Jocelyn Robert (2) - Requiem

Publié le 20 Septembre 2021

Jocelyn Robert (2) - Requiem

   En mars 2014, j'ai consacré un premier article au compositeur canadien Jocelyn Robert, à l'occasion de la sortie de deux disques qu'il a consacrés au disklavier. Pour les éléments biographiques, je renvoie à cet article. Cette fois, c'est un disque de piano. De piano. Rien d'autre. Avec une présentation réduite à quelques mots : « une pause au piano, une pause pour le deuil. » J'ai déjà envie de l'embrasser : enfin un musicien qui ne se croit pas obligé de pondre une demi-page ou une page de présentation fumeuse dans laquelle il relierait sa musique aux grands problèmes actuels de notre civilisation et ne manquerait pas de faire ressortir l'esprit d'avant-garde de sa démarche ou son utilisation de technologies fabuleuses. Retour à la musique, en somme. À l'intime, d'où la pudeur, la discrétion. La seule écoute de "Géraniums", le premier titre, m'avait convaincu d'acheter le disque... et d'en venir à un article.

"Géraniums" : une cellule répétée de quatre notes sert de source à cette composition élégiaque. C'est le parcours d'un fleurissement délicat, espacé de silences. Temps du recueillement, temps des gerbes que l'on assemble posément, le profil nimbé par la lumière qui tombe là-bas comme une poussière. Temps des souvenirs qui remontent, se reconstituent, s'effritent, et puis soudain le miracle de l'espoir dans ses allures presque joyeuses malgré tout, malgré tout. Dans l'impermanence des choses, la splendeur intacte du monde.

"Rue Chalifoux" : Six notes espacées, puis elles s'appellent, se répondent, par deux, par trois, des graves aux aigus, dans un apparent désordre, avant de se grouper en grappes, de tomber comme des gouttes, de nous entraîner dans un dédale, de nous envelopper des volutes bousculées d'un carillon capricieux, avançant par à-coups jusqu'au plus profond de la mémoire trouée...

   Comme j'aime cette musique dépouillée, qui touche l'âme à chaque note. Elle nous prend par la main, qu'elle tient bien serrée, pour nous emmener par ses chemins. "Le chemin du lac", par exemple, troisième station de ce requiem si éloigné des grandes partitions dramatiques et grandiloquentes portant ce même nom. On avance pas à pas, on hésite à froisser les herbes. Puis on s'enhardit, on se prend à courir, on est essoufflé. Alors on regarde, immobile, la perspective. L'émotion nous envahit, on revit des moments anciens, comme en songe, la tête perdue. L'eau n'est plus loin, elle nous appelle à petit chant. On s'arrête encore, sur le seuil de quoi ? On se tient là, dans un éblouissement. Au pays des souvenirs, "La rivière Saint-François" n'est pas si loin. La lumière ricoche sur le miroir d'eau. Le temps est suspendu. C'est une rivière devenue imaginaire, dont l'eau harmonique résonne à fissurer le silence. Puis on perçoit le corps de la rivière, agité de clapotis intérieurs. Comment résister à l'appel du délicieux friselis ? On dirait qu'elle babille, oh, en toute innocence. D'ailleurs, elle se retient, elle nous tend sa fraîcheur dans un geste hiératique. On la contemple pour ne plus faire qu'un avec elle, dans un respect immense.

   On marche sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller la "Rue Bowen", rue fantôme ensevelie sous son nimbe de brume. Des échos se lèvent pourtant ça et là, alors on les considère avec étonnement. De toute façon, on ira jusqu'au bout de la rue, même s'il faut plonger au cœur du malheur, creuser jusqu'au sépulcre, peut-être.

La quintessence de l'élégiaque : un disque admirable !

Paru en avril 2020 / 5 plages / 42 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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