Marco Capelli : EGP,"Extreme Guitar project", à l'extrême de la beauté.
Publié le 1 Juin 2008
Tous les amateurs de guitare doivent écouter ce disque, les autres aussi... Comme Dominic Frasca (cf. article du jeudi 27 septembre 2007), Marco Capelli, guitariste né à Naples en 1965, transcende la guitare classique pour la réintroduire dans les compositions les plus novatrices d'aujourd'hui. L'idée de donner une photographie musicale de l'avant-garde musicale de New-York lui est venue d'un séjour dans cette ville en 2002. Il a demandé à un certain nombre de compositeurs, improvisateurs, issus de ce milieu qui brasse allègrement musique contemporaine, jazz d'avant-garde et rock décalé, d'écrire pour sa guitare, une guitare classique amplifiée par l'ajout de huit cordes de résonances et les sons multipliés de l'électronique directe. Il a souhaité un mélange d'écritures allant de structures rigoureuses à la liberté des langages improvisés. Le résultat est renversant : l'un des meilleurs disques de 2006, et tout simplement l'un des disques essentiels de ce début de siècle. EGP est de prime abord déconcertant, voire difficile, parce qu'il va jusqu'au bout de son projet, mais dès la première écoute, quelle claque sur certains morceaux, comme l'extraordinaire Amygdala d'Elliott Sharp, qui joue du contraste entre martèlements percussifs en roulements sourds et les cordes jouées dans l'aigu ou en salves nerveuses, avec de brusques décrochages, dérapages, stases. A côté de Nick Didkowsky (cf. article), de Annie Gosfield ( cf. mon double hommage), et de David Shea, musiciens déjà présents dans ce blog, on trouve encore Marc Ribot, guitariste aventureux ayant joué avec John Lurie et son excellent groupe The Lounge Lizards, ici compositeur auquel revient d'ouvrir l'album avec un morceau sans concession, entre blues épais et expérimentation à la Fred Frith, frénésie et douceur imprévue, Ikue Mori, japonaise établie à New-York depuis 1977 et grande figure des musiques électroniques -dont je reparlerai bientôt, Anthony Coleman, Otomo Yoshihide, Erik Friedlander, et Mark Stewart. Ikue Mori fait dialoguer la guitare avec des musiques électroniques préenregistrées dans Bird chant, composition ciselée, méditative. Anthony Coleman a écrit sa pièce The Buzzing in my head à partir d'une crise sévère d'acouphène, d'interrogations nées de sa lecture d'une pièce de Beckett et de l'écoute d'un morceau de Ligeti : musique sinueuse, rêveuse, comme trouée, la guitare à nu qui fouille dans la tête à petits coups incertains.Considérant la guitare améliorée de Marco, Nick Didkowsky a découvert une façon de l'accorder qui l'a inspiré pour les trois mouvements de A bright moon makes a little daytime, sorte de sonate douce ou furieuse, aux lignes mélodiques complexes et belles. Otomo Yoshihide ausculte la guitare, nous invitant à découvrir les sonorités étranges qu'elle peut générer : avec lui la guitare devient shamisen expérimental. Annie Gosfield ne nous fait entendre que la main droite de Marco, Marked by a hat - jeu de mot sur le nom du guitariste, n'étant joué que sur les cordes sympathiques ouvertes : c'est un des immenses bonheurs de ce disque généreux, une pièce lumineuse et bondissante, joyeuse. Mark Stewart propose une étude très percussive, ponctuée de raclements, de grattements, musique dépenaillée pour un film d'épouvante avant de laisser fuser une superbe fin mélodieuse et déliée comme une étoile filante après les ténèbres. Erik Friedlandler pense à son violoncelle, à Jimi Hendrix et quelques autres pour Iron blue, pièce virtuose, chatoyante, sans cesse renaissante. David Shea conclut l'album avec Terra, brève méditation absolument splendide pour guitare et électronique, intense, fulgurante, extraite d'un cycle que je ne connais pas, mais qui augure du meilleur David.
- le site de Marco Capelli.
Marco Capelli joue aussi bien de la musique classique, il enseigne la musique au conservatoire Bellini de Palerme.
- le site de Marco Capelli.
Marco Capelli joue aussi bien de la musique classique, il enseigne la musique au conservatoire Bellini de Palerme.
Paru chez Mode Records en 2006 / 12 plages / 68 minutes environ
En prime, un extrait d'une composition de Steve Reich interprétée par le guitariste italien.
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores en novembre 2020)