le piano sans peur

Publié le 15 Avril 2025

Cléo T. - Des Forêts et des Rêves

   J'écoute en boucle depuis hier le dernier disque de la chanteuse, poétesse et compositrice Cleo T. Il ne sera pas question ici du livre et des poèmes  publiés conjointement. La musicienne a collaboré avec John Parish (PJ Harvey), Robert Wyatt ou encore Alex Somers (Sigur Rós). Elle participe aussi à des projets de musique contemporaine, théâtraux ou cinématographiques. Contrairement à ses albums précédents, elle ne chante pas, vocalise sur une trame musicale de cinquante-cinq minutes environ. Avec piano amplifié comme une guitare de pop rêveuse, thérémine et voix, la musique n'est pas sans évoquer les compositions de Harold Budd (1936 - 2020) : une ambiante éthérée, aux amples développements flottants.

Cléo T. par © Yuta Arima

Cléo T. par © Yuta Arima

« Et là, les formes, les sueurs,
les chevelures et les yeux, flottant. »

Les titres poétiques suggèrent des mots que la musique fait entendre grâce à des paysages sonores baignant dans un halo tremblant de réverbérations. Quelques chants d'oiseaux et comptines enfantines ponctuent brièvement des compositions d'inspiration minimalistes aux boucles charmeuses. Cette musique est lumière, élan, joie, légèreté, loin des notes d'intention "engagées"  ou théoriques. Elle foisonne, bourgeonne, « des fleurs plein les veines » (titre 4), une voix masculine accompagnant pour une fois celle de Cléo, c'est la musique des merveilleux nuages du poème de Baudelaire, une musique pour se perdre dans la forêt profonde des rêves, comme le souligne le titre de l'album. Le titre 5 éponyme est une marche extatique au milieu de voix diaphanes, de gazouillis, du fin tintement du thérémine, de pleurs peut-être, et la voix de soprano soulève cette progression majestueuse, appuyée sur un ample bourdon. C'est une musique en état de grâce, d'une beauté miraculeuse, à tomber à genoux... [ Je préfère la version longue du disque, presque huit minutes, à l'essentiel edit des plates-formes réduit à un peu plus de trois ! ]

« O douceurs, ô monde, ô musique ! »  

Toute la suite a un parfum rimbaldien. Le titre VII "Qu'as-tu vu ?" n'évoque-t-il pas l'expérience d'un Voyant qui "ensauvage (son) cœur" (VIII) ? Le monde vibre, le piano se fraie un chemin dans un dédale répétitif d'une sublime mélancolie et l'orage monte, la pluie mouille la forêt.  "Soudain le ciel" (titre 9) caractérise une vision. Tout s'assombrit, le piano devient grave. Ce titre splendidement buddien n'est qu'un frémissement de piano et de voix, la montée au firmament d'une musique vaporisée. Alors "L'obscurité a disparu" (X), « et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit » écrivait le jeune Arthur dans Aube...

« J’avancerai en rêve

Vers tout ce que je suis.

Tout ce que j’ai été.

Et des fleurs

Plein les veines

Mon corps fait continent. »

écrit Cléo T.

 

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Une musique d'un lyrisme limpide et doucement enivrant. Une source vive de bonheur !

Nota : les titres en rouge sont des extraits du poème Barbare extrait des Illuminations d'Arthur Rimbaud, 

 

Paru le 10 avril 2025 chez Moonflowers (en Charente, France) / 10 plages / 55 minutes environ. La musique est aussi accessible avec un QR code se trouvant dans le livre carnet qui retrace un processus de création pluriel : composition musicale et poétique, et performance scénique aux Éditions de l'Entrevers

Pour aller plus loin

- sur le site de Moonflowers

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Publié le 10 Mars 2025

Mystery Sonata - Aequora

   Mystery Sonata est le nom pris par le duo composé de la pianiste serbo-américaine Mina Gajić et du violoniste américain Zachary Carrettin. Le nom de leur collaboration musicale est probablement un hommage au compositeur austro-tchèque Heinrich Ignaz Franz Biber ( 1644 - 1704) et à ses fameuses Sonates du rosaire, dites aussi Sonates du Mystère. Les deux instrumentistes ont chacun leur brillant parcours, mais il ont déjà enregistré ensemble, notamment les Sonatines de Franz Schubert sur instruments historiques sur le même label Sono Luminus. Après Bach Uncaged sorti en avril 2024, Bach et John Cage côte à côte, pour violon électrique et piano préparé, leur nouveau disque, le premier sous le nom Mystery Sonata, se tourne cette fois vers la musique contemporaine islandaise avec quatre compositeurs nés à la fin des années soixante-dix, deux femmes et deux hommes. Les deux musiciens se sont rendus en Islande pour découvrir des paysages et rencontrer plusieurs compositeurs importants, qui ont parfois modifié leurs pièces pour les adapter au duo.

   C'est le cas de la première pièce éponyme "Aequora", à l'origine pour piano à queue et électronique. La compositrice María Huld Markan Sigfúsdóttir a jouté la partie pour piano. L'électronique tisse une atmosphère mystérieuse sur laquelle piano et violon évoluent en gestes lents. Le piano, en partie préparé, soutient calmement le violon frémissant, comme si, sur une mer calme, égale, volait en mouvements ralentis un oiseau ivre de lumière. Une composition magique, au bord d'une douceur ineffable...

    Les titres six et sept qui terminent l'album sont de la même compositrice. Re/fractions I et II sont nés d'une commande du Boulder Bach Festival (Boulder, Colorado), dont le directeur musical est Zachary Carrettin, et du duo. Sigfúsdóttir précise : « La terminologie du mot réfraction est : la courbure de la lumière lorsqu’elle passe d’une substance transparente à une autre. Cette courbure de la lumière par réfraction nous permet d’avoir des lentilles, des loupes, des prismes et des arcs-en-ciel. La pièce est vaguement divisée en deux parties, les fractions 1 et 2, mais constitue en même temps un arc musical complet. » La pièce est contemplative, refuse  « d'ajouter du bruit à un monde déjà bruyant » comme le souligne Maria. On se laisse porter par et sur le chant pur du violon, on écoute la respiration des deux instruments, leur avancée. Leurs illuminations dans la seconde partie nous transportent avant de nous laisser sur le rivage délicatement ourlé du Silence.

   "First Escape" pour violon solo, le titre 2, est une pièce assez virtuose de Daníel Bjarnason, qui s'élance à plusieurs reprises comme si elle voulait s'échapper, comme semble l'indiquer son titre, et retombe brièvement dans un état mélancolique entre chaque tentative.

   La composition suivante, en deux parties, prend une résonance particulière pour nous français, puisque "Notre Dame" a été composée en 2021 suite à l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2019, choc profond pour tout l'Occident. D'abord écrite pour harpe et violon, elle a été remaniée par son compositeur Páll Ragnar Pálsson pour le duo, la partie de harpe revue pour le piano. Le compositeur ajoute à son sujet : « La majorité de mes œuvres sont basées sur les gammes harmoniques des instruments que j'utilise. Combinées, elles créent un ensemble de notes qui a été mon domaine d'origine dans tout ce que j'ai composé au cours des dernières années. Pour moi, il y a quelque chose de divin, comme une certaine connexion à la toute-puissance, à travers les harmoniques. » La première partie, "La tour Nord", est grave, pensive, déchirée, repliée sur une douleur secrète qu'elle cherche à transcender. "La tour Sud" est plus discrète encore, s'arrachant au silence, elle pleure et souffre dignement, agitée par une très courte bouffée de révolte qu'elle dépasse en continuant de chanter malgré tout avec une suavité, une grâce bouleversantes.

   Reminiscence (piste 5) d'Anna Thorvaldsdóttir, pour piano solo, explore le monde des résonances intérieures du piano. L'instrument sonne comme un clavecin au début ; on plonge au plus près de ses cordes, de leurs grondements incroyables. Mais la pièce est empreinte d'un hiératisme magnifique qui donne aux en-allées soudaines du piano une dimension irréelle, magique, folle. Un chef d'œuvre !

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Quel beau disque, intense et sobre, à l'image de la grandeur silencieuse des paysages islandais !

Paru fin février 2025 chez Sono Luminus (Boyce, Virginie) / 7 plages / 42 minutes environ

Pour aller plus loin

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Publié le 24 Février 2025

Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers - Beyondddddd The Notessssss

[À propos du disque et des musiciens]

   Des deux musiciens, je connais bien le premier, Charlemagne Palestine (né en 1947), dont vous trouverez une biographie assez développée dans mon article du 29 juin 2007. L'ancien carillonneur aime bien depuis longtemps jouer simultanément sur deux pianos. Lorsqu'il a rencontré le pianiste, improvisateur et compositeur belge Seppe Gebruers (né en 1990), beaucoup plus jeune que lui, des étincelles ont dû jaillir : ce sont deux pianistes hors-norme, aventureux, qui s'intéressent tous les deux à la micro-tonalité. De surcroît, Seppe Gebruers a déjà, lui aussi, joué simultanément sur deux pianos, accordés à un quart de ton d'intervalle : « En accordant les pianos à un quart de ton d'intervalle, je joue avec notre habitude artificielle collective : le tempérament égal. Depuis le Das wohltemporierte Klavier de J.S. Bach, la coutume en Europe est d'avoir douze demi-tons égaux dans une octave ; un système d'accord uniforme qui domine encore la musique occidentale. En ajoutant des quarts de ton, une octave est divisée en vingt-quatre intervalles égaux, multipliant les possibilités harmoniques. Ainsi, notre compagnon de jeu – la tonalité – qui était devenu un outil évident, est mis au premier plan. Je le fais à la fois pour remettre en question la tradition et par amour pour elle. » écrit-il dans Playing with the standards (Jouer avec les standards). Le musicien Koen van Meel éclaire d'un jour intéressant la pratique de Seppe Gebruers : « Dans le choix de jouer chaque clavier avec une seule main… les possibilités de microtonalité atteignent leur plein potentiel désorientant. Placer deux pianos différemment accordés l'un à côté de l'autre ou l'un en face de l'autre fait perdre toute signification au jeu « juste » et « faux » et permet à la musique de se déployer dans toute sa gloire kaléidoscopique. » Imaginez ce que cela peut donner avec quatre pianos, deux Érard accordés un quart de ton plus bas que deux Yamaha ! Le disque a été enregistré en direct au fond de la Fonderie Kugler. Les deux musiciens sont face à face, échangent leur place à un moment, et sont surveillés par des "divinités", notamment les ours en peluche dont aime à s'entourer Charlemagne Palestine.

Seppe Gebruers et Charlemagne Palestine (de dos)

Seppe Gebruers et Charlemagne Palestine (de dos)

[L'impression des oreilles]

[Le disque est découpé entre trois moments de durée décroissante, plus de vingt minutes pour le premier, un peu moins de six pour le dernier.]

L'innocence pianistique...

  Un petit carillonnement pour commencer, et tant de douceur, étonneront les admirateurs de Charlemagne Palestine, habitués à son strumming torrentiel. Les notes résonnent longuement, comme nous a prévenu le titre avec la répétition six fois de la consonne finale des deux mots clés. Intrigué par le titre, "Gotcha", qui signifie Je t'ai eu, je me suis demandé qui se faisait avoir dans cette interprétation. Plus qu'une allusion à une éventuelle rivalité ou surenchère entre les deux pianistes, il m'a semblé y comprendre soit une allusion malicieuse à notre surprise d'auditeur, soit l'expression de la satisfaction des interprètes, parvenus à leurs fins artistiques, les deux ne sont d'ailleurs pas antinomiques. Tous nos repères auditifs étant brouillés, nous sommes livrés à la musique, à son étrangeté radicale  - qui étonnera un peu moins ceux qui sont familiers avec l'intonation juste, mais ici cela va au-delà, ou les inconditionnels de John Cage et de son piano préparé... Peu à peu, des gerbes de notes jaillissent, se croisent, se répondent, créant des bouquets sonores denses, colorés, sertis d'harmoniques bourdonnantes. De très brèves séquences semblent retomber dans une musique impressionniste, néo-classique, comme une remontée de souvenirs anciens, mais la musique s'en va ailleurs, elle explore l'inconnu, patiemment, d'où des silences qui ne sont pas ceux d'une méditation à proprement parler, encore que, mais d'une écoute de ce qui pourrait venir. La musique va de pétillements artificiers à des gravités ensauvagées, retrouvant brièvement en fin de "Gotcha 1" la balancement fatidique d'une horloge, intercalé avec de nouvelles en-allées lumineuses.

   "Gotcha II" commence plus sévèrement par des notes graves répétées. Proximité de ténèbres, montée d'une sombre frénésie : retour d'un strumming puissance quatre, dans un cliquetis et un martèlement des cordes frappées. Pourtant, la pièce se déplace vers un kaléidoscope chatoyant façon gamelan, myriade de notes sonnantes et résonnantes. La musique bouillonne, s'évapore dans des échappées, puis se tait, reprend dans une répétition forcenée de notes aiguës. À chaque nouveau silence, elle se reprend, se concentre, cherche, appelle, et trouve un chemin vers une rivière limpide, elle roule sur des galets, étincelle, monte comme aspirée, barattée par un tourbillon fantastique.

   Le titre éponyme porte à son plus haut point la distorsion généralisée de nos repères : tout est faux, et tout est étonnant de fraîcheur, ruisselle. L'irruption soudaine de graves profonds interroge le Mystère avec aplomb, soutenue par de grands à-plats bourdonnants, des répétitions extatiques, pour nous entraîner...au-delà des notes !

P.S. Pas d'extraits de cette rencontre, mais vous trouverez bien des concerts des deux musiciens pour vous faire une idée !

 

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Deux pianistes prodigieux pour une fête sonore vivifiante !

Paru en février 2025 chez Konnekt (Genève, Suisse) / 3 plages / 40 minutes environ

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Publié le 16 Février 2025

Marta Finkelštein - between a thousand moons

   Interprète et conservatrice musicale, ia pianiste lithuanienne Marta Finkelštein s'est beaucoup consacrée ces dernières années à l'ensemble de musique contemporaine Synaesthesis qu'elle dirige. Elle a rassemblé sous le titre  between a thousand moons un programme constitué de courtes pièces pour piano solo écrites entre 1905 et 2024 par des compositeurs de son pays. C'est donc un panorama de la musique de ce pays, de ses caractéristiques et de sa grande diversité stylistique qui nous est proposé. 

   Les lignes qui suivent doivent les informations sur les compositeurs à l'excellent site du Centre d'Information musicale de Lithuanie [ avec un joli "h" !, que je conserve...].

La pianiste Marta Finkelštein

La pianiste Marta Finkelštein

    Les treize pièces du programme ne sont pas présentées selon l'ordre chronologique de leur parution, sans doute volontairement. La première place est toutefois accordée à l'une des plus anciennes (1906), au titre savoureux, J'ai nourri le cheval, j'ai nourri l'âne, de Mikalojus Konstantinas Čiurlionis (1875 - 1911), compositeur phare de l'identité nationale et contemporain de Maurice Ravel, qui fut aussi un peintre dans la mouvance su Symbolisme et de l'Art nouveau. C'est une miniature délicate, intimiste et doucement solennelle. Belle entrée en matière. On retrouve Čiurlionis pour le prélude de la pièce six, tumultueuse traversée sur une mer agitée à calme.

   Titrée "Esquisses de M. K. Čiurlionis – Vignette pour une chanson folklorique", sans doute en hommage au compositeur précédent, la pièce d'Anatolijus Šenderovas (1945 - 2019), deuxième du disque, offre un curieux et réussimélange d'écriture impressionniste, folkloriste et contemporaine. La compositrice Žibuoklė Martinaitytė (née en 1973) signe la troisième, au titre magnifique, "Dégradés de lumière III. Comme dans des rêves transparents" (2018). C'est ma pièce préférée. Minimaliste avec ses boucles serrées, elle avance décidément dans un flux enveloppé d'un halo mystérieux.

 

   La compositrice Nomeda Valančiūtė (née en 1961), signe avec " Fin de la fête" (1987) une pièce follement post-cagienne sur piano préparé, presque une danse, facétieuse. De 1998, "Lemtis" (être destiné [?]) de Julius Andrejevas (1942 - 2016) oscille entre grave méditation et aperçus lumineux, passages dramatiques se changeant en rapides glissades, cascades, peut-être à l'image des phases de la vie, qui revient à son point de départ mystérieux. L'étude de concert N°2 (1981) de Vytautas Barkauskas (1931 - 2020) marche sur la pointe des notes, légère, au seuil d'une féérie devinée, tourne comme une folle, se lance dans une ébouriffante escalade avant de ralentir et de se reposer. L'étude n°2 (1933) de Vytautas Bacevičius (1905 - 1970) est une sorte de rêverie atonale, flottante et intrigante, non sans charme. La gavotte de Balys Dvarionas  (1904 - 1972) est un exemple brillant de l'inspiration folklorique sous-jacente à la musique lithuanienne. La "Chanson de pluie joyeuse" (titre 10, 1987) de Kristina Vasiliauskaité (née en 1956) est à mi-chemin de l'inspiration folklorique et de la musique savante, alerte et rayonnante.

   Les trois pièces enchaînées de Julius Aglinskas (né en 1988), "I. Moi, la fille à bicyclette / II. Arbre solitaire / III. Vélo sans volant" sont nimbées quant à elles d'une émouvante et très douce mélancolie.

 

   "Circa" (2024) de Dominykas Digimas (né en 1993) est la pièce la plus récente du programme. Magnifique exemple d'une musique intemporelle, introspective, comme de calmes réflexions au bord d'une pièce de silence, qui prélude fort bien à la dernière pièce, "Bangos (Flots, 2010) de Zita Bružaitė (née en 1966), mon autre pièce préférée de ce disque. Son lyrisme fluide, sur une structure de boucles et variations, atteint des accents d'une profonde beauté. Les presque six minutes de la composition servent l'élan de cette musique altérée d'infini.

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    Un très beau disque de piano, intelligemment conçu pour découvrir  des compositeurs lithuaniens à peu près inconnus en France (et probablement en Europe) et impeccablement interprété.

Paru fin janvier 2025 chez Music Information Centre Lithuania (Vilnius, Lithuanie) / 13 plages / 45 minutes

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   En marge de ce programme, vous pouvez aussi écouter "Blue Dusk", magnifique pièce de musique de chambre de Julius Aglinskas qui rend bien falotes certaines musiques ambiantes...

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Le piano sans peur, #Des Classiques pour Aujourd'hui

Publié le 8 Février 2025

Isak Edberg - Belt of Orion

  Belt of Orion est le troisième album chez XKatedral du compositeur de musique électronique et acoustique Isak Edberg. Il écrit que sa musique est nourrie par un enchantement de l’être, une recherche de sainteté, d’extase et de transcendance à travers le calme, la contemplation, le rêve et une tentative de maintenir le présent. Edberg considère sa musique comme une parure du temps. Les deux compositions de l'album ont été écrites entre 2016 et 2018 dans le sud de la France et à Stockholm, à partir d'improvisations sur un vieux piano alors qu'il vivait seul à la campagne. Ces improvisations ont été lentement élaborées pour donner naissance à ces deux longues pièces (chacune autour de vingt-sept minutes), pour piano solo.

Isak Edberg / Photographie © Maria W Horn

Isak Edberg / Photographie © Maria W Horn

Chemin de Lumière

   La première pièce éponyme, La Ceinture (ou le Baudrier) d'Orion, commence avec une gerbe d'accords vite dissociés en notes bien séparées, parfois vivement agrégées, mais cet élan initial se ralentit, les notes s'allongent et s'éloignent. Des boucles alternées font leur apparition, comme une série d'interrogations relevées dans les aigus. Puis des notes reviennent obstinément, édifiant un palais de résonances. On ne peut pas ne pas penser à Morton Feldman, même si la structure est ici plus rigide, architecturée. Les trois étoiles du baudrier d'Orion ne sont-elles pas en ligne droite ? Peu à peu la pièce joue du contraste entre graves, absents au début, et aigus ou médiums. Elle sonne l'Heure, la toujours Présence qui toujours revient. On prend conscience d'être déjà loin, dans un monde décanté constitué d'harmoniques stratifiées, au cœur du grand Mystère. Les motifs nous encerclent de leurs larges spires tranquilles, rien ici ne peut nous arriver, que la venue d'une extase générée par les répétitions croisées de notes résonnantes. C'est un chemin de paix illuminante, une ligne tendue vers l'Absolu.

  Vertiges

   La seconde pièce, Vestiges, est d'un hiératisme austère, tout en répétitions de notes, motifs en boucles, silences et décrochements abrupts. Le temps paraît comme gelé, bloqué, condamné à prendre des couloirs détournés. C'est le jardin aux sentiers qui bifurquent, y passe le fantôme de Jorge Luis Borges entre les colonnes tronquées, les piles aux arêtes brisées. Ou bien c'est un paysage à la Giorgio de Chirico, un paysage métaphysique à l'onirisme glacial. La pièce aurait pu tout aussi bien être titrée Vertiges, tant les répétitions  créent un effet hypnotique d'attirance. On ne saurait s'échapper, le piano nous appelle, implacablement, inlassablement, dans son gouffre, et s'il s'adoucit, s'attendrit presque au début de la seconde moitié de la pièce, plus rêveuse, il se reprend pour nous entraîner plus bas encore, pour nous enchaîner dans les longues laisses de ces appels. Le piano est devenu cloche de monastère au milieu de landes sauvages : il est temps de se repentir et de quitter le monde...

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Un disque d'une austère et envoûtante beauté !

Paru le 17 janvier 2025 chez XKatedral (Stockholm, Suède) / 2 plages / 55 minutes environ

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Publié le 26 Janvier 2025

Tomoyoshi Date - Piano Trilogy (432Hz As it is - As you are / Requiem / Tata)

[À propos des disques et du compositeur]

   Né en 1977 et élevé jusqu'à l'âge de trois ans à Sāo Paulo, Tomoyoshi Date réside dorénavant à Tokyo. Physicien, médecin, il compose de la musique électronique depuis 1998. Je croyais en parler pour la première fois, mais non, puisqu'il est l'un des deux membres du duo ILLUHA, dont trois des quatre albums ont retenu mon attention : Interstices (2013), Akari (2014) et Tobira (2023), tous sortis sur le label de Taylor Deupree, 12K.

Pour ses trois derniers albums créés entre 2021 et 2024, rassemblés sous le titre Piano Trilogy, il mêle motifs de piano allongés et répétitifs, éléments microsoniques et sons électroniques organiques. Le piano utilisé pour 432Hz As it is - As you are est un vieux DIAPASON que lui a donné sa tante, la première à avoir noté la musique pour shamisen [luth traditionnel japonais ] sur une portée de cinq lignes. Le titre s'explique par l'accordage du piano à un fréquence de 432 hertz, fréquence que Tomoyoshi Date semble affectionner dans ses œuvres récentes. L'instrumentarium de Tata [nom d'une galerie d'art à Koenji, Japon ] est pour le moins surprenant, fourni par les sons provenant d'horloges anciennes, des sols de la galerie, d'objets anciens et de papier.

   Le thème dominant serait celui des objets et du passage du temps, pour des raisons en partie très techniques que je n'aborderai pas ici. Les photographies des couvertures d'albums datent des débuts de la photographie, entre la fin de l'ère Meiji (1868 - 1912) et elle de l'ère Taisho (1912 - 1926). Elles sont anonymes, présentées dans la galerie comme des photographies trouvées, d'une beauté profonde et intemporelle.

Tomoyoshi Date

Tomoyoshi Date

Images sonores du monde flottant

432Hz As it is - As you are

Les quatre titres de l'album déclinent les quatre éléments : hikari / netsu / mizu / tsuchi (Lumière / Chaleur / Eau / Terre). On est à l'intérieur du piano, avec le frottement des cordes, le bruit des marteaux. Dans la forge des sons, au cœur des résonances, des lueurs électroniques, des frôlements percussifs se mélangent au piano, engendrant des diaprures, des découpes mouvantes de lumière sur "hikari". Le piano, touché presque comme un koto, soulève sur "netsu" un cortège de brumes fines, de mini cloches, de bulles cristallines, qui donnent à la composition une dimension pastorale, comme si l'on entendait un troupeau carillonnant sur les chemins d'un chaud crépuscule. Musique d'une grâce enchanteresse, nimbée d'une paix profonde... "mizu" reste en apesanteur, égrenant ses notes délicatement, les baignant ensuite dans des écoulements liquides discrets : ce serait un bain dans une fontaine écartée, juste éclairée par les rayons obliques du soleil à travers les feuillages. Le piano se fait plus grave sur "tsuchi", entouré de rubans électroniques piquetés. Ses lentes boucles sont prolongées par un gazouillis d'oiseaux derrière des drapés mélodieux évanescents : calme splendeur insaisissable...

Requiem

Dédié à la mémoire d'un ami proche trop tôt disparu, l'album s'ouvre sur "ritsu" (Loi ?), piano funèbre aux bourdons épais déchiqueté et illuminé brièvement de gestes quasi jazzy, nerveux, puis se trace une convergence, une entente entre la mort et la vie, l'espace d'une méditation. Divers objets tintinnabulent au long de "oku" (Mémoire), tandis que le piano chante dans les hauteurs et qu'une levée électronique bourdonne et ronronne. C'est une douce élégie, une évocation réconciliée où l'on entend les frémissements persistants de la vie. Les titres suivants sont d'une beauté délicate et raffinée : piano rêveur et attentif, arrière-plans chatoyants (chants d'oiseaux, bruissements, textures filées...). Rien de dramatique ou grandiose dans ce Requiem, suite de promenades extasiées, d'aquarelles légères, vaporeuses posées au bord d'après-midi sans fin : "shou" / "ka" / "jaku" (Voix / Fleur / Silence)...

Tata

   Les horloges anciennes carillonnent et marquent le temps sur le premier titre "toki to kishimi" (Le temps et les conflits). C'est la vie au ras des grincements,  des menus bruits d'objets déplacés que le piano célèbre à petits pas respectueux. La vie des choses..."wa to shirabe" (Harmonie et harmonie) juxtapose deux formes d'harmonie, celle produite par le piano, et celle produite par les objets, les deux harmonisées par une électronique discrète et les faisceaux de résonances. C'est peut-être comme un art poétique pour Tomoyoshi Date, la réconciliation de la musique et des bruits, oh pas les gros bruits, les signaux envoyés par de menus objets, les traces sonores d'une vie minuscule de l'inanimé. Le titre suivant, "kami to hikari" (titre 3, Papier et Lumière), va dans le même sens. Les notes de piano s'enflamment doucement sur un tapis crachotant de frottements, de friselis de papiers froissés (?). Un chuintement électronique velouté ouvre "tsuki to kane" (Lune et Cloche), pièce nimbée d'une paix extraordinaire que troublent à peine des coups mystérieux. Des cloches sonnent dans la clarté d'une lune qu'on imagine pleine, à susciter des formes  irréelles : et puis n'entend-on pas le souffle d'esprits, parfois ?

   "satura to kawa" (Fleurs de cerisier et Rivière) confond presque le piano et une sorte de percussion (électronique probablement) très douce, feutrée. La pièce est une suite d'éclosions sonores d'une exquise délicatesse, tapissée d'une trame fine de glissements, scintillements et gazouillis. " futa to hito" (Couvercle et Ficelle) est  d'abord plus méditatif, dépouillé, le piano seul face à des bruits d'objets, des froissements, puis la composition hésite, au bord de souvenirs de jazz décantés, esquisse une danse étrange avant de s'enfoncer dans une brume ambiante diaphane et des bruits en quelque sorte autonomes, livrés à eux-mêmes. Le disque se termine avec "ko to enishi" (Solitude et Relations) : grésillements d'une bande d'ondes courtes (?), piano en courtes phrases agglutinées et montée de traînées lumineuses. De toute cette musique se dégage un halo légèrement hypnotique produit par le clapotis des entrelacs sans cesse variés : rien ici ne dure, que le mouvement qui brouille les lignes, dissout les formes à peine surgies...triomphe de l'impermancnce.

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Une trilogie qui fait du piano, minimal et chatoyant,  un instrument japonais à part entière pour une musique ambiante raffinée, intemporelle.

 

Parus chez Tsuyukusa Records (Japon) / 3 albums (numérique ou cassette) :

- 432 Hz - As it is, As you are - : 4 plages / 27 minutes environ

- Requiem : 6 plages / 45 minutes environ

- Tata : 7 plages / 49 minutes environ

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Publié le 27 Novembre 2024

Samuel Reinhard - Movement

[À propos du disque et du compositeur]

   Samuel Reinhard devient l'un des compositeurs majeurs de notre temps. Après For piano and shō chez elsewhere music (voir mon article avec une petite présentation du musicien), Movement présente quatre collages électroacoustiques, c'est-à-dire des enregistrements instrumentaux arrangés selon un système  prédéterminé faisant revenir plusieurs fois des fragments de sons dans des intervalles superposés de différentes tailles. Chaque instrument est d'abord enregistré par son instrumentiste avant d'être retravaillé par le compositeur. Le piano de Samuel Reinhard est rejoint selon les moments par le violoncelle de Leila Bordreuil, la flûte basse de John Also Bennett, le saxophone baryton de Michal Biel, la contrebasse de Vincent Yuen Ruiz et la harpe à pédales de Shelley Burgon en 1 et en 4.

Samuel Reinhard

Samuel Reinhard

[L'impression des oreilles]

   Quatre poèmes de la durée mouvante...

   Que le lecteur ne s'effraie pas des précisions techniques apportées ci-dessus. Au bout du processus, les quatre pièces de vingt minutes chacune composant Movement donnent à entendre une musique de chambre ambiante mélodieuse d'une immense douceur, empreinte d'un néo-classicisme minimal, minimaliste aussi. "N°1" est une toile de piano aux notes tenues, répétées, superposées, brodée par les interventions des autres instruments. La matière musicale flotte dans une brume légère, déploie tranquillement ses résonances. C'est comme un éternel retour de petites cellules, de motifs, parfois empilés et décalés, avec des moments plus intenses, plus texturés, mais toujours aérés : un mouvement dans sa lente mouvance délicatement hypnotique.

   "N°2", sur le même principe, tisse un contrepoint plus serré, joue sur les proximités sonores, brouillant les frontières de la perception. Les résonances bourdonnent davantage, enveloppant l'ensemble d'un halo dense. Des notes et de leurs harmoniques éclosent, s'épanouissent comme des bulles au fil du flux ramassé ou plus distendu, toujours d'un calme merveilleux.

   Les deux parties suivantes sont mes préférées. Là, Samuel Reinhard opère une sublimation de la durée. Le piano-roi se démultiplie, se vaporise, et installe les autres instruments sur ses traînes harmoniques. D'une lenteur majestueuse, "N°3" semble un cortège de cloches ouatées sonnant dans une nef à demi détruite envahie par une brume épaisse de poussières magnétiques, violoncelle et saxophone en longs glissendos à ras de frottement et de souffle. Cette musique n'a plus de nom, c'est la Musique, la Suspension des choses, c'est une marche extatique à l'Effacement...

Et la "N°4" !! Le piano se diaphanise dans une pluie éparse de micro-picotements, le violoncelle et la contrebasse frottent l'âme du néant, le saxophone vacille et crachote au bord de l'effritement...et le tout monte comme la fumée vibrante d'un rituel immémorial, fumée dans laquelle sont enchâssés de menus signes de vie, des traces...

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Quatre émanations quintessenciées de la Beauté du Monde flottant.

Paru en octobre 2024 chez Hallow Ground / Präsens Editionen (Lucerne, Suisse) / 4 plages / 1 heure et vingt minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

 

Abbaye de San Galgano / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

Abbaye de San Galgano / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

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Publié le 21 Novembre 2024

Emilie Cecilia Lebel - Landscapes of Memory

[À propos du disque et de la compositrice]

    La compositrice canadienne Emilie Cecilia Lebel écrit de la musique de concert et crée des œuvres mixtes associant des technologies numériques. Sa carrière est jalonnée de nombreuses récompenses. Récemment elle a été déclarée compositrice classique de l'année 2024 par le Western Canadian Music Award. Son nouveau disque Landscapes of Memory est consacré à un diptyque de piano solo, chacune des deux pièces dépassant la demi-heure. Le piano est accompagné d'un fond bourdonnant produit en plaçant des excitateurs électromagnétiques (Ebows) à l'intérieur de l'instrument, où ils provoquent d'eux-mêmes la vibration des cordes sur lesquels ils sont placés. Les deux œuvres sont interprétées par leur commanditaire respectif, Wesley Shen pour "ghost geography" (2022, Géographie fantôme), et  la canadienne-brésilienne Luciane Cardassi pour "pale forms in uncommon light" (2023, Formes pâles dans une lumière inhabituelle)

La compositrice (en haut) et les deux pianistes
La compositrice (en haut) et les deux pianistesLa compositrice (en haut) et les deux pianistes

La compositrice (en haut) et les deux pianistes

[L'impression des oreilles]

dans les secrètes combes
de la mémoire

   "ghost geography" est dédié « à la rivière Saskatchewan Nord (à l'est des Montagnes Rocheuses, au Canada), ses nombreuses itérations, ses fantômes ». Ce serait une musique naturelle, simple comme l'eau qui coule, doucement. Une note répétée aux longues résonances, avec en arrière-plan le bourdon des Ebows. Puis une deuxième note lui répond en écho, et d'autres, dont une plus grave, une plus aiguë, se construit ainsi une mélodie mystérieuse. Les notes sont détachées, se rapprochent parfois pour des étagements, des incursions en profondeur. Sur le tapis bourdonnant, ce sont des fleurs qui éclosent, qui explosent aussi. Gerbes, éclats. Le bourdon s'irise, le piano insiste, brillant et coupant, joue des graves dramatiques, se perd dans les harmoniques, et renaît, interrogatif, buté, figé dans des répétitions obsédantes, pour mieux décrocher. Il est soudain ailleurs, dans des brouillards : il rêve au seuil de l'imperceptible, il caresse le silence. La pièce juxtapose ces moments d'un calme méditatif  et des réveils intenses, dans des jaillissements de forte lumière, dessinant cette géographie fantôme du titre. Le retour tout au long de motifs répétés ou égrenés crée une rémanence mémorielle qui structure l'ensemble et lui donne son discret charme envoûtant.

Avant que tout ne disparaisse...

   La seconde pièce, "pale forms in uncommon light", place le bourdon dans le registre médian du piano, si bien qu'il remplit les espaces entre chaque courte phrase de la pianiste - qu'il souligne aussi de sa lumière sourde. Tout le début est dominé par un motif insistant, répété obstinément, prolongé, auquel viennent se greffer d'autres gestes répétés. Ce labyrinthe de retours s'interrompt vers dix minutes sur le bourdon longuement prolongé. Commence alors une autre forme, moins répétitive, plus dérivante, contemplative, qu'un nouveau thème obsédant, au riche chromatisme, envahit au bout de quelques minutes avant de disparaître dans une traînée irréelle et une vigoureuse reprise. Mais rien ne résiste, la forme change, s'échappe vers le silence, non sans faire apparaître de belles esquisses mélodiques tandis que le bourdon disparaît fugitivement, pour revenir peu après, plus discret, laissant le piano plus nu, pour ainsi dire, et c'est une phase doucement extatique, avant la ponctuation du bourdon seul (vers 23 minutes), marquant l'entrée de la dernière forme, d'abord très structurée autour de deux notes répétées en miroir, puis qui part en éclaboussures presque facétieuses, revient à une structure voisine de l'antécédente, sur deux ou trois notes, aux éclaboussures encore et encore, le bourdon plus insistant, et c'est la coda, opposant grave profond et aigu dans un face à face tempéré par un court motif médian répété, accompagné d'un note à note recueilli aux délicats décalages.

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Deux pianistes magnifiques pour deux pièces admirables, jouées sur un grand piano Steinway aux sonorités d'une souveraine beauté. Les titres - de l'album et des deux compositions, annoncent la dimension poétique de cette musique aux portes de l'ineffable.

Nota : mon titre "dans les secrètes combes / de la mémoire" est pris au beau recueil Ιnstants de préface de Gilles Baudry (chez Rougerie, 2009, p.28). Le poète a d'ailleurs lui-même pris son titre chez Emily Dickinson :

« La plupart de nos instants

sont des instants de préface »

Paru le 18 octobre 2024 chez Redshift (Vancouver, Canada) / 2 plages / 1 heure et 4 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

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