Publié le 30 Mars 2023
Puce Moment est le projet, "laboratoire de recherche" du duo formé par Pénélope Michel, violoncelliste de formation classique, chanteuse et multi-instrumentiste, et l'artiste sonore et plasticien Nicolas Devos. Tous les deux avaient déjà fondé, en 2005, un groupe électronique expérimental baptisé... Cercueil. Ils ont composé des bandes sonores pour des spectacles de danse, des films. Ils ont en particulier tourné en France et en Europe en proposant des ciné-concerts, notamment pour Eraserhead de David Lynch. Ces quelques informations vous donnent une idée de l'orientation de leur univers sonore, une musique électronique épaisse, une ambiante atmosphérique sombre bien lestée de drones.
Percussion rebondissante, zébrures électriques, crachotements électroniques, c'est le début du premier titre, "Allotropia", nuages asphyxiants à avancée lente, avec explosions troubles et accélérations frénétiques, formidables. Le morceau est hypnotique, l'allotropie est après tout une autre manière de désigner la reprise sous d'autres formes de motifs. L'adjectif "épique" convient bien à cette musique guerrière, avec le déchaînement de la voix dans les hauteurs de foudre, les marteaux-piqueurs percussifs au rythme lent. Un début tout à fait grandiose qui donne des frissons !
Les deux titres suivants sont moins flamboyants. "Sykli" est plus renfermé sur lui-même, sorte de boule énorme parcourue de bruits inquiétants. Une toile d'orgue distordu à la Tim Hecker sert de fond à une pulsation sourde, à de mystérieuses cornes de brume. Une musique comme une reptation difficile au bord de l'agonie ou au bord du Styx dans des marais parcourus par d'étranges oiseaux difformes. "Motor" cliquète, fait du sur place avant de démarrer vraiment : ambiante sombre, minimale, avatar glauque d'une techno embrumée. La voix de Pénélope Michel reste perchée dans la machine, se contentant de bribes mélodiques à peine modulées. Au fur et à mesure que le crescendo s'épaissit, une onde lointaine monte, déferlante, énorme, opaque, avant de disparaître dans le ralenti du moteur.
Faut-il comprendre le dernier titre, "Taifuu", comme une deuxième allusion cinématographique ? Si le nom du duo semble emprunté au film de Kenneth Anger de 1949, ce titre viendrait du film d'animation japonais de Yôjirô Arai, Le typhon de Noruda (Taifuu no Noruda ) sorti en 2015. Peu importe me direz-vous, sauf que cette double référence rejoint le goût du duo pour les ciné-concerts ! L'épique n'est-il pas cinématographique par nature ? "Taifuu" est un titre planant, atmosphérique, d'abord tout en ouatés à peine oscillants. Une fine striure s'introduit dans la masse sombre ; l'apparition d'un battement régulier marque le début de la tourmente, du typhon. Des tournoiements puissants occupent l'espace, puis tout semble sur le point de s'apaiser, mais çà revient, le battement est devenu coups lourds espacés, dramatiques. Des vents de particules se croisent, des textures se déchirent et hurlent. Le typhon est une meute de loups cosmiques qui s'éloigne dans la nuit infinie.
Un disque hallu-ciné (correcteur pas content, mais j'assume!), d'une noire grandeur.
Paru en mars 2023 chez Sub Rosa Label / 4 plages / 39 minutes environ
Pour aller plus loin
- disque en vente sur bandcamp :