Chronique des musiques singulières : contemporaines, électroniques, expérimentales, du monde parfois. Entre actualité et inactualité, prendre le temps des musiques différentes, non-formatées...
Sur la couverture, quelques barres obliques de couleur, à peine appuyées, à peine visibles sur le fond blanc-crème. Il aura fallu que votre rétine fasse un effort pour que ces signes passagers vous apparaissent, que vous discerniez enfin quelque chose. Toute la musique de Jürg Frey, dont j'avais déjà célébré le triple cd Lieues d'ombres (je renvoie les lecteurs à cet article pour des précisions biographiques), est dans ce tremblement d'apparition, dans cette discrétion pudique, en complète opposition avec un certain monde moderne et les musiques qui vous prennent d'assaut, au risque de vous assourdir, voire de réellement vous rendre sourd. Ici, il faut tendre l'oreille, les attendrir pour qu'elles captent le chant secret de l'ineffable. Ces sept pièces pour piano-forte, plutôt que de vouloir s'imposer à nous, sont des propositions de transport pour les auditeurs qui sauront les accueillir. Je comprends le choix du piano-forte de cette manière : non pas une volonté puriste de revenir aux origines, mais le désir de profiter des « imperfections » de l'instrument pour nous entraîner par-delà l'uniformité sonore des pianos modernes. Par « imperfections », il faut entendre des différences dans les sonorités selon les registres, des couleurs inattendues et, en somme, une fragilité émouvante. Curieusement, alors même que je n'avais pas prêté une attention particulière au nom de la pianiste, laquelle m'était inconnue, j'avais l'impression à certains moments qu'elle jouait du koto, tant ce piano-forte est dépaysant dans les compositions de Jürg Frey, tant on croirait alors entendre des cordes pincées ! Cela m'a fait sourire, car j'ai regardé attentivement le livret pour voir si les pièces n'étaient pas pour piano et/ou koto selon les passages...
Ne te laisse saisir qu'à portée de silence...
Les titres en français ressemblent à des indications de tempo ou de nuance, sans coïncider avec la liste des termes italiens consacrés par l'usage. Si on trouve "Avec sonorité, mais très calme" (titre 2) ou "Lumineux et calme" (titre 4), d'autres renvoient plutôt à une atmosphère, comme "Léger et silencieux" (titre 1), "Tendre et monotone" (titre 6), ou indiquent une distance : "Au lointain" (titre 5) et "Discrète et loin" (titre 7).
"Léger et silencieux" commence par un couple répété de notes, comme l'esquisse d'un léger balancement, des notes qui s'espacent, s'éloignent, reviennent pour nous entraîner sur un chemin de résonances. Chaque note est reine, rayonne dans un halo clair ou plus opalescent : plus rien ne compte que la note suivante sur les rives du silence, ce fleuve méconnu. Si vous passez le cap de ces cinq premières minutes merveilleuses, la musique de Jürg Frey vous attend..."Avec sonorité, mais très doux" redouble en plus grave la pièce initiale. Ses boucles lentes dérapent vers un ailleurs pour revenir à une espèce d'incantation hypnotique. Après ce diptyque, la musique s'échappe, minimale et répétitive si l'on veut, mais surtout à la recherche d'une mélodie, patiemment cernée, suggérée, ce en quoi la musique de Jürg Frey est parfois verlainienne, ce qui n'exclue pas, dans "Lumineux et calme" (titre 3), une fermeté, un tranchant qui, par contraste, souligne l'aspect processionnel du battement de cloche du piano. Superbe pièce ! J'aime beaucoup aussi le très répétitif "Très calme" (titre 4), véritable ascèse sonore, dramatique affirmation ou fragile suspension face au mystère dans lequel la composition revient toujours s'enfoncer. La répétition, chez Jürg Frey, est toujours une manière de frapper à la porte, de percer obstinément pour mettre à jour l'autre côté, le lointain, qui attend tout près derrière la cloison. La plus longue composition, "Tendre et monotone", de près de dix-huit minutes, ne signifie rien d'autre que ceci : la tendresse tord le cou à la monotonie, apparente, parce qu'elle en révèle la diversité réelle. La même note ne sonne jamais exactement pareille, différente en hauteur, intensité, couleur, différente aussi par son contexte. L'enregistrement, qui capte le bruit des marteaux, des frôlements, entoure les notes d'un voile fantastique, comme si celles-ci venaient caresser des esprits dormants pour les réveiller, oh, à peine, et ces remuements infimes donnent une vie émouvante à la tendresse précautionneuse des touches. De pièce en pièce revient le motif de deux notes en balancier, motif proprement sublime à partir duquel les variations tournent, tâtonnent, cherchent les Signes Passagers d'une Unité perdue, d'une Vie fragile qu'il ne faut pas effaroucher, "Discrète et loin", nous dit le dernier titre aux notes raréfiées, de plus en plus espacées.
Un chef d'œuvre de musique transcendante à la sensibilité contenue, frémissante, interprété magnifiquement par la pianiste Keiko Shichijo, au toucher tranquille et lumineux.
Parution prévue le 1er novembre chez elsewhere music / 7 plages / 49 minutes environ
Je connais la pianiste canadienne Eve Egoyan depuis ses interprétations du cycle Inner Citiesd'Alvin Curran et de la musique de sa compatrioteAnn Southam. Je sais qu'elle n'a peur d'aucune audace, d'aucune aventure. Et en voici une belle, risquée, avec Mauricio Pauly, compositeur et musicien anglais, né au Costa Rica, désormais installé à Vancouver. La simple revue des instruments utilisés par le duo donnera déjà la mesure du dépaysement probable. La pianiste joue certes d'un simple piano acoustique, mais augmenté par la manipulation d'un piano modélisé et par des échantillons acoustiques ; elle utilise aussi sa voix, pas seulement pour chanter ! Mauricio Pauly manipule des échantillons et des traitements électroniques en direct, joue de la chromaharpe (une sorte de cithare) désaccordée et d'un ensemble de percussions (sous réserve, traduction de "drum bundle").
Le disque comporte dix pièces, entre deux minutes trente et un peu moins de neuf minutes. Je considérais au début les premières comme des mises en oreille, entre free jazz et musique expérimentale. Très vite cependant, et déjà dans le premier titre "Spore", le disque prend une autre envergure, devient l'exploration de continents sonores d'une fascinante étrangeté. Indéniablement, le disque s'inscrit dans la lignée ouverte par les pièces pour piano préparé de John Cage. Seulement, il ne s'agit pas d'un piano seul. On entend souvent plusieurs instruments en même temps grâce aux traitements, et tous sont plus ou moins affectés d'une augmentation, d'un déréglage sonore, ils dérapent vers l'inconnu, si bien qu'on est tout surpris, émus même quand le piano redevient le piano qu'on connaît. Sans cesse, la musique s'échappe, s'engage dans des chemins imprévus. Le piano ouvre un labyrinthe, un palais des échos et des distorsions. Des sources surgissent, ruisselantes, ou bien grincements et frottements nous mènent avec le piano martelant, comme dans "Dive", dans une forgerie de cristal. "Braid", orchestral et polyphonique par moments, laisse planer une atmosphère inquiétante, drones à l'arrière-plan et paquets foisonnants de tresses (l'un des sens de "braid") tordues, de glissendos résolument hors des clous de la gamme, comme des loups tournant en guimauve. "Dialing with abandon" poursuit l'amollissement des sonorités, et monte peu à peu la voix d'Eve, démultipliée, dans ce concert purifié par la plus pure fantaisie sonore, loin des règles anciennes : s'élève alors une curieuse ode fragile, soutenue par le piano en apesanteur et des drones légers. Moment d'une grâce indicible !
Tout est devenu possible, les amarres larguées. "Stilled Shadow", si sobre, si calme, ménage une plage méditative, travaillée par de profonds remous : nous sommes ailleurs. La seconde partie peut commencer ! "Single spore flexing gently" réaffirme la torsion à l'œuvre dans tous les sons : échos courbes, glouglous et bondissements rythmiques, c'est une dévastation tranquille, une table rase. La folie semble s'installer dans "Agree no frown" : percussions déchaînées, voix mêlées, pour une cacophonie euphorique tournant aux hoquets hagards ! Après ces rivages difficiles parfois pour l'auditeur, il faut le dire, nous abordons sur trois terres splendides, trois pièces assez longues entre six minutes trente et presque neuf minutes. On respire, on écoute ces chants extatiques, le grouillement percussif d'un monde lointain, de nouvelles harmonies subtiles. Là tout est miroitements, surgissements translucides, feuilletages en vrilles. Là règnent les illusions, vaporeuses ou puissantes, les cordes qui sonnent comme des instruments asiatiques frémissants d'inflexions désaccordées. Le neuvième titre, "Height", est sans doute le chef d'œuvre de l'album, d'une magnificence somptueuse dans ses dérapages incessants qui donnent l'impression de voix démoniaques surgies des profondeurs. "Effort grind braid", après un début chaotique, inaugure une musique post-industrielle proliférante, répétitive, dans laquelle le piano augmenté monte à une incroyable puissance dans une atmosphère découpée par une rythmique erratique, avant de nous ramener au piano presque "pur" dans des méandres élégiaques assez émouvants.
Il faut avoir confiance en ce « monstre plein d'espoir », lui passer ses moments les plus "destructifs", car il recèle des beautés inouïes. Eve Egoyan et Mauricio Pauly, plus que des musiciens, interprètes ou compositeurs, sont des créateurs d'univers sonores, à l'arraché de l'aventure.
Paraît le 6 octobre 2023 chez No Hay Discos (Montréal, Canada) / 10 plages / 57 minutes environ
Pour aller plus loin
Pas d'extraits autres à vous présenter, mais il reste...
Après trois disques consacrés à de grands compositeurs américains (Moondog, Philip Glass et Alan Hovhaness - ce dernier né aux États-Unis, mais d'origine mi-écossaise mi-arménienne) et un autre, Pianisphere volume 1, à un programme minimaliste, choix éclectique de pièces pour deux pianos exécutées avec son ami Thibaut Crassin, le pianiste François Mardirossian rend hommage à Erik Satie (1866 - 1925), compositeur français qui fut admiré en son temps non seulement par des compositeurs prestigieux mais par des artistes divers, et plus récemment outre-atlantique par John Cage, puis les minimalistes (Adams, Glass, La Monte Young, Reich, Riley). Deux ans avant le centenaire de sa mort, pour ne pas être trop conventionnel - on connaît l'esprit facétieux de Satie..., après beaucoup d'autres, et avant une floraison prévisible. Alors, un Satie de plus, pourquoi ? Et un double album...
Satie est aimé des amateurs, peu présent dans les concerts, absent des Conservatoires - pas assez sérieux, ce Satie ! Il n'est toutefois relativement connu que par ses Gnossiennes et ses Gymnopédies. François Mardirossian leur fait une place, il n'est pas interdit de se délecter encore à leur écoute. Seulement, il étoffe son premier cd d'un large choix de pièces nettement moins connues et tout à fait délectables, sans pour autant nous livrer une intégrale qu'aurait peut-être boudé une partie du public. L'idée géniale de ce double-album, c'est d'adjoindre à ce choix d'œuvres du Velvet Gentleman (surnom dû à son costume de velours couleur moutarde porté dans les années Montmartre) un florilège d'hommages composé par des amis, des fidèles et des musiciens vivants. À quelques-uns de ces derniers, le Festival Superspectives de Lyon, que le pianiste co-dirige, a commandé des pièces nouvelles, enregistrées ici pour la première fois comme quelques autres exhumées par le gymnopédiste passionné. Le cd 2, ce sont les Gymnopédistes du titre !
Je vais tâcher de ne pas empiéter sur le riche livret, dû au pianiste lui-même, qui présente aussi les pianos choisis, pianos d'époque « non-standardisés » .
Satie connu... et méconnu
Le premier cd présente un choix chronologique, à l'exception de la première et de la dernière pièce. La première, Désespoir agréable, c'est déjà tout Satie. Un Satie qui, à 39 ans, reprend des études musicales et écrit cette courte pochade au titre oxymorique : pas question de se laisser engluer dans le sentimentalisme, dans un romantisme flamboyant. Un pas de côté, un clin d'œil à la musique académique, et pourtant, en quelques mesures, une noble nostalgie. La dernière, Je te veux, de 1897, permet de souligner l'anticonformisme d'un compositeur qui ne répugnait pas à écrire des chansons, une valse, comme celle-ci, pour la chanteuse Paulette Darty (1871 - 1939), reine des valses lentes. Jouée sur un Pleyel droit de 1923, elle sonne comme une pièce de cabaret, au sentimentalisme conventionnel, certes, mais non dénuée d'humour dans son allégresse doucement impérieuse...
Entre les deux, on a d'abord les pièces célèbres, Gymnopédies puis Gnossiennes. Pièces intemporelles, danses inoubliables et hypnotiques dans leur pureté altière, et si délicate, interprétées avec une sobriété lumineuse par François Mardirossian, desservant de ces Mystères harmonieux et graves. Puis le pianiste passe à des œuvres à peu près inconnues du grand public, qu'on ne trouve que dans des intégrales comme celle donnée par Nicolas Horvath dans la collection Grand Piano chez Naxos ou lors de sa nuit blanche à la Philharmonie de Paris. Il s'agit notamment des Pièces Froides. D'abord trois Airs à faire fuir, tout à fait magnifiques, à la fois d'une mélancolie raffinée et d'une fantaisie distanciée, avec un titre collectif et un sous-titre volontairement négatifs, typiques de la modestie farouche d'un compositeur...volontiers facétieux ! Puis trois Danses de travers, trois crescendos, variations sur une jolie mélodie un brin moqueuse, rêveuse aussi, parfaite pour des jeunes filles en fleurs, proustiennes avant l'heure.
Suivent les Véritables Préludes Flasques (pour un chien), de 1912. Avec un titre à la Dali - je pense à ses montres molles..., un sommet de drôlerie, d'impertinence, contemporain des Préludes de Debussy. Une "Sévère réprimande" emphatique, bouffonne, se déverse sur le pauvre chien, assommé. Par contraste, "Seul à la maison" est un petit lamento larmoyant et émouvant pour le chien pitoyable. Heureusement, "On joue" vient rompre la solitude, les trilles dépeignent la joie de l'animal. Au total, ces trois pièces absolument délicieuses font penser à la bande-son d'un film burlesque muet.
Sports et divertissements (1914) est une série de vingt-et-une vignettes, miniatures n'excédant pas une minute et vingt-cinq secondes, la plupart de moins d'une minute. On y découvre un Satie caricaturiste au trait acéré, à la verve acerbe ou bouffonne, qui s'amuse prodigieusement. Ah! Ce "Colin-maillard", primesautier, d'une légèreté nimbée d'un zeste de mélancolie ! Et l'évocation merveilleuse du "Yachting", se balançant dans les eaux d'un rêve de langueur infinie (presque baudelairien...). Et "le Flirt", avec sa citation-éclair de Au clair de la lune : le coquin Satie, comme il y va mine de rien, « Ma chandelle est morte / Je n'ai plus de feu » pour un séducteur voulant se faire ouvrir la porte...Un journal de la Belle Époque, ce cycle pétillant et malicieux, que François Mardirossian dessine avec un entrain communicatif.
Pour ce cd 1, il nous reste les trois Avant-dernières pensées, admirées par John Cage. Ces très courtes pièces annonceraient le minimalisme par les motifs perpétuels, les répétitions, les mélodies faciles. La première, "Idylle", est gentille et brillante, mais pas impérissable... "Aubade, avec ses grappes répétées, son staccato grotesque, est par contre vraiment savoureuse. "Méditation", au rythme paradoxalement pressé, laisse entendre comme un vif dialogue intérieur : pièce assez étrange, au seuil de l'océan des rêves par ses volutes liquides et son friselis incessant.
Gymnopédistes d'hier...et d'aujourd'hui
Le cd 2 regroupe dans le plus désordre chronologique (ce n'est absolument pas un reproche !!!) amis, connaissances et admirateurs anciens ou contemporains. Je passe sur les précisions biographiques (dans l'excellent livret et ailleurs). Je commence par amis et connaissances. D'abord Ricardo Viñes, pianiste si important du début du XXe siècle, créateur des plus grands. Sa Thrénodie ou Funérailles antiques (à la mémoire d'Erik Satie) est d'une poignante douceur. Première pépite de ce florilège ! Puis Henri Cliquet-Pleyel, proche par l'esprit de Satie comme le disent déjà les titres délectables des Trois pièces à la mémoire d'Erik Satie : Prélude rigide / Lamentation hydraulique / Oripeaux de bal et ballets de crins crins. Un prélude tourné en dérision par le thème récurrent et le mélange des genres ; une lamentation bien sépulcrale, qui s'endort et qui rêve, primesautière par bouffée avant de penser à redevenir funèbre ; un bal tournoyant qui s'emmêle et se croit tout autre ! Enfin Germaine Tailleferre, grande dame du piano et compositrice que l'on redécouvre depuis quelques temps, qui joua devant Satie. Sa Rêverie ne manque pas d'une grandeur un peu mélancolique.
Je réunis ensuite deux compositeurs belges. Le premier, qui fut l'ami de Satie, Édouard Léon Théodore Mesens, est présent avec trois délicieuses pièces courtes : des Étrennes (pour Erik Satie) d'une joie guillerette, une composition (Composition n°4) tout aussi allègre, assez moqueuse, et une Danse pour piano, musique pour bastringue étincelante et drôle.. François Mardirossian a découvert dans les archives le second, Willy Dortu, dont il donne deux miniatures : l'une, grave, baigne dans une nostalgie très gnossienne ; la seconde, vif, hésite entre esquisse caricaturale, parodie mélancolique et entrechat malicieux.
Jusque là, un parcours passionnant, avec retrouvailles et trouvailles, parcours qui est aussi une réhabilitation des pièces les plus courtes.
On arrive aux années soixante, avec un autre facétieux, qu'on a pu prendre même pour un imposteur, l'américain John Cage, qui n'a jamais cessé de dire son admiration pour Satie. All Sides of the Small Stone for Erik Satie and (Secretly Given to Jim Tenney as a Koan ne surprendra pas venant de l'auteur de l'une des plus sublimes compositions pour piano, In A Landscape. C'est un Cage plus grave, plus sérieux, qui compose cette pièce admirable, gymnopédie méditative, sorte de ronde lente, ensorcelante. Un autre très grand moment de ce disque !
Admirateur de Gavin Bryars depuis longtemps, j'étais partagé par sa New Gnossienne (after Satie) n°1, tellement impeccable, pastiche exemplaire. On jurerait du Satie, et rien d'autre. Où est donc passé Gavin Bryars, trop prudent Gavin ??? Mais c'est éblouissant. Je préfère, en guise d'hommage, une non-disparition de l'admirateur. Par exemple, Joyeux Satieversaire de Denis Fargeat : une mélodie limpide, un soupçon de nostalgie, le tout dans un calme troublant à la manière de, mais sans y coller trop...
Ce disque recèle encore des trésors...
La très belle Danse pour un enterrement de Claire Vailler, d'une noblesse et d'un envol magnifiques. Pièce miroitante, ode funambulesque...
La suite Various Occupations de Adrian Knight, auquel on doit un des sommets de l'écriture pianistique de ce siècle, Obsessions. Suite plongée dans des limbes rêveurs, une musique à la limite de la dissolution, du Satie distendu, ramené à des occupations irréelles, privé de son masque mondain, de son alacrité de surface. Sans doute la contribution la plus originale, inattendue, la plus audacieuse de cet ensemble d'hommages.
Puis... il y a encore les trois pièces admirables de Sébastian Gandera, à la fluidité mélancolique irrésistible, doux cercles, vertiges intimistes...
Et j'en viens à l'ouverture de ce second cd, fournie par trois pièces à tomber, trois pièces de Dominique Lawalrée. Son Listen to The Quiet Voice est évidemment le plus émouvant hommage possible. D'une simplicité dépouillée, avec sa boucle lente, entêtante, la musique s'enroule autour de notre âme et la serre doucement, à en mourir de douceur. L'Ombre des couleurs (ô le beau titre !) est d'une déchirante beauté tendue vers la lumière, du Satie-Bach minimaliste. Musique Satieerique, c'est l'autre face de Satie, le joueur, le torpilleur, qui s'amuse à citer J'ai du bon tabac au détour d'une broderie à l'allure enfantine, des gammes sautillantes, et flotte quand même un discret parfum de nostalgie.
Un pur plaisir, ce double album généreux, il vous hantera longtemps si vous aimez Satie (ou pas), et que de découvertes ! François Mardirossian habite ce parcours avec une tranquille aisance : n'est-il pas chez lui, chez Satie ? Comme d'habitude chez Ad Vitam Records, un disque impeccable : prise de son , pochette, livret (en français d'abord !!), soit un très bel objet [ ce qui est devenu trop rare...].
Paraît en septembre 2023 chez Ad Vitam Records / 2cds / 73 plages / 2h et 20 minutes environ
Lawrence Ball est un compositeur britannique né en 1951. Diplômé en Science de l'ordinateur et en mathématiques, il a notamment étudié la composition avec Robert Boyle, un proche de Philip Glass, de 1978 à 1979. Intéressé par les sons, la musique et les images produits de manière algorithmique, il travaille dans une branche des mathématiques appelée mathématiques harmoniques. En 1996, il a fondé le Planet Tree Musique Festival, qu'il dirige toujours, présentant la musique d'Alan Hovhaness, Kaikhosru Sorabji, ou encore Jean Catoire, ce compositeur français dont le pianiste Nicolas Horvath (justement lui !) a entrepris une intégrale monumentale. Parmi les influences revendiquées par Lawrence Ball, on notera la présence de Terry Riley et LaMonte Young, minimalistes de la première heure mettant en œuvre boucles et répétitions, mais on trouvera aussi, outre encore Alan Hovhaness, Erik Satie et Arvo Pärt. À ces noms connus, il convient d'ajouter son goût pour les musiques marocaine ou indienne, le jazz, le rock. Il ne lui paraît pas étrange d'associer musique et méditation ou musique générée par ordinateur. Le catalogue de ses œuvres, essentiellement tonales, est immense... Son ami Nicolas Horvath publie sur son label Nicolas Horvath Discoveries deux suites pour piano, la n°9 en cinq parties et la n°8 en trente.
À la pour(suite(s)) du Mystère...
La suite n°9 joue surtout sur des boucles à la main droite, soutenues par des notes isolées dans les mediums. C'est un lac paisible sous plusieurs éclairages, avec la lumière qui chante doucement tendue vers le ciel. Déjà le crépuscule s'approche, le promeneur marche à pas lents, attentif à la danse diaphane des gouttelettes frémissantes à la surface du lac...
L'ample suite n°8 est d'allure plus grave, plus recueillie, trouée de silences. Un peu moins d'aigus, plus de médiums et surtout quelques graves. L'heure est à la méditation, à l'intériorité, au dépouillement. Des thèmes reviennent, enveloppés d'une brume rêveuse, presque disloqués par la lenteur. Avec d'imprévues relances mystérieuses, comme en 8.
Puis la suite se met à chanter, en 11, un air touchant, souvenir d'Alan Hovhaness ou Georges Ivanovitch Gurdjieff. Un de ces airs qui touchent à l'ineffable en quelques notes. La suite en est transformée, transcendée. Elle nous transporte dans ses volutes résonnantes, énigmatique et belle, vers une grâce d'autre monde. Elle semble parfois revenir en arrière (la 15 sur la 14, par exemple), et c'est pour mieux nous ensorceler dans ses petites mélodies tendues comme des fils fragiles sur le néant de toute chose. Avec son parfum oriental, la 18, solennelle et vaporeuse, incante le soir mystique. La 19, c'est Satie tel qu'en lui-même, son fils des étoiles au regard droit dans une cathédrale ouverte sur le ciel...
Les cloches sonnent, c'est la 20, aux boucles envoûtantes, un des sommets de cette suite sublime. On gravit un escalier, ou une échelle, comme Jacob, ô l'étonnante 24, porté par les harmoniques de cette économie confondante. Puis c'est la 25, qui me fait frémir à chaque écoute, aux boucles denses et haletantes, au doux balancement hypnotique. Qu'y a-t-il de plus beau que cette musique ? Il y a en elle une pureté vibrante que Nicolas Horvath donne à entendre note après note grâce à un toucher précis et respectueux de cette approche pudique et sans cesse reprise, une pour(suite) obstinée du Mystère, la respiration du monde pour laquelle le compositeur nous invite à prier.
Paru fin juillet 2023 chez 1001 Notes ACEL - Nicolas Horvath Discoveries / 35 plages / 55 minutes
Trois ans déjà...tant pis, car ce disque mérite de figurer dans ces colonnes. Pourquoi ? Parce que le pianiste Reinier van Houdtest présent en solo sur quatre titres (le disque en compte six). Je sais qu'il est là du côté des musiques essentielles. Et ce cd portrait de la compositrice américaine de Boston Nomi Epstein est passionnant d'un bout à l'autre !
"Till for solo piano"(2003) fait partie de ces pièces mystérieuses qui semblent les facettes mêmes d'un silence rayonnant. Ce sont de courtes phrases, interrogatives peut-être, insistantes, des phrases perdues dans les rets de leurs résonances, elles marchent doucement, fermement, dans des lacs de lumière, au seuil de quelque chose. Puis une note revient, tel un battement de cloche : nous sommes ailleurs...
"for Collect/Project"(2016/19), pour voix, flûte basse et électronique en direct, parcourt une série de couleurs, de formes, passant de l'une à l'autre avec une grande aisance, si bien que l'hétérogénéité de la pièce devient sa richesse.
Puis c'est le "Solo pour piano" (2007), vingt-cinq minutes en deux parties inégales, "Waves" pour un peu moins de huit minutes, et "Dyads" pour dix-sept minutes. Reinier van Houdt, comme d'habitude, est royal dans les vagues graves de l'instrument : une descente abyssale bruissante d'harmoniques bourdonnantes, floues. "Dyads" articule au contraire très nettement les notes, bien séparées, et c'est une montée lente, fragile dans sa pesanteur. On pourrait dire que c'est un essai de montée, car ne repart-on pas du même point ? Ce qui compte, c'est la réitération têtue, la volonté de décoller les semelles, contrariée par la lourdeur d'une charge, comme la marche d'un homme accablé sous le poids de sa Chimère dans le poème en prose Chacun sa chimère de Charles Baudelaire. Arriveront-ils jamais ? Il n'y a plus que cette marche, elle pourrait être infinie...
Nomi Epstein est elle-même au piano sur "Sounds for Jeff and Eliza" (2018), également pour clarinette basse (Jeff Kimmel) et flûte (Eliza Blangert), les sons discontinus du piano ponctuant, découpant les plages continues des deux autres instruments. Répétitions et superpositions construisent un univers sonore méditatif, une sorte de labyrinthe de souffles et de brèves déflagrations lumineuses. Dans la lignée de Morton Feldman, une pièce fascinante, superbe.
Reinier van Houdt interprète à nouveau la dernière pièce de ce portrait, "Layers for piano" (2015/18), en trois parties enchaînées. La première, mesurée, joue sur de longues notes soutenues. La seconde, non mesurée, détache davantage les notes, semble rebondir à chaque fois dans l'inconnu. Seule une oreille avertie, exercée, distinguera ces parties (où commence la troisième ?), tant le parcours est cohérent, semé de courtes grappes tout au long de cette belle errance.
Un disque magnifique de musique contemporaine contemplative.
Paru en juin 2020 chez New Focus Recordings / 6 plages / 1h et 17 minutes environ
Considérés par le compositeur et critique musical Kyle Gann comme la première œuvre post-minimaliste, les Time Curve Preludes de William Duckworth (1943 - 2012) ont peu à peu acquis la renommée qu'ils méritent. Ces vingt-quatre petites pièces pour piano, composées en 1977 et 1978, ont été crées en 1979 par le pianiste Neely Bruce, intégrale enregistrée chez Lovely Music la même année. Bruce Brubaker, pour lequel le compositeur écrivait un concerto pour piano dans les derniers mois de sa vie, donna une belle version des douze premières en 2009 chez Arabesque Recordings. En 2011, le pianiste R. Andrew Lee a enregistré le cycle chez Irritable Hedgehog. Trois interprétations par trois pianistes américains importants, et d'autres sans doute qui m'ont échappé, témoignent de l'attraction exercée par ce cycle, devenu au fil des ans un classique. À juste titre !
Emmanuele Arciuli
C'est au tour d'un pianiste européen, l'italienEmmanuele Arciuli, familier des œuvres de Georges Crumb, Philip Glass, Lou Harrison ou Frederick Rzewski, de proposer sur ce disque paru voici peu chez Neuma Records son interprétation des douze premières pièces. Une interprétation qui n'a rien à envier à celle de ses prédécesseurs. Le piano est enregistré de plus près, plus mat que chez Neely Bruce. Le parti-pris d'un toucher très analytique, les notes bien détachées alors que chez Nelly ou Bruce elles sont plus enchaînées, donne des lectures à la fois équilibrées et d'une grande luminosité. Dans le prélude VI, un des préludes ineffables du cycle, on entend, par différence, que Neely joue sur le tapis des harmoniques, que Bruce accentue le pendulum enivrant de la pièce, tout en la ralentissant suavement, tandis que Emmanuele choisit de creuser les contrastes pour donner le sentiment d'une rigueur quasi mathématique tout à fait envoûtante ! Bruce plonge le prélude VII dans une brume languide, Neely en fait sonner les dissonances ; Emmanuele ôte la brume, donne à la pièce son côté boogie woogie détourné par Satie. Sous ses doigts, le VIII étincelle mystérieusement, assez loin de Bruce et de son rubato alangui (2'50 - au demeurant magnifique !), plus proche de la grâce légère de Neely. Je ne poursuis pas une comparaison très partielle. Cette nouvelle version a ses caractères propres, qui la rendent aussi attachante que les "anciennes".
Dans l'ensemble, il se dégage de l'interprétation de Emmanuele Arciuli un sentiment de grande paix radieuse, ce qui n'exclut pas une belle énergie dans les préludes les plus nerveux.
Un titre en cache un autre...
Le titre de l'album ne laisse pas prévoir une jolie surprise, celle de découvrir un petit cycle de mélodies (soprano et piano) du même compositeur, titré Simple Songs About Sex and War, sur des paroles du poète américain Hayden Carruth(1921 - 2008) : cinq pièces entre un peu moins de deux minutes et un peu plus de trois pour environ quatorze minutes au total. On y retrouve le même pianiste pour accompagner la soprano italienne Costanza Savarese, par ailleurs guitariste classique internationalement reconnue et artiste interdisciplinaire.
Costanza Savarese
Ce cycle est la dernière œuvre composée par William Duckworth. Cinq pièces délicieuses ! Sur la première, "Six O'clock" Costanza Savarese chante d'une petite voix pointue, mutine. La langoureuse "If Love's No More" permet à la voix souple de la chanteuse de donner toute sa mesure. Je pensais parfois à Kate Bush en l'écoutant. On n'est pas loin des chansons de cabaret, entre gouaille et dramatisation affectée, sur des mélodies superbes, parfois avec d'audacieuses ruptures de ton, comme sur "The Stranger", la quatrième. La dernière, "Always or the Children or Whatever", est empreinte d'une nostalgie magnifique. Quel beau testament musical !
Un disque admirable servi par de brillants interprètes.
Paru en février 2023 chez Neuma Records / 17 plages / 45 minutes environ
« Le piano sans peur » ? L'artiste et compositrice australienne Megan Alice Clune n'a pas eu peur de revenir sur ces improvisations sans prétention pour le piano. Elle n'est pas pianiste. Ce sont des moments flottants, presque comme un journal intime, qu'elle a retrouvés dans ses fichiers, puis réorganisés, renommés, légèrement édités. Elle a ajouté de ci de là une voix, un halo ou accompagnement électronique.
Aucun moment n'est perdu, nous dit-elle par cette "récupération". Les improvisations sont devenues de petites méditations, Le premier titre, "A flash in the Pan" prend des allures chinoises sous son manteau de réverbérations. Il marche à petits pas dans la neige du passé. Sur "PE44CE", j'ai cru un moment entendre la voix de...Wim Mertens ! Cette voix archangélique de contreténor, surgie des lointains, voix-saxophone...
Le miracle, c'est que ces morceaux baignent dans une grâce émouvante, même quand on entend le mouvement des touches sur "Mountaineer", lente plongée minimaliste envoûtante. "Pure Fantasy" nous accroche malgré la simplicité du fragment mélodique répété, on pourrait presque écrire "ânonné". Enveloppé dans un fin réseau de griffures électroniques, il est comme un oiseau dans la cage aux fantasmes...
Que reste-t-il du passé ? D'humbles souvenirs, ressassés, transcendés dans une brume brillante : voilà "2012", à l'avancée prudente, salutation au bord de la tranquille disparition.
Décidément, j'aime bien la musique de Megan Alice Clune, musicienne dont j'avais salué fin 2021 la parution deIf You Do, sur le même label.
Paru en février 2023 chez Room40 / 7 plages / 25 minutes environ
Elle remonte au Conservatoire Royal de Bruxelles, où le pianiste François Mardirossian a étudié et rencontré Thibaut Crassin, depuis resté son ami. Pendant ces années d'étude, ils explorent avec deux autres pianistes tout le répertoire minimaliste au sens assez large, bien représenté sur ce blog : Philip Glass, Arvo Pärt, Steve Reich, Urmas Sisask, Ryūichi Sakamoto, Brian Eno, Moondog, Graham Fitkin, Douwe Eisenga, etc. Puis le groupe explose, François Mardirossian se lance dans une carrière solo avec son premier disque sur Moondog, puis celui sur Glass, celui sur Alan Hovhaness. En 2019 à Lyon, lors de la première édition du Festival Superspectives qu'il co-dirige, François retrouve Thibaut, avec lequel il avait toujours eu envie de rejouer, et tous les deux se lancent dans l'aventure d'une Nuit blanche minimaliste de 20h à 8h. Leur ami Bruno Letort, dont j'avais salué le disque Cartographie des sens, sorti en 2019, leur écrit pour l'occasion une suite de pièces pour deux pianos que nous retrouvons sur Pianisphere 1, d'ailleurs titré d'après cette suite. Une partie du programme de la nuit minimaliste de 2019 se retrouve ici...
Musiques pour deux pianos
Le disque mêle deux ensembles de pièces inédites et quatre interprétations ou transcriptions.
Quatre pièces courtes de Ryūichi Sakamoto, disséminées en 1, 3, 8, 11
Une très bonne idée que cette dispersion ! Quatre pièces nerveuses, tranchantes qui vont à l'encontre d'une certaine image de la musique minimaliste comme une musique molle, ennuyeuse ! Je connaissais Ryūichi grâce à ses magnifiques collaborations avec Alva Noto. Je me souviens d'un ou deux disques solo qui ne m'avaient pas emballé en leur temps. Me voici réconcilié. D'entrée de jeu, "A Hearty Breakfast" séduit par le jeu en miroir des deux pianos, la sécheresse syncopée de son avancée implacable. "Batavia" batifole, fait la folle avec ses batteries de grappes serrées. "A Brief Encounter", c'est la venue d'une mélodie enchanteresse au milieu des saccades répétées du premier piano. Superbe ! Et "Before the War" étonne par sa fantaisie enfantine, sa fraîcheur insouciante, jalonnée d'un bout à l'autre par les petits cailloux de l'un des pianos.
Pianisphere de Bruno Letort, quatre mouvements entre deux et quatre minutes chacun
Une très belle surprise que cette pièce, chaque mouvement ayant un dédicataire différent. Le premier, dédié au pianiste et compositeur Melaine Dalibert, est étincelant. L'un des pianos reste dans des graves pensifs, pendant que l'autre éclabousse la surface de ses grappes liquides, puis des notes répétées par les deux pianos ouvrent une deuxième période plus agitée où les deux pianos se mêlent dans un beau friselis avant une coda marquant un retour à la première phase. Le second mouvement, dédié à Brigitte Isaac, gambade allègrement, parsemé de brefs ralentis et passages en retrait, ce qui lui donne un étonnant relief. Le troisième, dédié au compositeur et pédagogue Denis Brosse, déroule une magnifique méditation, les deux pianos se rapprochant pour nous entraîner dans une brume onirique pailletée de lumières. Le quatrième, dédié à François Mardirossian, est d'un minimalisme fluide et vif, tout en boucles intriquées au brillant contrepoint, avec de délicates échappées intériorisées.
Du côté du "répertoire".
- Une interprétation sobre du "Pari Intervallo" d'Arvo Pärt. Avec une première note de l'intervalle plus perlée, une vraie goutte de lumière intense, que dans l'enregistrement par Jeroen Van Veen et son épouse Sandra chez Brilliant Classics (2014). Lors d'une première écoute, j'avais trouvé l'interprétation compassée. Non, elle est remarquable de densité, de concentration. D'un calme profond, sublime !
- Une transcription de "By This River" qui, rappelons-le, fut composée par Brian Eno, mais aussi Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius, extraite d'un album que j'adore, Before and After Science (Islands ou Polydor, 1977). Pas question bien sûr de rivaliser avec la version "fantôme" de Ryūichi Sakamoto (encore lui, tiens tiens !) et Alva Noto dans l'album Summus(Rasten-Noton, 2011). La suave mélancolie de la mélodie du morceau de Brian s'est insinuée dans le cerveau de tous ceux qui l'ont entendue... La transcription de François Mardirossian commence par un long bourdonnement sépulcral, avec de fins crissements, magnifique préparation à ce morceau dont les paroles originales évoquent allusivement le Styx. Ce drap mortuaire de graves, peuplé d'accidents fantomatiques, se prolonge sous la mélodie, dédoublée, qui en ressort plus bouleversante, miraculeuse. Un sommet !
- Une interprétation de "Two pianos" de Morton Feldman. Moins douce, amortie, que celle de John Tilbury et Philip Thomas parue chez Another Timbre en 2014. Plus sculpturale, aux reliefs tranchés, impressionnante de densité mystérieuse. Superbe !
- Une interprétation de "My First Homage" de Gavin Bryars. Sans les vibraphones, cymbale et tuba de la version de 1978, et sans la réverbération, l'espèce de halo tremblant dans lequel baignait le morceau ! Une version lumineuse, aux articulations nettes. Lente dérive nostalgique, rêveuse, au fil de ses boucles liquides, de ses reprises ponctuées de floraisons foisonnantes, les phrasés jazzy coulés au milieu de cet océan minimaliste ( la pièce est un peu comme un au revoir au jazz pour Gavin Bryars à ce moment-là). C'est très émouvant, l'émergence d'une pièce qui gisait dans son cercueil immergé dans le disque de Gavin. Une exhumation brillante, une (re)découverte.
Un programme superbe, servi par deux pianistes talentueux, qu'on entend en belle symbiose. La prise de son est remarquable, aigus brillants et graves profonds. Très belle photographie de couverture de Ilya Kholin (graphisme : February 31 agency)
. Un seul regret : que ce disque interprété, enregistré en France par des artistes et ingénieurs français soit assorti d'une présentation (certes réduite à quelques formules) unilingue en anglais, alors même que la maison de disque est bruxelloise, francophone donc...
Paru fin janvier 2023 chez SOOND / 12 plages / 52 minutes environ