ambiante sombre

Publié le 6 Novembre 2024

Louie.Lou - Ljusår

Louie.Lou, nom d'artiste de la musicienne suédoise Louise Ölund, se donne pour objectif de composer une musique à mi-chemin entre art musical et électroacoustique. Son passé punk et folk l'incline à brosser des paysages sonores en clair-obscur, avec une prédilection pour le sombre, le noir, le dramatique. L'orgue est son principal instrument. Elle y ajoute enregistrements de terrain, boucles, synthétiseur et voix. Elle voudrait effacer la frontière entre l'animal et l'humain, se tenir à l'orée, à la lisière de la forêt, ...

Louie.lou photographiée par © Johan Döden Dahlroth

Louie.lou photographiée par © Johan Döden Dahlroth

...à la lisière de l'éternité... 

    Le titre du disque, Ljusår, signifie « Années-lumière », c'est là qu'elle se tient, pour « commencer une fin » ("En början ett slut", titre 1) Presque huit minutes d'orgue profond, voilé, en longues notes tenues, avec au premier plan dans la première moitié un motif de synthétiseur (?) en boucle. C'est quelque chose qui s'en va, qui n'en finit pas de sombrer. Magnifiquement sombre, de la musique gothique qui se drape dans les noirs !

   "Evighetssyster" (Sœur d'éternité) confirme le talent de Louie.lou pour les ambiances impressionnantes. Cliquetis, gargouillis accompagnent un bourdon d'orgue pulsé, comme le survol des marais du Styx par des oiseaux inquiétants que l'on entend battre des ailes métalliques en claquements courbes, et l'orgue se lève, majestueux, sur ce paysage désolé. La Lumière se bat avec les Ténèbres épaisses, visqueuses.

    "Is i fjäderdräkt" (Glace en plumage, titre 3) est une sorte d'hymne ténébreux saturé de bourdons, commençant par des appels répétés de notes tenues. Des boucles se superposent, s'intercalent, donnant à la pièce une belle puissance hypnotique : le glaçage de l'orgue lisse le plumage inlassablement. Juste avant le vol ("De flygande", titre 4), plus éthéré, dans les lointains, quelques aigus taillant les cieux, mais des substances louches rodent et voilent la lumière. Pas moyen d'échapper à la matière opaque ! "Grönskan" (la verdure, titre 5) semble nous plonger enfin dans un monde plein d'oiseaux, seulement des textures grondent, se précipitent vers un néant obscur, rien ne pourra arrêter ce train infernal : à la lisière, on voit cette précipitation, cet engouffrement monstrueux du monde qui court à sa perte, indifférent à toute beauté naturelle.

Vanité des Vanités...  

   Le sons de terrain à l'ouverture de "Nya fält" (Nouveaux champs, titre 6) nous font ressouvenir de l'humain. Tout ceci est vite largement recouvert par une carapace de bourdons grondants, comme une chape disant la vanité de ce monde agité, submergé par d'autres vagues. L'orgue plane au-dessus, ramène le bruit humain à sa juste place. "Solens stråle nästan nådde" (le rayon du soleil presque atteint, titre 7), c'est d'abord un bourdon énorme, noir frangé de lumière, le rayon du soleil, peut-être. Il n'y a plus que lui, en pleine expansion. Un soleil noir, énorme, un abyme cosmique dans lequel il avance note après note enveloppé d'un halo trouble... Il n'y a plus que l'Aube Crépuscule ("Gryning Skymningsljus", titre 8), cet intervalle entre la nuit et la nuit qui est ce qui reste de jour dans le grand Nord. C'est un chant très ancien qu'entonne l'orgue, sans doute l'écho d'un air folklorique, qui revient en boucle dans cette longue composition de plus de treize minutes. La mélodie est littéralement enchâssée dans un cocon tourbillonnant, pulsant, traversé de voix déformées, de déchirures : absolument envoûtant !

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Un superbe disque d'ambiante sombre, auquel l'orgue donne une dimension métaphysique grandiose.

 

Paru en octobre 2024 chez Lamour Records (Gävie, Suède) / 8 plages / 56 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Ambiante sombre, #Orgue, harmonium en majesté

Publié le 18 Octobre 2024

Une pièce musicale,

une photographie personnelle

I

Porte à Patmos / Photographie personnelle © Dionys Della Luce
Porte à Patmos / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

 

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Ambiante sombre, #Phtographies personnelles

Publié le 17 Octobre 2024

Ekin Fil - Sleepwalkers
Ekin Fil - Sleepwalkers
   Somnambules jusqu'à la fin des temps...

    Septième opus de la musicienne turque Ekin Fil chez The Helen Scardale Agency, Sleepwalkers (Somnambules) est un astéroïde à déguster dans le noir pour en capter tous les rayonnements. Voix éthérées perdues, nuages épais d'effets, de  distorsions, composent un paysage nébuleux tapissé de bourdons (drones), à mi-chemin du rêve et du cauchemar. L'incroyable enchevêtrement sonore de "Stone Cold" (titre 2), dans la lignée d'un Tim Hecker, est paradoxalement (si l'on songe au titre) en proie à une lente combustion, puis à un embrasement de textures brouillées. Dans "Reflection", deux orgues noyés dialoguent au milieu de vagues noires, avec une étrange voix, d'abord déformée puis naturelle, qui semble leur répondre. Je pense en écoutant cette musicienne installée à Istanbul à la fameuse citerne basilique construite sous le règne de l'empereur Justinien. On dirait que la musique vient de là, des profondeurs mythiques... 

    La version 2 du morceau éponyme (titre 4), confronte la voix fragile d'Ekin (je suppose) à une nappe ondulante saturée de bourdons, piquetée de fines vibrations percussives : de toute beauté ! Le grondant et doucement grandiose "Gone Gone" nous emporte loin dans sa traîne lente aux mille voiles. Le monde n'a jamais existé qu'en rêve !

Paru en juin 2024 chez The Helen Scardale Agency (Californie) / 5 plages / 40 minutes environ

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Publié le 18 Septembre 2024

BAŞAK GÜNAK - Rewilding

[À propos du disque et de la compositrice] 

   Artiste sonore et compositrice née à Istanbul et installée à Berlin, Baśak Günak est connue sous le nom de Ah! Kosmos dans le monde de la musique électronique. Elle compose pour des installations sonores, pour la danse et le théâtre. Sur Rewilding (Réensauvegement), elle travaille autour des notions d'auto-réensauvagement, de recherche de nourriture et de décomposition, réutilisant des matériaux issus de ses installations. On y trouvera aussi la déconstruction d'une chanson folklorique du Sud-Est de l'Anatolie. Les instruments utilisés vont de l'orgue, de la clarinette basse, du halldrophone (violoncelle electroacoustique), au synthétiseur Buchla 100 et à un piano cassé, auxquels il convient d'ajouter processus électroniques et programmation. Le disque comporte huit compositions, d'une durée comprise entre un peu plus de deux minutes et onze minutes.

BAŞAK GÜNAK  (Ah! Kosmos) par Arda Funda

BAŞAK GÜNAK (Ah! Kosmos) par Arda Funda

[L'impression des oreilles]

   La musique de Baśak Günak est celle des lointains nimbés de brumes. "Canon Bee" nous entraîne dans un rituel ponctué par le violoncelle électroacoustique utilisé comme percussion. C'est un bourdonnement très doux, pailleté d'électronique, de clochettes, comme un retour sur l'immense plateau anatolien. Le titre éponyme sonne comme une pastorale mélancolique, clarinette basse bruissante et vibrante, sons graves occupant tout l'espace sonore. Avec "Foraging", tout un peuple de voix surgit, un immense balbutiement, une prière informe, longue traîne ondulante enveloppée d'orgue et de synthétiseur : profonde douceur de la résurrection d'un passé enfoui.

La musique est voix, souffle et pouls...  

"Wings" ne fait que confirmer la dimension mystique d'une musique résolument tournée vers un au-delà insaisissable. L'élan vers l'infini de l'énorme vague sombre est arrêté par une percussion implacable, qui vient à plusieurs reprises découper le bel ordre d'envol sans toutefois l'empêcher de repartir vers sa destination, ailleurs. "Porous" (titre 5) est la poursuite du voyage, l'orgue ou le Buchla derrière des voiles, des micro-rideaux de particules voletantes, des sifflements très doux. Pour arriver à "Inside", labyrinthe souterrain où se croisent voix murmurées et bourdons abyssaux, le tout formant comme un immense mantra. Quant au marais du titre 7, "Swamp", comment ne pas songer à ceux de l'Achéron ? Le réensauvagement, c'est la plongée dans des eaux infernales, mais aussi primordiales. De multiples voix sourdent des voûtes sombres, voix des morts, voix immémoriales. La clarinette basse souligne l'incantation hypnotique d'un trait de braise noire par-dessus les eaux bouillonnantes des épaisses couches électroniques. Le cœur de l'album est là, dans ce titre sauvage, tumultueux...

   "Holy Swamp" (Essaim sacré) fait évidemment écho au titre initial, "Canon Bee" (Abeille Canon". Après le bain dans le marais (et les fleuves souterrains), plus rien ne fait obstacle : la musique déroule son ruban bourdonnant piqueté de minuscules craquements, son ample pulsation paisible, elle déborde, s'enfle, se vaporise dans les lointains...

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Rewilding est le disque mystérieux d'une sibylle de la musique électronique ambiante d'aujourd'hui.

Paraît le 20 septembre 2024 chez Subtext Recordings (Berlin, Allemagne) / 8 plages / 37 minutes environ

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Publié le 16 Septembre 2024

Marcus Fjellström - The Last Sunset of The Year

[À propos du disque et du compositeur] 

  L'an dernier, j'avais rendu un hommage tardif à Marcus Fjellström (1979 - 2017), compositeur suédois redécouvert dans mes piles de disques. Ce 20 septembre sortira The Last Sunset of the Year, une compilation de ses dernières œuvres rassemblée par Erik K Skodvin, compositeur et fondateur du label berlinois Miasmah, et Dave Kajganich, producteur et scénariste. Il aura fallu sept ans de travail pour la mener à bien. Si elle comporte des pièces écrites pour la bande originale de la première saison de la série télévisée The Terror, qui racontait l'échec de l'expédition Franklin de 1845 pour trouver le fameux passage du Nord-Ouest, elle apporte de nombreux inédits composés pendant cette période. Les pièces rassemblées forment un ensemble cohérent dépassant le cadre de la série. Il faut donc considérer le disque comme l'ultime témoignage musical de ce maître de l'étrange musical.

   Le titre de l'album vient du moment où des marins britanniques, coincés dans la banquise hivernale, se tiennent sur le pont d'un des navires condamnés pour regarder le soleil se lever à l'horizon un bref moment puis se coucher immédiatement après, dernier coucher de soleil avant six semaines d'obscurité : ultime beauté...avant leur propre mort !

  L'ensemble est structuré en quatre grandes parties ("Last Morning Watch" / "Last Draughts, Last Best Efforts" / "Last Fixed Position" / "Last heat, Last Exertions" ), elles-mêmes respectivement subdivisées en sept, sept, cinq et sept sections, si l'on veut se référer à une narration.

[L'impression des oreilles]

Marcus Fjellström, sculpteur sonore de la Terreur

   L'album commence de manière très orchestrale par un mouvement lent et majestueux suivant le lever de la lumière, toute ourlée d'ombre. Ce déploiement fastueux se poursuit pendant "Last Morning Watch II", déjà envahi par le mystère : enroulements aigus sur fond de bourdons, atmosphère feutrée. Le larghetto du III se fait plus menaçant, plaçant les arpèges d'une harpe (?) folâtre sur une toile très sombre traversée au loin par des claquements. Tout ce premier ensemble est marqué par une attente sourde devant des manifestations naturelles à la fois magnifiques et angoissantes. C'est un véritable poème symphonique aux couleurs diaphanes, d'une bouleversante douceur.

 

 

   La seconde partie, "Last Draughts, Last Best Efforts", s'assombrit nettement, d'une lenteur menaçante. L'atmosphère se raréfie, se coagule. Le magnifique andantino (X), miracle fragile, est comme une ultime marche sur la glace tandis que les menaces s'accumulent. Marcus Fjellström donne à l'ambiante sombre ses lettres de noblesse, ciselant la densité ténébreuse dans les pièces suivantes pour en extraire le potentiel fantomatique. L'adagio (XIV) termine cette partie en faisant du piano lumineux un funambule condamné à tourner en rond dans un monde épaissi où les vents meurent.

   La troisième partie, "Last Fixed Position", est la plus intensément tragique. Le compositeur y déploie un art magistral de la fresque angoissante. Densité sombre et grandiose du puissant XVI, et puis voici l'halluciné XVII, le plus long titre, chef d'œuvre de l'album, comme une danse macabre de squelettes grelottants de scorbutiques, pestiférés à leur manière (on entend leurs clochettes...) entourés de vents fuligineux... Tout se défait ensuite dans des frottements, lueurs d'orgue ténues, hululements minuscules, ce très beau XVIII bruissant, puis comme des voix spectrales dans des halos troubles, le sépulcral XIX, très lent tourbillon de mort.

   Entendrait-on les trompettes du jugement ? C'est "Last Heat, Last Exertions", les derniers sursauts avant la grande immobilité. Les vents glacés balaient le paysage où bégaient des réminiscences pastorales dérisoires (XXI). Les blocs de glace s'entrechoquent. La venue des ultimes délires (XXII) se manifeste par des cordes folles et de bourdons profonds,  des inflexions courbes. La pièce XXIII est un des autres sommets de cette album par son art de la concision, de l'allusion. La musique d'horreur de Marcus Fjellström refuse une dramaturgie pathétique ou grandiloquente. Elle cerne l'inquiétante étrangeté par des climats, ici le tambourinement dans la couche des bourdons et des levées de cordes frémissantes. La pièce suivante (XXIV) n'est pas moins réussie, dernières stries dans les noirs d'encre d'orgue de catacombe. Des trompettes sonnent encore en XXV, accompagnement funèbre d'un lent engloutissement qui se poursuit en XXVI par des sons tenus, glissendos decrescendo...

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Entre expressionnisme dépouillé et néo-classicisme visionnaire, le testament impressionnant d'un compositeur majeur de l'ambiante la plus sombre.

Paraît le 20 septembre 2024 chez Miasmah Recordings (Berlin, Allemagne) / 28 plages / 1 heure et 27 minutes environ

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Publié le 1 Août 2024

ØjeRum (3) - Everything Wounded Will Flow

Brève estivale 1... pour les injustement oubliés d'une actualité discographique surabondante.

   Troisième article consacré au prolifique et très talentueux musicien danois Paw Grabowski, alias ØjeRum. Après Your Soft Absence en décembre 2023 et au moins un autre disque entre-temps, Everything Wounded Will Flow (Tout ce qui est blessé coulera) est encore un disque hanté pour noctambules, poètes et métaphysiciens égarés dans ce monde matérialiste. Quatre fresques d'une ambiante sombre, à la somptueuse lenteur. Volutes d'orgue, enroulements électroniques et craquements, la bande sonore d'un film hallucinant. L'essence de la Mélancolie !

Quelques collages merveilleux de ce Max Ernst inspiré...Tirés de son site Instagram.

The Eternal (2023)

The Eternal (2023)

VÆTTELYS (Lumières humides)

VÆTTELYS (Lumières humides)

WHERE I CAN FALL WEIGHTLESS AS A PAPER AIRPLANE THROUGH NOTHING (OÙ JE PEUX TOMBER EN APESANTEUR COMME UN AVION EN PAPIER À TRAVERS LE RIEN)

WHERE I CAN FALL WEIGHTLESS AS A PAPER AIRPLANE THROUGH NOTHING (OÙ JE PEUX TOMBER EN APESANTEUR COMME UN AVION EN PAPIER À TRAVERS LE RIEN)

I OPENED UP THE WINDOW, TO LET IN THE MOON, HERE SHE COMES, BRITTLE AS DUNES (J'AI OUVERT LA FENÊTRE, POUR LAISSER ENTRER LA LUNE,  ELLE ARRIVE, FRAGILE COMME DES DUNES

I OPENED UP THE WINDOW, TO LET IN THE MOON, HERE SHE COMES, BRITTLE AS DUNES (J'AI OUVERT LA FENÊTRE, POUR LAISSER ENTRER LA LUNE, ELLE ARRIVE, FRAGILE COMME DES DUNES

Paru en mars 2024 chez Midira Records (Essen, Allemagne) / 4 plages / 48 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques, #Ambiante sombre

Publié le 12 Mars 2024

Point of Memory - Void Pusher
De la MAO* pour embrasser l'expérience humaine...

    Point of Memory désigne un artiste sonore, ou sculpteur sonore, qui tente avec Void Pusher de créer une musique assistée par ordinateur acoustique, en combinant fragments numériques, bruits ambiants en direct. Ainsi, des fréquences super-basses inaudibles traversent une pièce remplie d'instruments acoustiques et de guitares électriques réglées pour frémir et gronder avec sympathie. « Enregistrez ensuite le résultat ; une cacophonie de caisses claires retentissantes, de drones harmonisants et le subtil cliquetis des shakers, des cloches et des tambourins. La plupart du temps, vous n'entendez pas les basses, juste les réactions qui y sont associées.(...) Tous les sons sources ont été enregistrés en direct ou traités par réamplification et manipulés en direct en studio avant d'être édités à la maison. Les sessions d'enregistrement ont eu lieu au printemps, en été, en hiver et en automne, capturant un large spectre d'ambiances sans chercher délibérément de catharsis. Le but était de rester émotionnellement ouvert et d’éviter toute direction excessive, dans une tentative superstitieuse de capturer quelque chose de la condition humaine au sens large. » Projet singulier, ambitieux, se voulant en résonance avec des sentiments universels plutôt qu'avec des affects individuels. Filippo Tramontana joue du cor d'harmonie sur le premier titre.

*MAO : musique assistée par ordinateur

   Les Métamorphoses du Néant poussé dans ses retranchements

   Le disque démarre très fort avec "Pro-Dread", nappes d'orgue et de cor d'harmonie chatoyantes, immobiles et comme suspendues sur l'or du couchant. Titre grandiose ! D'emblée, nous sommes très haut, planant au-dessus des petites misères humaines, dans l'empyrée, tout près des dieux immortels, les bourdons (drones) comme les grondements éternels des Olympiens. "Put in the past" (titre 2) et "Carried by Ravens" (titre 3) sont moins flamboyants, plus tourmentés, véritables antres sonores pour Vulcains sombres ourdissant quelque vengeance imparable : c'est le passage par le Tohu-Bohu, le chaos primordial d'avant la Création. Void Pusher ne signifie-t-il pas « Pousseur de Vide » ? Le titre 3 évoque le prophète Élie, nourri par les corbeaux. Le chaos se lisse un peu, Dieu protège son prophète : atmosphère hyper harmonieuse, mais d'une luxuriance fabuleuse. Tout est en place.

   L'album décolle à nouveau, après une phase grondante, sur le morceau éponyme. L'univers éructe, crache une beauté déchirée, lacérée, la matière hurle, se tord tout au long de ce "Void Pusher" extraordinaire suite d'explosions hallucinées, du Francis Bacon sonore à la puissance X. Si vous passez ce cap, vous êtes prêt pour la suite....

   "Doom's Hand Reaching For Your Moment of Triomph", c'est du Métal en fusion, distorsions et saturations, pluie de feu, bombardement de météores. À peine si le relativement court "Jawline of a City" (titre 6) ménage une pause dans ce voyage au cœur.. .des cités enfouies dans la mémoire universelle. Toutefois, "Ballad of a Myopic Triviality" apporte une touche radieuse à cette musique épique : on escalade des glaciers vertigineux, les sons se diffractent en énormes harmoniques translucides. C'est un autre sommet, traversé de multiples courants, de cet album impressionnant. On atteint une sérénité supra-terrestre, par-delà tous les affects minuscules et contingents, au centre des énergies librement déployées, royales, resplendissantes. Le crescendo final est à couper le souffle, d'une fulgurance terminale !

    L'avant-dernier titre, "Stranger with a Sad heart"commence par une série de sons qui font penser à des trompes de navire, et c'est parti pour une odyssée cosmique majestueuse, avec trépidations et tournoiements de drones, puis un arrachement et un brinquebalement dans le noir absolu. "Most of a Murder" (titre 9 et dernier) conclut en ambiante sombre, déchiquetée, écho cauchemardesque du titre éponyme, colossal train fantôme au pays de nulle part.

   Un disque aux flamboiements fastueux, d'une noirceur sidérale, véritable ovni sonore pour la fin des Temps.

Titres préférés : 1) "Void Pusher" (4) / "Ballad of Myopic Triviality" (7) / (Doom's Hand Reaching for Your Moment of Triumph" (5) / "Pro Dread" (1) / / "Most of a Murder" (9)... et le reste est loin d'être médiocre !

   

Paru fin janvier 2024 chez Misanthropic Agenda (Houston, Texas) / 9 plages / 1 heure et 11minutes environ

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Publié le 15 Janvier 2024

Reinhold Friedl & Kasper T. Toeplitz - La fin des terres

   Deux heures de musique, sur deux cds. La rencontre de Reinhold Friedl, pianiste et compositeur allemand, fondateur en 1997 de l'ensemble zeitkratzer, qu'il dirige depuis et dont on retrouve les œuvres sur une centaine de disques, et de Kasper T. Toeplitz, compositeur et musicien français d'origine polonaise, dont les instruments de prédilection sont l'ordinateur et la basse électrique, ce dernier instrument sur ce disque enregistré dans les studios Art Zoyd de Valenciennes.

Kasper T. Toeplitz à gauche, Reinhold Friedl à droite

Kasper T. Toeplitz à gauche, Reinhold Friedl à droite

Deux heures d'aventure sonore, par deux instrumentistes-compositeurs qui ne fraient plus aucun chemin connu. Ils inventent, au fur et à mesure, une alchimie radicale, une basse monstrueuse, un piano impensable, de quoi faire sauter tous les verrous de toutes les oreilles. Ça chante-bruit, ça grouille et ça fourmille, ça médite pourtant au fil de fréquences inouïes, entre improvisation sauvage et composition méticuleuse. La fin des terres ? Un nouveau chaos minuscule au ras des emmêlements de filaments sonores, imprévisible, avec des phases de transe rêveuse, des réveils. Une longue marche hallucinée dans le cd1, piano percussif et presque sépulcral, basse pulvérisée, pulvérulente, esquissant un paysage détruit, creusé d'obus sonores, peuplé d'invisibles et fragiles présences, d'archives grésillantes. Puis la musique écoute quelque chose, elle le cerne délicatement, l'air de rien, quelque chose qui est là, tapi dans des vagissements aériens, translucides, quelque chose qu'elle débusque peu à peu, avec une infinie patience, quelque chose de si beau, si pur, que l'on n'ose s'en approcher. Peut-être des larmes, la vie qui filtre, qui sourd au ras du sol, et qui étend ses bras dans les réseaux étranges venus l'observer. La musique se fait arachnéenne, vaste frémissement translucide, et de cette communion, de cette symbiose se dégage un nouveau monde, bruissant, habité, de plus en plus dense, ayant pour fondations les notes les plus graves du piano. Le premier cd se termine sur un long crescendo, la levée de ce monde innommable, lovecraftien, monde qui se fissure, qui explose dans une apocalypse bruitiste, elle-même avalée, coulée dans des laves, des glissements, avant qu'elle ne s'échappe en traînées simplifiées ponctuées de sourdes déflagrations et d'ultimes foisonnements nerveux et en frémissement de cloches. Prodigieux !

Une Anti-Symphonie des Ténèbres...  

   Le deuxième disque commence  dans une atmosphère orageuse, sourde, menaçante. Le piano est dans les graves extrêmes, la basse cisaille l'arrière-plan d'un écheveau emmêlé comme l'attaque lointaine d'un essaim de moustiques. Le piano dramatise l'ensemble par des frappes sèches, puissantes, tandis que la basse explose, rugit. Cette fois, c'est le chaos, le déferlement et le choc de forces obscures, la fulguration des ténèbres qui débouchent, après huit minutes, sur un grésillement d'intensité variable nimbé de piano sépulcral tambourinant. Début formidable, prolongé par une marée pianistique noire. Tout est soufflé dans ce monde dévasté où ce qui reste tourbillonne à ras du sol ou semble vomi par les écluses infernales. Une paix relative s'installe au milieu d'une cacophonie assourdie, donnant l'impression qu'elle est aspirée par autre chose, dont les prodromes se laissent entendre. Le piano s'est calmé, la basse retrouve, dirait-on, le chemin de la mélodie, oh très doucement, en passant par des zébrures, mais des bouffées, des secousses agitent encore le magma non complètement refroidi. La musique s'éclaircit tout en restant tranchante, la basse réduite à un brouillard sonore et à quelques pantomimes. Puis elle miaule dans une aura glacée, et tout se détraque à nouveau en courts-circuits survoltés, en envolées grondantes, épaulées par le piano martelant. L'extraordinaire de cette pièce, c'est sa variété, son inventivité dans la création d'une espèce de symphonie démolie, constituée de phases en crescendos tumultueux et de stases inquiétantes, bourdonnantes, au cours desquelles l'énergie se concentre à nouveau avant de gicler littéralement en gerbes brutales, cinglantes. La stase médiane, la plus longue, qui occupe une partie de la seconde demi-heure, correspondrait symboliquement au Styx infernal, quand il se fait marais. Difficile d'en sortir de ce milieu aqueux, trouble, creusé de fosses suspectes, de clapotis louches, d'éructations effrayantes. Vers quarante-cinq minutes, tout menace de disparaître, continue toutefois de s'agiter minusculement [ le correcteur proteste contre ce néologisme, tant pis pour lui ! ], et ça remonte en une ultime trombe lente, irrépressible du piano et de la basse devenus un énorme drone et une protestation chiffonnée, rageuse, avant de retomber dans des esquisses persistantes, toujours prêtes à repartir tant on sent l'énergie accumulée sourdre. Une énergie noire, fracturée, que rien ne fera taire et qui emporte tout dans un orage magnétique final époustouflant, ne laissant que cendres grésillantes et flammèches insidieuses, puis une paix douloureuse.

   Une expérience des limites, une interprétation phénoménale des deux musiciens, créateurs d'un monde musical à la mesure des grandes fresques de la science-fiction visionnaire. 

Paru début novembre 2023 chez zeitkratzer productions  / 2 cds - I plage sur chaque / 1 heure et 57 minutes environ

Pour aller plus loin

- les deux hommes en concert, vidéo très bien faite...

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