Kate Moore - Revolver

Publié le 14 Décembre 2021

Kate Moore - Revolver

  Revolver fait partie de ces disques qui d'emblée vous emportent, vous font frémir. Pourquoi commencer autrement que par ce saisissement ? Vous savez que ce disque plonge à la source, qu'il s'adresse à l'âme, sans détour... J'avais déjà célébré un disque précédent de Kate Moore (se référer à cet article précédent pour des éléments biographiques), The Open road, un beau cycle pour voix et harpe sorti en 2012, inspiré par les Feuilles d'herbe (Leaves of grass) du poète américain Walt Whitman. Le disque était autoproduit. Cette fois, elle signe sur le label Unsounds, un label fondamental qui ne cesse de s'améliorer, et je suis très content qu'elle rejoigne Yannis Kirikides, Andy Moor, Claudio F. Baroni et quelques autres ! Plus de voix, mais un quintette de chambre composé d'un violon, d'un violoncelle, d'une contrebasse, d'une harpe et de percussion. La musique a été composée pour l'installation de danse "Restraints" de l'artiste Ken Unsworth. Kate Moore accompagne son disque de notes pour chaque titre, notes qu'elles demandent de ne pas citer in extenso...aussi m'interdis-je même de les lire pour cet article qui ne sera que le fruit de mon écoute ! Bien sûr, je peux réagir aux titres eux-mêmes, s'ils me semblent ouvrir une voie d'approche...N'ayant pas vu la chorégraphie, je m'en tiens au disque.

   Harpe et percussion tissent des boucles serrées sur "Revolver", le premier titre, le violon surplombant le duo de ces accents élégiaques. Une source coule dans un champ au soleil levant, tout est miracle, la nature aspire la lumière. On ne distingue que des taches brillantes s'entremêlant joyeusement. Violoncelle et contrebasse se joignent au concert, lui donnant soudain une dimension manifeste de louange. Quel début frais, vibrant, des envols de papillons, le mouvement de la grâce soulevant les corps sonores...Et ce n'est qu'une ouverture ! Car il y a "The Boxer", et là, je pleure de beauté, dès les premières mesures, tant le chant est pur, les boucles adorables, le mouvement de balancement d'un instrument à l'autre admirable. C'est une longue extase, transcendée par le violon d'une douceur supranaturelle, qui m'évoque soudain le magnifique "Light is calling" de Michael Gordon. Comment l'âme ne serait-elle pas entraînée par ce mouvement indicible, ce frémissement ineffable, si suavement ponctué d'une percussion sourde ? Je ne peux m'empêcher de l'écrire : c'est le plus sublime titre de l'année, il restera à jamais dans ma mémoire. Pouvais-je ne pas écrire cet article ? Certes pas ! Kate Moore a bien profité des séminaires dirigés par David Lang, Michael Gordon et Julia Wolfe. Elle est maintenant à leur niveau !

   Comment écrire encore quelque chose après un tel choc, un tel chef d'œuvre ? Et pourtant... "Stroming" est étincelant de vivacité, de force ramassée, digne plus particulièrement de David Lang, de son écriture rigoureuse. Le flux sonore se fait fastueux, avec des opacités mouvantes extraordinaires, cette manière d'approfondir, de creuser si propre à David, voilà qu'elle la met en œuvre !! Le langoureux "Trio (Song of Ropes)" ne déçoit pas non plus, lents volutes autour de la contrebasse et du violoncelle ponctués par la harpe : on est comme en apesanteur, suspendu à de lents mouvements circulaires aux résonances magnifiques ! La plainte du violoncelle s'enlace aux boucles larges, quelle douceur, quel bonheur ! Les points d'exclamation ne doivent pas vous effrayer. C'est un disque à tomber, comme je l'écris parfois. Et ce n'est pas fini ! "Song of Ropes I", dans sa sévère austérité de solo de violoncelle, est un ensorcellement à coup de cordes graves, une giration fascinante de légères variations très resserrées : des cordes pour une infinie délectation...Le très langien "Song of Ropes II", deuxième solo de violoncelle, me fait penser encore une fois à David Lang [je ne parle pas de Louis Andriessen que je ne connais pas alors que je tourne autour de lui depuis longtemps ; je sais de plus que Kate fut son élève ] par l'économie d'une écriture tellement dense qu'elle tire de peu une chaleur incroyable, une puissance expressive confondante. Musique digne des suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach !!

    Après cette succession ininterrompue de pures réussites, c'est le titre le plus long "Way of the Dead", presque onze minutes d'un chant totalement envoûtant, d'une divine beauté mélodique. Violon agile et virevoltant, percussion entraînante, harpe la doublant par ses notes répétées, obsédantes, dans un crescendo intermittent dramatique. Comme on oublie tout, on le suivrait bien, ce chemin des morts, tout au long de cette quasi danse hallucinée parmi des allées troubles, au fond des graves, dans la paix des interstices, le tremblement des harmoniques. Le mouvement est irrésistible, agit comme un charme jusqu'à l'acmé martelé au vibraphone (?), vibrant de drones graves de cordes.

  Et il reste "Gatekeeper", diaphane gardien de la Porte, à la harpe hésitante, carillonnante, démultipliée, tissant une toile parsemée d'étoiles dans un mouvement enchanteur.

Si vous m'avez bien suivi... "Revolver", parmi tant de grands disques dont j'ai rendu compte dans ces colonnes cette année, est indéniablement le disque qui me touche le plus, constamment admirable.

Paru en octobre 2021 chez Unsounds / 8 plages / 49 minutes environ

Vous trouverez sur le site du label toutes les informations concernant les instrumentistes, magnifiques !

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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