Kate Moore - The Open Road

Publié le 4 Juillet 2012

Kate Moore - The Open Road

   Née en 1979 et formée notamment par Louis Andriessen, ayant participé à des séminaires dirigés par David Lang, Julia Wolfe et Michael Gordon, Kate Moore, australienne née en Angleterre et vivant souvent aux Pays-Bas, reçoit depuis quelques années de nombreux lauriers et compte déjà un catalogue impressionnant. The Open Road est un cycle de mélodies inspirées par Song of the open road extrait des Feuilles d'Herbe (Leaves of grass) du poète américain Walt Whitman. L'auditeur est invité à emprunter la route ouverte de la vie pour découvrir les merveilles du monde. Il s'agit en somme d'une invitation au voyage, à la fois physique et métaphysique.

   Je commencerai par mes réticences. J'apprécie peu les deux instrumentaux, "Mystic Trumpeter" et "The Open Road", respectivement titres 8 et 12 : la trompette et l'orgue poussent des hymnes convenus, d'un transcendantalisme pompier qui a failli empêcher de naître cet article, je suis comme cela. Heureusement, le reste est superbe, justifie amplement l'achat du disque. C'est l'alliance de la voix de Michaela Riener et de la harpe d'Eva Tebbe qui porte le cycle.

   L'album s'ouvre sur un solo très sobre de harpe, "Lyre" : quelques notes égrenées, reprises, dans un jeu patient d'infimes variations. Musique de seuil, presque immobile, qui se recueille pour la route à venir.

Kate Moore - The Open Road

   S'élève alors, par-dessus la harpe tranquille, la voix limpide de soprano de Michaela Riener qui, dans "We must not stop Here", dit la conviction qu'il ne faut pas s'arrêter trop tôt, ni longtemps, dans le voyage à peine entrepris. La harpe avance avec obstination, se fait rugueuse, percussive, tandis que la voix s'élance vers les cieux. On va rester à ce niveau jusqu'à "Spin Bird", deuxième solo de harpe, magique : roulements de notes dans une sorte de pulse très intense rythmé par des crenscendos / decrescendos. Entre temps, il y aura eu "Whoever You are, Come Travel with Me", où Michaela a les inflexions d'une Dagmar Krause chantant Kurt Weill ou Hans Eisler, dans une mélodie avivée par des dissonances, des accélérations émaillées de fortissimos. "Journeyers" fait entendre une autre voix, celle d'Eef van Breen, plus charnelle, un peu érayée, sur une véritable chanson de cabaret incantatoire, au dynamisme sans cesse relancé. Par contraste, "Whoever You ar Come forth", le titre 5, est une invite dépouillée, au lyrisme d'abord austère, sur de légers grelots et frottis percussifs bientôt rejoints par le célestat dont les marteaux et les notes hypnotiques accompagnent les montées flamboyantes de la voix. Un des grands moments du disque !

Kate Moore - The Open Road

   La voix semble se perdre dans les sphères éthérées avec "We will Sail" : « We will sail pathless and wild seas ; / We will go where winds blow, waves dash... / Allons ! with power, liberty, the earth, the elements ! / Health, defiance, gayety, self-esteem, curiosity ; / Allons ! from all formules ! / From your formules, / O bat-eyed and materialistic priests ! / The stale cadaver blocks up the passage - the burial waits no longer. Allons ! take warning ! » Avec une détermination farouche, la voix se laisse suavement déraper dans l'inconnu... Une douceur sublime empreint "The Road is before us / You Flaagge'd Walks", au cours duquel d'autres voix féminines et masculines viennent fugitivement s'enlacer à la voix brûlante de douceur de Michaela : si vous n'êtes pas alors conquis, je ne puis plus rien pour vous ! "I Will be Honest with You" - Michaela jouant aussi de l'orgue et parfois doublée par la voix d'Eva Tebbe - a la grâce alanguie d'une mélodie de Purcell : une avancée sereine vers l'intemporelle beauté tant cherchée. "They Too Are on the Road" est une envoûtante psalmodie célébrant dans une ambiance à la fois feutrée et solenelle les "habitués of many distant countries" et tous les marcheurs, contemplatifs, curieux, en route. Cette route qui n'a pas vraiment de fin ni de début occupe le dernier titre, le plus long, plus de six minutes : se scelle à nouveau la pure alliance entre le chant magnifique de Michaela et la harpe d'Eva. La vision s'élargit aux dimensions de l'univers au long de cet hymne chantourné qui coule de source.

   Il est temps d'oublier les scories : voilà un disque admirable !

Kate Moore - The Open Road

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Paru en octobre 2010 / Belle édition très limitée du Cd avec livret présentant tous les textes et des photographies de Simon Del Favero, apparemment autoproduit / 13 titres / 50 minutes.

Pour aller plus loin

- À noter qu'elle vient de sortir un nouveau disque, disponible seulement en vinyle ou en téléchargement...Et qu'une de ses compositions figure à la fin du dernier double album du Bang On A Can All-Stars, Big, Beautiful, Dark And scary, dont je vous reparlerai peut-être.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 avril 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales, #Grandes Voix

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