Andrew Heath & Anne Chris Bakker - a gift for the Ephemerist
Publié le 18 Décembre 2019
a gift for the Ephemerist est le deuxième disque, après Lichtzin en 2017, issu de la collaboration entre le guitariste néerlandais Anne Chris Bakker, qui de son côté a signé des chefs d'œuvre de la musique ambiante, et le pianiste et artiste sonore britannique Andrew Heath, qui n'est pas en reste comme en témoigne notamment le beau Flux sorti en 2015. Quatre titres entre 8'40 et 18'12, inspirés par les paysages à proximité de leur studio dans un vieux moulin près d'un canal gelé, aux Pays-bas. Outre sa guitare, Anne Chris Bakker recourt à l'électronique, à des manipulations de bandes magnétiques et de sons de terrain, comme Andrew Heath qui, en plus de son piano, utilise les mêmes, bandes en moins. Ils ont recueilli et produit des sons, ceux de pianos sur une plate-forme ferroviaire, de vieux magnétophones à bobines, pour les distiller selon leur alchimie propre : l'amour des atmosphères calmes, pures, peu à peu animées par des particules, des nodules infimes. Ce sont des paysages vus au microscope, saisis dans leurs moindres vibrations, dans leur intimité, dans leurs tremblements sous le souffle de la beauté imperceptible qui se fraye un chemin de lumière.
"The Frosted Air" (L'Air givré) démarre au ras d'un drone percussif récurrent, de cliquètements, de fragments de conversations en arrière-plan, de petites touches de guitare, de piano. Peu à peu, très doucement, guitare et piano s'enlacent dans une aura électronique, une légère pulsation devient sensible, comme un balancement enveloppé. L'orgue joue le rôle d'un bourdon crescendo ; au premier plan, des clochettes parfois, le piano par intervalle, quelques bruits discrets, cisèlent le lent surgissement d'un flux somptueux charriant les sons d'une humanité chuchotante. C'est une respiration énorme, cosmique, dans laquelle se sont fondus tous les autres sons, la venue de la musique ultime, confondante. À écouter très fort pour se laisser porter...
Le deuxième titre, "Found piano (a gift for the Ephemerist)" comprend entre parenthèses le titre énigmatique de l'album. Qui est cet "ephemerist" ? Le mot est un néologisme, certes transparent : l'éphémériste, créateur ou maître de l'éphémère, serait-ce le dieu auquel on offre un cadeau pour cette courte vie qu'est la nôtre ? Mais le musicien aussi est un éphémériste, les sons s'effaçant au fur et à mesure, remplacés par d'autres. Un étrange piano ouaté essaie de se faire entendre dans un monde dominé par des vagues électroniques, des scintillations cristallines. Le ton monte, le piano plus puissant immergé dans les grondements impressionnants d'un train fantôme filant sur la glace vers une destination inconnue, on imaginerait presque des rênes avec des grelots tirant un traineau colossal s'abîmant dans les forêts de la nuit.
"Ontrafel" fait la part belle aux bruits les plus divers, créant une trame hantée, erratique. De quelle révélation s'agit-il ? La guitare s'interroge, des drones lui répondent en nappes épaisses pailletées de sons mystérieux. Tout crachote et semble s'enliser, mais le piano sonne une heure plus grandiose où la guitare flamboie dans le ciel peuplé de voix synthétiques, traversé de traits de lumière frissonnante. "Ontrafel" peut être considérée comme un prélude à la pièce la plus longue, "Waddensee" (Mer des Wadden), long hymne à cette mer des Wadden, avec ses zones côtières humides, refuge de nombreuses espèces. Tout ici est sous le signe de l'ampleur, de l'ouverture, d'une lumière diffuse, qui semble onduler dans une temporalité suspendue. Les oiseaux planent au-dessus des craquements d'un bateau dans lequel on marche lourdement, on entend des moteurs, un train, mais rien n'altère la splendeur, la grandeur d'un espace qui les inclut, les digère. Les six dernières minutes sont prodigieuses, d'une puissance sombre, un véritable enlèvement dans le feuilletage majestueux des éléments pour atteindre les fêtes lointaines de l'immortalité ?
Un beau cadeau pour dégivrer toutes les névroses, ravir les amateurs de beaux envols.
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Paru en juin 2019 / Rusted tone Recordings / 4 plages / 55 minutes environ
Pour aller plus loin :
- le disque en écoute et en vente sur bandcamp :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 15 octobre 2021)