ambiante sombre

Publié le 12 Juin 2025

Christina Giannone - The Opal Amulet

Christina Giannone, artiste sonore et compositrice de Brooklyn, signe un troisième album chez Room40, après Zone 7 en janvier 2022 et Reality Opposition en juillet 2023. Toujours entre bourdons ambiants et bruitisme, sa musique, qui privilégie les textures atmosphériques à grande profondeur de champ, a été primée dans plusieurs festivals internationaux de films. 

Christina Giannone par ©Josiah Cuneo

Christina Giannone par ©Josiah Cuneo

Au plus près du Chaos...

La musique de Christina Giannone ne ressemble plus à rien. Elle a jeté les amarres pour s'approcher du Bruit de l'Univers : grésillements, déchirements, ondes de fond, bourdons. Elle capte les énergies, comme l'annonce le titre de l'album, Amulette d'Opale en français, mais non pas pour guérir quoi que ce soit, pour retrouver sans doute la musique originelle sous sa forme brute, brutale. Parler de musique ambiante est évidemment impropre, à moins de se situer au niveau cosmique, universel. Le premier titre, "Illusory Figure", ne renvoie-t-il pas au concept de Maya dans la Bhagavad-Gītā ? Le monde matériel est temporaire, en constante évolution, comme le monde sonore de Christina, qui plane au-dessus du chaos primordial, de son fourmillement colossal, grandiose et monstrueux.

   "Iridescent Dust" (Poussière irisée) n'a rien de solaire : si arc-en-ciel il y a, c'est un arc-en-ciel ténébreux ! La poussière est celle des astres, des galaxies, de l'énorme fourneau en ébullition que la musique essaie de rendre sensible à l'auditeur. On croit entendre les meuglements des troupeaux de créatures mythologiques enfermées dans le maelstrom parfois traversé de quelques battements rythmiques comme de coups de sabots dans la cavalcade indescriptible. Le troisième titre, "Vaporous Ritual", pointe clairement la dimension mystique de ces captations hallucinantes. Ce ne sont que chutes sans fin, précipitations fabuleuses : destruction des Mondes dans une Apocalypse de déflagrations, de vaporisations vertigineuses ! Imaginez le Jugement Dernier (vers 1560) du Tintoret, mais avec effacement des contours, des distinctions, des couleurs...

     Que le disque se termine avec "Death Ambient" ne saurait surprendre l'auditeur. L'ambiance de mort est le fond de l'Univers qui, s'il crée la Vie, l'efface dans son mouvement. Le chaos n'est pas seulement initial, il est l'horizon de toute manifestation. La composition laisse entendre la décomposition, l'effilochement : ne subsistent que des traces, des traînées, des trains de particules lancés dans l'Infini. Il n'y a plus rien que ces trajectoires arasées, cette pulsation noire remplissant l'espace sonore, car, au fond, le vide lui-même n'est qu'illusion. Il n'y a que ce plein au ras de l'Informe absolu, de la dernière minute de poussières résiduelles...

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Christina Giannone signe un album métaphysique d'une puissance sauvage : à mille milliards de lieux des musiques ambiantes d'endormissement !

cf. Texte d'accompagnement de Christina : (traduction Google revue...)

Si Vénus et Neptune entraient en collision,

J'émergerais

Entité aquatique bouillonnante

Se métamorphosant en océan cosmique

Se vaporisant dans le vide holographique

Figure illusoire

Amulette d'opale

S'effondrant en poussière irisée

Aspirée dans le trou noir

Qui mène à l'Insouciance

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Paru fin mai 2025 chez Room40 (Brisbane, Australie)  / 4 plages / 38 minutes environ

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Publié le 30 Mai 2025

Deaf Center - Reverie

    Deaf Center est le duo formé par deux musiciens norvégiens installés à Berlin depuis 2003, Erik K Skodvin, régulièrement présent ici, pour ses disques solo sous son nom ou sous son pseudonyme Svarte Greiner, et Otto A Tottland. Ils nous proposent avec Reverie deux longues pièces dans la continuité de Recount (2014) et, par le son, du 45 tours Vintage Well (2008) et de Owl Splinters (2011). Deux plongées dans leur univers si prenant, où l'improvisation tient une grande place. Enregistré en direct en octobre 2024 au studio Morphine Raum de Berlin à l'occasion du quinzième anniversaire de la maison de disque sonic pieces, le disque permet de retrouver Otto A Totland au piano et Erik K Skodvin à la guitare, au violoncelle, à l'électronique et au traitement.

[L'impression des oreilles]

Sur la trace étincelante des prestiges de la nuit...

Un grattement de gorge, le piano léger, aérien et fragile ouvre une ligne de rêverie pour le premier titre, "Rev". Quelques notes plus graves, et des boucles vaporeuses lointaines en écho : une grâce magnifique, bouleversante, si vite installée, c'est la magie de ce duo extraordinaire. On s'enfonce avec eux dans un univers arachnéen de résonances, peu à peu tapissé de doux bourdons, d'où s'élèvent comme des trompes mugissantes. Le piano se fait plus dramatique, ponctuant une masse sonore se densifiant. Le rythme s'accélère, les textures électroniques se mêlent et s'embrasent, ne cessent de retomber des vagues hurlantes, des sirènes lacèrent le ciel qui semble s'effondrer en lâchant des étoiles filantes. Quelle somptuosité ! Le piano ne cessera pas pour autant d'ourler sa broderie diaphane et flottante, merveilleuse, jusqu'à sa fin d'une paix céleste.

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La Mélancolie ne dit jamais son nom...

"Erie" commence par une grappe lourde de piano et des frémissements de violoncelle. L'atmosphère est méditative, élégiaque, et déjà fissurée de motifs dramatiques, sombres. C'est une musique qui s'en va dans les tréfonds, une musique déchirée, en allée vers une douloureuse extase vibrante, plombée de bourdons et paradoxalement irriguée de traînées de lumières, de sonneries mystérieuses. Les bourdons s'enflent, les textures flottent, et revient le piano, qui ponctue d'accords mélancoliques la disparition progressive des décors grandioses d'une disparition nimbée d'irréalité. Suivent quelques minutes en apesanteur sur la rémanence de la tourmente précédente, le piano comme une éponge effaçant et conjurant les signes du désastre, se maintenant par des accords répétés, prudents, sur le fil du silence, s'essayant à une légèreté retrouvée, presque une gaieté, avant de s'abandonner décidément à sa pente mélancolique, à son inclinaison au désastre, au ravage d'une tristesse qui n'a pas de nom.

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Deux pièces sensibles d'une rare splendeur. Un chef d'œuvre !

Paraît le 30 mai 2025 chez sonic pieces (Berlin, Allemagne) / 2 plages / 34 minutes environ

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Publié le 27 Mai 2025

Bryan Senti & Dominic Bouffard - Killing Horizon

Paru en octobre 2024, il est sans doute bien tard pour présenter ce disque que je retrouve parmi mes nombreux fichiers. Allons, peu importe !

[À propos des compositeurs et du disque]

   Killing Horizon est le fruit de la collaboration entre Bryan Senti, compositeur, violoniste et altiste latino-américain installé à Los Angeles, et le compositeur, artiste interdisciplinaire et guitariste anglo-franco-algérien Dom(inic) Bouffard, né à Londres. Si le premier combine des influences latino-américaines et néo-classiques, le second a commencé sa carrière dans des groupes de rock alternatif, a travaillé ou collaboré avec Robert Wilson ou Lou Reed , développé des projets dans le monde du théâtre, de la dance et des installations sonores immersives. Ils ont composé chacun de leur côté, enregistré dans leur studios personnels respectifs à LA et Londres. Noah Hoffeld  a ajouté son violoncelle à distance depuis le nord de l'état de New-York.

    Le titre fait référence en astrophysique à l'horizon de Killing en liaison avec certains trous noirs et leurs limites. Indépendamment de cette signification scientifique, rien n'empêche plus simplement de comprendre à peu près « tuer l'horizon » ou « L'horizon meurtrier », ce  qui colle assez bien à la musique des deux compères.

   Dom Bouffard est aux guitares et à la grosse caisse, Bryan senti au violon, à l'alto, au piano, au saxophone et aux synthétiseurs. Plus le violoncelle de Noah Hoffeld déjà mentionné. Et la guitare réamplifiée par Julian Wright dans un studio londonien.

Dom Bouffard ( à gauche) & Bryan Senti (à droite)

Dom Bouffard ( à gauche) & Bryan Senti (à droite)

[L'impression des oreilles]

Rien n'échappera aux trous noirs...

   "Drift" (Dérive) ouvre sur un vaste espace parcouru de turbulences amplifiées, avec comme des voix enchâssées dans l'horizon que lacère la guitare, puis le piano dessine lentement un paysage apaisé, accompagné par une guitare basse. C'est un paysage qui s'estompe, coule dans l'ombre, peut-être le paysage stérile de la couverture, mais une fin presque rock réanime la fresque grandiose. "The Ground" (Le sol) rampe au ras des graves, plombé de bourdons opaques, avec des déchirements et des frottements comme de créatures infernales. On semble attiré par un vortex inquiétant, l'entrée des Enfers qui sait. La musique est vent de panique, précipitations palpitantes, fusions intérieures, se rétracte dans une atmosphère raréfiée, presque paisible : le pire semble avoir été conjuré !

   Le titre 3, "Rain", suggère un monde alourdi : basses ralenties, sourdines en semi-lumière, cliquetis obscurs, rares échappées courbes.  Puis l'horizon, saturé, se défait sous la pluie noire d'une immense mélancolie. "Cathedral" explose en gerbes successives tandis qu'une marche implacable sous-tend  des orages troubles, que s'entendent  par moments des répliques de la grande catastrophe. Killing Horizon est comme la plainte des vestiges d'un monde détruit : tout ne cesse de mourir, de retomber, même "Elevation" (titre 5) se retourne en descente pathétique, hanté par le violoncelle spectral qui semble planer sur une mer d'ossements dans une atmosphère apocalyptique...

   Dans ce monde d'après, "Circle" serait la survivance déréglée du monde perdu. Même ici, l'harmonie se brouille vite, dégénère en boucles comme autant de bouches torves sur de souterraines émanations de perdition. Pas étonnant qu'on finisse par "Mirage" (titre 7) : la musique peine à se frayer dans l'épaisseur de l'enfouissement, et si elle finit par s'élever, c'est pour sembler une sirène d'alarme alanguie sur des lambeaux pris dans des gangues sourdes. Certes, elle tente de reprendre de la force, mais elle est engluée, retombe dans une brume agonisante.

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Un témoignage musical assez juste de l'ambiance de fin de monde liée à la récente sinistre pandémie.

Paru en octobre 2024 chez Naïve (Paris, France) / 7 plages / 37 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques, #Ambiante sombre

Publié le 29 Avril 2025

Alex Zethson / Nikos Veliotis - CRYO

  Le violoncelliste grec Nikos Veliotis et le pianiste suédois Alex Zethson se sont rencontrés à Athènes au célèbre magasin de disques-galerie d'Art Underflow. Le violoncelliste avait été invité pour la première partie du concert du groupe Goran Kajfes Tropiques dont le pianiste fait partie. Tous les deux étant impliqués dans de nombreux projets liés à la musique électronique, au rock et aux musiques expérimentales, ils ont enregistré CRYO dans la foulée au studio Artracks de la même ville. Le disque est publié par le label Thanatosis Produktion que le pianiste  a fondé et dirige depuis 2016.

Zethson Veliotis par © Michell Zethson

Zethson Veliotis par © Michell Zethson

Aux sombres rivages de l'Insondable  

   Le disque comprend deux longues pièces d'une vingtaine de minutes. Deux maelstroms immersifs se déplacent et se modifient lentement, le piano en cascades de boucles très graves, le violoncelle en longs raclements bourdonnants. La masse sonore tournoie, nous sommes comme au centre d'un amas orageux d'harmoniques miroitantes. Dans la deuxième moitié de la première partie, nous plongeons dans un gouffre, au royaume des graves extrêmes, des vagues de bourdons profonds.

Piano et Violoncelle sur glace...  

"CRYO 2" poursuit la descente aux enfers grondants. L'atmosphère s'alourdit, saturée de fantômes sonores. Que le disque ait été optimisé par Mell Detmer, qui a travaillé pour des groupes de Drone Metal comme Earth n'est pas indifférent...C'est un flux minimaliste d'une grandiose noirceur, le violoncelle tel un frelon énorme tournant autour du piano enveloppé de chapes de résonances, se débattant pour échapper au froid absolu (rappelons que la racine «cryo-» signifie froid).

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La musique formidable des abysses !

Paru le 14 mars 2025 chez Thanatosis Produktion (Stockholm, Suède) / 2 plages / 40 minutes environ

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Publié le 21 Avril 2025

Ben Bertrand - Relic Radiation

Aux envoûtants Royaumes de la clarinette basse

   La clarinette basse en tant qu'instrument d'avant-garde : depuis son premier album solo en 2018, le clarinettiste et compositeur belge Ben Bertrand crée un univers sonore unique où fusionnent références au passé et extrême modernité des musiques électroniques, de nombreuses machines s'ajoutant à ses clarinettes (basse ou non). En utilisant boucles et pédales d'effet, les sons de sa clarinette deviennent électroniques, fusionnent avec elle. Il fait entendre sa musique dans toute l'Europe, a sorti plusieurs disques notamment chez Stroom. Il a collaboré avec Christina Vantzou sur l'album N°5, publié chez Kranky.

Ben Bertrand, sa clarinette...et le reste !

Ben Bertrand, sa clarinette...et le reste !

Reliques mélancoliques...

Ça commence comme par un tambourinement, accompagné de froissement sourds, puis déferlent les sons de clarinette..."Microwave Background" attaque : musique massive de boucles, de vagues, de tremblements, sur un fond qui semble d'orgue, des sons filés. Pluie de particules dans le cosmos, traversées proches d'astéroïdes. Dieu quelle musique formidable, à frémir !. "Event Horizon" (titre 2), c'est presque huit minutes d'un lamento labyrinthique, entre les bourdons de clarinette et des aigus lancinants. Alors s'élèvent des voix intérieures d'une sublime mélancolie, une polyphonie bouleversante. L'une des plus belles musiques qu'il m'ait été donné d'entendre, lente et envoûtante somptuosité de draperies ondulantes...

   Le court "GW 190905", c'est du Steve Reich à grande vitesse, animé d'une pulsation irrésistible. Un bataillon de clarinettes à l'assaut griffonne à grandes traînées la nuit ! "Stereo A" (titre 4) nous embarque sur un étrange vaisseau dont sortent des mélodies ensorceleuses, ce serait pour une nouvelle d'Edgar Poe, là-bas près de pôles magnétiques, au plus près du noir absolu. "Big Bounce", c'est la danse des clarinettes basses, magnifiques, grondantes, au milieu d'irisations, de capsules traçantes aiguës...

   "Stereo B" (titre 6) est le titre le plus éthéré de l'album, tout en miroitements, opalescences tremblées jusqu'à l'entrée de la clarinette basse, au son ample, d'un grave magnifique, qui vient planer sur le fond radieux. Le mystérieux "GW 150721" termine l'album avec sa mélodie d'une déchirante beauté, sorte de respiration multiple s'éployant dans un soir d'abîme.

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Magistral. Une splendeur. Un des très grands disques de 2025 !

Paru le 15 avril 2025 chez Stroom (Ostende, Belgique) / 7 plages / 36 minutes environ

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Publié le 4 Avril 2025

Primož Bončina & Phil Maguire - Stone and Worship
Pierre et Adoration !

   Beau titre pour un disque constitué de quatre massives pièces entre quinze et presque vingt-et-une minutes. Le compositeur slovène Primož Bončina manie la guitare électrique en s'intéressant à ses possibilités tonales et spectrales, jouant sur l'amplification et des sons prolongés, dans un esprit inspiré notamment par la musique électronique minimaliste et ses expériences de musique Métal. Phil Maguire, lui, musicien écossais installé à Cork en Irlande, produit de la musique électronique à l'aide de synthétiseurs et d'ordinateurs. Leur intérêt commun pour les musiques à bourdons (drones) débouche sur ce disque enregistré d'abord dans la cave d'un ancien séminaire catholique, lieu propice à la méditation et à tous les phénomènes de halo, de résonance, puis enrichi d'arrangements et des contributions de deux chanteurs sur les deux premiers titres.

Primož Bončina & Phil Maguire

Primož Bončina & Phil Maguire

   Le premier titre "Dolorosa" est marqué par la contribution vocale de Golem mécanique, dont je viens de chroniquer le dernier album Siamo tutti in pericolo. Mille-feuilles de sons tenus et de bourdons, cette pièce plonge l'auditeur dans une atmosphère gothique tout à fait grandiose, illuminante. La(les) voix de Karen Jebane (Golem mécanique) incante(nt) une tapisserie grondante aux dérapages tonals renversants. Lorsque la guitare rentre en jeu, elle enflamme peu à peu cette dernière, soulevée de mouvements intérieurs, et l'incendie couve, l'orage menace, les métaux fondent, des épées flamboyantes et floues zèbrent les ténèbres boursouflées, contrepoint prodigieux à la voix de Karen, d'une pureté hors d'atteinte. "Dolorosa" signe l'émergence d'un hybride farouche de Métal épais, d'électronique bouillonnante pour une messe d'apocalypse.

   "(Vangelis) Acolyte" se tient d'emblée très haut, orgue cristallin et bourdons vrillés, cernés de textures épaisses : la voix de Dylan Desmond (du groupe de Métal doom Bell Witch) démultipliée, vient s'y percher au milieu de nappes de résonances. Les claviers introduisent un élément mélodique parmi ces nuages de sons tenus que la guitare déchire à grandes griffures métalliques. Les fréquences modulées donnent à la pièce une dimension spectrale : les timbres sont brouillés, les sons perçus comme à travers un voile. C'est pourquoi cette musique prend une dimension mystique, favorisée par la résonance religieuse du chant de Dylan que l'on imagine très bien dans de vastes grottes éclairées par des torches fumeuses plongeant la "scène" dans un clair-obscur nébuleux. Quelle cérémonie d'une grandeur funèbre y célèbre-t-on  ? Le titre pourrait nous amener à penser que la pièce est en hommage (indirect) à Vangelis (Evángelos Odysséas Papathanassíou, 1943 - 2022), grand maître des claviers : sous réserve.

  La pièce finale, sur deux pistes pour presque trente-deux minutes, réussit le tour de force d'être à la fois d'une force et d'une épaisseur incroyables, et en même temps d'une tessiture parfois diaphane. Pierre et adoration, pleinement, l'adoration transcendant les matériaux portés à incandescence explosive. Après "Movements in dust" (Mouvements dans la poussière), "Megalithic Fountain" (Fontaine mégalithique) est un déferlement sonore de métal en fusion, la guitare enchâssée dans le magma électronique aux immenses traces rageuses pour une immense explosion au ralenti en boucles lentes de plus en plus lacérées, déchiquetées...

   Rien à vous proposer hélas en illustration sonore : une trop courte vidéo sur une plateforme bien connue. Mais il y a le Bandcamp ci-dessous pour vous immerger...

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Un disque d'une splendeur noire, abyssale et terminale.

Paru en mars 2025 chez Cloudchamber Recordings (?) / 4 plages / 1 heure et 12 minutes environ

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Publié le 26 Février 2025

Lawrence English - Even The Horizon Knows Its Bounds

  L'artiste, philosophe de l'écoute et compositeur australien Lawrence English est régulièrement présent dans ces colonnes, ne serait-ce qu'à travers sa maison de disque, Room40, devenue incontournable dans le domaine des musiques ambiantes et électroniques. Les rapports entre les lieux et les sons sont au cœur de ses recherches. Il écrit notamment : « J’aime à penser que le son hante l’architecture. C’est l’une des interactions véritablement magiques permises par l’immatérialité du son. C’est aussi quelque chose qui nous a captivés depuis les temps les plus reculés. Il n’est pas difficile d’imaginer l’exaltation de nos premiers ancêtres s’appelant les uns les autres dans les sombres cavernes semblables à des cathédrales qui leur offraient émerveillement et sécurité.(...) Le lieu est une expérience subjective et évolutive de l’espace. Les espaces offrent la possibilité d’un lieu, que nous créons à chaque instant, façonnés par nos manières de donner du sens. Si les caractéristiques architecturales et matérielles de l’espace peuvent rester relativement constantes, les personnes, les objets, les atmosphères et les rencontres qui les remplissent s’effacent à jamais dans la mémoire. » Son nouvel opus résulte d'une commande du conservateur Jonathan Wilson qui voulait un environnement sonore pour le bâtiment "Naala Badu" de la galerie d'art de la cité de Sidney (Nouvelle-Galles du Sud, Australie). Un éventail d'artistes souvent liés à Room40, parmi lesquels on retrouve Chris Abraham, Madelaine Cocolas ou Norman Westberg, a répondu à la demande de Lawrence English pour participer à son œuvre. Le compositeur a ensuite "digéré" leurs participations pour aboutir à cette longue pièce de quarante-cinq minutes, découpée pour des raisons qu'on imagine en huit sections titrées "ETHKIB" de I à VIII.

Lawrence English / Photographie © T. Pakioufakis

Lawrence English / Photographie © T. Pakioufakis

Vers des royaumes inquiétants...

    Even The Horizon Knows Its Bounds représente un sommet dans l'œuvre de Lawrence English. C'est une immense cathédrale ambiante, à la charpente solide, colossale. Nous voici  assez loin de Brian Eno ou de Harold Budd ! L'ouverture est grandiose, piano impérial sur une toile grondante, ondulante et une grève de sons électroniques comme sol sonore. On ne descendra pas de cette altitude : ni mièvrerie, ni mollesse comme parfois chez les deux précédents (parfois, c'est un admirateur qui risque cette remarque !). La section II s'approfondit par une véritable polyphonie foisonnante de textures. Le mixage de Lawrence English est évidemment impeccable : combien de disques n'a-t-il pas mixé, matricé ? La section III se fait plus opaque, granuleuse, comme un orage qui couve au milieu d'épais nuages. Avec la section IV, on monte encore, la pâte est ponctuée de bourdons profonds et en même temps par les accents métalliques de la guitare à pédale en acier, tandis que le mur sonore s'épaissit, pulse en vagues noires.

   La Lumière résistera aux Ténèbres !

   Une frappe intériorisée dans la masse sonore rythme puissamment la section V, vaporisée, rayonnante, traversée de courants soudains qui la déchirent. Il y a là une force dramatique, un potentiel émotionnel formidable, au sens ancien de qui est à craindre, terrifiant. L'ambiante de Lawrence English n'est pas une gentille draperie, c'est un linceul de voiles qui vous tire vers des royaumes inquiétants, peuplés de voix fantômes qu'on croit entendre dans la section VI. C'est une musique d'engloutissement dans l'espace infini. Et l'on est presque surpris de retrouver le piano, perdu en route, un piano presque léger. Il semble qu'on ait passé le cap de la noirceur. Le mur sonore continue de s'amincir (relativement...) en VII, mais la trajectoire ne dévie pas, ne s'abaisse pas, et à nouveau tout se coagule dans une matière sombre aux infimes irisations, aux échardes un peu plus claires. La pulsation se fait plus sensible, les voix lointaines, subliminales, reviennent hanter les fonds. Prodigieuse musique, comme organique, vivant d'une vie fascinante, lancée dans l'Éternité, auréolée grâce au piano dans la dernière section d'une lumière, d'une douceur refusant de se noyer dans le cœur des ténèbres... C'est d'une beauté bouleversante, ponctuée par les trois coups graves du Destin.

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Un chef d'œuvre de la musique ambiante électronique d'aujourd'hui.

Paru le 31 janvier 2025 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 10 plages / 54 minutes environ

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Publié le 21 Février 2025

Tape Loop Orchestra - Sabbat de voix

   Tape Loop Orchestra est le nom du projet du musicien et compositeur de Manchester Andrew Hargreaves, qui a déjà sorti sous ce nom au moins une vingtaine d'enregistrements. Son nouveau disque est paru dans la collection Spirituals [PSALM019] du label anglais Phantom Limb. Il comprend deux pièces longues, chacune autour de plus ou moins dix-huit minutes.

Rêvons sur les dénominations : Spirituals - Phantom Limb. Musique vocale sacrée, membre fantôme... La musique du Tape Loop Orchestra est bien dérivée de la voix. Mais ce sont des voix retraitées, décomposées et mises à distance, des voix devenues fantômes, des voix spectrales plongées dans un flou nostalgique.

Les Voix fantômes du Paradis Perdu...  

   "Voix figées" commence par une longue introduction de cordes bourdonnantes en boucle dans un halo de poussières, de grésillements. Cette musique revient de loin. Peu à peu, des voix trouent le ciel brumeux, des voix archangéliques, comme le souvenir d'un paradis perdu. Elles tournent, enrobées de couches graves de cordes. Irréelles, elles déchirent le temps qu'elles hantent et dans lequel elles s'abîment, telles des étoiles de lointaines galaxies. Une stase mélancolique, sans elles, s'ouvre au milieu de la pièce et sur une partie de la seconde moitié, tombeau d'une transcendance disparue. Puis elles reviennent, et le Mystère renaît de cette Beauté, enchanteresse en dépit des alluvions, des scories qui s'accrochent à elles. Rien n'y fait : ces "Voix Figées" témoignent d'une Chute ancienne...Je crois qu'il faut entendre sabbat de voix, non comme une allusion à une assemblée de sorcières, mais dans le sens d'une orgie de voix, d'une assemblée de voix qui occupe l'espace pour célébrer un repos édénique que l'humanité d'après ne connaît plus.

   "Voix empruntées" semble surgir d'un vieux vinyle craquant. Une seule voix chante d'abord un lamento sur des phrases glauques de piano, puis d'autres, plus lumineuses, la rejoignent, accompagnées de bourdons d'orgue et de cordes. Un soleil crépusculaire baigne cette musique au doux bercement, toujours au bord d'une extase ineffable et sur le point de disparaître. Les voix se taisent au centre de la pièce, laissant place à un ressac hanté par une phrase mystérieuse d'un instrument non identifié (clarinette basse ? électronique bien sûr...) avant le retour du piano, plus en avant, mais plus glauque encore, pataugeant dans un marais liquide. Lorsque les voix reparaissent, le vaisseau fantôme prend corps, envahi de résonances. Un espoir, peut-être, tire le navire jusque là englué dans une mélancolie épaisse. Des percussions bourdonnantes dessinent dans les nuages, entre les voix, le souvenir de chants folkloriques très anciens, déformés. Andrew Hargreaves est le maître d'évocations fascinantes, minutieusement orchestrées.

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Sabbat de voix plonge aux racines de la mélancolie pour en extraire la quintessence éthérée, illuminée par les soleils troubles des souvenirs à demi ensevelis.

Paru en février 2025 chez Phantom Limb (Brighton, Royaume-Uni) / 2 plages / 36 minutes environ

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