Publié le 27 Janvier 2015
Hommage à Radiohead
Le dernier disque de Steve Reich est placé sous le signe de son admiration pour le groupe Radiohead. Enthousiasmé par l'interprétation que donna Jonny Greenwood de son Electric counterpoint, enregistré à l'origine par Pat Metheny sur le même label Nonesuch, il est logique qu'on retrouve cette version majeure sur un disque dont le titre réfère directement au célèbre groupe, on le verra.
Cette nouvelle version d'Electric counterpoint, pour guitares multiples - jusqu'à dix, plus deux basses électriques - est moins alanguie, nonchalante, que celle de Pat. Nerveuse, incisive, elle met en valeur des sonorités un peu épaisses, nettement plus rock. Ce n'est donc pas un doublon, mais une autre version, qui confirme l'intérêt de Steve pour les instruments de la scène pop-rock, sensible depuis au moins 2x5 (2008), écrit pour Bang On A Can All Stars avec deux guitares électriques, une basse électrique, percussions et piano. Rappelons que le soliste joue "contre" une bande préenregistrée des autres guitares également jouées par lui. Le premier mouvement se rapproche des grands opus des années ECM New Series, particulièrement du grandiose Music for 18 musicians, avec un pulse plus marqué que sur le premier enregistrement d'Electric counterpoint. Le second mouvement, "Slow", est étincelant et trouble à la fois. Le dernier est le plus virtuose, plus loin encore de la version Metheny, rajeur et comme pris dans une belle spirale d'ivresse. Grand moment !!
Le disque propose ensuite une version arrangée en 2011de Six pianos, une pièce encore plus ancienne de Steve puisqu'elle date de 1973. Titrée Piano counterpoint, elle s'inscrit dans la même série qu'Electric counterpoint. Voici ce que Steve dit à son sujet : « C'est un arrangement de Six pianos dans lequel quatre des six parties de piano sont préeneregistées et les deux dernières sont combinées dans une partie jouée en direct plus virtuose. pour ces deux parties destinées à être jouées par un seul pianiste, il a été nécessaire de remonter d'un octave certains motifs mélodiques, ce qui donne à la pièce un éclat et une intensité accrus. L'amplification du joueur en direct, ajoutée à la partie préenregistrée, lui confère une plus grande électricité. Combinée au côté pratique de la nécessité d'un seul pianiste, cet arrangement peut être considéré comme une amélioration par rapport à l'original. » Je n'ai pas réécouté Six Pianos, mais cette version, sous les doigts du pianiste canadien Vicky Chow, membre du , rebondit, quasi funambulesque. Une musique qui donne envie de vivre TOUJOURS, inépuisable d'être sans cesse revivifiée par l'intrusion de nouveaux motifs, qui donne raison à Steve réécrivant ses pièces, les révisant pour en tirer encore mieux.
Après ces deux classiques reichiens transfigurés, voici la nouvelle pièce éponyme, inspirée de deux titres de Radiohead, que Steve présente ainsi : « Au fil du temps les compositeurs ont utilisé des musiques pré-existantes (populaires ou classiques) comme matériaux pour leurs propres pièces. Radio rewrite, ainsi que Proverb (inspirée de Pérotin) et Finishing the Hat -two pianos (inspirée de Sondheim), représente ma modeste contribution à cette lignée. (...) Maintenant, en ce début de vingt-et-unième siècle, nous vivons dans l'âge des remixes où les musiciens prennent des échantillons d'autres musiques et les remixent pour les faire leurs. Étant un musicien qui travaille à partir de notation musicale, j'ai choisi comme référence deux chansons du groupe rock Radiohead pour un ensemble jouant des instruments non-rocks : "Everything in Its Right Place" et "Jigsaw Falling into Place". » Il précise aussi : « Ce n'était pas mon intention de faire comme des "variations" sur ces titres, mais plutôt de partir de leurs harmonies et quelquefois de fragments mélodiques et de les retravailler pour les incorporer dans ma propre pièce. Quant à vraiment entendre les chansons originales, la vérité est que parfois vous les entendez, et parfois non. » Interprétée par l'ensemble Alarm will sound sous la direction d'Alan Pierson, un ensemble qui joue Reich très souvent, la pièce, écrite en 2012, sonne évidemment très familièrement aux oreilles des reichiens dont je suis. Certains ne manqueront pas de dire « Bon, Steve fait du Reich, comme d'hab' ! » À quoi il ne m'est pas difficile de rétorquer que la plupart des grands artistes ne font guère qu'approfondir leur propre voie : Bach, Mahler, Balzac, Hugo, Fellini...C'est ce qu'on appelle le style, s'ils l'ont oublié...Aussi ne reviendrai-je pas sur les aspects ouvertement reichiens de cette œuvre en cinq parties. Ce qui est assez inédit, c'est l'apparition de courts fragments presque mélancoliques, pas seulement lents, vite contrebalancés par la puissance dynamique de la composition. La palette de timbre, déjà large mais reichienne avec les deux vibraphones, pianos et violons, le violoncelle et la basse électrique, s'élargit aussi : la flûte introduit une gracilité étonnante à certains moments. La dernière partie danse avec une joie superbe, chante presque ouvertement avant le retour des impressionnantes ponctuations pianistiques finales. Au passage, on aura reconnu des souvenirs de bien d'autres compositions reichiennes, pour notre plus grand plaisir.
Un disque pour les inconditionnels...et pour les autres. Steve Reich reste le meilleur antidote à toutes les morosités !!
Paru en 2014 chez Nonesuch / 9 titres / 46 minutes
Pour aller plus loin :
- une bonne revue en anglais, sur Pitchfork
- des extraits de radio rewrite mis en ligne et interprétés par Alarm Will Sound :
- Ambiance électrique avec une interprétation publique d'Electric counterpoint par Jonny Greenwood :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 6 août 2021)