Publié le 24 Mai 2020
(Remise en page et illustration sonore de cet article - non retouché par ailleurs - du 2 avril 2007 effectuée le 22 mai 2020 )
Graham Fitkin, pour moi, c'était devenu au fil des années surtout Slow, un morceau de plus de vingt minutes qu'un ami m'avait enregistré sur une cassette. Le disque n'était déjà plus disponible. Je l'avais laissé passer, on ne saurait tout acheter, n'est-ce pas ? Je ne pouvais écouter l'enregistrement que sur un appareil radio-cassette dans la cuisine. J'écoutais Slow en faisant des tartes, en épluchant des légumes, et chaque fois la magie opérait, même avec ce son de piètre qualité. Le temps se dilatait, j'aurais pu cuisiner des heures : pâte à tarte et pâte sonore, en somme, faisaient bon ménage. L'énergie vibrante et mystérieuse de cette musique, je suis sûr qu'on la retrouvait dans les plats qui sortaient alors de mes mains. D'autres musiques sont venues me distraire, m'incanter. Je n'ai jamais oublié Slow. Depuis quelques jours, je l'ai même retrouvé, le CD avec son livret, par internet. L'évidence s'est imposée : je devais consacrer au moins un article à Graham, dont j'ai aussi retrouvé la trace. Car sa musique, après la suppression du label Argo, chez Decca, avait disparu des bacs. Je le croyais en panne d'inspiration. Sont rassemblés ici des extraits de trois des quatre disques publiés chez Argo dans les années 1990.
Graham Fitkin : Aract / Fervent (pistes 1 et 2, 17' 43)
extraits de Hard Fairy (Argo, 1994) Graham en duo de pianos avec Eleanor Alberga sur "Aract", puis seul sur "Fervent". Fougue et intériorité, exubérance et mélancolie alternent selon la manière caractéristique de ce compositeur britannique né en 1963 , qui a travaillé aux côtés de Louis Andriessen aux Pays-Bas entre 1984 et 1986 avant de fonder à son retour en Angleterre le Nanquidno Group, ensemble qui réunissait quatre pianistes sur deux pianos. La formation fut dissoute en 1990, mais Graham a beaucoup écrit pour un ou plusieurs pianos. Plutôt constructiviste que coloriste, il aime le piano pour sa neutralité. S'il utilise parfois des structures répétitives ou des processus, l'étiquette de minimaliste ne lui convient guère. Il joue de motifs brefs et contrastés qu'il juxtapose dans des structures élaborées : les pièces courtes peuvent évoquer Erik Satie ou Federico Mompou, hors du temps, tandis que les œuvres longues n'appartiennent qu'à lui.
Ci-dessous "Fervent", la version du disque, avec une autre pochette.
Slow (p.3, 24' 51), extrait de Slow, Huoah, Frame (Argo, 1992)
Une constante tension née de la juxtaposition méthodique de nappes d'orgue extatiques, de brisures nerveuses des cordes, et d'une ligne de violoncelle au lyrisme ensorcelant fait de "Slow" une œuvre inoubliable. Aujourd'hui encore, et je troquerais toutes les Neon Bible du moment pour emporter Graham sur une île déserte !
Log (p.1, 17' 24) de repos élégiaques. D'une beauté frénétique et vivifiante !!
extrait de Log, Line, Loud (Argo, 1992), est un bel exemple du style Fitkin. Œuvre pour six pianos interprétée par le Piano Circus, formation créée en 1989 pour exécuter Six Pianos de Steve Reich, "Log" enchevêtre de nombreux motifs en une structure au dynamisme incroyable troué çà et là.