l'univers des synthetiseurs

Publié le 10 Mai 2025

Roland Schappert - C'ant see the Rebel

   Fondateur du label r-ecords.com en 2022, Roland Schapper développe une musique électronique légère, aérée, mélodieuse. Can't see the Rebel est le troisième disque de la maison.

   Avec le premier titre éponyme, ça commence presque comme du Steve Reich, avec une ligne rapide de grappes de notes, sauf qu'une ligne de basse vient souligner le flux caracolant de notes perlées. Roland Schapper construit une musique d'une vivacité gracieuse, dansante. C'est un rêve bondissant se perdant dans les hauteurs, nullement plombé par le rythme implacable.

"Vibe-Coda", toujours dansant, plonge dans les vibrations, les respirations, les chuintements, comme en apnée au-dessus de massifs rocheux, mais il se reventile en aigus, plane avec des contorsions minimales. "Play Again", avec son piano réverbéré, décrit des arabesques précieuses, puis prend un ton plus grave sur un fond de froissements. La pièce se fracture de micro silences, danse dans le vide,  s'illumine de métallisations lointaines, sculptée avec minutie.

Le puissant "Ehrlicher Mond" (titre 4) pilonne à partir d'une ligne scintillante et cabriolante de synthétiseur : la lune honnête du titre, n'est-ce pas cette irréalité folle qui se saisit de la pièce, musique pour un conte de E.T.A. Hoffmann ? Plus proche de la techno, "Kombipakt" se vaporise en multiples plans froissés, d'une densité rentrée, intériorisée. Il rayonne d'une sourde intensité, d'une royale concision, avec une fin joyeusement déglinguée. "Ehrlicher Mond solo" termine l'album par un festival de jeux sonores synthétiques. La matérialité du son est au cœur de l'écriture : les textures s'épaississent, s'irisent, elles diffusent leurs vibrations dans une joie sans mélange.

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L'air de rien, un disque subtil, sculpté dans une ambiance d'euphorie limpide. De la musique électronique vive, non dénuée d'humour.

Paru en mai 2025 chez r-ecords (Cologne, Allemagne) / 6 plages / 27 minutes

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Publié le 10 Avril 2025

Erik Klinga - Elusive Shimmer

Premier volet d'une trilogie publiée par le label de Stockholm ThanatosisElusive Shimmer est aussi le premier album du compositeur suédois Erik Klinga. Actif dans différents groupes en tant que batteur, il est diplômé en composition électroacoustique et se passionne pour le Buchla 200, le Roland Juno 60 et d'autres synthétiseurs analogiques qui sont au cœur de ce premier album avec un orgue et quelques enregistrements de terrain. Pas de percussion, sauf dans le dernier titre où intervient une grosse caisse...

Erik Klinga par © Moa Gustafsson Sondergaard

Erik Klinga par © Moa Gustafsson Sondergaard

Scintillement insaisissable...

   Les premières mesures m'ont fait penser à Pantha Du Prince ! Le synthétiseur cristallin sonnant comme des clochettes... L'une des traductions françaises du titre de l'album me semble bien rendre compte de l'effet musical recherché. C'est une musique gorgée de lumières, de scintillements, aérienne, légère. Le second titre "Iridescence" confirme cette orientation. Les synthétiseurs font naître des paysages contrastés en perpétuelle métamorphose, impulsent sans le secours d'aucune percussion une rythmique allègre. Les fondus sont parcourus de réfractions multiples, tout glisse dans une euphorie doucement extatique. 

   "Luminous Rays" baigne littéralement dans des rayonnements diaphanes contrastant avec de moelleux bourdons. Erik Klinga joue du Buchla et des autres synthétiseurs en poète attentif à la beauté des arrangements sonores. Les synthétiseurs deviennent des oiseaux au vol harmonieux traversant des nuages éthérés. Les textures aigües en premier ou arrière-plan ont une tendance au carillonnement, à l'étincellement furtif, tant cette musique se tient au bord d'une lumière supérieure, dont elle est informée au point d'en garder un émouvant frémissement, à la fin du très beau "Parallax" par exemple (titre 5), de lui emprunter un courant alternatif, une impulsion sur le magnifique "Rarefaction" où tout se dissout dans le radieux de l'orgue enveloppant.

   La dimension mystique de cette musique éclate dans "Ascension" (titre 7), au début paré d'une lueur archangélique. Les sons synthétiques tenus et glissants s'apparentent à des mantras soutenus par des bourdons parcourus de voix supra-humaines, de miroitements. On monte des marches resplendissantes pour se perdre dans des chatoiements spectraux avant de connaître une aube triomphale, soulignée par l'entrée de la grosse caisse dans la dernière pièce, "Dawn Chorus", grosse caisse dont je me passais fort bien dans les morceaux précédents...

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Un disque éblouissant qui ravira les amateurs du Buchla, et, au-delà, tous ceux qui cherchent un peu de beauté dans ce monde...

Paru fin janvier 2025 chez Thanatosis Produktion (Stockholm, Suède) / 8 plages / 48 minutes environ

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Publié le 4 Avril 2025

Primož Bončina & Phil Maguire - Stone and Worship
Pierre et Adoration !

   Beau titre pour un disque constitué de quatre massives pièces entre quinze et presque vingt-et-une minutes. Le compositeur slovène Primož Bončina manie la guitare électrique en s'intéressant à ses possibilités tonales et spectrales, jouant sur l'amplification et des sons prolongés, dans un esprit inspiré notamment par la musique électronique minimaliste et ses expériences de musique Métal. Phil Maguire, lui, musicien écossais installé à Cork en Irlande, produit de la musique électronique à l'aide de synthétiseurs et d'ordinateurs. Leur intérêt commun pour les musiques à bourdons (drones) débouche sur ce disque enregistré d'abord dans la cave d'un ancien séminaire catholique, lieu propice à la méditation et à tous les phénomènes de halo, de résonance, puis enrichi d'arrangements et des contributions de deux chanteurs sur les deux premiers titres.

Primož Bončina & Phil Maguire

Primož Bončina & Phil Maguire

   Le premier titre "Dolorosa" est marqué par la contribution vocale de Golem mécanique, dont je viens de chroniquer le dernier album Siamo tutti in pericolo. Mille-feuilles de sons tenus et de bourdons, cette pièce plonge l'auditeur dans une atmosphère gothique tout à fait grandiose, illuminante. La(les) voix de Karen Jebane (Golem mécanique) incante(nt) une tapisserie grondante aux dérapages tonals renversants. Lorsque la guitare rentre en jeu, elle enflamme peu à peu cette dernière, soulevée de mouvements intérieurs, et l'incendie couve, l'orage menace, les métaux fondent, des épées flamboyantes et floues zèbrent les ténèbres boursouflées, contrepoint prodigieux à la voix de Karen, d'une pureté hors d'atteinte. "Dolorosa" signe l'émergence d'un hybride farouche de Métal épais, d'électronique bouillonnante pour une messe d'apocalypse.

   "(Vangelis) Acolyte" se tient d'emblée très haut, orgue cristallin et bourdons vrillés, cernés de textures épaisses : la voix de Dylan Desmond (du groupe de Métal doom Bell Witch) démultipliée, vient s'y percher au milieu de nappes de résonances. Les claviers introduisent un élément mélodique parmi ces nuages de sons tenus que la guitare déchire à grandes griffures métalliques. Les fréquences modulées donnent à la pièce une dimension spectrale : les timbres sont brouillés, les sons perçus comme à travers un voile. C'est pourquoi cette musique prend une dimension mystique, favorisée par la résonance religieuse du chant de Dylan que l'on imagine très bien dans de vastes grottes éclairées par des torches fumeuses plongeant la "scène" dans un clair-obscur nébuleux. Quelle cérémonie d'une grandeur funèbre y célèbre-t-on  ? Le titre pourrait nous amener à penser que la pièce est en hommage (indirect) à Vangelis (Evángelos Odysséas Papathanassíou, 1943 - 2022), grand maître des claviers : sous réserve.

  La pièce finale, sur deux pistes pour presque trente-deux minutes, réussit le tour de force d'être à la fois d'une force et d'une épaisseur incroyables, et en même temps d'une tessiture parfois diaphane. Pierre et adoration, pleinement, l'adoration transcendant les matériaux portés à incandescence explosive. Après "Movements in dust" (Mouvements dans la poussière), "Megalithic Fountain" (Fontaine mégalithique) est un déferlement sonore de métal en fusion, la guitare enchâssée dans le magma électronique aux immenses traces rageuses pour une immense explosion au ralenti en boucles lentes de plus en plus lacérées, déchiquetées...

   Rien à vous proposer hélas en illustration sonore : une trop courte vidéo sur une plateforme bien connue. Mais il y a le Bandcamp ci-dessous pour vous immerger...

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Un disque d'une splendeur noire, abyssale et terminale.

Paru en mars 2025 chez Cloudchamber Recordings (?) / 4 plages / 1 heure et 12 minutes environ

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Publié le 17 Mars 2025

Puce Moment - Sans Soleil

  Après notamment Epic Ellipses (mars 2023), le duo Puce Moment, formé par Pénélope Michel, violoncelliste de formation classique, chanteuse et multi-instrumentiste, et l'artiste sonore et plasticien Nicolas Devos, sort un nouvel album vraiment singulier, lié à leur voyage en février 2020 à Tenri, une banlieue de Nara, l'ancienne capitale du Japon. Là, ils ont rencontré la Société de Musique Gagaku, un ensemble qui perpétue les traditions musicales du Gagaku (littéralement Musique élégante), cette musique d'origine chinoise et coréenne jouée à la cour impériale, dont les principales caractéristiques ont été fixées vers le Xe siècle.

   Les enregistrements forment la base de la création musicale et scénique du spectacle Sans soleil, réalisé en collaboration avec la danseuse et chorégraphe Vania Vanneau. Le titre est un hommage au film de Chris Marker sorti en 1983. Le disque, qui s'inscrit aussi dans la lignée des ciné-concerts organisés par le duo,  est la rencontre étonnante entre leurs synthétiseurs analogiques et modulaires, leur thérémine, leurs voix,  et les instruments traditionnels du Gagaku : shô (orgue à bouche), ryûteki (flûte traversière en bambou), hichiriki (court hautbois en bambou), biwa (luth à manche court), sô (harpe à treize cordes), taiko (tambour), skôko (petit gong en bronze frappé avec deux baguettes en corne), kakko (petit tambour). Pour en savoir plus sur les instruments et la musique Gagaku, vous pouvez consulter ce site très bien fait.

Puce Moment - Sans Soleil

   Le premier titre, "Kangen", s'ouvre sur un bourdon tenu de synthétiseur, soudain comme fracassé par les percussions de l'orchestre gagaku. Le choc  est magnifique. Quand les flûtes s'en mêlent, le titre s'envole, et la rythmique sourde du duo accompagne les découpes du gagaku. Une entrée en matière impressionnante et splendide ! Sur "Batu", le titre 2, flûte mystérieuse et synthétiseurs dessinent une constellation mouvante peuplée d'appels, creusée de surgissements rayonnants. Les instruments du gagaku sont traités comme les synthétiseurs, modulés et transmutés, fondus dans une pâte grandiose en fermentation dans un beau crescendo, qui se résorbe en accents de flûtes presque pastoraux. "Haishiri Mai" porte la rencontre à une dimension d'osmose encore supérieure. Les synthétiseurs se déchaînent, orgues de cristal et bouillonnements, le hautbois hante les lointains de ses plaintes sublimes zébrées de rayures synthétiques et le tambour profond précède la rythmique électronique. La pièce prend l'allure d'une marche rituelle, sacrificielle, et dans le brouillard électronique qui l'accompagne on croit entendre des voix, toute une volière éthérée.

   Le quatrième titre, "Shô", paraît plus délibérément grandiose, décollant très vite d'un début méditatif pour devenir cathédralesque (j'assume le néologisme) à souhait, agité d'apparitions sonores, de chiffonnements troubles, de voix. C'est un chaos formidable, l'accouchement farouche d'une fulgurante beauté, terminé par une pluie exténuée. Le découpage implacable des percussions gagaku ouvre "Bugaku" (nom d'une danse traditionnelle japonaise), pièce incantatoire qui fait la part belle aux musiciens japonais tout en montrant l'inventivité du duo : celui-ci greffe sur leur musique à l'élégance raffinée un magma prodigieux hanté par la voix enchâssée de Pénélope Michel. Une danse sans soleil, une danse noire de transe ! Le dernier titre est un épilogue rythmé par le tambour taiko qui lui donne son nom : des sons d'ambiance japonaise sont peu à peu recouverts par un brouillage électronique progressant crescendo avec le tambour, véritable passage au pilon d'une force inexorable...

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Une osmose saisissante et magistrale entre musique traditionnelle japonaise et musique expérimentale électronique.

Paraît le 21 mars 2025 chez Parenthèses Records (Bruxelles, Belgique) / 6 plages / 46 minutes environ

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Publié le 5 Août 2024

Yann Novak - The Voices of Theseus

Brève estivale 3... pour la variation d'un disque paru en juillet 2023, The Voice of Theseus.

   Du singulier on passe au pluriel, car Yann Novak a fait appel à quatre artistes pour ces variations, ces réécritures (je sais, on dit souvent "remix" aujourd'hui...peu m'importe !) : Lawrence English, le grand maître de Room40 en personne, Madeleine Cocolas, FAX et Bana Haffar. Et il a réécrit quatre titres de l'album précédent avec de nouvelles interprétations du chanteur Gabriel Brenner. Au total cinq des huit titres antérieurs sont réécrits (trois deux fois, par lui-même et l'un de ses invités). Histoire de brouiller les identités, de multiplier les voix.

Variations et réécritures transcendantes

Gabriel Brenner donne toute sa mesure dans les quatre variations de ce nouvel album. Nimbée de vagues d'orgue et de bourdons troubles, sa voix reste juchée dans les hauteurs, surplombante et sublime.

Lawrence English signe une version grandiose et mystérieuse de "Seeing Light Without Knowing Darkness", Voir la Lumière sans connaître la Ténèbre, quels mots magnifiques, déjà !

Le mexicain FAX propose un "Patterned Behavior" charpenté, plus contrasté, avec de vives lumières. La saoudienne Banna Haffar donne du même titre une version plus tumultueuse, cathédralesque si j'ose l'écrire, pulsante et déchirée, et là je craque, c'est d'une beauté terrible !!!

Et l'australienne Madelaine Cocolas (écoutez Bodies sorti en avril de cette année) donne de "We Went out, Not with a Whimper, but a Whisper" une version océanique et fougueusement lyrique aux textures foisonnantes..

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Encore une très belle réussite de Yann Novak, qui a su choisir quatre pointures de la musique électronique d'aujourd'hui pour l'accompagner.

De quoi incanter l'été ... et notre mémoire !

Paru fin juillet 2024 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 8 plages / 48 minutes environ

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Publié le 5 Avril 2024

Egil Kalman - Forest of Tines (Egil Kalman plays the Buchla 200)

   Après un premier disque solo consacré au Synthi 100, Egil Kalman, compositeur et bassiste suédois installé à Copenhague, joue du mythique Buchla 200, un synthétiseur des années soixante-dix dont un exemplaire est conservé au Elektronmusikstudion de Stockholm où il était en résidence en 2021. Titré Forest of Tines, c'est un double vinyle longue durée. Les titres ont été enregistrés en direct sans effets ajoutés, le premier disque sec et le second à travers un AKG BX20, système de réverbération à ressorts des années 60 et un système modulaire eurorack (ne m'en demandez pas plus !). Sur le dix-huitième titre la batterie est pré-enregistrée et traitée par le Buchla.

   Prestiges et séductions du Buchla 200

   Le miracle, c'est le Buchla 200, ce son rond, incroyablement doux. Imaginez des perles soyeuses, bondissantes. Un monde sans angle, des enfilades de notes, des croisements. De l'énergie pure, radieuse, débarrassée des affects lourds, dramatiques. Du Vasarely musical, de la géométrie dans l'espace. Rien qui pèse, quel bonheur ! De temps en temps, ce qui ressemble à des sons de terrain, comme le gigantesque ressac au début de "Glint" (titre 2). Mais Egil Kalman en fait un usage modéré : le Buchla se suffit à lui-même, il est un monde à part entière. Les notes glissent dans une concaténation joyeuse sur un tapis de bourdon, s'évaporent...Le Buchla est capable de donner une version savoureuse de titres folkloriques, comme "Blågeten" (titre 3), tout en nappes ouatées, entremêlées, ensorcelantes qui sonnent comme des cornemuses d'une fluidité invraisemblable.

   "Dub One" (titre 5) est d'une légèreté sautillante admirable, aux antipodes de tout un dub bien lourd. Il faudra bien que l'on parle de la grâce de ce synthétiseur, capable de battements liquides extraordinaires. Avec lui, les feuilles d'automne ("Automn Leaves", titre 6) chutent au ralenti dans un frissonnement quasiment mystique, une extase vibrante. "Mbira" (titre 7) est une suite d'éclaboussements, de gloussements, "Springar" (titre 8) un écho de "Blågeten", de la quintessence folklorique sous une forme mouvante et sonnante. Le "Blues" (titre 9) - qui conclut le premier disque, est une incantation minimaliste à base de boucles serrées, vrillées, saturées de particules, et c'est magnifique !

   Le deuxième disque s'ouvre avec "Sync" (titre 10) curieux morceau siffleur, dépouillé, le synthétiseur ramené à une percussion aux sons creux. Au contraire, "7th" procède par nappes veloutées, battements résonnants, agglutination de textures : le Buchla en majesté, d'une tranquillité impériale. Du très beau travail !

   Et la suite me direz-vous ? Elle ne démérite pas. "Subtines" joue des substrats harmoniques, c'est une des pièces les plus mystérieuses, un peu glauque... "Polska" est une autre incursion dans le folklore, une danse à l'effervescence trouble provoquée par le fondu des notes entourées d'un halo prononcé. "Klystron" (titre 14) vibre d'hyperfréquences modulées aux rebonds hypnotiques. Les deux "Electric Music Box" (titres 15 et 16) font penser à des boules se déplaçant sur une roulette avant d'entonner un chant entre ivresse folle et danse de transe. Le Buchla se fait oiseau sur "Entropic", avec gloussements et trilles ! Il avale une batterie sur "Drums" pour une étrange cérémonie en pleine jungle. "From Stone" (titre 19) nous projette sur une planète inconnue, désolée : le moindre son y résonne comme une énigme, semblant sourdre d'une source pétrifiée ! Et l'on retrouve le Buchla séducteur, enveloppant, pour le dernier titre "Ocquet", avec ses tapisseries ondoyantes, ses flûtes agrestes en pelotes vives et ses bourdons tournoyants...

   Une belle traversée des possibilités sonores du Buchla 200, le roi des synthétiseurs modulaires analogiques, suave et mélodieux, jamais agressif. 

Paru en décembre 2024 chez Ideal Recordings (Suède) / 20 plages / 1 heure et sept minutes environ

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Publié le 20 Mars 2024

Andrew Ostler - Dots on a Disk of Snow

   Un bien curieux album que ce Dots on a Disk of Snow, le quatrième pour la maison de disque Expert Sleepers que le multi-instrumentiste et compositeur Andrew Ostler dirige. Imaginez une rencontre entre instruments à vents (trompette, clarinette basse, cor baryton, saxophone ténor), arrangement de cordes et synthétiseurs modulaires. Les cinq pièces ont été construites autour d'improvisations, avec d'autres instruments pour étoffer les harmonies.

   Le premier titre, "Tunes Blown Tremulous in Glass", fait irrésistiblement penser à Arvo Pärt. C'est une sorte de canon perpétuel aux arrangements de cordes en vagues ascendantes successives sur lequel vient se greffer une rythmique synthétique pointilliste, une suite d'élans sublimes vers le Ciel. Quelle superbe composition, au très beau titre, "Airs soufflés tremblants dans le verre" (traduction possible)...

  

   "The Dooms Electric Mocassin" pourra semble en franche rupture avec ce début raffiné. Composition d'abord toute entière en rythmes électroniques minimaux à la limite du glitch, elle laisse peu à peu apparaître un arrière-plan de cordes, puis un solo de trompette vaporeux. Les cordes s'amplifient pour former un écrin mélancolique à la trompette, et c'est une belle et lente dérive, cette fois avec un fond étonnant de glitchs grouillants. La fin est d'une suavité élégiaque magnifique !

    Le plus court titre 3, "Rowing in Eden", avec ses échantillons de cour d'école frémissante de bavardages et cris comme fond premier, est sans doute le ventre mou de l'album, englué dans un chœur de clarinettes un peu sirupeux à mon goût. Oubliez-le !

   "Soudless As Dots on a Disk of Snow" (titre 4) est une variante du premier titre, comme son mouvement lent, cordes aux mouvements étirés, vents mélancoliques à leur tour lancés vers le Ciel en envolées ouatées, puis survient un battement rythmique crescendo qui accompagne plus régulièrement un ample largo d'une grande allure.

   Le dernier titre, "Scarlet Experiment", est une toile mouvante sous la pluie du début, vite sous-tendue par un battement sourd. Les vents grondent et tournent doucement, les cordes les rejoignent à l'arrière-plan, puis la composition se fait plus bondissante, l'électronique très présente. Tout devient comme irréel, diaphane, au milieu de la pièce, avant que cordes et vents ne soient à demi-submergés sous une rythmique énergique, à la pulsation quasi reichienne, hoquetante, avec un ultime retour des cordes en cercles élégiaques, et la pluie battante du début. Un très beau titre !

   Sublime, suave, élégiaque, toujours harmonieux, le disque d'Andrew Ostler est un baume pour oublier les noirceurs du monde.

Paru début décembre 2023 chez Expert Sleepers (Édimbourg, Écosse) / 5 plages / 36 minutes environ

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Publié le 16 Février 2024

Eva Sajanova & Dominik Suchy - Decision Paralysis
Dominik Suchy et Eva Sajanova

Dominik Suchy et Eva Sajanova

Polyphonies vocales et synthétiques

     Deux musiciens slovaques pour une alliance entre chant et synthétiseurs. Eva Sajanova chante dans sa langue et non dans un anglais international informe et consternant. On n'y comprend rien, mais que nous importe ! Bien des musiques médiévales sont à base de sons et non de mots. Accompagnée de Dominik Suchy aux synthétiseurs, elle nous enchante de sa voix souple, un peu rauque, entre murmures et envolées. Les synthétiseurs tremblent, l'entourent d'une aura trouble. Elle, sa voix se dédouble, se démultiplie en polyphonies texturées, incantatoires, comme dans le magnifique premier titre, "Karamel". La musique du duo est d'un lyrisme exacerbé, porteuse d'émotions fortes.

   Au pays d'Onirie, les voix sont folles, aériennes, caressantes. Les mélodies tournent comme dans les manèges, jusqu'à l'étourdissement ("NeTitulovana", titre 4). "Hmota bez dôkazov" (Affaire sans preuve", titre 5, le plus long de l'album avec plus de huit minutes), pourrait être la confession d'une sorcière.  Entourée de drones tournoyants, de volutes synthétiques colorées, la voix claque des dents (si j'ose dire !), se fait déchirante, déchirée, venue de l'intérieur, renversée. Elle va envoûter ses juges, comme dans le poème d'Apollinaire La Loreley, c'est sûr !

Mais qui sont ces sirènes ?

 

    L'un des titres les plus courts, "V Dolanova mysti" (le 6), laisse libre cours aux vocalises d'Eva, dans un jaillissement merveilleux, comme une fontaine de vie. Comment y résister ? On pense à Björk, à d'autres enchanteresses. Dominik Suchy la sert, la serre dans ses boucles hypnotiques, souvent saccadées, brillantes, facettes d'un écrin vif pour les vaticinations d'une voix...

Un bel album tumultueux au service d'une voix charmante (au sens fort du terme !).

La Louve et l'Agneau ? Eva et Dominik ?

La Louve et l'Agneau ? Eva et Dominik ?

Paru en décembre 2023 chez Weltschmerzen (Bratislava, Slovaquie) / 8 plages / 29 minutes environ

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