Publié le 30 Novembre 2007

Nancy Elizabeth / Harold Budd : Folk revivifié et arabesques zen.

  

Nancy Elizabeth
Nancy Elizabeth

Une petite image pour un disque lumineux, fort, d'une jeune galloise de  vingt-trois ans, Nancy Elizabeth, qui sort son premier CD sur le Leaf Label. Elle joue de la harpe celtique à 22 cordes, mais aussi de la guitare acoustique, du dulcimer, du bouzouki, de l'harmonium indien, d'autres instruments pas toujours faciles à identifier, et s'entoure au besoin de violoncelle, cor, guitare électrique (mais oui !) et percussion. Une voix à la Jacqui Mcshee (la chanteuse du mythique groupe folk Pentangle), souple et puissante, limpide et profonde, sert magnifiquement des compositions personnelles aux mélodies évidentes. Si l'inspiration de départ est folk, le résultat n'a rien à voir avec un certain folk figé : aucune mièvrerie, une constante énergie qui nous emporte du côté du rock, de la pop, et l'on peut penser à Phelan Sheppard, ce duo déjà chroniqué ici et également publié par le Leaf label, notamment dans le quatrième titre, The Remote past, aux envoûtantes boucles de harpe relevées par les glissandi de la guitare électrique. 8 Brown Jugs, le sixième titre, est un instrumental qui met en valeur un dulcimer cristallin sur un fond de vagues impressionnantes d'harmonium. Electric, le titre 7, est une ballade élégiaque d'une élégante sobriété terminée par une belle envolée chorale. Hey son, le titre suivant, se développe selon un crescendo rythmé dans la seconde partie par des riffs rageurs de guitare. Un premier disque qui témoigne d'un talent exceptionnel : compositions abouties, agencement intelligent des morceaux, des instruments qui sonnent à merveille, et cette voix, cette voix qui donne parfois des frissons. Ecoutez le titre 11,  Lung, qui pourrait évoquer le travail de Jocelyn Pook (altiste et compositrice d'une partie de la bande originale du dernier film de Stanley Kubrick, Eyes wide shut, dont la célèbre scène du bal masqué ). Le dernier titre, d'abord voix et guitare acoustique, ponctué ensuite de percussions discrètes et obsédantes, nous entraîne même...pas si loin de Thom Yorke, et je n'exagère pas, cela vient de me frapper en le réécoutant. A découvrir absolument ! Elle vient de terminer une tournée anglaise en compagnie de Thee, stranded horses (voir article du 10 avril, où je présentais ce français tombé amoureux de la Kora).
 

Nancy Elizabeth / Harold Budd : Folk revivifié et arabesques zen.

   Ce serait le dernier opus, en l'occurrence un double album paru en 2004, du grand Harold, maître d'une musique éthérée, mélancolique et méditative, que ses collaborations avec Brian Eno firent connaître d'un large public. Piano brumeux, claviers en nappes vaporeuses sont au rendez-vous d'Avalon sutra, le premier disque, qui présente quatorze pièces parfois très courtes, ciselées comme des esquisses japonaises sur le vide infini. Quelques arrangements de cordes et la présence très inattendue d'un saxophone sopranino sur trois titres élargissent la palette de timbres de ces compositions impeccables, à la rigueur zen. Le second disque est consacré à une longue pièce de plus de soixante minutes, As long as I can hold my breath, remix proposé par Akira Rabelais. Les cordes et les sons électroniques miment une respiration hypnotique que le piano évanescent d'Harold vient hanter par intervalles : la musique devient méditation austère, d'une sérénité implacable. Ennemie du divertissement, dirait Pascal. Pas étonnant que le disque soit paru sur le label samadhisound : revenue des agitations, la musique  mène à l'éveil, la supra-conscience...
Battle and Victory de Nancy Elizabeth est paru en 2007 chez The Leaf Label

Avalon Sutra de Harold Budd est paru en 2004 chez samadhisound. Disque reparu sous une autre couverture en 2014.

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )
 

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Rédigé par dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges

Publié le 23 Novembre 2007

Dominique A / Gravenhurst / Fink : La chanson sans fard, probablement.
   Pour une fois, la chanson. Plaisir des  voix, des mots, des mélodies simples et belles. Trois disques récents raviront les amateurs. D'abord le disque en public de Dominique A, que je découvre (je l'avoue). Si l'on excepte le premier titre, L'Amour, qui ressasse un peu trop les mêmes paroles, et le dernier, Empty white blues, à mon sens inutilement en anglais, restent  treize titres magnifiques d'émotion, de pudeur, d'énergie aussi. Car les guitares électriques se déchaînent parfois, zébrées d'éclats cuivrés, succédant à des moments intériorisés, où la voix murmure presque, fragile. Ecoutez le poignant Pour la peau (en écoute ici), qui évoque l'amour comme une cérémonie religieuse qui "l'a rendue toute chose" avant de célébrer jusqu'à la frénésie l'embrasement du désir. Ou encore Marina Tsvétaïéva, hommage à la poétesse russe scandé sur une rythmique obsédante à la Léonard Cohen dans Songs of Love and Hate : "Marina, Marina, tu le sais ici tout / brûle", avec cette façon si particulière qu'a Dominique de segmenter l'énoncé  en en détachant la fin et en l'accentuant, ou, ailleurs, de désarticuler la phrase en faisant attendre la suite. L'alliance réussie de textes, de vrais textes quoi, littéraires (pour le meilleur !), et d'un accompagnement rock intelligent, à la Sonic Youth qui sert à merveille cette voix délicate et vibrante, limpide comme une source surgie de très loin. Tout est déjà dans la pochette, sublime : l'homme de Music Hall, "qui avance parmi les dunes" et "chemine en se balançant", est un Stalker sorti du film d'Andréi Tarkovski, l'homme qui se détourne pour se fondre dans le sépia, c'est lui qui suit sa route, les yeux fixés sur l'intérieur du coeur et les échappées de l'âme.
 
Dominique A / Gravenhurst / Fink : La chanson sans fard, probablement.

   Cinquième album de Gravenhurst, groupe de Bristol mené par Nick Talbot,  The Western Lands ne présente guère qu'un seul défaut, sa relative brièveté, à peine plus de quarante minutes. Entouré du batteur Dave Collingwood, du bassiste Robin Allender et du second guitariste Alex Wilkins, l'anglais chante avec bonheur entre folk et rock sur des mélodies à l'évidente beauté. Comment oublier Song among the pine, ballade folk à la mélancolie sereine, ou She dances, au début électrifié d'une grande élégance acérée, auquel succède un air léger et tournoyant peu à peu envahi par les guitares rageuses ? La voix aérienne de Nick baigne l'album d'une lumière discrètement psychédélique, tant on songerait parfois à Syd Barrett. Tout est juste, sans esbroufe, serti d'accompagnements délicats. Plaisir des guitares électriques jouées en finesse, de la batterie qui offre ses battements avec une retenue pas si fréquente, de la basse presque voluptueuse. Un petit bijou...
 

Dominique A / Gravenhurst / Fink : La chanson sans fard, probablement.

  Le DJ Finian Greenall, alias Fink, a abandonné ses platines au profit de la guitare. Après Biscuits for breakfast, première surprise folk, il récidive avec Distance and time. Avec un batteur, un bassiste, sa guitare et sa voix caressante et insinuante, il égrène des chansons simples, qui prennent leur temps. Et on revient l'écouter pour comprendre comment il a pu nous accrocher, l'air de rien. De quoi surprendre sur le label électro Ninja tune, non ?
L'émission du 18 novembre a inséré ces trois artistes entre Robert Wyatt et Slow six, déjà chroniqués ici.

Sur nos forces motrices de Dominique A est paru en 2007 chez Cinq 7 Wagram Music

The Western Lands de Gravenhurst  est paru en 2007 chez Warp Records

Distance and Time de Fink est paru en 2007 chez Ninja Tunes

 

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )

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Publié le 16 Novembre 2007

Slow Six - Private Times In Public Places  (leur premier album)
Slow Six - Private Times In Public Places (leur premier album)

  Le premier album de  Slow Six, dont j'ai chroniqué le second voici peu, vient de ressortir sous  une autre pochette (et sur un autre label) que  l'originale ci-dessus toujours disponible. C'est l'occasion de découvrir cet ensemble mené par Christopher Tignor, compositeur et concepteur des instruments informatiques qui accompagnent le violon de Maxim Moston, l'alto de Leanne Darling, le violoncelle de Marlan Barry, les guitares électriques de Peter Cressy et Stephen Griesgraber et le piano rhodes de Jeffrey Guimond.
" C'est la tension entre structure et sentiment qui a fourni les fondements de ces œuvres", dit le compositeur, qui ne joue pas de violon comme sur Nor'easter, mais manie son ordinateur pour capter et prolonger au mieux le lyrisme des instruments acoustiques. Rien d'agressivement électronique par conséquent, mais un travail tout en finesse pour une musique au lyrisme tempéré, qui se déploie tranquillement parce qu'elle se sait somptueuse. Le morceau le plus court dure plus de dix-huit minutes, parce que le temps ne presse pas. Chaque note se déguste dans son jus temporel sans avoir peur de chanter, de revenir nous hanter, nous enrouler dans les boucles qu'elle s'amuse à construire et déconstruire avec d'autres. Cordes, guitares électriques et Rhodes s'enlacent et dansent très lentement, soutenus et relancés par un moelleux filet d'électronique. Salomé dut danser sur une telle musique, parmi les volutes odorantes d'encens très anciens.
Je reviens sur ce coffret inépuisable pour proposer des œuvres d'artistes néerlandais contemporains, qui s'inscrivent dans la mouvance de Steve Reich. Le pianiste Jeroen Van Veen accorde à juste titre une place à ses compatriotes, trop peu connus en France. Né en 1951, Jacob ter Veldhuis a commencé sa carrière dans la musique rock, a étudié la composition et la musique électronique. Figure controversée parmi les compositeurs de son pays, il brouille les frontières entre culture populaire et culture savante. Son Postnuclear Winterscenario n°1 enregistré ici est d'un hiératisme impressionnant, fondé pour l'essentiel sur la répétion avec variations d'un  motif de quatre notes, avec un climax inquiétant sur la fin quand les notes sont plaquées avec violence, écrasées. Klaas de Vries, né en 1944, est l'un des fondateurs d'un style musical que l'on appelle maintenant École de Rotterdam. La Toccata Americana choisie par Van Veen est plus labile, à base de tourbillons de grappes de notes au pulse plus reichien, progressivement parasités par des notes répétées ostinato.

Pour l'extrait ci-dessous, je signale qu'il commence par deux minutes d'échantillons radio, que vous pouvez passer...la suite est magnifique !
 

Slow Six / Jacob ter Veldhuis / Klaas de Vries : le post-minimalisme bien tempéré.

   Je reviens sur ce coffret inépuisable pour proposer des œuvres d'artistes néerlandais contemporains, qui s'inscrivent dans la mouvance de Steve Reich. Le pianiste Jeroen Van Veen accorde à juste titre une place à ses compatriotes, trop peu connus en France. Né en 1951, Jacob ter Veldhuis a commencé sa carrière dans la musique rock, a étudié la composition et la musique électronique. Figure controversée parmi les compositeurs de son pays, il brouille les frontières entre culture populaire et culture savante. Son Postnuclear Winterscenario n°1 enregistré ici est d'un hiératisme impressionnant, fondé pour l'essentiel sur la répétion avec variations d'un  motif de quatre notes, avec un climax inquiétant sur la fin quand les notes sont plaquées avec violence, écrasées. Klaas de Vries, né en 1944, est l'un des fondateurs d'un style musical que l'on appelle maintenant École de Rotterdam. La Toccata Americana choisie par Van Veen est plus labile, à base de tourbillons de grappes de notes au pulse plus reichien, progressivement parasités par des notes répétées ostinato.

private times in public places de Slow Six est paru en 2004 chez If Then Else Records

Le premier coffret Minimal piano collection est paru en 2007 chez Brilliant Classics. Au piano : Jeroen van Veen

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )

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Publié le 9 Novembre 2007

Robert Wyatt : "comicopera", chansons de chambre d'un homme du Monde.
   Quatre ans après Cuckooland, voici  "comicopera"et le retour en très grande forme de ce jeune homme de 62 ans à la voix haut perchée, immédiatement reconnaissable, à la fois légère et vibrante, chargée d'émotions. La première écoute est surprenante, voire décevante pour celui qui, comme moi et bien d'autres, pense au sublime Rock bottom de 1974. L'album paraît d'abord disparate, inégal, une collection de chansons, dont certaines mièvres, inabouties. Et puis l'on réécoute, et le charme commence à opérer, la conception d'ensemble se dégage. Loin d'être un fourre-tout, un recueil de chansonnettes, l'album est une oeuvre accomplie, pensée comme un tout. Aussi est-il très injuste de le juger sur une quelconque de ses composantes. Il s'agit bien d'un opéra-comique, dans la mesure où le comique a son sens grec : est comique ce qui concerne les faiblesses humaines, comme le déclare le compositeur : " Je veux insister sur ce point, parce que je termine l'album en chantant une sorte d'hymne à Che Guevarra, mais je parle des travers humains, je ne cherche pas de nouveaux dieux." Pas question donc d'enfermer Robert dans son engagement militant. Les chansons parlent d'amour, de paix ou de guerre, avec des mots simples, parfois ceux de sa compagne Alfie, qui dessine aussi la pochette. Quand on connaît son histoire personnelle, évidemment marquée par la chute de quatre étages voici plus de trente ans et la paralysie des jambes qui en est résulté, plus aucune parole n'est anodine. Dès le premier titre, composé par Anja Garbarek :"In between, got no choice/ but to be there,/ somewhere, somewhere". L'amoureuse du second titre, chanté par Monica Vasconcelos se demande : "What should I Do ? / Try to love you / just as you are ?" et plus loin : "Should I leave ? Should I stay ?", ce à quoi Robert répond dans la deuxième partie de la chanson : " It's that look in your eyes, / I know you despise me, / for not being stronger". Aucun pathétique appuyé pourtant, tout est en filigrane dans cet opéra en trois actes. Acte I, lost in noise, est une traversée sentimentale illuminée par l'amour d'Alfie (auteur des paroles des titres 2 à 4), commencée avec le superbe et bouleversant Stay tuned (avec la collaboration de Brian Eno aux claviers et aux effets sonores), ponctuée in fine par un instrumental où dominent les cuivres, cornet de Robert, saxophone de Glad Atzmon et trombone d'Annie Whitehead, avec une belle coda de cymbales et batterie. L'acte II, the here and the now, est d'un humour grinçant et désabusé, opposant la grisaille d'une paix peu attirante, comme envahie par le hall d'une église méthodiste à faire fuir, dans A Beautiful Peace, aux attentes offertes par A Beautiful War. Ce diptyque est signé Eno côté musique, tandis que Robert signe toutes les autres compositions  et les paroles à l'exception de celles de Out of the blue (signées Alfie), chef d'oeuvre où sa voix dialogue avec celle d'Eno, traitée en "enotron",dans un choral magnifique avec accompagnement de claviers disloqués, de cuivres déchaînés. Cet acte dénonce l'implantation méthodique de la haine dans les coeurs : rien ne va plus, il faut fuir la langue infectée, l'anglais. L'acte III, away with the fairies, est donc en italien ou espagnol, l'acte de l'espoir un peu fou, qui reprend des titres  enregistrés déjà auparavant, mais retravaillés pour s'intégrer à l'ensemble. Il s'ouvre avec Del Mondo, arrangement de Wyatt d'une composition d'un groupe italien, autre chef d'oeuvre qui sonne comme un De profundis, avec voix sépulcrales en arrière-plan, violon basse de Yaron Stavi en pizzicati dramatiques, souffles d'orgue d'église. Suit la Cancion de Julieta, musique de Robert sur un texte de Garcia Lorca, encore un sommet, véritable petit concerto pour voix et orchestre de plus de sept minutes, avec cordes déchirées, trompette à vif, claviers frémissants : " Oh ruina! / Oh soledad sin arco / Mar de sueno! ". L'instrumental suivant, Pastafari de Orphy Robinson pratiquement seul au vibraphone, apparaît alors comme un îlot ravagé, aux mélodies déconstruites, quelque part entre une bribe d'orchestre gamelan balinais et un orgue de barbarie ou un "piano player" livré à lui-même. Le morceau 15, intitulé Fragment, a le même statut précaire, écho lointain du second titre, avec la voix de Monica Vasconcelos psalmodiant en arrière-plan tandis que Robert chante en courtes boucles incantatoires son effort pour l'aimer. L'album s'achève, après ces plages désolées,  par la reprise très wyattienne (voix très haute chutant dans des quasi-murmures, claviers et cuivres entrelacés, cymbales frémissantes) de Hasta siempre Comandante, hymne au Che aux rythmes latino transcendés par le "monicatron" et le "karenotron" (voix de Monica déjà citée et de Karen Mantler) en échos prolongés. L'album terminé, on se dit que c'est ça, un grand album. Robert Wyatt, fondateur jadis de Soft machine, de Matching mole, reste un immense chanteur, un compositeur et arrangeur inspiré, un multi-instrumentiste sidérant, qui a su effacer toutes les frontières entre rock, pop et jazz. "Chansons de chambre", comme on dit musique de chambre : chaque titre est bourré d'idées musicales à faire pâlir bien des artistes qui tirent à la portée et ne savent même pas finir... Aux collaborateurs déjà cités, il faudrait encore ajouter David Sinclair, pianiste qui fut membre de Matching mole et fondateur du groupe Caravane, ou Phil Manzanera, guitariste de Roxy Music. Manière de souligner que ce disque est l'aboutissement de tout ce que la musique pop(ulaire) peut offrir de meilleur : une chaleur, une intensité et, pour paraphraser Lorca, un océan de songes (mélodieux).
Bel entretien avec Robert Wyatt sur ce blog : il s'y explique notamment au sujet de la reprise de Hasta siempre Commandante.
(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )

 

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Rédigé par dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours