Terry Riley : "The Cusp of magic", le retour du magicien.

Publié le 9 Juin 2008

Terry Riley : "The Cusp of magic", le retour du magicien.
                                                                                          
Terry Riley aura 73 ans le 24 juin. Sa dernière œuvre est pourtant d'une incroyable jeunesse. Ecrite à la demande de David Harrington, violon et cheville ouvrière du Kronos Quartet, qui voulait célébrer le soixante-dixième anniversaire du compositeur lui-même, elle témoigne de la capacité de renouvellement de l'un des fondateurs historiques du minimalisme et ajoute un nouveau maillon à la longue liste des collaborations avec l'un des quatuors à cordes les plus talentueux de notre temps. D'un commun accord, Terry et le Kronos ont dès le départ eu l'idée d'associer à ce projet un pipa, luth à manche court, l'un des instruments chinois les plus anciens et des plus appréciés. Wu Man, luthiste qui avait déjà collaboré avec le quatuor, apporte sa touche orientale aux couleurs occidentales du quatuor. Plus que jamais, Terry reste le plus oriental des compositeurs occidentaux. Imprégné de jazz, connaisseur des musiques des Indiens d'Amérique, ayant étudié très longtemps sous la direction du Pandit Prân Nath, maître du Kirana, style de raga indien, Terry Riley ne saurait se réduire au minimalisme. Son œuvre est à la croisée de l'avant-garde et des musiques du monde, imprégnée d'une constante aura spirituelle. The Cusp of magic est ainsi une rencontre, non seulement entre le quatuor à cordes et le pipa, mais encore avec le synthétiseur, des instruments utilisés dans les cérémonies du peyotl et d'autres issus d'une collection d'instruments-jouets ramené par le quatuor de ses tournées autour du monde, chacun des cinq instrumentistes étant amené à employer un ou plusieurs d'entre ces derniers à un moment ou à un autre à la place de son instrument habituel. Le titre désigne un rite lié au passage du signe des Gémeaux à celui du Cancer et au solstice d'été qui, traditionnellement, est marqué par une nuit de festivités, une suspension du cours ordinaire du temps marquée par des débordements, l'irruption des rêves et de la fantaisie : le mot anglais "cusp" renvoie à un point de rebroussement, un point singulier sur une courbe, ici à l'entrée dans le surnaturel. Divisé en six parties, ce cycle d'un peu plus de quarante minutes s'ouvre et se ferme sur une section influencée par les rituels indiens du peyotl, ces nuits pendant lesquelles les participants rassemblés autour d'un feu ingéraient le champignon sacré en chantant, murmurant et priant. 

L'auditeur est d'emblée sommé d'abandonner le monde profane, trivial : un tambour scande solennellement tout le premier mouvement, accompagné par une crécelle lancinante, des vagues de synthétiseur, avant l'entrée du quatuor à cordes, puis du luth pipa : la régularité de la scansion rythmique coexiste avec l'irrégularité des cellules mélodiques dans une trame d'une beauté constante, intense. Terry est de retour, quelle émotion !! Quelle fraîcheur, quelle joie ! Exultation parfois du quatuor qui dérape presque free jazz, entrelacements complexes avec le pipa, la musique transporte par son puissant dynamisme, son crescendo final irrésistible. Buddha's bedroom, le second mouvement, commence par un dialogue vif et serré entre le quatuor et le pipa, ponctué de pizzicati ; puis le rythme s'alanguit, Wu Man chante une berceuse, texte de sa composition, comme si elle s'adressait à son fils, moment suspendu de grâce avant la reprise par le quatuor, décidé, exubérant. The Nursery propose une seconde berceuse à l'arrière-plan envahi par les instruments-jouets, le violon joue des glissandi, le pipa égrène des chapelets de notes, les jouets prennent le pouvoir dans une atmosphère doucement incantatoire, clochettes, couinement d'animaux en peluches, ricanements grotesques en sourdine. L'humour comme accès au mystère... Suit le Royal wedding, rond et enlevé, virevoltant, tout en glissements suaves, violoncelle charmeur et violons affolants, avec une coda d'une grâce raffinée. Emily and Alice est une caverne aux merveilles, hantée par les jouets aux résonances mystérieuses, traversée par un chant enfantin nimbé d'irréalité tandis que le quatuor et le pipa ponctuent l'atmosphère magique de virgules graves. Prayer circle, miracle d'apesanteur, nous entraîne dans une danse tantôt vive et légère, tantôt lente et plus grave. Une musique du bonheur, d'une admirable naïveté, sans rien qui pèse, c'est le cadeau que nous offre Terry rayonnant de malice. Suivons-le sur le chemin éclairé de taches d'or, bordé de buissons aux couleurs surnaturelles, le chemin de l'illumination ?
Pour aller plus loin :

- voir des photos de Dean Chamberlain, photographe "psychédélique" qui joue sur des temps de pose très longs (jusqu'à cinq heures) pour créer des images hallucinatoires. Je vous propose celle-ci, Jewel path, qui pourrait illustrer une illumination de Rimbaud :

Terry Riley : "The Cusp of magic", le retour du magicien.

- le site de Frank Olinsky, qui conçoit bien des pochettes et des livrets de CD, du Kronos Quartet à Sonic Youth.(j'ai pris l'exemple du Kronos).

Paru en février 2008 chez Nonesuch / 6 plages / 43 minutes environ

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores en novembre 2020)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Terry Riley

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