Je suis moins enthousiaste, mais impressionné par ces neuf minutes magmatiques.

    La suite de l'album donne à entendre trois remixes, respectivement par trois collaborateurs du compositeur, Toru Kasai, Koutaro Fukui et Ryoko Ono. Toru Kasai réutilise la clochette "rin", propose une version ambiante à l'onirisme grandiose, avec de lentes volutes veloutées dans lesquelles circulent des nuages électroniques et des drones : séduisant, et impeccable ! Koutaro Fukui revient aux percussions, et surtout aux sons sales, troubles, pour une version techno MAGISTRALE, à frémir, les amis ! J'en suis à regretter la relative brièveté du morceau, d'une splendeur apocalyptique, d'une densité noire fulgurante. Quant à Ryoko Ono, il nous propose une version rock-punk-free jazz survoltée, tout en frappes frénétiques de la batterie, avec une clochette "rin" hallucinée, d'énormes vagues ramassées de sons électroniques, dans la lignée de Material 2. Une vraie folie sonore, chuintante de crissements, de mille traits acérés échappés d'une boule en fusion.

   Un disque pour les oreilles solides, c'est évident, mais les amateurs de musique hypnotique, mystérieuse, d'une densité acérée, seront ravis. Décapant et revigorant, avec une palette étonnante de paysages sonores, splendidement travaillés !

Paru fin novembre 2021 chez Crónica /  5 plages / 53 minutes environ

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Publié le 17 Février 2022

Tom Lönnqvist - Aria

   Nocturnes crépusculaires

   Après Noir sorti en juin 2021, le finlandais Tom Lönnqvist sort un deuxième album à nouveau chez Mille Plateaux. Le titre surprendra, s'agissant d'une musique techno minimale. Pourtant, une aria, c'est  « une mélodie de chant généralement continu chantée par une seule personne, accompagnée d'un instrument ou d'un petit nombre d'instruments. » La mélodie est tenue par l'orgue en nappes flottantes, brumeuses, voyez la belle pochette. Mélodie monochrome, avec une note prolongée comme dans le premier titre, "Mauritum", piquetée par le martèlement techno puis envahie de poussières électroniques. Tout retourne au gris. "Monterey" déploie une techno plus radicale, mais bientôt une étrange douceur nimbe le paysage habité d'incidents sonores lovés dans le brouillard d'orgue. Tom Lönnqvist est le peintre musical de la nuit polaire, "Kaamos" en finlandais, d'où une esthétique se refusant aux séductions faciles.

   Indéniablement moins flamboyant que Noir, Aria est plus intériorisé, en demi-teintes, jouant avec une monotonie ascétique comme dans "Serima", le troisième titre. Le remixe du titre 1 proposé par Simona Zamboli en quatrième position vient réchauffer ce début assez glacial par ses outrances, ses stridences. L'espace est déchiré, haché, des voix caverneuses se font entendre comme si nous étions dans l'antre des démons. Haute tension réjouissante ! Et le titre éponyme revient à une brume hypnotique chargée de pluie électronique, l'orgue en retrait dans une aura crépusculaire : c'est de toute beauté, d'une beauté presque diaphane sur laquelle dansent des bribes mélodiques, si bien que je pense soudain, malgré le dépouillement du finlandais, à un artiste comme Pantha du Prince et à sa musique suavement carillonnante. "Hain" est une somptueuse ode à l'indistinction, à l'effacement, le battement techno se fondant dans les nappes d'orgue imprégnées de drones, crépitantes d'étincelles étouffées sur la fin. Avec "Lia", retour à "Mauritum", en plus austère encore, implacable dans sa lenteur peuplée de tournoiements électroniques.

De belles fresques épurées, vibrantes de lumière intérieure.

Paru en janvier 2022 chez Mille Plateaux / 7 plages / 41minutes environ

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