Publié le 22 Juin 2016

Nadja + Vampillia - The Perfect World

Nadja est un duo formé par le canadien Aidan Baker et son épouse Leah Buckareff  dans le domaine des musiques ambiantes expérimentales, post-rock à tendance métal, tandis que Vampillia est un groupe japonais qui marie sonorités acoustiques et sons divers. D'un côté guitares , basse, percussions et flûte ; de l'autre, guitares, voix, piano, orgue, cordes. Un mur de guitares rencontrant voix et instruments classiques pour des morceaux volontiers grandioses, étirés jusqu'à l'incandescence, la folie. The Perfect World est la nouvelle mouture d'un disque intitulé The Primitive World sorti en février 2012. Le changement de titre signale que les versions ont été remixées, réarrangées ; s'y ajoute d'ailleurs un nouveau titre, "Avalanche".

   Un début et une fin néo-classiques : piano et violon en avant, du joli à tendance doucement sublime, c'est "Wartult", premier titre et "Krault", le dernier, quasi élégiaque ; guitare mélancolique relayée par un piano allègre, puis un autre plus solennel, une voix lointaine, c'est "Aurora" qui explose en mur de sons saturés, un court moment, avant de reprendre une ligne mélodique claire et de basculer à nouveau dans l'opératique et de mourir dans le calme retrouvé.

     Entre les deux, c'est l'aventure, la traversée, la dérive. "Avalanche", très post-rock, préservant un beau contraste entre guitares déchaînées et piano chantant, est un titre chaleureux à la rythmique puissante parcouru de sonorités cuivrées. Le dernier tiers est incanté par des riffs de guitare prolongés de réverbérations et de traînées dorées. Tout se mêle pour finir dans un chaos extatique vraiment superbe, à écouter très fort, vous vous en doutez...L'atmosphère est plus sombre pour "Anesthetic Depth" : nappes floues, longues comètes efflorescentes, piano étouffé, flamboiements étirés, batterie erratique. La tension monte insidieusement, se libère en bouffées profondes, intériorisées. Voici "Icelight" et ses un peu plus de vingt-quatre minutes : boucles à partir d'un riff de guitares et de cordes bien saturées...Une musique primale, tranquillement abyssale pour décrocher de tout. On est assez proche du hard rock, du métal, de toute une mouvance très noire, mais la texture, on s'en aperçoit à la longue, est incroyablement variée, chatoyante sous ses dehors hallucinés. Il s'agit de se laisser porter par un flux survolté et néanmoins n'ayant pas rompu avec les lois les plus communes de la mélodie et du rythme. Dans un sens, on pourrait qualifier une telle musique d'orgiaque, de dionysiaque. Ce qui compte, c'est la transe, la fusion énorme avec un mouvement irrésistible. Finalement, cette lumière noire est adorable ! Je ne m'en lasse pas !

Au passage, j'inaugure une nouvelle catégorie qui, comme toutes les catégories, est imparfaite...J'y reclasserai peut-être des articles antérieurs.

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Paru en 2013 chez Important Records / 6 titres / 51'.

Pour aller plus loin :

- la page du label consacrée au disque

- le disque en écoute sur bandcamp :

Le duo Nadja : Leah Buckareff et Aidan Baker

Le duo Nadja : Leah Buckareff et Aidan Baker

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 11 août 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Du Post-rock aux sombres bruits

Publié le 17 Juin 2016

   Ma sélection annuelle, je le rappelle, est volontairement décalée pour inclure des disques qui m'avaient échappé au moment de leur parution (je sais, j'en découvre d'autres encore bien plus longtemps après ; c'est donc un compromis) ; d'autre part, elle est ainsi déjà décantée, ayant du recul, modeste j'en conviens. Partielle, à l'évidence : essentiellement une invitation à la découverte. Avec des regroupements, tant il est difficile de hiérarchiser. Les liens vers les articles sont sur les noms de compositeurs / interprètes et les titres des albums. Comme d'habitude figurent quelques disques non chroniqués, faute de temps le plus souvent. Pour la première fois, jy joins quelques extraits à écouter, au risque d'alourdir la page (merci de me signaler...même si je ne vois pas comment éviter ce désagrément...).

Bonnes écoutes ! Cliquez sur les images pour les agrandir.

1/Jan Kleefstra / Anne Chris Bakker / Romke Kleefstra - Sinne op'e Wangen

                                               DVD publié par la galerie Vayhinger (Radolfzell)

Michael Vincent Waller - Five easy pieces + Seven easy pieces      bandcamp

David Lang - mountain (Hallowed ground)          Fanfare Cincinatti

Machinefabriek & Anne Bakker - Halfslaap II / Stiltetonen        White Paddy Mountain

Andy Moor & Yannis Kyriakides - A Life is a Billion Heartbeats         unsounds

Les disques de l'année 2014
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2/ Michael Gordon - Rushes        Cantaloupe Music

Spyros Polychronopoulos - Piano Acts  Room40

Oiseaux-Tempête - (album sans titre)     Sub Rosa

Machinefabriek - Stillness Soundtracks    Glacial Movements Records

Steve Reich - radio rewrite                  Nonesuch

Christina Vantzou - N°2                       Kranky

 

Les disques de l'année 2014
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3/ Donnacha Dennehy - Orchestral Works     Rté Lyric

Bryce Dessner - St Carolyn by the Sea    Deutsche Grammophon

Michel Banabila & Oene Van Geel - Music for viola and electronics    Tapu Records

Michel Banabila - More research from the same department   Tapu records

David Shea - Rituals                    Room40

Meredith Monk - Piano Songs               ECM New series

Matteo Sommacal - The Chain Rules       Kha

 

Les disques de l'année 2014
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4/ Michael Jon Fink - From a folio          Cold Blue Music

Caleb Burhans - Excelsior                    Cedille Records

Terminal Sound System - Dust songs    Denovali Records

Salomé Leclerc - 27 fois l'aurore     Audiogramme / Tôt ou Tard

Timber Timbre - Hot Dreams    Arts & Crafts Productions

 

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Classements

Publié le 4 Juin 2016

Pascal Bouaziz - Haïkus

« Les choses les plus belles qu'on dit, on les dit en chuchotant »

   Pascal Bouaziz ne cesse de renaître, de se multiplier aussi dirait-on. L'auteur-interprète de Mendelson venait de réduire la voilure pour se glisser dans le duo de choc de Bruit Noir. Il affiche maintenant son seul nom sur la couverture, même s'il a finalement fait appel à quelques musiciens pour l'accompagner. Finies les longues plages de Mendelson, les plongées dépressives et ténébreuses de Bruit Noir ? Bien sûr, le titre Haïkus annonce des formats courts, une dimension poétique. Mais la vision du monde est une. Il n'y a pas rupture, comme l'affirment certains critiques et journalistes. Il s'agit de variations sur des thèmes bouaziziens. Des variations d'une suprême élégance, concentrées, rechantées jusqu'à ce qu'elles nous atteignent enfin. Il faut ici que j'évoque ma première écoute. J'étais perplexe, déçu, irrité même par les répétitions insistantes que j'associais trop vite avec l'idée d'une pauvreté d'inspiration. Je me disais aussi que je ne voyais guère le rapport avec le titre. Lors de la deuxième écoute, tout a changé. Dans la société japonaise, le haïkaï ou haïku, dans sa forme très ramassée, célèbre l'évanescence des choses, saisit l'instant pour en extraire l'éternel. C'est un trait qui fuse, se détache sur le silence. Dans notre société bruyante et pressée, saturée, comment pourrait-il encore nous atteindre, surtout dans une mise en forme musicale ? Il ne reste que la répétition, le ressassement (un terme présent dans la chanson "L'Usine" de Bruit Noir). La répétition, c'est la vrille, l'insistance qui pousse le trait vers nous, jusqu'à ce qu'on percute, comme on dit. Elle n'est donc ni maladresse, ni pauvreté : elle est la penne de la flèche, qui la dirige et lui fait nous toucher. Sinon ? « De toutes ces voix / Ne m'arrive que du bruit » Ce bruit du premier titre, "Que du bruit", ne devient signe de vie qu'après avoir été répété, devenant « du bruit que tu fais dans la pièce à côté / du bruit que tu fais j'entends ta voix ». Il faut un temps pour débrouiller le bruit informe et collectif, entendre enfin le bruit qui a du sens parce qu'il y a quelqu'un derrière. Ce n'est qu'alors que surgit le mot "musique", après ce trajet de l'insignifiant au signifiant, de "toutes ces voix" à "ta voix". La musique naît de l'intime, elle peut alors être dite « nouveau pays natal / ma nouvelle langue maternelle » et pourra parler "plus que toi" parce que "j'entends ta voix"...Ne peut bien chanter que celui qui sait bien écouter la voix qui l'inspire, celle de sa muse ? Mine de rien, ce premier titre est l'art poétique de l'album.

   Un album qui traque, trappe les traces avec tour à tour une infinie douceur, une férocité tranquille et assumée, ailleurs un zeste d'amertume, et toujours comme une distance, une retenue, une pudeur bouleversante. Si Pascal chante vraiment ici, il reste à la limite du chuchotement et, ce qui m'agaçait au début, je le comprends maintenant comme une invite pressante à vraiment l'écouter, pas de manière distraite, comme on fait trop de choses aujourd'hui : c'est sa manière de forcer l'attention, à rebours justement de cette société du bruit. Les accompagnements bruitistes, presque expressionnistes de Mendelson et de Bruit Noir laissent la place à une ligne mélodique claire. Autour de la guitare de Pascal, celle d'Éric Jamier, la batterie de Pierre-Yves Louis (de Mendelson), de temps à autre le piano de Stan Cuesta et la voix de Lou sertissent sa voix dans une sorte de cocon de lumière qui illumine l'album. Certaines attaques de titres évoquent l'atmosphère frémissante des premiers albums de Leonard Cohen, surtout Songs of Love and hate : écoutez la guitare au début de "Miracle", comme un souvenir de cette extraordinaire chanson du canadien, "Avalanche".

   Un album qui traque, trappe les traces avec tour à tour une infinie douceur, une férocité tranquille et assumée, ailleurs un zeste d'amertume, et toujours comme une distance, une retenue, une pudeur bouleversante. Si Pascal chante vraiment ici, il reste à la limite du chuchotement et, ce qui m'agaçait au début, je le comprends maintenant comme une invite pressante à vraiment l'écouter, pas de manière distraite, comme on fait trop de choses aujourd'hui : c'est sa manière de forcer l'attention, à rebours justement de cette société du bruit. Les accompagnements bruitistes, presque expressionnistes de Mendelson et de Bruit Noir laissent la place à une ligne mélodique claire. Autour de la guitare de Pascal, celle d'Éric Jamier, la batterie de Pierre-Yves Louis (de Mendelson), de temps à autre le piano de Stan Cuesta et la voix de Lou sertissent sa voix dans une sorte de cocon de lumière qui illumine l'album. Certaines attaques de titres évoquent l'atmosphère frémissante des premiers albums de Leonard Cohen, surtout Songs of Love and hate : écoutez la guitare au début de "Miracle", comme un souvenir de cette extraordinaire chanson du canadien, "Avalanche".

Prendre du large, partir...loin dans les racines de l'émotion !   L'art du haïku, chez Bouaziz, c'est de saisir la beauté où l'on ne sait pas ou plus la voir, pour la sertir dans une forme et, d'une certaine manière, en faire son viatique, une raison de vivre encore, malgré toute la laideur du monde, l'horreur suscitée par l'espèce humaine et ce qu'on appelle "civilisation". Dans "La trace", c'est « au supermarché la trace de ton dos » qui, disparaissant, laisse le "je" désemparé, désorienté. En creux, une critique de la déshumanisation de ces lieux marchands sinistres... Dans "Cessez d'écrire", c'est une plainte pitoyable contre le déferlement des confessions impudiques qui souille le monde. Le « Je ne suis pas curieux de vous connaître » n'est absolument pas à comprendre comme un signe de misanthropie, mais comme une protestation contre la disparition de la pudeur. Sans pudeur, plus de beauté possible. Le haïku représenterait alors le compromis entre le trop de mots et le silence, une tentative pour tout « nettoyer de l'intérieur ». Le titre suivant, "L'Être humain", est une magnifique illustration de cette pureté retrouvée. Une minute vingt-neuf d'émotion, guitares, duo de voix de Pascal et Lou, et quelques mots pour dire l'essentiel : « Parfois je me laisse aller avec toi / Je me laisse aller / Parfois je me laisse aller avec toi / Je baisse la garde / Tu me ferais presque croire (...) / En l'être humain. » Magnifique, et ce n'est pas fini. "Ta main", la plus longue, presque six minutes. Une danse un peu trop longue, « ta main je m'en souviens dans mon dos », des accents à la Gérard Manset, des souvenirs de tendresse, une guitare qui flamboie doucement. Cela pourrait durer toujours, le monde tourne autour de ta main, « d'autres corps me réchaufferont peut-être », mais le souvenir restera, illuminant. Chanson SUBLIME, d'une absolue pureté de ligne, à pulvériser toutes les niaiseries... "Miracle", c'est celui de la vie civilisée qui cache les instincts agressifs sous un vernis sentimental hypocrite : petite merveille d'humour acerbe, gravement délicieuse. Un petit côté blues pour "L'ombre", une invitation à regarder « sur le trottoir de ta vie (...) l'ombre que tu quittes / qui revient vers toi ».

"Encore envie" est une belle célébration de la vie, guitares chantantes, rythme prenant : qui a dit que Pascal Bouaziz noircissait tout ? "Avec la peur" joue habilement de l'accompagnement haletant à la batterie, mais oppose là encore la peur au ventre, affolante, et une émouvante demande de lumière. La chanson suivante, "Toutes ces guerres" prend une certaine distance avec tous les ennemis de toutes les guerres, victorieuses ou non, pour demander avant tout la paix. N'est-ce pas un chemin d'espoir que le nouveau Pascal Bouaziz trace, chanson après chanson ? Dans "Loin", la double affirmation « Nous partirons toujours / Nous ne sommes jamais arrivés » sert de refrain à une balade fragile ponctuée de deux moments graves, instrumentaux : encore un superbe titre pour ce qui prend l'allure de l'annonce d'un départ décisif, rimbaldien qui sait. Une composition creusée par le désir d'un ailleurs..."S'il ne fallait que ça" poursuit de manière énigmatique le titre précédent. Du courage, de la patience ne suffisent pas...parce qu'il faudrait aussi ce qui est formulé en dernier, de l'amour. Pour quoi faire ? Mourir, ou continuer à vivre, encore et malgré tout ? Je penche pour la seconde voie, me fiant à ceux qui ont rencontré Pascal, qui l'ont vu en concert (je l'ai hélas manqué de peu récemment...), qui disent ses sourires, son humour, quand bien même ce pourrait être évidemment celui du désespoir, je sais. La dernière chanson, à laquelle j'ai emprunté le titre de cet article,  me paraît aller dans ce sens.

Pudeur et chuchotements : écoutez la voix très douce d'un homme d'aujourd'hui. Quel bonheur ! Quel baume sur les braillements médiatiques, ce monde imbu de son importance !

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Paru en 2016 chez Ici d'ailleurs / 13 titres / 41'.

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 11 août 2021)

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