Publié le 27 Septembre 2007

Naïal / Philip Glass / Dominic Frasca : Les lucioles noires dansent dans les déviations sonores Naïal / Philip Glass / Dominic Frasca : Les lucioles noires dansent dans les déviations sonores
Une découverte, Naïal, et une redécouverte, Philip Glass interprété magistralement par Steffen Schleiermacher à l'orgue et Dominique Frasca à la guitare.
Le 5 septembre, je reçois un courriel de Stéphane Mauchand, qui vient de découvrir ce blog et me signale que la musique qu'il élabore avec Sedryk pourrait m'intéresser, m'indiquant l'adresse de leur site, que je visite derechef. Et c'est le coup de coeur, je commande leur disque, et le voilà en bonne place. Une belle histoire, non ? Leur duo s'appelle Naïal. Stéphane joue des cornemuses du Centre de la France, mais aussi de la clarinette diatonique, et chante sur deux titres de leur album, Lucioles Noires, lentement mûri en studio, superbement conçu et auto-produit en série limitée (vente par correspondance sur leur site, il en reste !). Sedryk, lui, apporte ses traitements sonores, ses échantillons et sa programmation, ponctuellement sa voix. Le résultat, c'est un disque d'une liberté réjouissante qui, sans renier les racines de la cornemuse, présentes à travers des mélodies traditionnelles retravaillées et un échantillon de collectage (utilisé avec humour), l'installe dans notre époque, lui restitue son incroyable saveur, son grain, et son intemporalité. L'électronique ne l'étouffe pas, lui offre plutôt un écrin, un prolongement sensible. Vielle à roue, guitare électrique et piano diversifient la palette instrumentale et coexistent avec les boucles, les é
chos, les ralentis, les superpositions, les sons sculptés par ordinateur. Une touche de rock sur "Omega", inspiré par Marylin Manson, des morceaux plus expérimentaux, et une filiation évidente avec la musique répétitive font de Lucioles noires un concentré des musiques les plus passionnantes d'aujourd'hui. Le premier titre, "Peunegr", commence comme du Ingram Marshall (cf. article du 25 avril 07) avec des appels répétés de la cornemuse qui fait alors songer aux cornes de brume qu'affectionnent le compositeur américain, continue comme les meilleures compositions électro avec une polyrythmie puissante et heurtée associée à la cornemuse démultipliée : entrée fascinante dans le monde de Naïal, dont ils rendent compte fort bien sur leur site, un modèle de clarté. Le titre quatre, "Voies contigües", inspiré par l'écoute des compositeurs minimalistes, est une splendeur qui me sert de transition pour en venir à Philip Glass.
Naïal / Philip Glass / Dominic Frasca : Les lucioles noires dansent dans les déviations sonores
Naïal / Philip Glass / Dominic Frasca : Les lucioles noires dansent dans les déviations sonores

   Sans doute le plus populaire des compositeurs minimalistes, mais aussi le plus mal compris, voire le plus dénigré, Philip Glass m'a souvent agacé après m'avoir séduit. Sa déconcertante capacité à recycler ses idées fait qu'on reconnaît du Glass aux premières mesures, et qu'on peut finir par avoir l'impression d'écouter toujours le même morceau, habillé différemment. On l'accuse alors de céder à la facilité, source de sa production discographique prolifique, pire, à une pente commerciale fâcheuse. Qu'il y ait chez lui un certain opportunisme, c'est possible ; une manière d'occuper le terrain, comme en témoignent également ses nombreuses musiques de film...Philip Glass nous envahit jusqu'à nous dégoûter, je ne le nie pas, j'ai connu cette nausée devant une musique doucereuse au charme insidieux. Force est pourtant de reconnaître qu'il reste un des compositeurs majeurs de ce temps, comme en témoignent notamment les deux disques réunis ici. A côté de sa musique orchestrale, symphonique surtout, parfois grandiloquente et faiblarde- j'en excepterais son sublime concerto pour violon, un des plus beaux du vingtième siècle finissant, il y a les quatuors à cordes à l'écriture dense, les oeuvres pour piano et pour orgue, qui, toutes, révèlent un compositeur obstiné d'une extraordinaire finesse si on fait vraiment l'effort de l'écouter. Car la musique répétitive, -qu'il incarne par excellence, préférant ce terme de "répétitif" à celui de "minimaliste", demande beaucoup à l'auditeur, qui ne doit pas s'en tenir à l'apparence. Comme dans l'art islamique, que le compositeur a découvert pendant ses voyages et séjours au Maroc, ou comme dans le tissage des tapis, il faut se perdre dans les motifs répétés pour en goûter les subtiles transformations. La musique répétitive est baroque en ce sens qu'elle joue du trompe-l'oeil pour entraîner l'auditeur sous la surface dans ses eaux profondes en perpétuel mouvement. Ses figures d'élection sont d'ailleurs la boucle, la spirale, les constructions en miroir qui démultiplient les perspectives, creusent l'espace sonore jusqu'au vertige. Ecoutez Steffen Schleiermacher interpréter les dances pour orgue solo, composées pour des chorégraphies de Lucinda Childs, et vous oublierez l'image du compositeur facile et mièvre. De facture puissante, elles sont d'une impeccable rigueur. Pianiste, organiste et compositeur, cet allemand de Leipzig est l'un des défricheurs les plus audacieux du champ contemporain. J'ai déjà ici présenté ses interprétations inspirées des "Keyboard studies" de Terry Riley. Il a par ailleurs notamment à son actif deux intégrales pour piano, celles des œuvres d'Erik Satie et de John Cage (également celles pour piano préparé).

   Hélas, je ne peux vous le proposer en écoute. Voici une version de la danse n°2 interprétée par Michael Riesman à l'orgue.

 

Naïal / Philip Glass / Dominic Frasca : Les lucioles noires dansent dans les déviations sonores

Philip Glass, se rassureront certains, ne cède pas aux sirènes de l'électronique ou de l'informatique. Il reste un compositeur attaché aux instruments, à leurs sonorités acoustiques, d'où sa réappropriation par des instrumentistes nombreux. Le guitariste virtuose Dominic Frasca (morceaux à écouter sur son site), interprète de "Electric guitar phase" de Steve Reich publié en 2001, a sorti fin 2005 chez Cantaloupe un disque sidérant de guitare solo sur lequel on trouve une des pièces les plus abouties, radicales, de Philip Glass, "Two pages". Comme pour le disque de Schleiermacher, aucun traitement, l'instrumentiste en direct, ici avec une guitare six ou dix cordes, c'est tout. On n'y croit d'abord pas, on se dit qu'il doit y avoir des pistes préenregistrées, quelque chose qui expliquerait ce qu'on entend. "Two pages" est d'une écriture musicale d'une absolue rigueur, d'une densité implacable et lumineuse, une véritable descente dans le maelstrom menée par un guitariste inventeur d'une guitare sans pareille (une guitare classique avec un manche de guitare électrique et un système permettant un jeu percussif). "Guitar hero 2005" à juste titre !

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )  
 

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Rédigé par dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales

Publié le 20 Septembre 2007

De Odd Nosdam à Duane Pitre : Aux portes d'une nouvelle perception ?
   La notion de genre musical, de catégorie, est aujourd'hui en crise. Toutes les hybridations sont possibles, les frontières se déplacent. Une étiquette, aussitôt posée, paraît réductrice, étouffante. On peut bien sûr tenter d'y échapper, en essayant par exemple la notion de "musiques expérimentales" pour présenter toute musique un tant />soit peu novatrice. Même Steve Reich (ou des amis ) recourt à cette formule pour présenter sa musique à un large public sur une plate-forme bien connue des musiciens. J'inaugure la catégorie "Musiques électroniques etc.." pour englober des œuvres qui vont de la musique électronique pure à "l'ambiante", que je désigne sans crainte comme "musique d'ambiance", en référence à Brian Eno, et qui recouvre en partie l'ancienne rubrique de "musiques planantes", mais aussi à la musique industrielle ou à l'expérimentale, l'abstraite, la conceptuelle.
ODD NOSDAM : hybridations sauvages !
Pour commencer, un groupe californien, Odd Nosdam, typique des hybridations sauvages dont je parlais ci-dessus. Mélodies cycliques entrecoupées d'effets bruitistes, envahies de grésillements, voix chuchotées ou délicieusement détournées d'un contexte pop ou folk, tout cela produit un album d'abord déroutant, vite attachant par son abstraction lyrique, sa densité sereine, et un réel sens de l'espace sonore. L'électronique, loin de désincarner la musique, lui donne au contraire du grain, plus de profondeur et de mystère.

   Je suis plus perplexe avec le disque suivant, le dernier d'un des groupes phares de la musique industrielle, Einstürzende Neubauten, groupe qui compte à son actif de nombreux albums depuis le début des années 80. N'ayant pas le visuel de la pochette à vous proposer, je place ci-contre une très belle vue de ruine industrielle trouvée sur l'un de leurs sites. Ne connaissant guère le groupe que de réputation, je m'attendais à une musique plus bruyante, violente, saturée. L'album est relativement apaisé (tout est relatif...), souvent poussif et bien peu créatif. Je propose toutefois deux titres très réussis, où le texte tient une place prépondérante : deux poèmes dits avec une très grande intensité, et ça fait plaisir d'entendre de l'allemand si bien porté, si bien sonnant. Le premier titre, "Die Wellen", qui ouvre d'ailleurs l'album, est construit sur un crescendo implacable, la voix étant relayée par des percussions métalliques impressionnantes. Malheureusement, après ce morceau si beau dans son dépouillement, et à l'exception de "Unvollständigkeit", de la même veine que j'oserais dire slammante ou  quasi rappeuse, que de titres convenus...

     Retour sur Eluvium, avec trois extraits de l'album "Copia", présenté dans l'article précédent : drones électroniques, cordes, cuivres, orgue, et un peu de piano pour des titres à l'envoûtante et simple beauté, dans la lignée de Stars of the Lid, en plus mélodieux, ou de Tim Hecker, les saturations en moins.

   La fin du programme est consacrée à Duane Pitre et son Pilotram Ensemble. Compositeur, improvisateur, Duane Pitre circule entre Brooklyn et San Diego. Influencé par La Mounte Young, Terry Riley et Steve Reich, il propose des compositions abstraites alliant drones atmosphériques et structures minimales et s'intéresse aux problèmes de la microtonalité, de l'intonation juste. La couverture de Organized pitches occurring in time donne une excellente idée de cette musique qui se veut comme un corps, un organisme dont les différents instruments seraient les organes ou les membres. Ainsi, dans le morceau diffusé, l'orgue à pompe serait le système circulatoire, la clarinette basse les muscles, les guitares la chair, les sons d'origine électriques le système nerveux, l'alto la peau, les violons les mèches de cheveux, le violoncelle et les saxophones les organes internes. Quant à l'auditeur, pour boucler l'analogie, ce serait les yeux, des yeux qui regardent dans le corps de la musique, qui perçoivent la composition différemment pour chacun d'entre nous. Discipline, liberté et variation sont les principes conducteurs de cette musique fascinante, à écouter dans le noir ou la pénombre pour en savourer le continuum chatoyant, le lent déploiement des sons courbes sur le lit mouvant des drones telluriques. L'œuvre majeure de ce programme !

(Remise en page + illustrations visuelles et sonores de cet article en date du 21 juin 2020)

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Rédigé par dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 13 Septembre 2007

  
Phelan Sheppard - Harps old master

Graham Fitkin et Ruth Wall (voir article précédent) ouvrent cette programmation. Harpe, claviers et sons électroniques, qui laissent ensuite la place à trois extraits d'un disque sorti voici quelques mois, dont le titre mentionne la harpe, le Harps old master de Phelan Sheppard, présenté dans l'article du 15 mars de cette année et qu'il me faut corriger. Car de harpes, point en vérité dans ce superbe album ! Les guitares ou les claviers en donnent l'illusion, aussi l'instrument n'est-il pas mentionné en dehors du titre. Peu importe, puisqu'il nous transporte, délicatement arachnéen, enchanteur, entre celtitude et sensualité hispanique...Je marche sur les eaux de cette magnifique pochette.

   Le voyage musical continue avec Shantel, DJ dont la famille maternelle est originaire de Bucovine, région partagée ent
re la Roumanie  et l'Ukraine. Installé en Allemagne, il propose une musique festive, pétulante, colorée, alliant un style disco-électro très libre et un répertoire balkanique : on y chante en roumain, en serbe, en turc et en grec. Le tout fait penser à Goran Bregovic et ses  musiques endiablées, composante essentielle de certains films d'Emir Kusturica.                                                                                                 

Shantel : Disco-électro balkanique !
Shantel - Disko Partizani

Une belle photo  pour un disque à réveiller les morts !
    Après les embardées de Shantel, la musique d'Eluvium, groupe qui vient de sortir son quatrième album, Copia, pourrait sembler morne, guindée. Très néo-classique, volontiers sombre, voire funèbre, elle associe nappes électroniques et amples vagues de cordes, cuivres, avec parfois le piano qui vient par devant imposer des lignes mélodiques simples, un peu répétitives, ce qui n'est pas sans évoquer le compositeur belge Wim Mertens, surtout dans le quatrième titre, "Prelude for time feelers" -titre en partie repris pour cet article vous l'aurez remarqué..., et dans le sixième, "Radio ballet". Philip Glass n'est pas très loin non plus. Ce calme intense n'est pourtant pas de la froideur, plutôt de la retenue, du détachement, loin de la frénésie du monde, pas si loin que cela des explosions dans le ciel, puisque
le groupe a assuré la première partie des texans Explosions in the sky, groupe de rock progressif.

Eluvium - Copia
Eluvium - Copia

   Encore une pochette très réussie : sur une terre grasse en limaces, un terreau d'abondance (signification du latin "copia"), d'éluvions nettement féminines (?), une sorte d'ermite itinérant filiforme contemple le ciel couleur d'orange et de sang, un ciel d'apocalypse sereine. Il est là pour toujours, indifférent et concentré à la fois, appuyé sur son bâton.
 

(Remise en page + illustrations visuelles et sonores de cet article en date du 20 juin 2020)                                

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Rédigé par dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges

Publié le 7 Septembre 2007

Graham Fitkin / Ruth Wall : une cure de Jouvence pour la harpe !
   Le dernier disque de Graham Fitkin, l'un de mes compositeurs de référence, est sorti en juillet. Disons tout de suite que je suis un peu partagé, perplexe, et embarrassé de chroniquer un disque auquel je n'adhère pas totalement. Ce blog sélectionne en principe mes coups de cœur, alors ? Je crains d'être injuste, de n'avoir pas écouté le disque suffisamment. En même temps, sacraliser un artiste, c'est parfois nier son humanité, c'est-à-dire ses irrégularités, ses baisses de tension créatrice, ses erreurs. Les meilleurs ont leurs faiblesses. Ces évidences rappelées, rassurez-vous, ce ne sera pas un éreintement, je me lance...
  
Ruth Wall et ses harpes
Ruth Wall et ses harpes
Graham Fitkin poursuit sa collaboration avec Ruth Wall, qui l'accompagnait aux claviers sur Kaplan, sorti en 2003. Cette fois, Ruth joue de la harpe, de trois harpes différentes, une irlandaise, une écossaise, et une troisième aux sonorités éclatantes, conjuguant en somme tradition et modernité. Les parties de harpe sont dans l'ensemble superbes. Graham l'environne de ses claviers, de ses sons pré-enregistrés et de manipulations électroniques  (le duo tourne actuellement dans le Royaume-Uni, et c'est alors sur scène que Graham utilise ses machines). Les compositions sont vives, brillantes, voire virtuoses. On retrouve le puissant dynamisme qui anime les œuvres du britannique, son constructivisme qui élabore des structures enchevêtrées en perpétuel mouvement, son sens des ruptures saisissantes. L'ensemble est lumineux, agrémenté de quelques passages plus élégiaques,  et défie les catégories : est-ce encore du classique contemporain ? Plus vraiment, quoique diront certains, qu'on songe à Philip Glass ou Mickaël Nyman, chantres d'une musique contemporaine accessible... La harpe s'intègre à son environnement synthétique, électronique, créant des ambiances à la Brian Eno. Alors, me direz-vous, où sont les réserves ? J'y viens. A côté d'indéniables réussites, comme le premier titre "Snow clamp", qui pourrait être un tube dans le meilleur sens du terme, ou encore l'admirable début du quatrième, "Battery people", et presque toute la fin de l'album, très tenue, deux plages détonnent par leur facilité, leur tape-à-l'oreille, "Constant shame", qui porte bien son titre hélas, morceau "dance" racoleur, et "Close hold", de la même veine. Les titres deux et quatre, bien commencés, deviennent presque mièvres, envahis par des nappes de claviers faciles. Bien sûr, globalement le disque passe, séduit et ravira les adeptes du casque. Je l'écoute encore en ce moment avec plaisir, et que souhaiter de plus ? L'immense Brian Eno est aussi mièvre à ses heures. Et voici une "music for film" colorée, qui s'impose avec brio, sans prétention, sans rien qui pèse...Il reste que j'attendais davantage de Graham Fitkin. C'est peut-être ce qui me rend en effet injuste. Il me semble en tout état de cause que ses œuvres pour piano et ensembles de musique de chambre sont plus originales ( voir mon article d'avril 2007), et je suis de ceux qui voudraient l'entendre à nouveau sur ce terrain, où il a plus et mieux à dire. Au piano, Graham ! Et fait appel aux meilleurs quatuors à cordes..., en intégrant ta sirène harpiste !?
 
Graham Fitkin et Ruth Wall sur le vif
Graham Fitkin et Ruth Wall sur le vif

  Les voici en séance d'enregistrement et sur scène. Je crois qu'il faudrait les voir en concert : à quand une tournée en France ? Merci en tous les cas de contribuer à sortir la harpe de son ghetto folklorique.
Le site de Ruth Wall, la belle harpiste, est très bien fait.

Six titres en écoute ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paru en 2007 chez GFR / 10 plages / 54 minutes environ

(Remise en page et illustrations visuelles et sonores de cet article en date du 20 juin 2020)
 

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Rédigé par dionys

Publié dans #Graham Fitkin