Publié le 24 Août 2013

Simeon ten Holt - Solo Piano music (Volumes I-V)

Dans l'Océan du Temps

   Décédé le 25 novembre 2012 à l'âge de 89 ans, Simeon ten Holt est sans doute l'un des compositeurs néerlandais les plus importants de la fin du vingtième siècle et du début de l'actuel. Très connu dans son pays, il l'est beaucoup moins (euphémisme ?) dans le nôtre. Lié au mouvement De Stijl, il a étudié auprès de compositeurs locaux, mais aussi pendant cinq années à Paris sous la direction de Arthur Honegger et Darius Milhaud (Philip Glass a aussi été l'élève de ce dernier), un apprentissage qu'il qualifie d'expériences  plaisantes, sans aucune importance sur sa trajectoire de compositeur. Un moment tenté par l'atonalité, le sérialisme, il élabore un procédé qu'il appelle "dialogisme", caractérisées par des structures en chiasme centrées sur des tritons. Souvent rattaché au courant minimaliste pour son écriture fondée sur des structures rythmiques répétitives, il conçoit des œuvres mouvantes, dont la durée n'est pas fixée, chaque interprétation permettant aux instrumentistes d'opérer des choix propres. De fait, chaque pièce devient une forme organique en perpétuelle évolution, travaillée par des boucles serrées variées. Je le comparerais volontiers à un Morton Feldman en raison de leur goût pour les longues tapisseries sonores. Mais autant l'américain crée un climat de quiétude par la juxtaposition de rares raréfiées, surtout à la fin de sa vie, autant le néerlandais (en tout cas ici) virevolte, caracole, donne à sa musique un caractère virtuose lié à une rythmique volontiers endiablée, infatigable...Deux compositeurs aux extrêmes de la constellation minimaliste, dans des marges très personnelles.

   Il doit sa célébrité à Canto Ostinato, élaboré entre 1975 et 1979, interprété pour la première fois dans une église de Bergen, la petite ville côtière néerlandaise où il vivait, pour trois pianos et un orgue électrique alors qu'il fut écrit originellement pour piano solo. Depuis ont fleuri différentes versions, au moins huit, une pour huit violoncelles étant imminente.

  Le pianiste néerlandais Jeroen van Veen, auquel on doit déjà deux coffrets formidables pour découvrir les facettes du minimalisme - Minimal piano Collection, 9 cds / Minimal piano Collection Volume X_XX, 11 cds - et un monumental coffret de dix cds consacrés aux œuvres pour plusieurs pianos de Simeon ten Holt, vient de publier un "petit" coffret de cinq disques dédiés aux compositions pour piano solo. On y retrouve sans surprise Canto Ostinato (interprété pour deux pianos avec son épouse Sandra au volume X de la Minimal piano Collection) en première position.

   Un peu plus de cent sections pour presque quatre-vingt minutes d'un chant obstiné, en effet, jamais en peine, nous entraînant au fil de ses variations incessantes, laissant entrevoir des bribes d'une mélodie tapie dans la trame profonde. Très vite, on perd tout repère, on s'abandonne au flux, sans souvenir, sans avenir. Le rythme est tel que la mémoire n'a plus le temps d'intervenir pour nous transporter en dehors du moment présent - je parle évidemment de l'auditeur qui n'a pas décroché, dérouté, effrayé par l'espace à parcourir. C'est une musique authentiquement séduisante, qui détourne du droit chemin des soucis pour nous ramener au temps pur. Le jeu lumineux de Jeroen, sa frappe joyeuse, sont irrésistibles !

  Et les quatre autres disques, me direz-vous ? Sur le disque 2, on trouve Natalon in E (1979-1980) une pièce en cinq mouvements, plus courte - quarante-deux minutes seulement ! - qui m'a parfois déconcerté, surtout dans le second mouvement, du Bach un peu mièvre aurait-on dit, mais qui m'a ensuite pris par surprise par des variations très imprévues, avec un "Lento Sustenuto" rare et émouvant et un finale "Molto Allegro Giusto"alternant brillamment moments graves et enlevés. Et un délicieux "Aforisme II" de 1974 dans la lignée d'un Chopin ou d'un Schumann : étonnant !

   Les disques 3 à 5 sont occupés pour l'essentiel par l'immense Solo Devil's Dance, dont les quatre versions voient le jour entre 1959 et 1998. Revoilà nos tritons, appelés dans la tradition musicale "Diabolus in Musica", réputés désagréables pour l'oreille et déconseillés à la fin du Moyen-Âge, mais employés ensuite par Bach, Berlioz, Stravinsky ou...Black Sabbath ! C'est à mon sens le cœur de ce coffret, insupportable pour nombre d'auditeurs, je m'en doute et m'y suis d'ailleurs rompu les oreilles lors des premières écoutes partielles. L'idéal, c'est l'écoute intégrale, à défaut par version. Alors seulement la magie peut jouer. Car c'est un ensemble de compositions fascinantes, comme une immense étendue de milliers de miroirs pivotant, en vis-à-vis, les cellules rythmiques intriquées se répondant en chiasmes parfaits ou subtilement modifiés... Absorbé dans l'avènement de ces schèmes, l'auditeur ne voit pas des intervalles temporels apparaître, il est face au perpétuel surgissant, dans l'abolition entre le rythme de la durée et celui des événements. Il vit ainsi ce que le philosophe Louis Lavelle appelle une « éternisation », éprouvant l'impression d'une éternité qui se réalise dans le temps, connaissant dans le présent immobile de son écoute une intense joie. Si l'on ajoute qu'à cela s'ajoute un autre effet, celui d'un éternel retour du même, mais un peu différent (voir une autre pièce de 1995, sur le disque 5, intitulée justement Eadem Sed Aliter), le sceptique comprendra que je célèbre les louanges d'une danse diabolique à la beauté virtuellement infinie, diffractée par la rythmique annihilant toute analyse historique de l'œuvre. Soulagé du poids du passé, ma faculté de sentir est décuplée, dirait un autre philosophe, Nietzsche...Le diable est léger parce qu'il ne connaît que l'instant présent, ignorant regret et remords et se souciant peu de l'avenir !

   Je reviens sur mon titre : "Dans l'Océan du Temps". La musique de Simeon ten Holt submerge, nous tient lieu de conscience pendant toute écoute véritable ; elle semble sans début ni fin, toute à la joie de sourdre en nous pour nous donner un pur bonheur, celui d'être... C'est une expérience unique, une méditation puissante dont on ne peut "sortir" que régénéré...

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Paru chez Brilliant Classics en 2013 / 5 cds / 27 pistes / Plus de cinq heures    

Pour aller plus loin

-le site officiel du pianiste Jeroen Van Veen

- le site officiel consacré à Simeon ten Holt

 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 juillet 2021)

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Publié le 7 Août 2013

Zvuku - Other room listening

Ils auraient mérité une chronique (3)

   Zvuku, alias de Karl McGraph, actif sur la scène de Dublin, concocte une musique ambiante électro-acoustique à la fois sereine et dramatique à partir de piano, violon, guitare, drones et effets. On pourrait le situer dans le prolongement des meilleurs Tangerine Dream, en moins démonstratif. Karl, attentif à déployer ses toiles en étageant les textures, nous enveloppe dans des volutes soyeuses, somptueuses, des boucles lentes et diaprées. C'est en 2012 qu'il sort son premier cd, Other room listening, sur le label Futuresequence : huit titres, rien à jeter, parfait pour laisser errer son esprit dans les filigranes délicats des nuages intérieurs ou des forêts nocturnes étoilées.

Paru chez Futuresequence  en 2012 / 6 titres / 41 minutes environ

Pour aller plus loin

- Zvuku sur soundcloud.

- "Logpile", le premier titre en écoute (fausse video)

- album en écoute et en téléchargement gratuit sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 juillet 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 2 Août 2013

The Unthanks : le folk, intemporel et moderne !

Ils auraient mérité une chronique (2) 

   Le groupe, entièrement féminin au départ, s'est appelé Rachel Unthank and the Winterset entre 2004 et 2009. Deux albums bien accueillis, Cruel sister et The Bairns, ponctuent cette première carrière. En 2009, Adrian McNally, le directeur artistique, et son ami d'enfance Chris Price rejoignent le groupe qui devient The Unthanks, mettant sur le même plan les deux sœurs Rachel - qui a épousé depuis Adrian - et Becky.

   Here's the tender coming, sorti en septembre de la même année, est un album au final envoûtant : tour à tour pathétique, mystérieux, enjoué, il reprend un certain nombre de titres traditionnels, mais ajoute des chansons plus modernes, telle celle composée par Graeme Miles (voir la première vidéo) auquel ils rendent hommage cette année par deux concerts. Les compositions sont ciselées, servies par des instruments variés, parfois peu attendus dans le contexte folk, comme le piano, le violoncelle ou le marimba. Non, le folk n'est pas mort, et ce n'est sans doute pas un hasard s'ils comptent parmi leurs admirateurs Robert Wyatt ou Radiohead par exemple. Le groupe a d'ailleurs donné à Londres en 2010 deux concerts entièrement constitués de chansons de Robert Wyatt...et de Antony & the Johnsons, concerts qui ont donné naissance à un disque en 2011.

Un titre de Graeme Miles, grand auteur de chansons folk de la région industrielle de la Tees (Yorkshire)

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 juillet 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges