Imagho - Méandres

Publié le 30 Septembre 2013

Imagho - Méandres

   Dans le monde de Pro Tools, des logiciels qui font (presque) tout, contrôlent et corrigent, Jean-Louis Prades, alias Imagho, a choisi de rester...un artisan. Je ne reviens pas sur sa carrière, ponctuée de quelques disques que j'avais évoqués dans un bref article de mars 2008, au moment de la sortie du double cd Inside looking out.

  Dès le premier titre, "Une femme", le ton est donné : une musique simple, décantée des effets, une musique qui chante, guitare et batterie au premier plan, un peu de piano. Mais son côté jazz, pas déplaisant du tout, est plus le souvenir d'une période ancienne pour le guitariste et multi-instrumentiste lyonnais que l'amorce du disque. Une belle fausse piste. Le ton change en effet avec "Great Matzinger", le titre le moins convaincant de l'album, encombré par une contrebasse virtuelle, et alourdi par la rythmique robotique que les parties acoustiques de Jean-Louis ne rendent guère plus digeste...Et puis il y a le premier miracle, le lumineux "Three Children", sa magnifique mélodie, les cordes de la guitare qui crissent. Deux thèmes, repris, structurent ce bijou fragile, serti dans une écrin léger de piano et claviers. "In Caso di nebbia" commence par un crachotement de boîte à rythme à semi étouffée, qui sert de soubassement à quelques accords de guitare, quelques griffures électro acoustiques, comme si l'on picorait, effleurait les cordes, et l'auditeur se trouve plongé dans un subtil brouillard mélancolique.

   On sent que c'est parti. Imagho nous emmène dans des flâneries tranquilles, comme le titre éponyme, jeu d'échos entre plusieurs guitares, ou le curieux "The Crossing", avec un début à l'archet électronique sur lequel la guitare vient se poser pour le recouvrir, accompagnée d'une percussion discrète, puis d'un vibraphone m'a-t-il semblé, pour une petite série de variations, avant la réapparition de l'archet en arrière-plan, morceau doucement hypnotique plus dans la lignée de Inside looking out et que Jean-Louis dit associer à "Exiles" de King Crimson sur l'album Lark's tongues in aspic.

   "Song for Franck", avec son introduction électrique à base de sons distendus, offre une autre échappée à la guitare sèche, des accords discrets coupés de silences : un autre très beau moment, simple et émouvant. On ne pense plus à rien, on écoute juste les cordes sonner, résonner, les claviers nettement à l'arrière-plan. Si le titre suivant, "E.T.I" pour "Extra Terrestial Intelligence", a un petit côté science-fiction avec ses gloussements électroniques, guitare et batterie sont bien là, et ça chante en toute modestie tout honneur, en prenant son temps. C'est vraiment une musique à déguster, un jour de fine brume, au bord d'une rivière lente. J'aime moins ""2800 Kelvin", sa batterie sans surprise et sa guitare plus jazzy. Mais "40" qui suit est tout simplement magnifique, guitare folk évidente, arrangements superbement désuets, un morceau hors du temps, en apesanteur. "Rosebud", évidemment un clin d'œil au film d'Orson Welles, avec sa guitare saturée et sa rythmique animée, est un objet sonore improbable, non sans charme, comme un interlude avant "We got company", bricolage de piano et de sons retraités de toute beauté, dans l'esprit des musiques ambiantes. La guitare réapparaît sur le dernier titre, "Angel", délicat, aérien. On est surpris d'entendre un chœur de voix, très en arrière, grave, celle du compositeur interprète en personne !! Ce serait l'annonce d'un futur disque...

   Tel quel, avec ses quelques faiblesses, voici un album aimable, précieux pour les pépites qu'il secrète en son sein, sans avoir l'air d'y toucher, loin du bruit et de la fureur, à hauteur d'homme.

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Paru chez Alara / We are Unique Records en 2013 / 13 titres / 47'

Pour aller plus loin

- Jean-Louis Prades décortique son album titre à titre

 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 juillet 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges

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