pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 1 Avril 2022

Sophia Djebel Rose - Métempsycose

Habiter le monde des mystères

/

ça s'appelait la Liberté

   Une voix se lève, et elle chante en français des textes magnifiques ! Alors que tant de chanteurs français renoncent à leur langue pour des prétextes fallacieux, Sophia Djebel Rose revient à notre langue après avoir chanté en anglais dans le duo  An Eagle in your Mind. Il faut saluer ce retour comme il convient, que ce retour soit définitif ! Voix, guitare, un peu d'harmonium indien, retardateur, orgues et chœurs hantés, une touche de basse et de synthétiseur analogique : Sophia Djebel Rose, voix profonde, un peu âpre et rocailleuse, s'inscrit d'emblée dans la lignée d'une Catherine Ribeiro ou de Nico. J'ai pensé aussi à cette immense et trop peu connue Annkrist.

   Chaque chanson vibre comme une incantation, un appel à l'amour ou à la révolte. « L'intranquillité m'habite, liberté chérie / Et je suce ton nom / Comme un bonbon de miel » écrit-elle dans le sillage d'Éluard.  Sa montagne à elle, c'est le Massif Central de son Auvergne. Elle est fille des forêts, des légendes, en rupture : « j'aspire le venin / la brume de ce siècle pétrolier / l'industrie sévit ». Elle rêve d'un palais des Mille et Une Nuits sans porte ni fenêtres ("Le Palais", titre 1), lieu de désir et de Volupté. Baudelaire n'est pas loin. Elle brûle pour la liberté ("Liberté", titre 2), se voit en Vénus « flotter dans les airs / et puis marcher sur la mer / habiter le monde des mystères » ("Vénus", titre 3). Quel titre envoûtant, ce troisième titre, avec la guitare hypnotique, les envolées électriques qui lui permettent de donner toute l'amplitude de sa voix de prêtresse exaltée !

   Sophia Djebel Rose impose un univers vibrant, plonge dans les peurs ancestrales et les mensonges. C'est le curieux "Le Diable et l'Enfant", titre 4, le plus psychédélique par ses mélismes d'orgue et de synthétiseur, la voix proche de la psalmodie. Le texte de "La Louve" (titre 5) est d'un romantisme flamboyant, très proche du Vigny de La Maison du Berger :

Pars courageusement, laisse toutes les villes ;
Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin,
Du haut de nos pensers vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l’esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.

ou de La Mort du loup, que je vous laisse le soin de (re)lire. Je ne résiste pas au plaisir de citer largement le beau texte de Sophia :

j'allais parcourant les plaines désertes

j'allais courant le long des fleuves amis

puis il n'y eut plus que des forêts défaites

tous les miens étaient morts des coups de vos fusils

chantait la louve, au pied des remparts de la ville

où êtes-vous ? Venez-moi au secours, je meurs

j'ai jadis nourri comme s'ils étaient mes fils

ceux qui d'entre les hommes devaient fonder Rome

chantait la Louve, au pied des remparts de la ville

où-êtes-vous ? Venez-moi au secours, je meurs

et d'envie de colère ou d'ennui

comme mes frères à la lune

de ton cœur blessé tu hurles l'amertume

le souvenir des plaines qui fument

au doux soleil de Janvier

ca s'appelait la Liberté

   C'était devenu si rare, en français, d'entendre de la poésie, des textes avec du style, de l'allure, qui nous parlent de l'essentiel, de nos soifs intactes malgré l'industrie qui sévit, la nature dénaturée.
 

 

  Toute la face B se retire du monde pour s'enfoncer dans la nature immémoriale. C'est l'extraordinaire profession de foi de "J'appartiens" (titre 6), dont le texte évoque indirectement le titre de l'album, à propos duquel elle dit dans un entretien accordé au site VoltBass : « C’est souvent que je ressens une intimité profonde avec les choses qui m’entourent, lézards, hommes, femmes, rivières, fauves, oxygène, soleil. L’idée de la Métempsycose, selon laquelle nos âmes habitent successivement tous ces corps me permet d’expliquer cette intimité avec le monde. Et je crois qu’en dernier lieu c’est de ça que parle mon album : notre appartenance au dehors et à l’au-delà. » Se faisant, elle trouve des accents verlainiens (et plus lointainement ronsardiens) dans le titre suivant, "La Clairière", bouleversant appel amoureux à venir « où l'on se perd / si tu veux faisons la guerre / mais dans la clairière », cette clairière qui existe depuis le début du monde loin des tours et des faubourgs des cités asservies. La musique obsédante, très rock, est splendidement alliée à des chœurs, des envolées magiques, des silences, une apesanteur extatique. Toute la poésie est là entre les mots, j'y ai trouvé Nerval aussi :

« J'ai rêvé dans la grotte où nage la Sirène » écrivait-il dans El Desdichado . Sophia renoue avec ce rêve :

« je veux nager dans le bassin / au poisson d'or ». Comment s'étonner alors de ce chant de révolte qu'est "Blanche Canine" ? Une révolte tranquille, décidée : « pardon de te dire, le temps est un linceul / pas même le vent ne sèchera les pleurs / d'une jeunesse qui porte la révolte au cœur (...) mais j'ai jeté au feu tous les diadèmes / j'ai bien regardé le soleil (...) mais aucun émir ni aucun fakir / ne sèchera les pleurs / d'une jeunesse qui porte la révolte au cœur / cette mouche noire sur ma rétine / blanche canine gronde féline / quel long couloir tout crie famine »

  Je résiste à ne pas citer le dernier texte, celui de "Nénuphar" (il est heureusement placé sous la vidéo, d'ailleurs...), Sophie en baigneuse à la voix qui cascade, à la voix de joie, hymne à la légèreté, prière à la sacralité d'une nature « reine Mère ».

   Ce disque est un événement majeur. Je veux y voir le réveil d'une langue que l'on n'entendait plus assez, abandonnée ou recouverte par les publicités en anglais, tout une laide novlangue journalistique. J'y entends une belle clameur. Léo Ferré, Glenmor, Barbara et quelques autres se disent entre eux parmi la poussière de leurs tombeaux que chante à nouveau une barde ardente et farouche, tendre et sensuelle, dans la langue retrouvée de la grande poésie française.

  De la chanson française magistralement servie par un accompagnement sobre ou enflammé entre folk incantatoire et accents rocks. À tomber à genoux, à devenir lièvre ou biche ou cerf, en proie à un coup de fièvre de lune !

 

Paru en mars 2022 chez Red Wig  (Allemagne) et Oracle (France) / 9 plages / 36 minutes environ

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Publié le 25 Mars 2022

Vlady Miss - Vulnérable

Chansons explosées

   Après ViE sorti en janvier 2021, Charles-Éric Charrier, alias Vlady Miss, revient avec Vulnérable, treize chansons très libres, tendres et sensibles, sur des musiques diversement embrasées, pop acide, accents folk ou industriels, voire minimalistes. Toutes ont un grain de folie, dérivent pour nous surprendre. Voix, chœurs, boîtes à rythmes, un peu d'électronique, et du bandonéon ! L'essentiel, ce sont les mots dits, à peine chantés,  mots sans fard, avec des répétitions parfois, qui dessinent de titre en titre comme un examen de conscience au bord du mauvais goût, sauvé par une ingénuité nonchalante. C'est ce que j'aime chez Vlady Miss : l'absence de prétention, une manière d'être là, plein cadre, au ras de la peau, au ras de l'âme, pour dire les petits riens dont nous sommes la somme. Les yeux fermés, la barbe mal rasée, l'épaule un peu dénudée, c'est une voix intime au bord du murmure, qui déborde. L'album est dédié à tous les enfants.

   Ce sont chansons d'amour, presque à la Léonard Cohen sur le premier titre "Fuck You Vlady Miss", voix grave qui en veut à Vlady Miss en même temps qu'elle l'aime, quel envoûtement au fond du souffle et des grondements de la musique déchaînée.  Le tour de force du très bref second titre (une demi-minute), c'est de nous asséner un état des lieux réaliste et facétieux de notre monde pitoyable : «

Sur le quai
Industriel
Plus personne
Ne réagit
La fatigue
Est si réelle
Que même
Les rats
Sont étourdis
Dans mon nez
Mes doigts
Sentent
Le fer

Juste
L'odeur des globules rouges
Il n'y a rien à y faire...
Nous assène
La radio

Titanic
C'est pas trop tard
Titanic
Un paquet de miroirs
L'humanité parmi les hommes »

   "Pétrolifère" est un titre plus industriel, bruitiste, sur l'absence de communication, avec peut-être une allusion au film Déjà mort : « Promène-toi donc
Dans mes entrailles
Ne vis aucune
Hésitation
La ballade se fait
Comme un charme
Armé de rien

À peine là, déjà mort. » (refrain)

   Dans ce monde abruti, déjà mort, il ne reste que des signes infimes de notre survie, le goût des corps, la recherche de la volupté. "La ballade asiatique" à la musique affolée chante le galbe des seins, les baisers chauds. Suit l'étrange prière litanique sur une musique aux accents rock, syncopée, détruite, "Mon Dieu", dans laquelle le "je" se cesse de se déprécier aux yeux de Dieu : chanson si touchante, et si belle ! La laideur revient dans "Mine de rien", très rock. Cette fois, c'est le "tu" qui se trouve « moche » : « Tu m'as dis
Ce matin
Comme tu te trouvais
Moche
Et tes larmes
Coulaient
Sur ta joue
Mine de rien !
Une fois vu
C'est un bon début.
Mine de rien !
Et une fois vu
C'est un bon début.

Moi qui croyais
Mon cœur déjà
Tronçonné
Là, il est tombé
À terre
Et à sa place
Un trou béant de larmes
De bras qui tombent »

   Des paroles au couteau, l'humour d'un désespoir absolu ? Le tremblement de "Si tu crois" refuse de s'en tenir au seul amour comme sortie, car il y a le « soleil débroussaillé » à regarder, ce soleil qui fait déraper la chanson dans une autre dimension, surréelle. Puis quelques mots dépouillés pour chanter le départ « d'un p'tit gars », quelques mots encore pour évoquer une décision amoureuse dans "1.1" au bandonéon fou, avec toujours cet art de finir chaque chanson par un décrochage en principe étranger au genre de la chanson, et c'est tant mieux.

   J'aime beaucoup la profession de foi (libertaire) de "Chef Chef" (titre10), que Vlady Miss met en pratique dans ses chansons non conformes, ici avec le mur électronique de la seconde partie et les voix rieuses des enfants : « Vis ta vie
Sans l'avis
Du chef chef
Sans la voir
L’amour … Tu
L'avoir tu
Sans la voir
Clairement....
Et c'est pas grave
Si avec les boyaux
De ta tête
Tu n'entraves plus
Que dalle  »

   Pas question d'être triste, même si le lance-pierre (titre 11 "Un petit lance-pierre") « pour tirer / dans la tronche des gars » n'a guère comme cible... que lui-même, ô dérision.

   J'en arrive au bouquet final. Le très beau "Chef Chef Chef", variation sombre sur le titre 10, aux accents sourds de révolte avec une musique répétitive somptueusement hallucinée : « L'argot du Cœur
Dans la pénombre
Du temps des cerises
N'a plus le "temps"
De tergiverser
Il ajuste ces lunettes
Infra rouge
Et commence son voyage....

Infra rouge dans les replis
De la peau jusqu’ aux nerfs
Au karcher l'eau
Au karcher l'eau de mon corps
Jusqu'à tout débusquer »

  Et puis le bouleversant "Danse" autour de l'hypothèse d'une rencontre, c'est pour cela qu'il « a mis sa plus belle / chemise / pour aller danser » : dans la boucle des « peut-être », la danse hypnotique de la vie...

  Un album comme une rencontre avec l'essentiel, une descente dans les replis / de la peau jusqu'aux nerfs.

 

Paru en février 2022 / autoproduit  / 13 plages / 35 minutes environ

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- album en écoute et en vente sur bandcamp (avec toutes les paroles) :

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Publié le 26 Juillet 2021

Laurent Saïet & Guests - After the Wave
Laurent Saïet & Guests - After the Wave

   Membre de plusieurs groupes dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, Laurent Saïet est aussi le cofondateur avec Thierry Müller et Thierry Loizillon du label Trace sur lequel il a déjà édité sept albums et un DVD. Il est aussi compositeur de musique de films. Pour ce huitième album sur son label, il a décidé de faire appel à des collaborateurs prestigieux. Edward Ka-Spel (des Legendary Pink Dots) chante ses propres paroles sur les titres 1 et 10. Thierry Müller (Illitch, Ruth) joue du synthétiseur et de la guitare acoustique sur le titre 8. Quentin Rollet (de Nurse With Wound notamment !) improvise des parties (inégalement) savoureuses de saxophone sur six titres et joue du monotron en 9. Le batteur Paul Percheron (Stamp) donne une vigoureuse assise rythmique à huit des onze titres. Quant à Ben Ritter, compagnon musical de longue date de Laurent Saïet, il chante son propre texte en 6 et joue de la clarinette sur le titre 10.

   Laurent Saïet assure tout le reste : mellotron, guitare, basse, claviers, percussion programmée, cordes et instruments électroniques.

   Évidemment, l'empreinte initiale du mellotron, qui lui a servi à enregistrer les maquettes des morceaux, reste sensible et donne à After the Wave  son parfum puissant de rock progressif. Comment ne pas songer aux premiers albums de King Crimson, par exemple ? La participation d'Edward Ka-Spel nous tire vers les Legendary Pink Dots. Est-ce à dire que ce disque regarde vers le passé, verse dans une nostalgie facile ? Certes pas. On ne compte plus aujourd'hui les amoureux du mellotron, comme Jonathan Fitoussi et Clemens Hourrière pour leur génial Espaces timbrés. Le mellotron a un velouté, une profondeur qui en font l'instrument onirique par excellence. C'est un instrument métaphorique : il transporte l'auditeur dans d'autres dimensions.

Pas étonnant que le premier titre soit "Bypass" : l'idée d'une dérivation, d'un court-circuit, mené de voix de maître par le magicien Edward Ka-Spell sur un fond mouvant de mellotron, synthétiseur. Titre envoûtant, mélodique, au rythme irrésistible, enchanté par le saxophone lyrique de Quentin Rollet. Nous voilà emportés, prêts pour "The First wave", dont l'ambiance expérimentale fait songer à la fois à Nurse With Wound ...et à Gong  par ses clins d'œil, sa gentille folie. Ce titre débridé est réjouissant à souhait, comme si mille esprits facétieux surgissaient de toute part dans ce royaume timbré.

   "Lunar Eclipse", après une introduction mystérieuse aux percussions et sons électroniques glissés, retrouve la veine du titre 1 : mellotron, synthétiseurs, guitares flamboyantes, tout un univers mélodieux et envoûtant, très King Crimson et consorts. "Mambo of the 21st Century" ? Une danse chaloupée dominée par le saxophone éloquent de Quentin Rollet ! La seconde vague ("The Second Wave") confirme une sorte d'alternance entre grandes échappées (titres 1 - 3 -5) et intermèdes ludiques et décalés. J'adore cette musique incandescente, lyrique, radieuse, qui dilate le temps. Un régal ! De quoi se perdre sur l'autoroute, serait-ce une allusion à l'univers lynchien ? "Lost on the Highway" est une chanson pop dans la meilleure tradition, interprétée par Ben Ritter : diction impeccable, synthés tournoyants, batterie frémissante, et un curieux dialogue avec une autre voix et un chœur. " Laurent Saïet vous a concocté un petit tour d'enfer, "Hell Ride", motos synthétiques grondantes, batterie et guitare virtuose, du bien huilé ! "Solar Eclipse" forme diptyque avec "Lunar Eclipse", comme un écho adouci du premier, à la limite du sirupeux tout en restant tolérable. Pour moi le titre le plus faible en tout cas... Heureusement, voici la troisième vague, "The Third Wave", bien plus inspirée, dynamique et onirique, parcourue de puissants courants, de textures chatoyantes, chavirantes. Une magnifique réussite ! Basse et guitare en avant, revoici Edward Ka-Spel en maître d'une cérémonie peut-être un peu trop envahie par le saxophone très convenu : du joli gâte la dimension folle...

   Le disque se termine avec "After the Wave", somptueux avec ses cordes graves, ses nappes de mellotron et synthétiseurs : on est à la cour du roi pourpre, atmosphère magique. Et là le saxophone est bien à l'unisson de l'étrange, de ce bruissement des mondes ensorcelants qui nous enveloppent dans leurs longues draperies veloutées.

   Un hommage souvent magnifique à une pop progressive au charme toujours agissant !

Mes titres préférés : 1) "Bypass" (1) / "Lunar Eclipse" (3) / "Lost on the Highway" (6) / "The Third Wave" (9) / "After the Wave" (11)

2) "The First Wave" (2) / "The Second Wave" (5) / Hell ride" (7)

Et n'oublions pas les collages fantasques et jubilatoires de Thierry Müller, inspirés par le peinture, la sculpture et l'architecture  !!

Paru en juin 2021 chez Trace Label / 11 plages / 55 minutes environ

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Laurent Saïet & Guests - After the Wave
Laurent Saïet & Guests - After the Wave

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Publié le 12 Mars 2021

Stéphane Mauchand - Oxymel

   C'est en septembre 2007 que je découvrais la musique de Stéphane Mauchand, un des deux membres de Naïal, dont le disque Lucioles noires était sorti peu avant. Depuis, ce musicien amoureux des cornemuses - du Centre de la France mais aussi par exemple d'une cornemuse médiévale allemande, la Hümmelschen, et d'autres encore, a voulu confronter les timbres de ses cornemuses... à sa guitare électrique, mais aussi acoustique, et à des clarinettes diatoniques. Il s'inscrivait dans la lignée des années soixante-dix, où cornemuses et guitares électriques se côtoyaient dans les formations, établissant un pont entre la musique folk et le rock. Dans les années 2000, il s'est agi surtout d'établir une fusion, ce qu'il nomme une alchimie sonore, qu'il a choisi de baptiser Oxymel : « On est allé jusqu'à mêler le miel au vinaigre : que n'a pas essayé l'homme ? On a donné à cette liqueur le nom d'oxymel. » écrivait Pline dans ses Histoires naturelles. C'est bien d'une histoire naturelle qu'il s'agit, de la rencontre entre des sonorités qu'on n'associe pas forcément, pour nous propulser dans un monde intemporel. Les titres renvoient aussi bien au Moyen-Âge qu'à des pratiques poétiques ou quasi magiques. On y trouve Le Cabinet des Chimères, une Danse méphitique, une Suite orphique, Fantasmagoria, des Contrées éthériques, une Gyromancie de Nuit... Vous imaginez déjà ma joie première, des titres en français, des mots étranges et beaux, qui ouvrent des univers, ceux de Lovecraft, de Rimbaud, de Lautréamont ou de Jim Morrison. Précisons tout de suite que tout le livret, tous les renseignements sont livrés dans notre langue, enfin, ce qui devrait être la règle naturelle, me semble-t-il..., et bien sûr bilingue pour l'extrait de Strange Days.

  Je ne reviens pas sur les détails techniques et les indications fournies par le compositeur, très utiles (et terriblement absentes de tant de pochettes !). Il faut se laisser aller au plaisir de ce foisonnement mélodique, de ces lentes dérives sonnantes. Si le premier titre, "Le Murmure de l'Oublieur", sonne plus traditionnel, on est emmené par les compositions originales de Stéphane Mauchand en pays fascinants, où la guitare brûle entre les voix envoûtantes des cornemuses. "Le Cabinet des Chimères" associe la cornemuse allemande citée plus haut à la guitare basse et aux sonorités boisées de la clarinette : double tapis d'ombres insistantes et lumières pointues et troubles de la cornemuse. Comment ne pas être happé dans ces incantations, ces litanies ? Pas étonnant que vous voilà emporté dans une "Danse méphitique", écho des danses macabres et résonances vampiriques de l'autre partie, "Le Goéland des Carpates" : guitare rageuse, très rock, en ouverture, et cornemuses trépidantes. Le hard rock n'est pas loin, épais, méphitique en effet. La fusion est toxique, et de ce maelstrom sonore surgit une cornemuse enivrée, qui chante à perdre souffle, seule avec son bourdon, avant d'être rejointe par la guitare et de finir sur une rythmique appuyée. L'ombre de Lautréamont plane sur "Je te salue Vieil Océan", nonchalante mazurka à l'allure de houle profonde qui superpose dans son cours deux cornemuses à la guitare. La "Suite orphique", très marquée par les musiques répétitives - mais toute la musique de cornemuse n'appartient-elle pas depuis toujours à cette nébuleuse ?, est une émulsion en boucle, trépidante, qui renaît en échappées hallucinées, éraillées, puis dominées par une cornemuse qui joue en notes longuement tenues, en petites arabesques frissonnantes, soutenue par une guitare épaisse. À nouveau, le hard rock profile son museau. Le premier cd se termine avec "Fantasmagoria", titre splendide aux cornemuses dans les hauteurs, en plusieurs nappes chatoyantes, majestueuses.

   Si le premier cd offrait six titres entre cinq et onze minutes, le second comprend seulement trois titres, de huit à presque vingt-neuf minutes, ce qui ne doit pas étonner pour un instrument comme la cornemuse, fait pour sonner dans la durée, propice à l'installation d'une ambiance fervente se changeant volontiers en transe.

   Les "Contrées éthériques" du premier titre sont tenues par la grande cornemuse, dédoublée ( ou plus ?) parfois en des entrelacs virtuoses, dans un hymne puissant aux forces vitales, puis dans un passage plus lent, une mélopée prenante sous laquelle se love la guitare chantante en quasi sourdine, et un final sourdement allègre. La guitare se contorsionne au début de "Shapük Plinn", danse bretonne ensorcelante qui pourrait durer toute une nuit jusqu'à épuisement du sonneur et des danseurs et dont surgit un chant céleste, une envolée, "La Ballade d'Orthémius", que Stéphane Mauchand dit composée en l'honneur d'un facteur de cornemuse imaginaire, ballade irréelle dans des contrées enflammées. Sans doute un des grands moments de ce deuxième cd, qui justifie le passage de Strange days de Jim Morrison placé dans le livret. Apothéose avec "Gyromancie de nuit", cornemuses entrelacées aux guitares, avec l'appui rythmique de la batterie d'Éric Delbouys : des cercles, et encore des cercles jusqu'à tomber dans l'oubli de tout au centre du feu, au cœur des souffles.

   Une magnifique incandescence pour célébrer les cornemuses intemporelles ! Pochette et livret exemplaires : beaux et intéressants, impeccablement présentés !

Paru en février 2021, autoproduit / 2 cds / 9 plages / 94 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

   Le clip officiel pour Le Murmure de l'oublieur. Je suis heureux d'y avoir contribué en "provoquant" la rencontre entre Nicolas Lossec, l'un des réalisateurs du clip, et Stéphane Mauchand.

Stéphane Mauchand - Oxymel

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Publié le 8 Juin 2020

Shannon Wright - Providence

   C'est en remettant en page un article consacré à Antony and the Johnsons que j'ai retrouvé Shannon Wright, à laquelle j'avais alors consacré des lignes rapides. Son album Secret Blood venait de sortir, déjà chez Vicious Circle. Me voici donc à fouiller sa discographie récente. Et j'écoute quelques titres. Et je m'enthousiasme pour Providence. Piano, voix, la veine intimiste. Des mélodies évidentes, des boucles envoûtantes. La voix déchirée, voilée, doucement rauque, caressante, implorante. Des chœurs en écho sur "These Present Arms", dans une atmosphère irréelle, embrumée : « All the harmonies / Swinging side to side / And your eyes reveal nothing  // So goodbye / So long to you / Let's just turn out the light » Chaque texte évoque sobrement, pudiquement, des histoires qu'on sent personnelles, vécues, bouleversantes. C'est "Close the door", une histoire d'amour-propre et de séparation : « You and your pride (?) / ??? / Such a price to pay », qui rapproche subtilement "pride" et "price", le prix à payer. Les mots sont presque chantés du bout des lèvres, mais le piano étincelle, comme s'il chantait une liberté retrouvée. "Someday" chante au contraire que rien n'est perdu, peut-être : «  You and some part of me / Cavaliers / In a softest light / If it was you that cried » Au piano solo, le titre éponyme est nostalgique, lyrique, un peu fou, dans la mouvance d'une belle écriture minimaliste, et l'on pense bien sûr à son association avec Yann Tiersen. Cette musique coule d'évidence, elle tutoie la grâce, la lumière, le mystère. "Wish You Well" nous plonge dans des cercles incantatoires, avec un harmonium enveloppant, des voix échappées en arrière-plan, et la seconde moitié s'abandonne à nouveau au piano seul, qui distille une atmosphère orientalisante, presque soufie d'extase suspendue, comme dans certaines pièces de Georges Ivanovitch Gurdjieff. Très étonnant, superbe ! Ce disque magnifique, trop court à mon goût, se termine avec "Disguises", sur l'enfermement dans les déguisements, les mensonges, tapissé d'échos menaçants en sourdine, avec une coda glissante, aspirante, comme si l'abîme avalait le tout.

Paru en septembre 2019 chez Vicious Circle / 7 plages / 33 minutes environ

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Shannon Wright - Providence

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Publié le 5 Avril 2020

Dans le bain des mots...

Dans le bain des mots...

« Je ne connais rien de plus touchant

Que le chant des oiseaux

À la levée du jour

À chaque fois que je les entends

J'ai du mal à croire

Que l'on puisse mourir un jour »

   Peut-être que ça a commencé ainsi, avec Sylvain, je veux dire c'est là que ça a pris. En plein confinement, entendre de tels mots, alors justement qu'avant on ne les entendait plus, les oiseaux, morts ou exilés, recouverts par le tumulte humain. Tant qu'on entendra des oiseaux, il y aura de l'espoir, de la beauté. Mais il faut aussi les écouter, les oiseaux, et qui les écoute ? Olivier Messiaen les écoutait, saint François aussi. Sylvain Fesson également, et c'est un signe qui ne trompe pas. Sa musique se contente d'une guitare, d'une basse, d'un piano, d'un saxophone, les instruments comme des oiseaux délicats qui se posent tendrement sur ses mots murmurés, ses mots doux de poète qui marche seul dans les rues, qui a presque honte d'avoir des sentiments, qui dit sa vie, ses bribes, dans des balades mentales si loin de tous les mots convenus, de toutes les diatribes et invectives qui assaillent nos oreilles dès qu'on regarde un écran ou écoute des chansons faisant beaucoup de bruit pour nous abrutir et rien pour nous faire ressentir. D'un morceau à l'autre, on se promène de "Sacher Masoch" à "Casanova" dans un univers onirique et intime, à coup de "rimes désinvoltes", "ce mystère qui nous enveloppe". Son premier disque, Sonique-moi, est encore marqué dans son titre éponyme par le RAP, attention, un rap lyrique pas si loin que ça de celui d'Arm de Psyckick Lyrikah, qui aime les jeux de mots, comme ce "cadavre-esquive", "je ne peux que Poe-être" (je l'ai entendu comme ça...), mais il se laisse ensuite aller à une douceur étrangère à ce mouvement de révolte, à des moments élégiaques aux cordes suaves et guitares caressantes, comme dans ce bouleversant "Le Cœur du monde". Avec lui en, effet "quelque chose prend", on marche en sa compagnie, on croise une passante échappée de chez Baudelaire sans le dire, des ombres légères à fleur de nuit, "toute cette magie en l'air", guitare irradiée de lumières délicates. C'est une merveille, ce premier disque ! Et les clips !

Celui de "Aux étoiles",  du basket comme je pourrais l'aimer, sur une courte méditation qui va des étoiles aux « secrets de ton âme // à ta peau, à ton ventre »... et puis les gestes du quotidien magnifiés par la musique sur celui de "La Vie m'allait bien". Aux côtés de Sylvain, il faudrait mentionner Arthur Debreux, qui signe nombre de ses musiques et la réalisation, et d'autres, selon les compositions.


 

 

   J'ai fini par trouver quel était l'art poétique de Sylvain. C'est dans un très court titre, "Sogni doro" :

« À chaque fois j'y laisse des plumes / Et ça finit en poème pour chacune ».

   Il y a du pauvre pêcheur solitaire en Sylvain Fesson, une manière de se laisser aller à la perte, aux amours déambulatoires, de laisser traîner ses filets et d'en ramener des images inédites, « sa chevelure tapis de prière »,  alors on s'agenouille, on sombre dans des rêves érotiques avec des « prêtresses folles », on dérive tout au long de "Jo Lee", le premier long titre de Amy (I) - dont la fin en anglais (je sais, apportée par le titre...) n'apporte rien, concession heureusement passagère à l'abandon trop fréquent de notre si belle langue quand elle est maniée poétiquement comme Sylvain sait fort bien le faire.

   L'écoutant titre après titre, je pense au Nanni Moretti de Journal intime, à Serge Gainsbourg par le phrasé de ces mots dits murmurés comme des confidences au débusquer de l'inquiétude, de l'humour au ras des trouvailles à la limite du bon goût mais qui portent, comme ce « Elle avait la tignasse châtaigne / De celle qui en a longtemps pris ».

  "Amy (I)" est exemplaire d'une symbiose admirable entre la musique réduite très vite au seul piano, acoustique ou électrique (?), qui avance en tanguant imperceptiblement, calmement, et les mots d'une tranche de vie presque banale, transcendée par des aperçus d'une tendresse et d'une émotion si nue, « sans maquillage » comme elle sans nom, portée à l'existence par les caresses verbales.

   Puis il y a la sublime vidéo de "Amy (II)", sur un texte écorché, à la guitare électrique cisaillante, aux synthétiseurs épais, aux violoncelles sombres. Chorégraphie magnifique et danse d'Anne Charrier dans un terrain vague de banlieue, en noir et blanc presque solarisé, exhortation à la résistance, à la vie...
 

   Sur le même disque,  "Anathème" est un hymne au désir, à la femme, magnifié par la guitare et le violoncelle élégiaques, une envolée flamboyante à la guitare électrique sur la fin. Je termine cette évocation avec "Waha", le dernier titre de ce même Amy (II), encore une longue échappée lyrique, c'est que je préfère en lui, une histoire d'amour sans fin au long de routes, de rails, de rêves, une enquête sur le mystère de l'autre, sur l'horizon, sur la naissance des sentiments, sur la galère d'aimer, pour finir devant l'embrasement de la mer. Splendide et bouleversant.

  Qu'il me pardonne ce jeu de mots : « Si, Levain fait Son ! » Le levain, c'est l'abandon à la pâte parfumée des mots, c'est l'esprit poétique d'embarquement avec « du sable dans la poche / Un goût de sarriette dans la gorge ».

    Vous en connaissez beaucoup, vous, des chanteurs qui savent encore ce qu'est la sarriette ?

Discographie :

- Sonique-moi, sorti le 1er novembre 2014

- Amy (I), sorti en octobre 2016

- Amy (II), en octobre 2016 également

- L'Amour plus fort, sorti en mai 2017, disponible aussi sur bandcamp

Et puis il y a Sylvain Fesson sur scène, son groupe KISTRAM, pour d'autres voyages...

Et son site personnel, avec les textes de ses poèmes, etc.

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Publié le 30 Mars 2020

Zelienople - Hold Up You

Zelienople, trio de Chicago composé de Matt Christensen, Mike Weis et Brian Harding, sort son premier album depuis cinq ans. Une pop nonchalante tout en clair-obscur, balancée dans une ambiance sourde et feutrée. Guitares électriques sobres et fond bien rythmé en profondeur, le chanteur navigue avec aisance sur le navire fantôme. C'est prenant et mine de rien hypnotique, mâtiné de passages plus expérimentaux, oh sans esbrouffe. On est au bord de l'étouffement, de la saturation, sur "Breathe" notamment, avec une guitare qui se gondole, la voix entre prière et murmure, on ne sait pas très bien. Tout peut arriver, on se laisse porter. Le titre éponyme est une longue dérive trouble, éclairée de frémissements de cymbales et d'ondulations lointaines. Le chanteur Matt Christensen ne se manifeste qu'à partir du milieu de la composition, plaçant quelques phrases voilées et énergiques, puis comme résignées sur le continuum. "You have it" part avec la guitare au premier plan en boucles serrées rejointe par la batterie : Matt distille ses mots avec une douceur ensorceleuse dans un brouillard épais qui ne se dissipera pas. Nous sommes ailleurs, perdu dans un labyrinthe, simplement un moment méchant, cruel, "Just an Unkind Time" que la musique apprivoise, neutralise par ses nappes peuplées de drones. Un saxophone se promène au milieu de cette déréliction de plus en plus souterraine, underground, une guitare plaque ses accords mélodieux sur une traversée nimbée d'incertaine nostalgie. On arrive dans une sorte de jungle, "America", aux rythmes quasi tropicaux mais toujours à demi engloutis : aucun triomphalisme, on écarte les lianes pour avancer encore un peu. Il n'y a pas d'autre perspective, et pourtant on se sent si bien en écoutant cette musique qui colle à l'âme !

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Paru en mars 2020 chez Miasmah Recordings / 6 plages / 37 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 12 Février 2020

Garage Blonde - rage nue

   rage nue est le premier véritable album du duo Garage Blonde, composé par Mathilde Mérigot au chant et à divers instruments (guitare, cithare, clavier, harmonium), et par Nicolas Baillard à la basse, aux guitares, aux boîtes à rythme et par-ci par-là au chant. Leur musique met en valeur les mots de Jean Palomba. Car voilà, ce duo chante en français, on en vient presque à s'en étonner, c'est un comble, non ? En plus, tout est en français sur la pochette, jusqu'au nom du label qui fait entendre notre langue... avec comme unique exception l'anglicisme "music" qui le termine après ce très beau "La Discrète" ! Comme il est bon d'entendre une pop ciselée qui ne recouvre pas les mots, qui les sert avec intelligence, précision ! Les musiciens indiquent dans leur horizon musical PJ Harvey, Mansfield Tya, Sonic Youth ou encore Beth Gibbons : oui, la parenté est pertinente. Le poids des mots, la qualité des ambiances, feutrées ou électriques, tout contribue à nous donner un album de chansons poétiques d'aujourd'hui. Poétiques, le mot est important. Les textes de Jean Palomba, s'ils expriment bien en effet la rage nue du titre, savent la dire sans les pesantes charges (trop souvent) du rap, allusivement, au détour des mots qui jouent ensemble, font l'amour avec un évident plaisir. Quel bonheur de rencontrer cette langue vivante, riche, précise, précieuse ! Sur le site du duo, on a d'ailleurs les paroles complètes de cinq titres, un signe qui ne trompe pas : ils en sont fiers, et ils ont raison ! Voici les paroles du premier titre, "Sourd et absent" :

Garage Blonde - rage nue

   La jolie voix limpide de Mathilde se pose sur un accompagnement sobre, parfois réduit à la guitare ou la basse, sur des rythmes évidents, discrètement rock. La voix de son compère lui répond de temps en temps, variant les timbres. Les refrains ne pèsent pas, parce que les paroles des couplets sont variées jusqu'au bout. Il faut dire aussi le bonheur des mélodies, simples et accrocheuses. Par exemple celle de "Ce qu'il faut", superbe chanson intimiste, chant et guitare, puis accents de cithare qui viennent magnifiquement orner cette ballade ciselée, la guitare étincelante pendant un long moment sans parole. Je pensais à un groupe belge que j'aimais beaucoup, Half Asleep, mais qui, je l'ai toujours déploré, chante en anglais (ils sont francophones !). "La fièvre" vient en troisième position, une fièvre sourde scandée par une basse épaisse, la voix qui s'envole sur des fulgurances saturées de clavier.

Garage Blonde - rage nue

   Le ton se fait plus rock pour "J'me souviens plus", un rock décanté, hanté, illuminé par des phases lyriques soulignées par les claviers, des touches d'harmonium : un régal, la musique titubant avec les mots. Introduction instrumentale ambiante pour "Vénus pain bis", que viennent hacher les riffs rageurs de guitare, des chœurs sans parole, un peu longs et appuyés à mon goût, personne n'est parfait, mais le morceau se transforme pour accueillir dans une gangue mystérieuse les mots à la fois les plus crus et les plus poétiques, si sensuellement dits : on est en apesanteur, c'est intense comme une cérémonie. "Jeu de fatigue" carbure et ronronne, frétillant de boîtes à rythme, chevauchant une basse profonde, émaillé de chœurs légers : ce qui frappe à chaque fois, c'est l'inventivité, la variété de ces chansons si bien composées. Du méchant rock soudain ? Oui, "Tsar", avec la guitare chauffée à blanc, les mots qui claquent comme des fouets à la suite anaphorique du mot titre, le rythme implacable tandis que la guitare cisaille le ciel de ses déchirures. Magnifique, les amis ! Retour au ton intimiste avec le troublant "Sue & Syd" au charme acide, juste adouci par un passage à l'harmonium. « Le jour où il ont coffré le Grateful Dead », ainsi commence a capella le plus rock des titres de l'album, "Étoile Poker", ronflant, sur un texte psychédélique dit au refrain choral exalté : « Étoile Poker, tous contemplés / par les machines d'amour et de grâce ». L'avant-dernier titre, "Ils arrivent (les Hommes Minutes)" associe un texte de science-fiction énigmatique à une rythmique lourde, haletante et aux guitares sourdes et saturées. Nous les quittons avec "Blanche", pièce délicate au symbolisme décadent sertie de guitares entrelacées.

    Un magnifique parcours pour cet album étonnant, qui marie si bien les mots et la musique. Il devrait inciter nombre de chanteurs français à revenir vers notre langue, si honteusement délaissée pour un anglais standardisé et fort mal chanté ou dit.

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Paru le 7 février 2020 chez La Discrète Music / 11 plages / 44 minutes environ

Pour aller plus loin :

- le disque en écoute et en vente sur bandcamp :

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