musiques ambiantes - electroniques

Publié le 27 Janvier 2011

Psychoangelo - Panauromni

   De la musique électronique, et de la meilleure, voilà ce que nous donne ce duo du Colorado. Glen Whitehead, trompettes et ordinateur, et Michael Theodore, ordinateur, guitare et petits objets, mêlent échanges improvisés et passages écrits pour créer des tapisseries aux sombres chatoiements. Dès le premier titre, "Radiation by design", on plonge dans un univers intense traversé d'ondulations, de stridences : la musique est spatiale, nous entraîne dans une traversée vertigineuse. D'étranges oiseaux électroniques hantent le paysage cosmique, tandis que la trompette pose de longues traces cuivrées dans les couches supérieures de la stratosphère. La musique donne presque la sensation physique de la densité des espaces intersidéraux : rien de plus plein que ces vides abyssaux où navigue une multitude d'objets sonores, où se pressent en bancs épais des nuées tournoyantes. "Panauromni" poursuit avec une dimension épique prononcée. Trompette et drones enveloppent de puissantes tempêtes de particules dérivantes. On atteint des couches plus profondes avec "Pipe Dream in Silver": le rythme se ralentit, on descend toujours plus dans les graves en couches denses, parcourues en surface de frissonnements de lumière noire. Une attraction invisible s'exerce, aimante les masses vers un centre mystérieux.

   Le duo actualise ce que la musique de Tangerine Dream avait de meilleur : ces "mystérieuses semblances sur la grève des cauchemars", pour paraphraser l'un des titres de l'album Phaedra (1974). Les oiseaux synthétiques reviennent hanter "Dodechophoenix", sublime torsade de trompette majestueuse et de drones déchiquetés. Tout semble exploser avec le début de "The Wary Dream (Threads The Grand Logic)": trompette panique, crissements multipliés, ronflements, palpitations froissées. Effraction au cœur de la matière, de la stellus mater...pour découvrir le centre radieux, "Phosphorus mas frio", phosphore plus froid qui rectifie les trajectoires, coagule en flèches acérées l'inquiétant chaos des morceaux précédents. Un disque impeccablement construit, d'une altière et sombre beauté.

Paru en 2010 chez Innova Recordings / 6 titres / presque 45 minutes.

Pour aller plus loin

- un extrait de "dodecophoenix" , servi par une belle vidéo (qui tourne mieux que la précédente) :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 28 Novembre 2010

Brian Eno - Small Craft on a milk sea

            L'art de l'épure

  

Brian Eno

Placé sous la triple égide de Steve Reich, Brian Eno et Thom Yorke, ce blog, créé en 2007, n'attendait plus que Brian Peter George St John le Baptiste de la Salle Eno, dont le vrai nom fait déjà rêver, auquel je suis redevable de tant de merveilleuses écoutes et qui m'a fourni si longtemps de superbes indicatifs. Le voici qui frappe à nouveau, très fort, avec un disque instrumental qui joue sur le double terrain de l'ambiante et des musiques électroniques abstraites et post-industrielles, post tout, en fait. Brian Eno - puisque notre monde pressé raccourcit ce qui risquerait de le ralentir !, a collaboré avec...presque tout le monde dans le milieu de la pop, et peut être considéré comme l'un des fondateurs de la musique "ambiante" et l'un des maîtres incontestés de la musique électronique. Le fait qu'il signe aujourd'hui sur le label Warp, celui d'Autechre, excusez du peu, n'est pas un hasard, mais un aboutissement logique. Son propre  label, Opal, ne disparaît d'ailleurs pas : mariage de raison, en somme, entre deux voies de la musique électronique. Côté Opal, les tissages ambiants, brumeux, le clavier opalescent, justement. Côté Warp, l'énergie brute, les arrachés percussifs, la griserie saturée. Je schématise, bien sûr, car un des disques antérieurs d'Eno, le superbe Nerve Net (Opal, 1992) est ahurissant d'énergie décalée. Alors ? Je vois dans cette convergence une belle ironie de cet homme qui, à soixante-deux ans, montre, preuves à l'appui, qu'il domine la situation, qu'aucun créateur de la musique électronique d'aujourd'hui ne fait mieux. Beaucoup de musiciens et groupes sont victimes de la lourde technologie qu'ils utilisent, même Autechre n'y échappe pas. Et le dernier Ital Tek, dont je parlerai bientôt, aussi réussi soit-il, manque de la finesse du maître. Finesse, voilà ce qui distingue Eno. Écoutez "Bone Jump", le titre sept : intro de dentelle, suivie de la lourde arrivée d'un synthé qui brode une gauche mélodie. Le continuum cristallin de l'arrière-plan, les intrusions percussives hyper fines font la critique du malotru, malheureux égaré dans l'ouvrage discret de Brian. "Dust Shuffle", qui suit, montre l'autre direction, celle du petit radeau (ou de la petite embarcation) sur une mer de lait. Brian manie l'outil électronique en orfèvre du son, en artisan soucieux du moindre détail, ce qui débouche sur des fulgurances, des transparences, des profondeurs dont bien des musiciens électro sont très éloignés. Producteur attentif depuis longtemps, il sculpte ses sons, les aiguise : "Paleosonic" superpose percussions hoquetantes, guitares électriques incisives aux éclairs qui fulgurent, claviers rugueux, dans une composition hallucinée aux antipodes des pesanteurs associées trop souvent à la (mauvaise ..) musique électronique.

  Le résultat est un disque impérial. "Emerald and lime" offre un début en forme de clin d'œil, Eno vaporeux pur jus, clavier qui carillonne dans un lent tournoiement de moires. L'atmosphère s'épaissit avec "Complex Heaven", piano de John Hopkins, très buddien, atmosphère de légère étrangeté parcourue de frissons et de voix synthétiques. Le titre éponyme crée ce qu'on pourrait appeler une pastorale magnétique, guitare en apesanteur, battements, glissement insidieux dans le sillage laiteux de multiples cloches et de cordes lointaines. À partir de "Flint March", on rentre dans le cœur volcanique de l'album : percussions affolantes, bruits et textures dignes d'une musique concrète qui aurait contaminé la techno (ou inversement), avec un brin de sauvagerie. "Horse", c'est l'énergie du marteau-pilon et la délicatesse rageuse des guitares qui découperaient de l'acier en lançant des gerbes d'étincelles. On continue dans un industriel hanté, organique,  avec "2 forms of Anger", pas si éloigné du travail d'une Annie Gosfield, guitares survoltées et coupantes sur un tapis percussif de plus en plus  métal. Superbe !! Après la parenthèse critique de "Bone Jump", morceau évoqué ci-dessus, on repart dans la splendeur raffinée de "Dust Shuffle", l'archéologie brûlante de "Paleosonic", digne prolongement de Nerve Net, en plus ramassé. Apaisé par ces titres incandescents, on peut s'abandonner aux douceurs glaciales des six dernières plages, aux lents vertiges cristallisés, aux miroitements somptueux d'une électronique sans égale : "Slow Ice, Old Moon", "Lesser Heaven", "Calcium Needles", sont les étapes d'une traversée à la fois cosmique et abyssale de la matière, l'autre cœur plus secret, plus troublant encore, de ce disque incroyable. Restent "Emerald and Stone", écho solidifié du premier titre, avec un piano plus ferme que d'habitude ; "Written, Forgotten", guitare aérienne sur fond de voix échantillonnées et de claviers en virgules extatiques, sorte de méditation sourdement habitée en boucles approfondies ; "Late Antropocene", le plus long titre, travaillé par une lumière sombre, plongée dans les entrailles telluriques animées de micro secousses, de tressaillements, morceau visionnaire d'une humanité exhumant les ressources fossiles d'une terre peu à peu transformée en cimetière bourgeonnant de monstruosités amorphes, d'épiphanies sournoises.

   Deux musiciens collaborent à l'album : Jon Hopkins, pianiste et compositeur de musique électronique, qui a publié trois disques ; Léo Abrahams, guitariste avec au moins quatre albums à son crédit.

15 titres / 49 minutes // Paru chez Opal /Warp

Pour aller plus loin

- le site officiel de Brian

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 22 Octobre 2010

Max Richter : la quintessence arlequine du minimalisme .

   Max Richter, pas encore sur Inactuelles ? Si ! En tant que fondateur, en 1989, du groupe Piano Circus, six pianos pour interpréter Steve Reich, Terry Riley, Michael Nyman et tous les grands noms du minimalisme et des alentours. Cet allemand qui a étudié en Grande-Bretagne vit désormais à Berlin, se consacre à une carrière solo véritablement commencée en 2004 avec The Blue Notebooks. J'écoute actuellement Infra, sorti en juin de cette année, et Songs from Before , de 2006. Dès le premier morceau de ce dernier, "Song", je crois entendre du Arvo Pärt : la pureté qui désarme, la joie poignante, la lenteur tintinnabulante, l'orgue ponctué de percussions étouffées, de cordes éthérées."Flowers for Yulia", c'est comme un lointain écho de "Tabula Rasa", du même Arvo : prière balbutiée, litanie de cendres blanches dispersées dans la neige, majesté de la déréliction...Puis le piano s'avance, seul, mélancolique et nu comme chez  Harold Budd, suivi d'un court poème de Haruki Murakami sur fond de pluie. "Ionosphere" ? Un interlude d'un peu plus d'une minute qui m'évoque le travail de Pierre-Yves Macé sur Passagenweg (Je sais, ce disque est postérieur !)...Vous vous inquiétez ? Ferais-je de Max Richter un plagiaire ? Sur le même disque, "Automne music 1", n'est-ce pas du Michael Nyman ? Nyman que l'on retrouve sur Infra avec le merveilleux "Infra 4", droit sorti de  Drowning by Numbers, musique pour le film de Peter Greenaway. Voilà encore Wim Mertens dans "Infra 3" et dans l'envoûtant "Infra 5", valse lancinante et frénétique... ou encore dans "Automn Music 2", difficile parfois de départager l'anglais Nyman et le belge Wim Mertens, tant ils sont cousins !

Max Richter : la quintessence arlequine du minimalisme .

   Je comprends Max Richter. Imprégné de toutes ses musiques qu'il a tant interprétées ou écoutées, il les recompose pour nous, à dose homéopathique. Il sait que nous sommes des gens pressés : pas de longs titres (maximum inférieur à sept minutes, la majorité entre deux et quatre, parfois moins). Tout pour plaire, en somme, et je ne lui en veux pas, j'aime sa musique, et tant mieux si grâce à elle on découvre ses inspirateurs. Avez-vous vu Valse avec Bachir, le superbe film d'animation du réalisateur israélien Ari Folman ? Max Richter a signé la musique, une des plus belles musiques de film de ces dernières années. Le minimalisme peut enchanter le grand public. Je dois vous avouer quelque chose : si j'étais compositeur, je serais peut-être Max Richter, mon semblable, mon frère. Nous sommes tous  quelque peu des arlequins dans la société de surconsommation.

- Songs from Before : paru en 2006 chez FatCat / 12 titres / 37 minutes environ... seulement ? Ne mesurons pas le sublime avec des unités dérisoires...

- Infra : paru en 2010 chez FatCat / 13 titres / 40 minutes environ

À noter que ce dernier disque correspond à une musique conçue pour un ballet, ce qui explique aussi la brièveté des titres...? (J'ai pourtant vu une superbe chorégraphie sur l'intégrale de Music for Eighteen Musicians de Steve, pas loin d'une heure sans coupure.)

Pour aller plus loin

- le site officiel de Max Richter

- Un photo-montage à partir du titre "On the nature of Daylight"...dans Shutter Islands de Martin Scorcese. Il est partout, Max Richter !!!

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 15 mars 2021)

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Publié le 16 Juin 2010

Slow Six : "Tomorrow becomes You", parce que nous sommes tissus d'étoiles.

   Private times in public places en 2004 chez If Then Else RecordsNor'Easter  en 2007 chez New Albion Records : deux disques magnifiques du groupe de Brooklyn mené par Christopher Tignor, compositeur, violoniste et concepteur du matériel informatique d'accompagnement. Comment ne pas attendre toujours aussi beau, aussi haut ? Tomorrrow Becomes You, sorti voici peu chez Western Vinyl, m'a d'abord laissé sur ma faim. Il fallait lui laisser le temps de se décanter, qu'il développe son atmosphère propre. C'est chose faite. Accomplissement, pour que triomphe la lumineuse douceur des mélodies brumeuses de ce groupe post minimaliste.
   "The Night You Left New York" commence au ralenti, quelques notes piquées sur les cordes, une guitare qui s'étire, des boucles en volutes tranquilles, puis on rentre dans une ronde étourdissante menée par le violon, des particules de lune dans les cheveux. Les percussions s'en mêlent, la guitare s'électrise, flambée post rock, les étoiles se rapprochent dans la déferlante qui semble ne devoir jamais finir (ce qui en exaspèrera quelques uns, ne niez pas !). Vous êtes arrivés, mûrs pour "Cloud Cover", plus de douze minutes en deux parties. La quintessence de Slow Six : trame minimaliste de motifs répétés, un tissage à plusieurs niveaux qui donne l'impression de s'enfoncer dans une constellation radieuse, avec le martèlement du Rhodes, les spirales du violon et de la guitare, les sons électroniques. Le groupe réussit comme d'habitude une synthèse harmonieuse entre trois courants : post minimaliste et post rock, déjà évoqués, mais aussi ambiante. La deuxième partie de "Cloud cover" nous transporte en effet au-dessus de la mêlée, dans la raréfaction sensuelle des sons, le lent tournoiement des mélodies qui glissent dans l'éther, diaprées d'échos, alanguies de splendeur.

. "Because Together We Resonate" reste en altitude, alchimie de sons synthétiques résonants et de violon distant, se rapproche ensuite pour nous envelopper d'intenses boucles lentes - Slow Six, ou l'esthétique de la lenteur, l'auriez-vous oublié ?

   Plus de quatorze minutes pour les deux parties de "Sympathetic Response System" : c'est peut-être la longue intro de ce titre qui m'avait agacé. Je m'étais dit : « Tiens, Slow Six fait du Slow Six, de la saucisse musicale au mètre. » Je devenais méchant en somme, prêt à haïr ce que j'aimais tant, classique quoi. Oublions donc la première partie, car la seconde est si belle, tellement plus légère, émouvante dans sa robe trouée. Et puis la peau frissonne, vous sentez que ça y est, la musique décolle dans ses dentelles de nuées parcourues d'ondes vibrantes et de frappes percussives. Le piano Rhodes amorce "These Rivers Betweeen Us", sorte de gigue allumée qui brûle sur place, menée par le violon auquel se joignent les autres instruments, avant une brusque dépression suivie d'une reprise graduelle et d'un long final nettement post rock, beaucoup plus conventionnel. Deuxième faiblesse de l'album à mon sens, qui explique aussi le passage du groupe chez Western Vinyl ( à moins que ce ne soit l'inverse !). Oublions. Reste un disque souvent superbe : cinq titres sur sept, tout de même...

Pour aller plus loin

- leur site officiel.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 18 Mars 2010

Deuxième partie du diptyque

Deuxième partie du diptyque

   Spyros Polychronopoulos, alias Spyweirdos, livre avec Ten Letters, sorti fin 2009 sur le label grec de musique électronique Creative Space, la deuxième partie du diptyque commencé avec Ten Numbers paru l'année précédente (pochette sur fond blanc). À nouveau, un Dvd accompagne le Cd. Difficile de rendre compte d'une œuvre si évidemment bicéphale. Quand on a vu le travail vidéo d'Aris Michalopoulos, on ne saurait l'oublier, tant il colle à la musique de Spyweirdos, ou plutôt tant il en est l'émanation visuelle adéquate. Spyros déploie une musique électronique au premier abord plus minimale, abstraite que dans ses précédents opus : dépouillement, ascèse de l'ingénieur du son et de l'étudiant en fin de parcours d'étude dans les domaines de l'acoustique et du contrôle du bruit, peut-être, mais surtout création d'un artiste sonore visionnaire. Échantillons de bruits retraités, distordus, comme vaporisés, d'une infime granulométrie, dont on ne sait plus s'ils relèvent de l'élément liquide ou d'un minéralité radieuse, d'une tellurie métallifère aux ramifications en nuages électrisés. Drones onduleux, lames aigües, craquements et vrombissements furtifs, froissements de particules, tout ce monde en suspension est visité par la grâce de clochettes cristallines, de discrètes nappes de claviers, ou soudain traversé de lacérations percussives, de déflagrations erratiques. Le résultat est d'une étrangeté absolue et d'une sidérante beauté...prolongé par les vidéos d'Aris, splendides méditations sur l'impalpable, le lumineux mystère des apparences matérielles. "W", le second titre (les dix lettres sont celles de Spyweirdos dans le désordre), allie une musique qui évoque la respiration d'un scaphandrier, et une ode visuelle à l'ondulation autour d'une figure dont l'aspect n'est pas sans évoquer celui d'une raie nébuleuse, avant que l'on ne se demande si tout ce ballet surréel n'est pas issu d'un visage surgissant en très gros plan, de l'œil rouge aux cils barbelés verts dans lequel nous entrons pour finir.
    "R" est arachnéen, réseau de losanges colorés et de raies concentriques tournantes issu d'une porte envahie par le lierre : musique et image visualisent les rayonnements invisibles émis par la matière ou les êtres. D'autres titres sont ainsi hantés par une présence qui ne se manifeste que par d'infimes vibrations, une image ectoplasmique rendue musicalement par les basses fréquences, tout un jeu de micro-variations. De même que la lumière et la couleur dématérialisent une main vue en très gros plan (Lettre "Y"), la texture sonore ultra fine gazéifie la musique, ce qui, au casque, accroît son caractère enveloppant, troublant. Elle s'insinue en nous, les plans se confondent dans un langoureux chatoiement, une très lente danse abolit les frontières entre l'intérieur et l'extérieur. C'est à partir de cette expérience conjointe de l'image et du son que s'accomplit le paradoxe : l'abstraction la plus poussée produit l'émotion la plus intense. Rarement une œuvre aura eu ce pouvoir d'intéresser en nous le plus intime, comme si elle caressait nos cellules, libérait le chant secret de la matière. La lettre "D", le titre 9, est à cet égard extraordinaire. Drones et sifflements, claquements, en pulsations ralenties, tandis que sur l'écran, les images d'Aris semblent des tests de Rorschach revus par Miro, Max Ernst et le David Lynch d'Eraser head réunis et dépassés dans une incantation voluptueuse à l'unité fondamentale. Le monde n'est que vibrations et lumières, timbres et couleurs qui tissent d'invisibles et mouvantes relations. Un disque somptueux, qui s'installe d'emblée en première place pour la liste des disques de l'année 2009. En l'absence de la vidéo, cela ne change rien !
   Spyweirdo a sorti depuis un autre album, en collaboration avec Floros Floridis, que j'espère présenter bientôt ici.
Paru en 2009 chez Creative Space Records / 10 plages / 54 minutes environ + DVD
Vidéos géniales de :  Aris Michalopoulos
Pour aller plus loin
- Chronique de Wetsound Orchestra, double album paru en 2006 chez Poeta Negra.
- Chronique de Epistrophy at Utopia, avec Floros Floridis et John Mourjopoulos paru en 2008 chez Adnoiseam Records.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 14 Janvier 2010

Pantha du Prince : "Black Noise", la forêt des sons neige !
   Hendrick Weber, alias Pantha du Prince, connu aussi sous le nom de Glühen 4, Dj, compositeur et bassiste notamment du groupe Stella, sort début février son troisième album, "Black noise". L'allemand a quitté le label de Hambourg Dial Record, surtout connu dans le milieu de la deep house, pour signer chez le britannique Rough Trade, marqué rock, mais reste fidèle à une musique électronique minimale, au croisement de la techno et de la house. Musique limpide, à l'image du lac de montagne de la pochette. Cloches et clochettes, peut-être sous l'influence d'un récent séjour dans les Alpes suisses. Micro-bulles rythmiques, prédominance d'éléments percussifs métalliques et cristallins, sont la base d'une œuvre sous-tendue de sons enregistrés en pleine nature, ces sons dont le spectre sonore échappe en partie aux processus d'enregistrement, d'où le titre de bruit noir choisi, l'expression désignant ce bruit silencieux au cœur des compositions. Certains titres font songer au gamelan de Java et Bali, tant l'électronique fait surgir un orchestre cohérent de métallophones qui déploie d'arachnéennes structures cycliques.
 
   Les ombres d'Autechre  ou d'Aphex Twin planent aussi sur cet univers d'abstraction vibrante et lumineuse. L'intensité ramassée des premiers titres laisse peu à peu la place à des paysages sonores sublimes aérés de sobres envolées aériennes. Un superbe parcours qui s'achève sur le carillonnant - tourbillonnant "Es schneit", magnifique apothéose !
Paru en 2010 chez Rough Trade / 11 plages / 61 minutes environ
Pour aller plus loin
- le site de Pantha du Prince

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 janvier 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 20 Juin 2009

Keene : "The River and the fence"
   Le récemment défunt label grec Poeta negra n'a pas fini de livrer ses trésors. Keene, un trio composé de Kostas Giazlas, Haris Martis et Dimitris Mitsopoulos, renforcé parfois du violoncelliste Evi Kazantzi,  au départ un projet audio-visuel, propose une musique alliant sons acoustiques et textures électroniques pour créer des ambiances denses, volontiers incantatoires, répétitives parfois. "Patch", le premier titre, juxtapose notes obsédantes de guitare et appels troubles de claviers, échantillons sonores de bruits divers. "Stroked trees" commence par une belle intro très mystérieuse au piano et aux claviers, puis surviennent guitare et cordes en vagues épaisses, peut-être un trombone en fond, le morceau avance dans la forêt inconnue, rythmé par une pulsation profonde, tranquille, qui ignore les accidents sonores surgis de tous les coins de l'espace. Musique architecturale, en réfractions multiples, comme, sur la couverture de l'album, cette structure du Prada Epicentre Store de Tokyo, conçu par le bureau d'architecture suisse Herzog & De Meuron. Ouverture en apesanteur pour "The River", le titre 3, avant une rupture inattendue, l'entrée en force d'une guitare électrique en boucle courte, du violoncelle plaintif sur bruits de pas qui résonnent lourdement, courant puissant et lent qui charrie tout jusqu'à ce que le violoncelle demeure presque seul en scène, que tout reparte plus puissamment encore tandis que l'arrière-plan se charge d'alluvions bruitistes, avant un duo inégal entre le violoncelle très en avant et la guitare peu bavarde accompagnée d'une clochette lointaine, coda mélancolique avant "Here", morceau pointilliste tout en perspectives lointaines, lui-même sorte d'interlude pour "Weir of fog", collage subtil de piano léger, appels étranges de claviers-cors, grappes de notes de cordes, entrecoupé de micro-silences. La musique de Keene tient du cristal, prismatique, tout en surgissements, en métamorphoses permanentes. "Door on glass", le titre 6, est magistral, inoubliable : dialogue en boucle obsessionnelle entre le piano et la guitare, ponctué de poussées de claviers. On est enfermé dans le labyrinthe, la structure s'opacifie, la tension monte, reflue, rendue sensible par la disparition progressive du piano, englouti sous d'autres boucles d'une sorte de glockenspiel synthétique. La musique devient hantée avec "Cave of error", peuplé de voix fantômales, de chuintements et de rumeurs, le violoncelle déploie un lamento lamentable, un rituel de sorcellerie se tient là-bas, dans les tréfonds. Nous voici devant la clôture, "The Fence", adagio majestueux en canon à la Arvo Pärt (encore lui, source d'inspiration très fréquente...), cordes élégiaques ad libitum, quels trains partiront pour quels ailleurs... Un des excellents albums de ce label consacré aux musiques électroniques-expérimentales.
Paru chez Poeta Negra / 8 plages / 45 minutes environ

Pour aller plus loin
- trois morceaux disponibles ici.(les 1, 2 et 6)
- pour acheter le disque ici.

Deuxième vidéo, remasterisation de la première. Essayez les deux en léger décalé...

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 13 Mai 2009

Spyweirdos : "Wetsound orchestra", dans les ténèbres de la lumière.
  
Troisième disque de Spyros Polychronopoulos, alias Spyweirdos, Wetsound Orchestra est un double album d'électronique ambiante d'une abyssale beauté. De l'eau goutte quelque part, l'orgue sourd de tous les coins, piqueté de craquements. Fissurations, invasions dans un univers liquide : c'est "cellar", ouverture qui donne le ton, ponctuée de notes de claviers en boucles obstinées. "already happened tomorrow" est d'abord tout en déhanchement rythmique de micro-cellules avant le surgissement épisodique de nappes d'orgue, de drones et de cordes plaintives. Spyweirdos sculpte des atmosphères raréfiées dans un esprit minimaliste abstrait. "3.5 ec" surfe sur un rythme binaire obsédant de claquements secs, s'interrompt pour repartir, nimbé la plupart du temps d'une brume d'orgue tournoyant. "portal" se  réduit à une substructure rythmique de piquetis parcourue de gargouillements, suggérant un infra-monde de machines organiques livrées à elles-mêmes. L'eau est omni-présente pendant "fallen", le disque semble rayé, mêle le bruit liquide des rames et le beat sec d'une boîte à rythme qui bégaie, sur fond d'orgue mélancolique, de voix qui s'appellent : aura de désastre, d'après rencontre avec les sirènes...Reste la bulle des rêves, "bubble of dreams", vaporeux et lointain poudroiement de lumière d'obstinato d'orgue tandis que la rythmique s'agite au premier plan, se débat avant de se fondre dans la comète persistante. "u", syncopes et borborygmes, rabat le rêve au niveau d'une sorte d'inconscient tissé de matières et de voix dévitalisées.

    Le morceau suivant, "the key",est l'un des plus exemplaires de ce disque habité, d'une écriture inventive où l'électronique digère les sons acoustiques pour les intégrer dans cet orchestre des mondes perdus et retrouvés. Percussions qui rejaillissent comme les gouttes précipitées dans un bassin, piano impérial, claviers insinuants, frémissements de frottis sonores minuscules : monde magique, né à l'instant, intense et pur ! Musicien visionnaire, ce Spyweirdos : écoutez le morceau suivant, "innsbruck", son atmosphère discrètement industrielle suggérée à petites touches, l'emploi de cordes graves en leitmotiv émotionnel encadré de forces sourdes, statiques jusqu'au vertige, peu à peu saturées comme de cris d'oiseaux métalliques charmeurs... Lorsque l'humanité aura disparue, restera la beauté sans appel des incantations supra-humaines, le chant des chants de la matière enfin libérée, libre de s'exprimer. "should be a spell" fait entendre un violon cosmique dans la brume merveilleuse des origines éternelles, inentendues des hommes-narcisses.
   Le deuxième cd prolonge cet opus magnifique par des remix passionnants, inspirés. Alva Noto, Gyro-Gyro, B.Fleischmann, Funckarma, Horchata et quelques autres, prouvent à nouveau la fécondité inépuisable de la musique électronique d'aujourd'hui lorsqu'elle est au service d'un projet artistique authentique.
Paru en 2006 chez Poeta Negra, label grec disparu depuis peu. Disque disponible si on cherche bien, notamment ici)
Pour aller plus loin
- mon articulet (le mot existe !) du 28 avril, et l'article consacré au disque en collaboration avec John Mourjopoulos et Floros Floridis.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 décembre 2020)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques