Phillip Schroeder : nuance, mystère et grâce...(1)

Publié le 24 Février 2014

 

   Né en 1956 dans le nord de la Californie, Phillip Schroeder a commencé très tôt une carrière musicale sous le signe de la diversité. Trompettiste, choriste dans des chœurs de garçons ou mixtes, joueur de basse électrique dans des groups de rock, chef d'orchestre de chambre, membre d'ensembles d'improvisation...et pianiste, il a à son actif de très nombreuses œuvres pour ensemble de vents, orchestres de chambre, mais aussi pour piano, compositions électroniques en direct, voix... Il enseigne depuis de nombreuses années la composition et la théorie musicale à l'université d'état de Henderson, dans l'Arkansas. Cet article et le suivant présentent deux disques qui lui sont entièrement consacrés, le premier pour piano solo, le second pour piano multi-piste, synthétiseur, voix, violoncelle et basse électrique. C'est le beau disque de la pianiste Jeri-Mae G. Astolfi, Here (and there), chroniqué voici quelques articles, qui m'a mis sur la piste de Phillip Schroeder. Comme quoi des programmes bien conçus par des interprètes sensibles ouvrent des horizons...

 

Phillip Schroeder : nuance, mystère et grâce...(1)
Phillip Schroeder : nuance, mystère et grâce...(1)

   À nouveau interprété par la pianiste Jeri-Mae G. Astolfi, Music for piano rassemble un cycle de douze pièces de 2003, trois pièces de longueurs inégales et un petit cycle consacré  aux différentes phases de la lune sous le titre Moons.

   Comprises entre un peu plus de une minute et un peu plus de trois, les douze quasi miniatures de "Twelve Pieces for piano" s'ouvrent sur une atmosphère doucement hypnotique de boucles lentes, augmentées et variées. La pièce n°2 contraste avec la précédente et la prolonge : courts arpèges brillants coupés de silences et d'interrogations intenses. On revient avec la trois vers la un, mais en plus chantant, une fragile mélodie s'esquisse sur une base obsédante de graves, monte dans les aigus sur un rythme decrescendo, s'interrompt pour poser à nouveau ses quelques notes sur le silence. La quatre cavalcade, brillante et narquoise. La cinq est à nouveau lente, lointaine, brumeuse dans ses aigus tenus ponctués de notes plus graves : c'est un ralenti, une retenue qui forcent l'écoute, comme une cloche qui appelle, insistante. On comprend avec la six que le cycle est construit sur une alternance de pièces calmes et de pièces plus brillantes, sans jamais d'excès. Cette six joue sur une note répétée, agrémentée de grappes sonores chatoyantes, rapides, une eau vive coule autour d'un caillou, d'une roche tranquille. La sept sonnerait presque romantique si elle n'était découpée par des plans imprévus, des contrastes comme des à-plats. La huit nous entraîne un peu du côté de Morton Feldman, quoique sur un rythme légèrement plus rapide : un motif intrigant, une succession d'interrogations mystérieuses soudain résolue en source fraîche fragmentée en petits jets gracieux. Un strumming marque la neuf : fleuve puissant et clair, jeu des arrière-plans, notes répétées jusqu'au silence. On reçoit d'autant mieux l'évanescente dixième, d'abord descendante, puis montante, renforcée de graves profonds et qui s'épanouit dans des médiums lumineux. La onze fait contraster des graves profonds, martelés, avec des aigus ou médiums chargés d'harmoniques. Le cycle se termine sur une pièce méditative qui laisse résonner les notes, dans une sobre alternance de graves et d'aigus. Un vrai cycle, absolument passionnant, jamais démonstratif, ciselé avec un vrai sens de la mesure et du mystère.

   "No Reason Why" (2003), c'est le coup de la grâce. Une fluidité, une lumière changeante à partir de notes répétées, de motifs délicats écartelés entre différents registres, d'où comme une légère ondulation traversée de traînes harmoniques lorsque les graves se prolongent. C'est un paysage : de petites vagues viennent s'amortir sur le sable dans la lueur diffuse de l'aube ou du crépuscule. Splendeur, joie immense et immobile, extatique, toutes les lignes convergent vers cette note pointée qui éclabousse de lumière la totalité. Un chef d'œuvre !

   "Floating" (1980/2003) joue sur deux plans : un accord énigmatique dans les aigus, auquel répond un grondement prolongé de graves. L'étrange dialogue se poursuit, enrichi, décomposé en notes tenues, avec irruption de frottements de cordes dans l'intérieur du piano. Suspension, mystère... très belle pièce également.

   "From the Shadows of Angels" (2003) se tient constamment au seuil du mystère, qu'elle entoure d'une série d'interrogations, d'envolées tranquilles et insinuantes. C'est la promesse d'un chant, l'écho démultiplié d'une grâce ineffable, inépuisable, à l'ombre de laquelle on s'essaie à la lévitation, avec un court moment pendant lequel on sent que l'on tient, avant de repartir dans l'instable et répétée reconquête, mais transcendée. Du niveau de "No Reason why"...

   "Moons" (2003) n'est pas moins intéressant que le reste. La nouvelle lune est fraîche, hypnotique avec ses motifs répétés, surprenante avec ses profondeurs soudaines : elle nous attire, nous déconcerte, envoûtante. Le premier quartier se tient dans une lumière irréelle, arpégée, presque narquoise : il se montre et se cache, brillant et toutefois lointain...Musique frémissante et subtile, nimbée d'harmoniques vives. La pleine lune est la plus mélodique, mais elle ne dit pas tout, se reprend dans un réseau d'entrelacs lumineux. Elle danse entourée de voiles diaphanes, pose parfois sa tête alanguie sur nos oreilles. Le dernier quartier carillonne volontiers, virevolte, tout cela comme un somnambule, ébloui, qui se réveille à moitié avant de sombrer à nouveau dans un rêve obsédant.

   Je ne connaissais pas Phillip Schroeder : je viens de découvrir un très grand compositeur !

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Paru chez Capstone Records en 2005 / 19 pistes / 62 minutes

Pour aller plus loin

Rien à vous proposer, hélas, même en 2021 !

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)

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