Publié le 26 Mars 2010

Zavoloka - AGF: l'électronique surréaliste ?
Un petit mot en passant sur deux musiciennes diffusées en fin de programme du 21 mars. J'ai déjà consacré deux articles à deux disques solo (Einzelkämpfer et Words are missing ) d'Antye Greie, alias AGF. Depuis, j'ai découvert d'autres disques, dont un en collaboration avec une musicienne ukrainienne née en 1981, Kateryna Zavoloka, elle aussi compositrice de musique électronique., et de surcroît graphiste. Nature never produces the same beat twice réunit 50 miniatures d'environ une minute. L'idée ? « Créer de la techno comme des arbres ! La nature bat la mesure. L'idée était d'extraire des sons existants et de développer  un jeu varié de rythmes et de fragments vocaux pour aboutir à une puissante techno naturelle qui pourrait sembler à la fois semblable mais pas identique à la structure des plantes et de la nature, qui serait répétition d'altérité et de différence.» La musique qui en résulte bouscule toutes les idées reçues. Aussi m'a-t-il fallu plusieurs écoutes pour l'apprécier, je ne le cache pas. Mais quelle fraîcheur, quelle légèreté, à faire honte à pas mal de dinosaures musicaux ! Les deux jeunes femmes s'amusent, jubilent, inventent, et c'est communicatif. Avec des échappées belles, des bouffées d'émotion pure. Si le surréalisme existait en musique, il serait là, dans cette pratique jouissive du collage, cette transgression constante des formes. À partir d'un vieux métronome, de sons divers et de leurs voix, elles jouent de tous les dérapages, des irrégularités, discontinuités pour se maintenir dans un état de réceptivité aux textures, parfums dégagés par le hachis sonore. La matière musicale s'érotise en couinements, mini-cris de jouissance, bafouillages délicats : plaisirs purs de la profération, des retrouvailles avec les rythmes organiques. Les 50 titres se présentent en cinq groupes : arbres / buissons / prairies / fleurs / épices, éléments naturels dont se font l'écho les superbes illustrations de la pochette.
Paru en 2006 chez Nexsound / 50 plages / 54 minutes environ
Pour aller plus loin :
- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 23 Mars 2010

Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.

   Ingram Marshall, Morton Feldman, Giacinto Scelsi, John Adams, Brian Eno : cinq compositeurs fétiches de ce blog...présents sur la bande-son du formidable dernier film de Martin Scorsese, Shutter Island. Scénario éblouissant, distribution impeccable, pour un film en hommage à tant de classiques de l'histoire du cinéma que Scorcese a montrés à son équipe pendant le tournage, je n'y reviens pas. À ceux qu'il cite volontiers, il convient d'ajouter Shining de Stanley Kubrick pour au moins trois raisons. L'arrivée sur l'île et l'entrée dans le pénitencier-hôpital, filmées en travelling dramatisés par la musique, avec en particulier un travelling sans doute en hélicoptère, comme pour la traversée des espaces déserts avant l'hôtel dans le film de Kubrick. Ensuite, le choix des lieux : l'hôtel et Ashecliffe sont des prisons-labyrinthes isolées du reste du monde, propices à un fantastique "gothique" assez appuyé. Enfin, la bande-son soignée, qui fait appel à des compositeurs contemporains, voilà qui est tout à fait kubrickien, et je m'en réjouis.

       Mais ce qui m'intéresse ici, c'est l'utilisation de "Fog tropes", morceau d'Ingram Marshall conçu à la fin des années soixante-dix. La composition résulte d'un collage sonore comme Ingram les affectionne : enregistrements de cornes de brume dans la baie de San Francisco, sons maritimes et flûte balinaise "gambuh", le tout retravaillé par des processus électroniques. Le film de Scorsese s'ouvre sur un écran gris, vide, dont émerge au bout de quelques secondes le bateau qui emmène les deux marshalls sur Shutter Island. Ouverture emblématique sur le brouillard (clin d'œil à Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog ?), celui des rêves et des hallucinations qui envahissent le film, celui du trouble que le scénario se plaît à semer dans la conscience du spectateur comme dans celle du pauvre Teddy Daniels. Fog tropes, ce pourrait être le sous-titre du film, d'autant que le décor choisi évoque une autre île qu'Ingram Marshall connaît très bien - à laquelle il a consacré un disque, l'île d'Alcatraz, dans la baie de San Francisco (voir photographie en haut de l'article, c'est à peu près  le visuel du disque).
  
Alcatraz
L'île est célèbre pour son fort militaire, devenu prison militaire entre 1909 et 1933, puis prison fédérale modèle de haute sécurité entre 1934 et 1963. Désaffectée depuis cette date, elle a attiré l'attention d'Ingram et de son ami, le photographe Jim Bengston. Une œuvre conjointe en est résultée. Le disque paru chez New Albion Records en 1991 comporte un livret avec quelques photographies de Jim. D'Alcatraz aux décors de Shutter Island, il n'y a pas loin, d'abord parce que l'architecture pénitentière ou psychiatrique dérive très souvent de l'architecture monastique, et parce qu'il s'agit de deux îles, même si les décors du film mêlent lieux réels et éléments reconstitués. Les notes de production du film éclairent les choix de Scorsese : les côtes rocheuses déchiquetées de Peddocks Island, à moins de 150 kilomètres au large de Boston sont idéales pour l'atmosphère, tandis qu'un ancien hôpital psychiatrique du Massachussets, bâti par l'architecte Thomas Story Kirkbride, fourni un bâtiment de brique rouge à un étage d'allure gothique, avec ses toits élancés, ses grandes pelouses. « L'idée de Kirkbride était de bâtir des sanctuaires aux allures de cathédrales qui procureraient aux malades mentaux un cadre de vie paisible, élégant, moralement ordonné. » nous apprennent ces notes. Encore une parenté avec Alcatraz, prison-modèle qui a fonctionné plutôt bien, tandis que ces hôpitaux, faute de fonds suffisants, s'étaient transformés en lieux inquiétants, mal entretenus et détériorés.  Toujours est-il que le choix d'Ingram Marshall (parmi d'autres, j'en conviens) est comme surdéterminé. Ingram est le Ghost composer  de ce film : n'est-il pas marshal(l), lui aussi, dont le patronyme redouble le "l" final ?  Ajoutons un autre lien sonore : Alcatraz / Ashecliffe...

 D'un pénitencier l'autre...
Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.
Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.
Photographie de Jim Bengston

Photographie de Jim Bengston

Abbaye d'Eberbach / Photographie de Jim Bengston

Abbaye d'Eberbach / Photographie de Jim Bengston

Pour aller plus loin
- deux articles consacrés dans ce blog à Ingram Marshall : September Canons et Dark Waters.

- Dvd en vente sur bandcamp

Martin Scorsese, Shutter Island et Ingram Marshall.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Publié le 18 Mars 2010

Deuxième partie du diptyque

Deuxième partie du diptyque

   Spyros Polychronopoulos, alias Spyweirdos, livre avec Ten Letters, sorti fin 2009 sur le label grec de musique électronique Creative Space, la deuxième partie du diptyque commencé avec Ten Numbers paru l'année précédente (pochette sur fond blanc). À nouveau, un Dvd accompagne le Cd. Difficile de rendre compte d'une œuvre si évidemment bicéphale. Quand on a vu le travail vidéo d'Aris Michalopoulos, on ne saurait l'oublier, tant il colle à la musique de Spyweirdos, ou plutôt tant il en est l'émanation visuelle adéquate. Spyros déploie une musique électronique au premier abord plus minimale, abstraite que dans ses précédents opus : dépouillement, ascèse de l'ingénieur du son et de l'étudiant en fin de parcours d'étude dans les domaines de l'acoustique et du contrôle du bruit, peut-être, mais surtout création d'un artiste sonore visionnaire. Échantillons de bruits retraités, distordus, comme vaporisés, d'une infime granulométrie, dont on ne sait plus s'ils relèvent de l'élément liquide ou d'un minéralité radieuse, d'une tellurie métallifère aux ramifications en nuages électrisés. Drones onduleux, lames aigües, craquements et vrombissements furtifs, froissements de particules, tout ce monde en suspension est visité par la grâce de clochettes cristallines, de discrètes nappes de claviers, ou soudain traversé de lacérations percussives, de déflagrations erratiques. Le résultat est d'une étrangeté absolue et d'une sidérante beauté...prolongé par les vidéos d'Aris, splendides méditations sur l'impalpable, le lumineux mystère des apparences matérielles. "W", le second titre (les dix lettres sont celles de Spyweirdos dans le désordre), allie une musique qui évoque la respiration d'un scaphandrier, et une ode visuelle à l'ondulation autour d'une figure dont l'aspect n'est pas sans évoquer celui d'une raie nébuleuse, avant que l'on ne se demande si tout ce ballet surréel n'est pas issu d'un visage surgissant en très gros plan, de l'œil rouge aux cils barbelés verts dans lequel nous entrons pour finir.
    "R" est arachnéen, réseau de losanges colorés et de raies concentriques tournantes issu d'une porte envahie par le lierre : musique et image visualisent les rayonnements invisibles émis par la matière ou les êtres. D'autres titres sont ainsi hantés par une présence qui ne se manifeste que par d'infimes vibrations, une image ectoplasmique rendue musicalement par les basses fréquences, tout un jeu de micro-variations. De même que la lumière et la couleur dématérialisent une main vue en très gros plan (Lettre "Y"), la texture sonore ultra fine gazéifie la musique, ce qui, au casque, accroît son caractère enveloppant, troublant. Elle s'insinue en nous, les plans se confondent dans un langoureux chatoiement, une très lente danse abolit les frontières entre l'intérieur et l'extérieur. C'est à partir de cette expérience conjointe de l'image et du son que s'accomplit le paradoxe : l'abstraction la plus poussée produit l'émotion la plus intense. Rarement une œuvre aura eu ce pouvoir d'intéresser en nous le plus intime, comme si elle caressait nos cellules, libérait le chant secret de la matière. La lettre "D", le titre 9, est à cet égard extraordinaire. Drones et sifflements, claquements, en pulsations ralenties, tandis que sur l'écran, les images d'Aris semblent des tests de Rorschach revus par Miro, Max Ernst et le David Lynch d'Eraser head réunis et dépassés dans une incantation voluptueuse à l'unité fondamentale. Le monde n'est que vibrations et lumières, timbres et couleurs qui tissent d'invisibles et mouvantes relations. Un disque somptueux, qui s'installe d'emblée en première place pour la liste des disques de l'année 2009. En l'absence de la vidéo, cela ne change rien !
   Spyweirdo a sorti depuis un autre album, en collaboration avec Floros Floridis, que j'espère présenter bientôt ici.
Paru en 2009 chez Creative Space Records / 10 plages / 54 minutes environ + DVD
Vidéos géniales de :  Aris Michalopoulos
Pour aller plus loin
- Chronique de Wetsound Orchestra, double album paru en 2006 chez Poeta Negra.
- Chronique de Epistrophy at Utopia, avec Floros Floridis et John Mourjopoulos paru en 2008 chez Adnoiseam Records.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 11 Mars 2010

Brain Damage : "Burning Before Sunset", majesté sombre.

   Cinquième album du duo stéphanois, Burning Before Sunset marque un tournant vers un dub ambient sobre et dense, moins démonstratif. L'importante place accordée au poète Black Sifichi, véritable troisième membre de fait, contribue à cette intériorisation de la musique : sa diction grave et envoûtante apporte une solennité impressionnante à l'ensemble. Il y a quelque chose de sépulcral dans cet album hanté, qui s'ouvre sur "There is A Wind", grande draperie dramatique aux claviers scandée par le beat lent et implacable de la percussion et la déclamation sourde de Sifichi, comme une cérémonie d'envoûtement. Du véritable dub gothique, une plongée dans des eaux troubles avec "Ignore", clapotis aquatiques et claviers obstinés pour un crescendo incandescent. "Only Lost In The Sound", fausse déambulation pastorale rythmée par des cloches, prend des tournures de descente aux Enfers, les synthétiseurs se font sirènes cuivrées qui tournoient dans le soir épaissi comme plomb fondu. Sifichi incante "Smoke In Our Minds", dub minimal hypnotique, avant que ne se lèvent les esprits des morts dans "Bull's Ass" traversé de ululements plaintifs, de mugissements.

   "Don't Ask Me Why"est une litanie autour du moi, "I", et de ses métamorphoses : atmosphère grinçante de supplices, sourdine survoltée. Des nappes de synthétiseurs nous apaisent, c'est "Possibility Of Love", cette clameur qui monte, et puis l'attente oppressante, les mots-dits si sombres du récit d'amour, du Iggy Pop étouffé, la plaine dévastée par une mélancolie poignante, oppressée par les nuages lourds. Une harpe surgit sur "Plain White Butterfly", court poème qui s'ouvre sur l'évocation de la mort d'Erik Satie, véritable fenêtre ouverte et si vite refermée, échappée dans la blancheur recherchée par delà le crépuscule enflammé. Cela a suffi pour nous décaler très loin, le paysage s'aère un peu, la harpe s'attarde sur les horizons désolés, se profile au loin "The Tower To Eternity". La voix de Sifichi se dédouble, le dub se fait statique et plus sourd, la harpe voltige encore sur la fin. Retour à l'ampleur splendide du premier titre avec "My Legs, My Arms, My Mind & My Brain", dub baudelairien de l'être brûlé par  ses impasses. Crépitements, cycles cristallins de la harpe (du synthé-harpe) pour "Invisible Click" qui prépare le terrain de "Hope Of Utopia", l'horizon s'éclaire, des enfants s'interpellent, le monde existera encore ?
    Un disque très cohérent, beau parcours qui nous sera peut-être plus intelligible si le disque nous fournit les paroles des poèmes, parfois difficiles à saisir au vol.

Paru en mars 2010 chez Jarring Effects / Discograph /12 titres / 47 minutes.
Pour aller plus loin
- la chronique de Short Cuts, leur album précédent.
- le très beau site perso de Black Sifichi

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 5 Mars 2010

Pierre-Yves Macé : "Passagenweg", la troublante proximité des lointains.
   J'aime assez l'idée de chroniquer le dernier opus de Pierre-Yves Macé un an après sa sortie. Dans ce monde qui court après le temps, Passagenweg est un objet insolite : deux ans de préparation, à travailler une matière sonore ingrate et pourtant fascinante, celle fournie par des échantillons de très vieux 78 tours contemporains des premières techniques d'enregistrement et de diffusion de masse. Pierre-Yves ne prélève à chaque fois que quelques mesures, qu'il entrelace avec d'autres, répète, monte avec un art consumé en un continuum aéré par le délicat fondu-enchaîné sonore, les bruits de l'aiguille du phonographe qui gratte le microsillon, et des sortes de puits temporels, de langoureux vortex d'où les mesures rescapées s'échappent. Inspiré par le Livre des passages du philosophe allemand Walter Benjamin (1892-1940), le disque ne se livre pas à de l'archéologie sonore nostalgique. Prenant acte de la perte de l'aura de l'œuvre - définie comme la "manifestation d'un lointain quelle que soit sa proximité", perte causée par sa reproductibilité technique, Pierre-Yves Macé s'empare des traces en artiste d'aujourd'hui pour les mixer, les triturer, j'ai envie de dire pour leur faire rendre l'âme, en extraire la substantifique moelle dont parle Rabelais. En ce sens, il tente d'exprimer ce que le temps a, non pas effacé, mais dissimulé dans ses plis, en le revivifiant, l'actualisant par le travail de composition le plus exigeant. Le résultat est d'une étrangeté fascinante, car l'auditeur oscille entre les époques, l'hier fragile et émouvant et un aujourd'hui distancié et énigmatique qui en est comme l'émanation fraternelle. Inactualité garantie ! Dès "Angelus novus", le premier titre, l'auditeur plonge dans le premier passage temporel, happé par un univers sonore décalé. Ritournelles mélancoliques, pâte sonore épaisse et tout à la fois évanescente. Une valse secoue la poussière, fantôme extirpé par des granulations spasmodiques, voici "La Comédie des Cachemires", comme si nous étions dans l'un de ces passages commerciaux aux vitrines pleines de nouveautés, mais tout se diffracte, miroir brisé, se recompose pour libérer soudain une énergie insoupçonnée. Toute la ville se met à graviter vertigineusement avant de se dissoudre dans le tremblement des lointains, que ne surgissent d'autres languides tournoiements. Musiques mécaniques, brisées en multiples fragments obsédants, c'est "Der Geistiger Automat" qui n'en finit pas de se dérégler avant une "Première parataxe" qui mouline le passé avec d'horribles triturations, jeu de massacre qui tire à vue sur la nostalgie si facile. Du passé surgit le nouveau, "Il Principe e Il Ranocchio", un conte enchanteur, ensorceleur, parasité par un piano mécanique fou et une bande son proliférante, un des titres inoubliables de l'album. "La Pratique quotidienne de l'Utopie" vient s'intercaler avant la deuxième partie du conte merveilleux, sorte de marche hors du temps dans un laboratoire sonore de pulvérisation des mélodies. Le Prince et la Grenouille reviennent, enveloppés de valses à demi désagrégées, de cloches, comme pour un mariage qu'interrompt brutalement la "Seconde Parataxe". De la recomposition naît alors "Crystal Palace 1", palais des métamorphoses sonores, des monstres, véritable poème électronique "trash", une splendeur qui s'évanouit dans le silence abyssal.

Nous sommes au cœur du labyrinthe, dans la chambre secrète des strates à demi détruites pour un "Nocturnorama" de près de 16 minutes. Plus rien ne peut nous atteindre, une torpeur nous saisit, les veux airs défilent et s'évanouissent, repassent dans une trame distendue ponctuée de quelques notes d'un clavier voilé, étouffé. Le temps s'est arrêté, peut-être, ou ne cesse de revenir dans un éternel retour nietzschéen. Séducteur redoutable, dont les effluves surannés dispensent "Le Sex-Appeal de l'anorganique", pot-pourri d'un absolu mauvais goût, aux relents militaro sentimentaux. "Dialektisches Bild" : « Dans l'image dialectique, l'autrefois d'une période déterminée est en même temps l'autrefois de toujours. » (voir l'illustration ci-dessus). Fin du pittoresque, l'autrefois est un, amalgame de toutes les strates temporelles, tout s'y dépose dans l'indifférenciation : le morceau associe boucles minimalistes des claviers et rythmiques ferroviaires, nuages électroniques en couches sonores à peine ourlées, superbe travail, un autre grand moment de cet album !! "Ultime Parataxe", troisième et dernier des interludes grinçants qui attaquent la nostalgie comme un acide salvateur, débouche sur une "Valse" engrossée par des échantillons qui en font un champ de tir de l'expérimentation sonore. Place au deuxième "Crystal Palace" dont les mille prismes piègent l'autrefois-présent dans un carrousel étourdissant toujours sur le point de se briser. Comment faut-il alors comprendre le "Necessary Angel"qui clôt l'album ? Ange de la tourmente et de l'envol, de la disparition programmée, recouvert d'épaisses couches de particules sonores qui le voilent et l'étouffent...
   Avec ce quatrième album solo, Pierre-Yves Macé s'affirme comme l'un des

musiciens les plus passionnants de notre temps. Il faut mériter ce disque déroutant à première écoute, si attachant ensuite qu'il semble faire partie de nous-mêmes, comme s'il nous avait révélé quelques-uns des secrets du temps. Un disque quasiment initiatique, parce qu'il a l'immense mérite de nous apprendre à écouter dans les interstices, sous la peau craquelée des années. La pochette et le livret si soignés, si éclairants, sont tout à l'honneur du label Brocoli.
Paru en  2009 chez brocoli / 16 plages / Plus de 70 minutes
Pour aller plus loin
- un article antérieur consacré à Circulations, sorti chez Sub Rosa en 2005.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 31 janvier 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques