musiques electroniques etc...

Publié le 16 Novembre 2023

Jonathan Fitoussi - Plein soleil
Le Charme fou des synthétiseurs

   Le disque est paru voilà trois ans : il est toujours aussi rayonnant ! Jonathan Fitoussi (cf. le très beau Espaces timbrés en collaboration avec Clemens Hourrière) persiste dans son amour des synthétiseurs, avec une prédilection pour le Buchla modulaire. Quatre synthétiseurs sont utilisés au cours du disque, auxquels s'adjoignent selon les titres le cristal Baschet (dit aussi "orgue de cristal"), un orgue électrique, une guitare électrique et du piano sur le dernier.

   Jonathan Fitoussi écrit une musique du bonheur. Il suffit de se laisser porter par cette ambiante électronique colorée, chaleureuse, rêveuse, bondissante, dansante. C'est une splendeur sonore constante, une suite d'hymnes radieux aux beautés élémentaires du monde : "Océans", "Rayons solaires", "Continent blanc", "Dunes", "Soleil de minuit"... Tout est réconcilié, lié, enrobé, approfondi, emporté dans un mouvement irrésistible. On ne pense plus à rien, on baigne, on flotte dans des ouates irisées, sur des océans de boucles nonchalantes, chatoyantes. Il n'y a plus que l'évidence de la fin des tourments, des drames et des tragédies. Seule existe cette plénitude harmonieuse, délicate, d'un Éden retrouvé.

Paru en septembre 2020 chez Transversales Disques (Paris, France) / 9 plages / 48 minutes environ

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Publié le 15 Novembre 2023

Nicolas Thayer - in:finite
Nicolas Thayer - in:finiteNicolas Thayer - in:finite

   La musique d'un spectacle de danse contemporaine, commande du Skånes Dansteater, sur trois albums. Né à Londres et installé aux Pays-Bas, Nicholas Thayer a déjà réalisé d'autres pièces pour la danse contemporaine et des ballets. Il a étudié le violon et le piano dès l'âge de quatre ans, découvert le rock à douze ans, puis la musique électronique du milieu des années quatre-vingt dix. Ses premières réalisations se caractérisaient par le goût des bruits forts, des lumières vives. Dorénavant, il crée un monde de connections proliférantes, en perpétuel devenir, où les opposés collaborent. Selon les morceaux, on entendra le violoncelle de Mikko Pablo, les voix de Milda Deltuvaite, Aurélie Journot, Emma Gregory et Galya Sky, avec une large prédominance de l'électronique qui les englobe, les retravaille jusqu'à l'incorporation plus ou moins complète. Chaque titre renvoie, constitué toujours sur le modèle "on + participe présent en -ing", à une sorte de sujet, de territoire, ou plutôt d'atmosphère, je crois, ou encore à la gestuelle des danseurs ("on stretching", par exemple).

in:finite 1, comme les deux disques suivants, propose cinq "facettes", cinq manières d'envisager la connectivité. "On refracting", c'est un monde de respiration sous-marine traversé de battements rapides, de collisions sales, marqué par un rythme très syncopé, sorte de trip-hop minimal inquiétant. "On carrying" lui oppose des voix angéliques transcendant un balbutiement électronique de glitchs et micro-craquements. On retrouve toutefois l'impression d'une respiration difficile dans un milieu liquide, mais le contexte est tout autre, d'ailleurs ponctué par des bols chantants à longue résonance. Après une quasi angoisse, une magnifique sérénité, merveilleuse. Nicholas Thayer nous promène dans des mondes différents grâce à sa palette d'horizons sonores. "On deeping" s'enfonce dans l'étrange, avec des sortes d'appels, des frémissements et des trépidations, une percussion sèche et rapide. Pièce exotique, foisonnante, traversée d'énormes courants. Le violoncelle y dessine quelques arabesques majestueuses, comme le prélude à une cérémonie secrète. "On oiling" gargouille dans les eaux troubles un message perturbé par des surgissements insolites, des changements soudains de tension, dessinant  un voyage dans des ondes amplifiées et déformées. Selon un principe non énoncé de contraste, "on reflecting" joue sur les rencontres harmoniques jusqu'à faire frissonner les textures, fracturées et syncopées dans un palais de miroirs qui les adoucit pour donner une petite musique féérique adorable...

    Le début d'in:finite 2, "on stretching", mêle intimement musique traditionnelle orientale et approche contemporaine. Rythmes indiens et cordes suaves en glissendos dissonants, avec une coda mystérieuse, lointaine. "on mourning" propose une vision non conformiste du deuil : la déploration se fait rythmes lourds accompagnés de claquements sonnants comme des applaudissements. Le deuil est de fait transféré sur le titre suivant, "on floating", thrène envoûtant où violoncelle et voix sont au premier plan. Ce disque semble indiquer un parcours, de la mort à la vie renaissante. Le quatrième titre, "on embodying" (sur l'incarnation) n'indique-t-il pas un après du flottement post-mortem ? Le violoncelle, quasiment en solo, chante une liberté nouvelle, le plaisir de bouger dans un corps. Au centre de ce vaste ensemble, la musique s'est dépouillée de ses aspects les plus contemporains, évolue dans une ambiance médiévale ou renaissante. "on being" marque le sommet mystique d'in:finite. Voix archangéliques, éthérées, frissonnement de textures, une communication s'établit avec un au-delà envoyant un message sous forme de traînée électronique qui suscite l'adoration des voix. C'est vraiment superbe.

   Le troisième disque multiplie les perspectives, mêlant les styles dans un brassage audacieux. En ouverture, l'étonnant "on variegating" (sur la diversité) donne le ton, emportant le violoncelle dans une comète électronique agitée de vagues puissantes, puis c'est un passage apaisé aux fines splendeurs, une techno électronique de toute beauté se métamorphosant en grandiose et douce pulsation. Autre sommet de ce triptyque que ce titre d'un peu plus de huit minutes (c'est le plus long). "on growing" est tout aussi hybride, piqueté de glitchs, soulevé par une force inlassable qui fait craquer les textures, avec le violoncelle tendu vers le ciel obstrué. Impressionnant ! "on searching" est déchiré entre la suavité du violoncelle et la vivacité rythmique des frappes électroniques percussives, se frayant une voie dans un univers coloré, diffracté, un énorme ronronnement harmonieux se résorbant en petites touches délicates. À la toute fin, ce sera la pluie, "on raining", la pluie venue des temps lointains, accompagnée de sourdes et grondantes percussions, pour une danse médiévale transfigurée par des transparences, des trouées cristallines, dans un ballet réconciliant le passé avec le présent, avec une brève fin apocalyptique digne des meilleures musiques électroniques d'aujourd'hui. Tout finit par se fondre dans les sinuosités mélodiques de "on melting", dont naît un nouveau chaos saturé de textures agitées menant à une déflagration et à une courte apothéose symphonique.

   Un magnifique parcours ! Une belle rencontre entre violoncelle, voix et électronique. L'utilisation des synthétiseurs m'a fait plusieurs fois penser à Jonathan Fitoussi, auquel je vais m'intéresser à nouveau dans un prochain article.

Mes titres préférés (mais tout est excellent  : 1) "on variegating" (disque 3, titre 1)

2) "on deeping" (disque 1, titre 3

3) "on floating" (disque 2, titre 3) / "on being" (disque 2, titre 5) / "on growing"(disque 3, titre 2) / on carrying" (disque 1, titre 2)...

Trois disques parus respectivement en juillet, août et septembre 2023  chez Oscillations Music (Londres, Royaume-Uni) / 3 disques // 5 plages pour 23 minutes -- 5 plages pour 21 minutes -- 5 plages pour 27 minutes

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Publié le 3 Novembre 2023

Christina Giannone - Reality Opposition

   Américaine installée à Brooklyn,  Christina Giannone, artiste sonore et compositrice, signe un second album chez Room40. De nouveaux murs sonores, animés de vagues de dissociation. Sa musique est naturellement cosmique, épique, mais dans le même temps concrète, travaillée par des flux de particules.

   L'extraordinaire second titre me hante depuis un moment, d'où l'article que j'écris. Derrière le mur s'entend comme en filigrane un ouragan grandiose, voilé, gravillonné, d'une stupéfiante beauté trouble : voilà une ambiante hantée (comme moi !), loin des ronronnements d'une certaine ambiante. Christina Giannone, c'est du Nicolas de Staël viré au noir par Pierre Soulages, et recouvert d'épaisseurs à demi opaques, vivantes. De la musique industrielle enfermée dans un macrocosme aplati, au point de se changer en hymnes à la Matière éternelle, secouée, pulsée par des vents incessants.

   Le titre éponyme, "Reality Opposition"(titre 4), évoque le bouillonnement interne d'une matière noire, une fantasmagorie d'ombres sifflantes, effilées comme des lames, crantées comme des rabots, évoluant dans une forêt en pleine putréfaction. La belle vidéo d'Emma Northey insiste sur la dimension fantomatique de ce ballet d'apparitions-disparitions. De titre en titre, Christina Giannone dessine une identité cosmique qui donne son titre à la dernière pièce, sorte d'opéra ventriloque de l'espace, d'une grandeur sombre et hiératique, comme le chant sacré, le cantus absconditus de l'Infini.

    Avec ce disque d'une sauvage beauté, Christina Giannone prouve qu'elle est désormais une artiste majeure de la musique électronique.

Paru en juillet 2023 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 5 plages / 53 minutes environ

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Publié le 11 Octobre 2023

Thomas Köner - Daikan
   Radieuse ultranoire

    Fallait-il un article (même bref) pour signaler cette reparution d'un album sorti en 2002 ? Et près d'un an après sa réapparition ? Je me suis dit que l'idée de retard ne convenait pas ici, d'autant que le disque m'a rattrapé, par surprise, parce qu'enfin je l'ai écouté dans de bonnes conditions, d'affilée. J'avais déjà beaucoup apprécié Nuuk, publié en 2021 sur le même label. J'y renvoie les lecteurs pour la présentation de Thomas Köner.

    « Daikan », en japonais, signifie « le plus froid » ou « la période la plus froide de l'année ». Thomas Köner s'intéresse au froid, car il lui semble qu'il faudrait refroidir le monde au moment où la terre se réchauffe, où les activités humaines conduisent à une surchauffe généralisée de nos tempéraments, de nos affects. Sa musique s'enfonce dans les couches les plus glacées pour débusquer la profondeur du temps vivant dans la glace. Elle prend son temps. Trois longues incursions au cœur du blanc qui est aussi le cœur du noir, pour réapprendre à l'oreille à écouter, derrière l'apparente monotonie, la vie tapie telle un gigantesque fossile qui respirerait encore. Chaque version de Daikan (les trois pièces sont titrées respectivement "Daikan A", "Daikan B" et "Daikan C") est comme une symphonie monochrome d'ambiante sombre et minimale, ou si l'on veut de techno allongée jusqu'à ramper dans des souterrains de glace. En raclant le fond des graves, la musique devient radieuse, radieuse noire, évolue comme des essaims d'étourneaux formant ce qu'on appelle un soleil noir aux mouvements amples et lents, d'une majesté impressionnante. Elle prend parfois la forme d'une respiration énorme, ambigüe, à la limite de la Vie et de la Mort, en fait hors du Temps orienté, dans le temps de l'Éternité sans aucun point de repère extérieur. Pourtant ce n'est pas une musique claustrophobe, ni inquiétante. C'est la musique du Repos essentiel sous l'agitation humaine effrénée, la murmuration illuminante inverse du Temps retrouvé...

   D'une absolue beauté ! Pour auditeurs patients et concentrés...

  Cette reparution est accompagnée d'un inédit, Banlieue du vide, œuvre audiovisuelle conservée seulement dans quelques musées, par exemple au Centre Beaubourg à Paris, œuvre secrète récompensée par le Golden Nica du Prix Ars Electronica en 2004, dans la catégorie Musiques Numériques. Banlieue du vide est le résultat de mois d'observations ponctuelles dans le cercle arctique finlandais, montées dans une sorte de ralenti irréel. Le vide éventuel y apparaît alors comme rempli des bruits passés.

(Re) Paru en novembre 2022 (numérique) et février 2023 (physique) chez Mille Plateaux (Frankfort, Allemangne) / 4 plages / 1 heure et 7 minutes environ

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Publié le 31 Août 2023

Siavash Amini - Eidolon
Multiple splendeur

   Le compositeur iranien Siavash Amini devient un habitué de ces colonnes. Après A Trail of Laughters (son second disque chez Room40, en 2021) et Songs for Sad Poets en collaboration avec l'écrivain new-yorkais Eugene Thacker (chez Hallow Ground en septembre 2022), Siavash Amini revient chez Room40 pour Eidolon, un disque composé de trois titres, qui approfondit ses recherches autour de l'accordage, des timbres. Il se dit obsédé par la théorie de Safi-Al-Din Urmavi (musicien érudit mort à Bagdad, connu pour sa division de l'octave en 17 tons) sur l'accordage, le rythme, le maqam, ce qui le conduit vers une musique microtonale, spectrale. L'illustration de couverture renvoie à quelque chose qui le travaille : comment exprimer une apparition, c'est-à-dire une image apparaissant et disparaissant l'instant d'après, laissant subsister un doute quant à sa réalité ? Il mentionne d'ailleurs les dessins d'Odilon Redon, maître en peinture des apparitions, de tout une imagerie fantastique parfois d'une inquiétante étrangeté, comme aurait dit Sigmund Freud. Une image en somme entre conscient et inconscient, flottante, susceptible de métamorphoses. Donc une musique elle aussi flottante, aux textures fluctuantes, avec des chevauchements, dans laquelle quelque chose fait sentir sa présence, en rapport avec les autres obsessions de Savash, l'obscurité, la lumière et la mort.

    Trois titres entre plus ou moins dix et quinze minutes. Le premier, "Ortus", c'est l'origine, l'eau, les bruits, un chaos sonore, et c'est aussi hortus, le jardin, le jardin des origines. Peu à peu le chaos laisse sourdre des coulées de musique. Électronique, oui, et en même temps traditionnelle, on croit reconnaître des instruments anciens dans ces affleurements, aussi comme des halètements soufis. Après quelques jets de sons vaporisés, c'est la source pure, transparente, tremblante. Elle se répand en ondes fluides, en arabesques diaphanes. Musique transcendante de nappes superposées. Irisations, cascades intérieures, la beauté fragile de la merveille.

  "Instantia" surprend par son caractère plus compact : unissons tenus de cordes synthétiques et d'orgue. Comme une corde, un tressage serré, pour monter ou rester suspendu dans le vide. Puis la musique change abruptement, pour une autre corde plus fine : on est dans les arcanes microtonales. Un rideau bouge lentement, dévoile d'autres sons, des « hurlements » de loups électroniques avec échos. Nous sommes entrés dans une caverne, habitée par des créatures inconnues. Quelque chose nous happe, menace de nous submerger, une force tellurique à peine tourbillonnante, elle irradie dans le noir, et c'est au fond très doux...

   "Relictio" : il faut s'abandonner au continuum, se perdre dans le son, ne pas craindre les jaillissements, les absorptions, les disparitions. Derrière, il y a tout un monde enfoui, concassé, broyé, et pourtant de ce magma il émet encore jusqu'à nous. Il fourmille, rayonne, se lève dans un vent immémorial, disparaît. La musique se fait chuchotis, se laisse envahir par une splendeur de sable illuminé d'une infinie suavité.

  Siavash Amini utilise la musique électronique microtonale comme un romantique contemporain, passeur d'une beauté fantôme image d'un paradis perdu, d'où le titre de son magnifique album.

Paru début juillet 2023 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 3 plages / 36 minutes environ

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Publié le 14 Août 2023

Mission to the Sun - Sophia Oscillations

   Deuxième album de ce duo de Détroit, Chris Samuels aux synthétiseurs, échantillons, à la programmation et aux boîtes à rythme, Kirill Slavin pour les textes et la voix. Si l'on peut penser aux Legendary Pink Dots pour la voix sombre et incantatoire de Kirill, on évoquera aussi bien les meilleurs albums du label Crammed Discs avec des groupes comme Aqsak Maboul, Tuxedomoon ou Minimal Compact.

Une musique d'Enfer...

    C'est une musique flamboyante, dramatique, attirante comme un trou noir. Et la signification du premier titre "Drowning" est à prendre comme une plongée dans les eaux du subconscient sur une planète inconnue... la nôtre peut-être. Vagues de synthétiseur, rythmique lourde, voix fondue dans les drones, un régal post mélancolique ! Le titre éponyme évoque un monde terrifiant à travers des rafales sèches, des boucles obsédantes et une diction détachée de dandy infernal. "Censor Sickness" affole comme un rock acide, halluciné, les paroles dites presque comme du rap. Mission to the sun fait surgir un univers post-industriel, peuplé de machines délirantes. "Unborn" semble se situer à l'intérieur d'une gigantesque machine à sou ou d'un jeu de massacre. "Attrition" est plus déchiré, boursouflé, pilonné : tout brûle, le disque atteint l'un de ses points d'incandescence, pulvérisé avec "Cornerstone", rock post punk ravagé, distordu par des riffs acérés, soulevé par des éruptions denses, sombres. Grandiose épopée apocalyptique !

   "Touch" sonne comme un après fantomatique, les paroles glaciales mêlées à des murmures alors que tourne un drone énorme parcouru de déflagrations, puis que tout semble se désagréger dans un vent nocturne. "No Fondation" apporte une conclusion épique, zébrée, glitchante, métallique, de toute sauvage beauté.

  Cet album est une messe noire ardente pour des temps foudroyés !

 

Paru mi-juillet 2023 chez Felte (Los Angeles) / 8 plages / 32 minutes environ

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Publié le 3 Août 2023

David Shea - Una Nota Solo, et pas seulement...
Protée des musiques contemporaines

David Shea ! Né dans l'Indiana en 1969, ce compositeur américain, installé en Australie depuis 2002, m'accompagne depuis longtemps, depuis au moins la naissance de ce blog en 2007, blog sur lequel j'ai publié notamment :

1)  le 22 juillet 2008, un article titré David Shea : sorcier de la musique électronique, maître de l'échantillonneur

2) le 13 juin 2020, une nouvelle version d'un article de 2007, titrée Hommage à David Shea, qui rend compte notamment du magnifique Book of Scenes, avec le pianiste Jean-Philippe Collard-Neven et l'altiste Vincent Royer

3) le 24 octobre 2014, un article consacré à Rituals, avec Lawrence English et Robin Rimbaud (alias Scanner) à l'électronique, Oren Ambarchi à la guitare, Joe Talia aux percussions et Girish Makwana aux tablas.

4) le 29 août 2017, un article consacré à Piano I, interprété par le compositeur lui-même.

   David Shea a enregistré chez plusieurs maisons de disques, dont les plus marquantes sont : Tzadik, Sub Rosa, Metta Editions (cofondé avec son épouse Kristi Monfries), et de plus en plus, depuis qu'il réside en Australie, sur le label de Lawrence English Room40.

Protée, pourquoi ? David Shea ne cesse de surprendre. Maître des échantillonneurs et de la musique électronique, il écrit aussi pour le piano seul, en joue, écrit pour des formations classiques, invente des hybrides (électronique + bols chantants + incantations + musiciens en direct + sons de terrain..), se lance dans la musique d'inspiration spirituelle (bouddhiste). Un temps DJ dans des clubs de musique électronique, il compose pour l'IRCAM, travaille avec Luc Ferrari ou John Zorn, est fasciné par Giacinto Scelsi, et on le dit élève de Morton Feldman (à vérifier...). Contemporain, électronique, expérimental, du monde et d'ailleurs, David Shea ne cesse de se recréer !

 

Una Nota Solo, réédition d'une musique-monde

   Paru d'abord chez Metta Editions, sa maison, en 2005-2006, Una Nota Solo reparaît chez Room40 fin juillet 2023. C'est un album de transition, proche des albums de la période Sub Rosa (1993 à 2005), comme Satyricon ou Tryptich (paru lui chez Quatermass en 2001), marqué par l'usage des échantillonneurs. La musique synthétique est flamboyante, parfois traversée d'incursions instrumentales de l'Ensemble Ictus ou de l'Ensemble des Musiques Nouvelles (sur "Layer I" par exemple). Tout le début ("Una Nota Sola/Due" et "Layer I) est une vraie splendeur, foisonnante ou suprêmement tranquille. "Layer II" est plus baroque, charriant des couches très diverses, comme s'il s'agissait d'agréger toutes les musiques possibles, du bol chantant à l'échantillonneur. "Layer III" semble un jeu de massacre, jouant de décalages brutaux, bruitistes, avec intrusion de musiques populaires et de sons de terrain imprévisibles, mais fascinant, au moins au début, par ses boucles minimales, quasiment techno. Ce qui pourrait être insupportable, ce déversement d'échantillons, ne laisse pas d'être curieusement émouvant, et sert de prélude à la méditation "Sunset/Sunrise" (titre 5), tout à fait dans l'optique des musiques traditionnelles, avec percussions profondes et graves, bol chantant et voix bourdonnantes, sauf que l'intrusion brève d'échantillons un peu avant deux minutes et plus loin vient perturber la sérénité majestueuse de cette prière au soleil couchant/levant.

   "MG" (titre 6) poursuit dans la veine néo-traditionnelle, sorte de musique de transe avec section de cordes, violon dansant et fin ambiante imprévue. Début magique de "XY Suite" au Glockenspiel, puis thérémine (?) : on est souvent perplexe en écoutant David, ne sachant plus où finissent les échantillonnages. C'est très beau, méditatif, les belles résonances ensuite redoublées par un somptueux passage orchestral synthétique, mystérieux à souhait. David Shea fait du David Shea, mais c'est si réussi ! "XY2" est tout aussi fantasmagorique, tenant un équilibre éblouissant entre musique contemporaine austère et musique cinématographique, onirique. Encore un chef d'œuvre d'intelligence musicale, d'une beauté à couper le souffle.

  Faut-il poursuivre ? "CrossVibrations" est dans la veine de "XY Suite". Je suis (nettement) moins enthousiasmé par "La Spezia"(titre 10) et son déluge de sons de terrain, de bruits de foule, même si je comprends la fascination de David pour la ferveur de masse. Morceau à éviter... Et les "String Rhizomes" qui suivent, s'ils me paraissent poussifs au début,  sont plus réussis ensuite avec un largo mélancolique et une folie orchestrale magistrale, dérivant vers une jungle sonore sidérante et un marais post-techno vraiment réjouissant ! "Time Capsules" reprend le début envoûtant de "Layer III", littéralement explosé par des échantillons, et un autre motif du même titre, allongé... et détruit par un déferlement échantillonnesque (je risque le néologisme) ahurissant, à la limite de l'insupportable, mais David, en véritable sorcier virtuose, nous promène dans une galerie de monstres sonores, dans un immense palais des souvenirs de nos émois. Confondant, et assez séduisant ! "Memory Lane I" semble un clone de passages d'albums plus anciens comme Satyricon ou Tryptich (orthographe de la pochette...). On y retrouve le goût du grandiose, d'un certain carnavalesque, tempéré par un sens très sûr des limites, à savoir une manière d'enrober ce vertige dans un halo élégiaque magnifique. Et je me laisse prendre, porter par cette musique-monde au charme souverain !

Après l'outrance fastueuse, les trois derniers titres nous rappellent que David est un Protée insaisissable. "Vibration" est un miracle de sobriété bourdonnante, comme une épure battante émaillée de crissements et griffures. "Walking by a Mountain" hésite entre gigue et musique chamanique avant de finir en comète ambiante, juste pour nous laisser avec "A Gong Alone" et ses bourdons (drones), ses mystérieux appels, ses frottements métalliques, titre cérémoniel envoûtant.

   Le disque éblouissant et généreux d'un des Maîtres de la musique d'aujourd'hui, contemporain et inactuel.

(Re)Paru le 21 juillet chez Room40 (Australie) / 16 plages / 1h et 19 minutes environ

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The Thousand Buddha Caves, du David Shea illuminé
David Shea - Una Nota Solo, et pas seulement...

   J'avais laissé passer ce disque marqué par le passage au Bouddhisme du compositeur. Un chef d'œuvre de musique fervente, rituelle. Douceur extatique et passages dramatiques (liés à la vie de Bouddha), somptuosité musicale, avec psalmodies, voix de gorge, instruments traditionnels ou non (même du piano). À découvrir absolument, c'est encore du David Shea, du grand David Shea !

Paru en mars 2021 chez Room40 / 10 plages / 1 heure et 3 minutes environ

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Publié le 28 Juillet 2023

Richard Skelton - Selenodesy

   Richard Skelton : je n'ai pas oublié son prodigieux Verse of Brids / Véarsa Éan. C'est pourquoi, ne sachant ce qu'il devenait, j'ai cherché et retrouvé sa trace. Sa musique était instrumentale, acoustique. Il écrit aujourd'hui une musique électronique aussi magnifiquement sombre qu'auparavant. Il regarde les étoiles, dit-on, depuis qu'il a déménagé près de l'observatoire de Kielder (Royaume-Uni), dans une région reculée de "ciel sombre". De sa musique de Selenodesy il dit ceci :

« Une grande partie de cette musique m'est venue au petit matin, dans cet état de nulle part entre le rêve et l'éveil. Je regardais par la fenêtre et le ciel nocturne tourbillonnait d'étoiles. Mars ou Vénus planeraient dans le coin de la pièce. Je m'allongeais là et regardais les aurores boréales danser sur le plafond. »

   Le disque est illustré par des dessins géométriques du traité de Nicolas Copernic De Revolutionibus orbium coelestium, paru à Nüremberg en 1543. La sélénodésie est un terme astronomique très récent désignant « la science de la forme et du potentiel lunaires ».

   Puissances noires de la mélancolie lunaire

   Le premier titre, "albedo", s'il désigne la part des rayonnements solaires renvoyés vers l'atmosphère renvoie aussi à la deuxième phase du Grand Œuvre alchimique : l'œuvre au blanc qui suit le nigredo et précède le rubedo. Blancheur de l'aube, de la renaissance, ici sans doute allusion au petit matin de l'inspiration musicale, car le disque est noir. La musique est dense, compacte, parcourue de flux épais, une respiration énorme, cosmique. Ce n'est plus la mer inspiratrice, la mer des côtes écossaise ou irlandaise, c'est la mer spatiale d'un voyage dans l'hyper noir. Plus noir encore, abyssal, "The plot of lunar phases" (le tracé - ou l'intrigue - des phases lunaires) ressemble à une complainte, avec ses déchirements grinçants, ses déplacements inquiétants, ses surgissements irisés et ses grognements de drones. Je retrouve le Richard Skelton sublime à la mélancolie infinie. "Faint ray systems" (systèmes de rayons faibles") nous conduit dans une atmosphère raréfiée, scène d'un opéra monstrueux d'affrontements de trompes bourdonnantes déchaînées. Au bord de l'explosion, comme si dans cette raréfaction se jouait le drame suprême d'une apocalypse inverse, triomphe du noir intégral.

   Rechutes dans la Nuit...

   Suit le court "isostacy", diamant rayonnant absorbé très vite par l'espace. Et c'est "hypervelocity", volutes moirées, stries, curieux meuglements dans l'ombre ; "impact theory", le souffle énorme de la mélancolie granuleuse, d'un ressac inlassable qui racle tout jusqu'à la disparition. "lesser gravity" semble en apesanteur avec ses nuages menaçants amoncelés, dont se dégagent peu à peu des vrilles, des vents scintillants, avec une majesté implacable ! Le dernier titre, "fallback" (repli), ce sont les chiens de l'enfer enchaînés dans les lointains tandis qu'un orgue enroué déploie ses toiles mouvantes, enveloppantes : une splendeur trouble et déchirée d'une grandeur terrassante !

Une somptueuse fresque électronique d'une noirceur insondable.

Paru fin mars 2023 chez Phantom Limb (Brighton, Royaume-Uni) / 8 plages / 41 minutes environ

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