Publié le 27 Septembre 2018
À partir de 21 heures ce samedi 6 octobre 2018, dans la grande salle Pierre Boulez, le pianiste Nicolas Horvath (second portrait ci-dessus) se lance à nouveau dans un concert-fleuve d'environ 8h30 pour interpréter l'intégralité de l'œuvre pour piano d'Erik Satie (premier portrait). Il n'en est pas à son coup d'essai, ayant déjà été invité pour une « Nuit Blanche » consacrée à l'intégrale des œuvres pour piano de Philip Glass, qu'il enregistre par ailleurs sous le titre Glassworlds sur le label Grand piano de Naxos.
Certains lecteurs se demanderont quel rapport il y a entre Erik Satie et les musiciens présents dans ces colonnes, sachant que ce blog se concentre sur les musiques contemporaines au sens étroit ou d'aujourd'hui au sens large, entre la fin du XXe siècle et maintenant. Nicolas Horvath y répond fort bien dans l'entretien ci-dessous, en même temps qu'il justifie ce concert hors norme :
Je ne saurais trop recommander à tous les amateurs de la musique de Satie et à ceux qui aimeraient la découvrir les trois disques enregistrés par Nicolas Horvath sur le même label Grand piano. Outre des interprétations étonnantes, ces disques ne proposent rien moins qu'une redécouverte du compositeur à partir d'une nouvelle édition Salabert réalisée par Robert Orledge, professeur de musicologie spécialiste de Satie, à l'issue de longues conversations avec le pianiste. Les livrets qui accompagnent ces disques sont des modèles du genre, complets et passionnants. On trouve notamment sur le premier, sous le titre « MOI, ERIK SATIE », une « (auto)biographie fictive avec quelques ajouts et découvertes » par ce même musicologue.
La vie d'Erik Satie devient aisément légende. Voici quelques lignes que lui consacre Jean Cocteau dans La difficulté d'être (1947), chapitre « Du travail et de la légende » :
« Erik Satie était un homme inénarrable. J'entends qu'on ne peut le narrer. Honfleur, l'Écosse furent ses origines paternelles et maternelles. De Honfleur, il tenait le style des histoires d'Alphonse Allais, histoires où la poésie se cache et qui ne ressemblent à aucune des stupides anecdotes en circulation.
Il tenait de l'Écosse une excentricité grave.
Au physique c'était un fonctionnaire à barbiche, à binocle, à parapluie, à chapeau melon.
Égoïste, cruel, maniaque, il n'écoutait rien de ce qui ne relevait pas de son dogme et il se mettait dans d'affreuses colères contre ce qui l'en dérangeait. Égoïste, parce qu'il ne pensait qu'à sa musique. Cruel, parce qu'il défendait sa musique. Maniaque, parce qu'il polissait sa musique. Et sa musique était tendre. Il l'était donc, à sa façon.
Pendant plusieurs années, Erik Satie vint le matin, 10 rue d'Anjou, s'asseoir dans ma chambre. Il conservait son manteau (où il n'eût toléré la moindre tache), ses gants, son chapeau, incliné jusqu'au binocle, son parapluie à la main. De sa main libre il abritait sa bouche, sinueuse quand il parlait ou riait. Il venait d'Arcueil à pied. Il y habitait une petite chambre où, après sa mort, sous une montagne de poussière, on retrouva toutes les lettres de ses amis. Il n'en avait ouvert aucune.
Il se nettoyait à la pierre ponce. Jamais il n'employait l'eau.
À l'époque où la musique se répandait en effluves, reconnaissant le génie de Debussy, craignant son despotisme (ils camaradèrent et se querellèrent jusqu'à la fin), il tourna le dos à son école et devint, à la Schola Cantorum, le drôle de Socrate que nous connûmes.
Il s'y ponça, s'y contra, s'y lima, et se forgea le petit orifice par où sa force exquise n'avait plus qu'à couler de source.
Une fois libre, il se moquait de lui-même, taquinait Ravel, donnait, par pudeur, aux belles musiques jouées par Ricardo Viñes, des titres cocasses, propres à s'aliéner immédiatement une foule d'esprits médiocres. »