Michael Vincent Waller - Trajectories
Publié le 7 Novembre 2017
Après deux albums numériques parus en 2014, Five easy pieces et Seven easy pieces, consacrés au piano, puis un double cd consacré au piano et à des formations de chambre en 2015, The South Shore, le new-yorkais Michael Vincent Waller publie un nouveau disque consacré pour l'essentiel au piano, auquel vient s'ajouter le violoncelle sur deux pièces. Le beau livret qui accompagne Trajectories nous livre les notes d'écoute de "Blue" Gene Tyranny, lui-même compositeur et pianiste (il faudra d'ailleurs que je m'y intéresse de plus près !). Je n'ai évidemment pas la prétention de rivaliser avec ses notes programmatiques, qui ne sont d'ailleurs pas que professionnelles. Je vous propose mes dérives d'écoute, un soir de pleine lune dans un petit village du centre de la France, près d'une église. J'étais dans ma voiture, à l'arrêt, mon carnet de notes sur les genoux. Il se trouve que pendant l'écoute la lune se levait en face de moi...
"by itself" : comme l'essai réitéré d'une mélodie fragile et lente, entre médiums et aigus, puis quelques touches plus graves. Des échos, des grappes vives s'accrochent au fil de cette méditation en apesanteur.
"Visages I A lonely Day.4th" : première pièce d'une suite de huit visages. Même veine transparente, translucide plutôt, d'une mélodie qui se retourne sur elle-même, quelques accords répétés dans les graves approfondissant la ligne.
"Visages II. Year of the Ram (ou Monkey, mon ordi et la pochette n'étant pas d'accord...)" : la mélodie chante ouvertement, alerte et délicate, avec une main gauche plus présente.
"Visages III. Maidens dancing" : évoque irrésistiblement les danses et mouvements de Gurdjieff. Venue du fond des âges, elle carillonne, martèle, obsédante. Les filles du feu sont là, tout autour, qui incantent le soir. Envoûtant !
"Visages IV. Lashing out" : une des pièces nettement minimalistes, fondée sur la répétition variée de quatre notes. La musique labile s'éploie, recueille de brefs silences pour mieux s'envoler dans un crescendo joyeux.
"Visages V. onoimatopoeia" : retour à la grâce des deux premiers visages. Frêle esquisse, interrogations pudiques, bribes d'une prière toujours reprise qui se change en louange.
" Visages VI. Obviously": Veine minimaliste intense et atmosphère à la Gurdjieff à nouveau par ce côté mélopée populaire immémoriale, ce cantique hors d'âge, parfois presque innocemment dissonant, à la fois énergique et lumineux.
"Visage VII. Inner world": ton plus grave, accélérés et enroulés autour d'une trame tranquille et forte, arpèges. Une marche déterminée vers la lumière, avec de beaux dérapages, des reprises quasi orchestrales. Somptueux !
"Visage VIII. Three Things" : recueillement extatique autour d'une note seule, jeux d'échos. La cloche sonne l'heure d'un mystère ineffable...
"Lines" (avec violoncelle) : lignes langoureuses du violoncelle autour des notes calmes du piano, avec des passages staccato pour le premier qui rapprochent encore les deux instruments. Une élégie retenue, un très beau dialogue;
"Breathing Trajectories I" : questions fissurant le silence. Réponses mystérieuses dans la crypte aux miroirs. Qui respire entre le noir des notes ? La petite ritournelle oubliée ? On retient son souffle pour entendre derrière le lever de la lune pleine.
"Breathing Trajectories II": une source peut-être. Nouveau Narcisse, tu laves tes yeux dans la lumière entr'aperçue parmi l'onde lisse. Le chant monte, se tend, se suspend, s'abreuve d'autres sources. On est si bien dans les clairières du ciel.
"Breathing Trajectories III": C'est une marche lente, une ascension vers la lumière, avec ses fulgurances, ses élans fougueux, ses reprises d'appui. Et toujours la face qui se redresse malgré les genoux qui saignent sur les escaliers du sanctuaire, l'effort repris, mesuré, de recomposition de l'impossible. Le bain cherché tout en haut de la montagne de l'âme. Un triptyque mystique, magnifique...
"Dreaming Cadenza" : boucles rêveuses qui s'étirent, se nimbent de silence. La nuit fond en gouttes diffractées. Le temps n'est qu'une vapeur...
À ce moment, j'ai dû repartir, quitter la grosse lune, le porche noir et béant de l'église sur l'un des côtés de la voiture. Sachez que "Laziness", en trois parties pour neuf minutes environ, ne dépare pas ce programme : sensualité du violoncelle caressant, piano aux accents graves et mystérieux tissent une atmosphère d'abandon bienheureux, ce qui n'exclut pas des passages vifs et intenses.
On paresserait bien des heures à écouter cette musique-là, une des plus belles d'aujourd'hui, à portée d'oreille. Au fil des disques, Michael Vincent Waller s'affirme comme un compositeur majeur au style très personnel : apparente simplicité, pureté et dépouillement des lignes, grâce et émotion contenue, une aptitude aigüe à saisir les affleurements du Mystère.
Pour moi (et pour l'instant), le plus beau disque de l'année 2017.
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Paru en septembre 2017 chez Recital Thirty Nine / 17 plages / 77 minutes environ.
Au piano : R. Andrew Lee, infatigable défenseur des musiques minimalistes et fondateur de la maison de disques Irritable Hedgehog
Au violoncelle : Seth Parker Woods
Pour aller plus loin :
- disque en écoute et en vente sur bandcamp :
R. Andrew Lee interprète "Breathing Trajectories" :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 septembre 2021)