Publié le 15 Avril 2025
J'écoute en boucle depuis hier le dernier disque de la chanteuse, poétesse et compositrice Cleo T. Il ne sera pas question ici du livre et des poèmes publiés conjointement. La musicienne a collaboré avec John Parish (PJ Harvey), Robert Wyatt ou encore Alex Somers (Sigur Rós). Elle participe aussi à des projets de musique contemporaine, théâtraux ou cinématographiques. Contrairement à ses albums précédents, elle ne chante pas, vocalise sur une trame musicale de cinquante-cinq minutes environ. Avec piano amplifié comme une guitare de pop rêveuse, thérémine et voix, la musique n'est pas sans évoquer les compositions de Harold Budd (1936 - 2020) : une ambiante éthérée, aux amples développements flottants.
Les titres poétiques suggèrent des mots que la musique fait entendre grâce à des paysages sonores baignant dans un halo tremblant de réverbérations. Quelques chants d'oiseaux et comptines enfantines ponctuent brièvement des compositions d'inspiration minimalistes aux boucles charmeuses. Cette musique est lumière, élan, joie, légèreté, loin des notes d'intention "engagées" ou théoriques. Elle foisonne, bourgeonne, « des fleurs plein les veines » (titre 4), une voix masculine accompagnant pour une fois celle de Cléo, c'est la musique des merveilleux nuages du poème de Baudelaire, une musique pour se perdre dans la forêt profonde des rêves, comme le souligne le titre de l'album. Le titre 5 éponyme est une marche extatique au milieu de voix diaphanes, de gazouillis, du fin tintement du thérémine, de pleurs peut-être, et la voix de soprano soulève cette progression majestueuse, appuyée sur un ample bourdon. C'est une musique en état de grâce, d'une beauté miraculeuse, à tomber à genoux... [ Je préfère la version longue du disque, presque huit minutes, à l'essentiel edit des plates-formes réduit à un peu plus de trois ! ]
Toute la suite a un parfum rimbaldien. Le titre VII "Qu'as-tu vu ?" n'évoque-t-il pas l'expérience d'un Voyant qui "ensauvage (son) cœur" (VIII) ? Le monde vibre, le piano se fraie un chemin dans un dédale répétitif d'une sublime mélancolie et l'orage monte, la pluie mouille la forêt. "Soudain le ciel" (titre 9) caractérise une vision. Tout s'assombrit, le piano devient grave. Ce titre splendidement buddien n'est qu'un frémissement de piano et de voix, la montée au firmament d'une musique vaporisée. Alors "L'obscurité a disparu" (X), « et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit » écrivait le jeune Arthur dans Aube...
« J’avancerai en rêve
Vers tout ce que je suis.
Tout ce que j’ai été.
Et des fleurs
Plein les veines
Mon corps fait continent. »
écrit Cléo T.
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Une musique d'un lyrisme limpide et doucement enivrant. Une source vive de bonheur !
Nota : les titres en rouge sont des extraits du poème Barbare extrait des Illuminations d'Arthur Rimbaud,
Paru le 10 avril 2025 chez Moonflowers (en Charente, France) / 10 plages / 55 minutes environ. La musique est aussi accessible avec un QR code se trouvant dans le livre carnet qui retrace un processus de création pluriel : composition musicale et poétique, et performance scénique aux Éditions de l'Entrevers
Pour aller plus loin
- sur le site de Moonflowers