Megan Alice Clune - If You Do

Publié le 3 Décembre 2021

Megan Alice Clune - If You Do

   L'artiste et compositrice australienne Megan Alice Clune sort sur le label de Lawrence English, Room40, un disque étonnant, qui allie l'électronique à la voix humaine en permanence. À partir de petites mélodies chantées tout près de son micro tard le soir, pas trop fort pour ne pas gêner les voisins, elle a conçu un album pour voix seule et un ensemble de technologies : « Un album sur la contorsion du corps (voix) à travers le temps (rythme, pouls), la répétition et la forme. L'œuvre est nostalgique du futur passé : souhaitant l'optimisme technologique de la fin des années 70 et du début des années 80, de Timothy Leary croyant que l'ordinateur offrirait une libération aux masses. Un temps avant Big Tech, Big Data. C'est un disque réalisé seul, rêvant d'une interaction sans intermédiaire avec un public qui n'arrivera peut-être jamais. Un sentiment de nostalgie pour l'avenir qui aurait pu être, chanté par un chœur sans paroles et parfois une clarinette. Un retour à mon premier instrument, et un autre type de technologie, je suppose. » Pour sortir, dit-elle, d'une boucle glissante et résonnante, elle a réécouté Big Science de Laurie Anderson, Subterraneans de David Bowie ou encore Born Slippy de Underworld, ou encore regardé des entretiens avec Laurie Spiegel. À ces influences revendiquées, obliques peut-être, il faudrait sans doute ajouter celle du Theatre of Eternal Music pour le travail sur les textures et tonalités électroniques et le lien affirmé avec le rêve (le Theatre of Eternal Music étant aussi connu sous le nom de Dream syndicate). Or, If You Do, titre trouvé sur un collier du marché aux Puces de l'hippodrome d'Ohi, à Tokyo, se présente comme un flux de conscience aux allures psychédéliques.

   Dix titres enchaînés pour un peu plus de trente minutes. Voix, clavier, électronique et drones enlacés dans des boucles profondes en constante évolution. La voix est souvent démultipliée, occupant simultanément le premier plan en sourdine, à l'arrière-plan haut perchée, avec d'autres voix surgissantes au milieu du flux. Parfois, des inflexions vocales évoquent nettement la musique indienne (on sait l'importance que cette musique a pour Terry Riley, qui participa épisodiquement au Theater of Eternal Music), comme sur "The Swirl of the Void", tourbillon en effet, et flamboyant. Ce rêve, il faut le préciser, a une réelle épaisseur sonore, une consistance en partie due aux drones charriés tout au long. Nuageux ou liquide, aérien, il est sans cesse animé, saturé de résonances, de frémissements. C'est un monde sonore en apesanteur, donnant l'impression d'une série d'extases. "The Chance of Thunderstorm" ? Ce sera un orage vécu de l'intérieur, tout en tremblantes turbulences, surplombé par la voix angélique de Megan. En réaction à un monde moderne aux espaces de plus en plus disloqués, sa musique propose un univers unifié, vibrant d'une lumière intérieure d'une grande sérénité, comme dans le magnifique "Not a Single Rough Edge", au titre très représentatif de son travail musical, qui efface les aspérités, met du baume - on y entend la clarinette, il me semble, son premier instrument, d'une grande suavité. Plus on avance, plus on est enchanté par ce qui peut être considéré comme un oratorio aux accents ici ou là nettement religieux - elle a d'ailleurs travaillé sur un Dream Opera en 2020. "Gentle Smile" est le sommet glitch d'une longue montée méditative assez extraordinaire. Quant au dernier titre, "Existential Geography", c'est une polyphonie balbutiante, émouvante, sur un mur de drones et de très lentes boucles.

  Un voyage onirique envoûtant, à écouter d'une traite ! Son précédent album, We Make each Other (2019), est tout aussi réussi...

Paru en septembre 2021 chez Room40 / 10 plages / 34 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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