minimalisme et alentours

Publié le 25 Septembre 2012

Gavin Bryars - Piano Concerto (The Solway Canal)...

Je viens de vérifier que le nom de Gavin Bryars ne figurait dans aucun titre d'article de ce blog. Incidemment, on le trouve dans un article consacré à Carla Bozulich, et un second à Pierre-Yves Macé...

Meph. - Je te sens consterné, effrayé par ce trou incompréhensible dans ta liste de références sacrées.

Dio. - Content de te revoir, vieux démon. Tu ne crois pas si bien dire !

Meph. - Parce que Gavin, quand même, est au cœur de ton parcours.

Dio. - Je me rappelle le choc produit par l'écoute du Quatuor à cordes n°1.

Meph. - Interprété par le Quatuor Arditti, qui comprenait encore Alexander Balanescu avant qu'il ne fonde son propre quatuor. Un enregistrement de 1986 des nouvelles séries d'ECM encore assez récentes.

Dio. - Oui, la collection commence en 1984.

Meph. - Et va publier, en plus de Gavin, Steve Reich, Meredith Monk...

Dio. - Je te vois venir : tu ne vas quand même pas verser une larme, toi ?

Meph. - Big brother, il serait interdit de se souvenir ? Le fait est que tu as décroché de la production de Gavin après cette période féconde de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt dix.

Dio. - J'ai moins aimé ses disques du label Point Music, une filiale de Philips. Et j'en ai manqué quelques suivants.

Meph. - Tu le retrouves chez Naxos.

Dio. - Label indépendant fondé en 1987, qui fête donc en 2012 son vingt-cinquième anniversaire.

Meph. - Et cela ne te chagrine pas de le retrouver dans cette collection réputée d'abord pour être bon marché ?

Dio. - Pas du tout. D'abord, parce que Klaus Heymann, son fondateur, n'a jamais sacrifié la qualité. Ensuite parce qu'il a édité des compositeurs peu connus en valorisant des répertoires nationaux. Enfin, parce qu'il a l'audace de consacrer des disques à des compositeurs d'aujourd'hui, et pas n'importe lesquels. Vois le disque consacré à David Lang, magistral !

Meph. - Tu as raison. Je le retrouve avec plaisir.

Dio. - Quelques mots rapides pour le présenter : compositeur britannique né en 1943, contrebassiste de jazz, fondateur de ce drôle d'orchestre, le Portsmouth Sinfonia, qui avait le toupet de proposer des versions sonores approximatives de pièces classiques...

Meph. - Et membre du Collège de pataphysique, n'oublie pas, ça situe le bonhomme au parcours atypique. Devenu compositeur post minimaliste en suivant sa pente, pas un véritable cursus académique.

Dio. - Que nous retrouvons ici avec deux pièces pour piano seul et le concerto qui donne son titre à l'album. Je m'étonne qu'il te plaise, toi l'amateur d'énergie, de force. Ne le trouves-tu pas un tantinet mou ?

Meph. - Cela m'arrive de lui décocher ce reproche. Pour cet enregistrement, je retiens ma langue. J'apprécie en lui la mélancolie, le sens de la lenteur, le goût des graves. Sa musique est chaleureuse, brumeuse. Elle me semble témoigner de la faiblesse humaine. Éloignée de toute prétention, elle coule comme une rivière modeste aux beautés discrètes.

Dio. - Une musique facile, dans le meilleur sens du terme, en somme : pas de tics avant-gardistes,  un zeste d'électronique...

Meph. - L'équivalent britannique d'un Philip Glass : tous les deux ont réussi à être vraiment populaires, ce qui déplaît, tu t'en doutes.

Dio. - Gavin, comme d'autres minimalistes, revient aux sources anciennes. La première pièce l'affiche dès son titre "After Handel's Vesper", à l'origine prévue pour clavecin.

Meph. - Clavecin ? Impensable pour Gavin, l'homme des cordes sombres. Déjà, le piano, c'est une surprise.

  
Dio. - Cela donne une pièce fluide, parfois lente, à d'autres moments d'une belle vigueur, qui tient à la fois de l'ornementation baroque et du minimalisme par les accès de flux pulsant la dynamisant à intervalles réguliers, héritage de la première période de Gavin.

Meph. - De l'allure, vraiment, une ligne mélodique prenante, un lyrisme parfois orchestral.

Dio. - La composition suivante, "Ramble on Cortona", doublement dérivée d'une pièce antérieure de Gavin, "Laude", et de thèmes issus d'un manuscrit du treizième siècle trouvé à Cortona...

Meph. - Je t'arrête : à chaque fois, je pense à Janácek, "Dans les brumes".

Dio. - Gavin appartient donc au passé ?

Meph. - Il y a du néo classicisme dans le post minimalisme, non ?

Dio. - Je te l'accorde. Pour en revenir à Janácek, je trouve la narration de Bryars plus simple, et s'il y a brouillard, il est plein de douce lumière, ce n'est pas oppressant : le piano résonne tranquillement, il nous montre un chemin. "ramble", c'est une balade. Tu vois, moi, je pense bien plus à Gurdjieff, surtout dans les deux dernières minutes.

Meph. - On bavarde, mais on va  bientôt excéder la longueur maximum d'un article.

Dio. - Signe des temps : se presser, jeter. J'en arrive et termine avec le concerto.

Meph. - Le gros morceau, presque une demi-heure. Impressionnant, grave, dramatique, sur le temps qui passe. Une méditation élégiaque au bord dudit canal, sur les mots du poète écossais Edwin Morgan - on regrette que le livret ne nous en dise pas plus, ne fournisse pas le texte, le chant passant de temps en temps à l'arrière-plan de surcroît -, par un bel ensemble vocal, la Cappella Amsterdam.

Dio. - Le piano est plus lyrique que jamais, tandis que l'orchestre compose une tapisserie sonore vaporeuse, chatoyante.

Meph. - Et l'on se laisse porter par cette coulée profonde, hypnotique, le grand Gavin du Sinking of the Titanic...

Dio. - Bien avant le film...Oui, la vie est un songe aux multiples couleurs, un nuage qui passe, somptueux et changeant. On pourrait reprendre les mots de Walt Whitman que je citais dans l'article sur The Open road de Kate Moore : « We will sail pathless and wild seas ; / We will go where winds blow, waves dash... / Allons ! with power, liberty, the earth, the elements ! »

Meph. - C'est en effet un hommage émouvant à la vie. Le canal ne mène-t-il pas à la mer, à l'infini ?

-----------------------

Paru en 2011 chez Naxos / 3 titres / 52 minutes environ.

Pour aller plus loin

- le site personnel de Gavin Bryars

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 mai 2021)

Lire la suite

Publié le 10 Juillet 2012

Delphine Dora - A Stream of Consciousness

   Compositrice, pianiste, chanteuse, Delphine Dora, née en 1980, rejoint tout naturellement ces colonnes. N'a-t-elle pas sorti en 2010 un disque consacré à des fragments des Feuilles d'herbe de Walt Whitman, recueil également célébré par Kate Moore dans The Open Road, sujet de l'article précédent ?

   A Stream of Consciousness, paru en 2011 chez Sirenwire Recordings, est un album de piano solo : de piano en liberté pure, quatorze plages d'oubli des cadres, des genres, dans une mouvance minimaliste très fluide. Le flot est rapide ou plus lent, toujours limpide, miroitant, léger. Il caresse, il dévale le temps, il caracole comme un cheval fou.

   C'est en effet un courant de conscience qui emporte, charrie à travers les espaces vides pour une ode démultipliée à l'infini - le premier morceau s'intitule "An Ode to Infinity", le second "Crowd vs Empty Spaces". Cette manière de grouper les notes en grappes serrées n'est pas sans évoquer à certains moments les musiques orientales, notamment la musique chinoise, le piano remplaçant la cithare qîn. Comment ne pas penser aussi à un musicien comme Lubomyr Melnyk et à son piano en mode continu ? On flotte sur un océan, dont la surface est constamment agitée par des bulles qui viennent éclore à la lumière. Les notes se mélangent, tissent un réseau serré d'harmoniques. C'est une musique de plénitude heureuse, une pluie qui tombe des étoiles. Lorsque le rythme ralentit, comme sur l'élégiaque "Fragments of Dreams Are Only Echos of Memories", le piano chante un lieu inconnu, où les corps alanguis se reposent d'être dans l'oubli de tout, rafraîchis par ces notes qui clapotent, se vaporisent pour donner naissance au chant d'avant le temps. "Mysterious Meanderings", comme son titre l'indique, sinue jusqu'à mimer une pâmoison extatique : Narcisse se contemple et voit son image multipliée dans l'eau tremblante ; comment ne pas plonger, rejoindre cette perfection d'en bas, dont les ondes l'atteignent au fond de l'âme ? En un sens, cette musique est profondément d'essence baroque, tout en trompe-l'oreille, en "Obsessions" (titre 7) incantatoires : la simplicité est un leurre pour nous perdre dans les lacs serrés d'un jeu qui envahit notre "Psychic Mind"(titre 8). Nous courons à notre perte à dévaler ainsi les "Serious Conversations"(titre 9), emportés par la gravité impavide du piano, avec délices ! D'ailleurs, Delphine Dora ne joue pas du piano, elle déclenche des marées, arrange des syzygies pour réjouir nos oreilles encrassées par la laideur d'un quotidien mal irrigué.

-------------------

Paru en 2012 chez Sirenwire Recordings / 13 titres / 43 minutes

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

 

 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 avril 2021)

Lire la suite

Publié le 30 Avril 2012

Terry Riley - Aleph

Splendeurs de l'intonation juste.  

   Le sens originel de l'aleph est l'énergie primordiale. C'est en effet un véritable bain de jouvence que ce nouveau double album de Terry Riley. Presque deux heures d'une méditation sur les différentes significations de cette première lettre de l'alphabet hébraïque. L'instrument, un Korg Triton Studio 88 spécialement conçu par le compositeur pour l'occasion,  est accordé selon le principe de l'intonation juste, encore peu utilisé en Europe, mais pratiqué aux États-Unis par son ami La Monte Young dans son monumental Well-Tuned Piano (créé en 1974), par Lou Harrisson —auquel il rend explicitement hommage en reprenant une échelle utilisée par ce dernier dans son œuvre ultime, Scenes —, ou encore par Michael Harisson (vous trouverez quelques précisions sur l'intonation juste dans l'article), Duane Pitre.

  Comme d'habitude chez Terry Riley, l'improvisation tient une large part dans l'émergence de l'œuvre. La pièce a d'ailleurs été enregistrée avec des moyens limités pour cette raison, "restaurée" et renforcée ensuite par l'ingénieur du son pour le disque. Cela importe peu. Terry Riley est un authentique inspiré, un chamane musical, fidèle à un esprit psychédélique obtenu sans substances hallucinogènes, par le seul pouvoir de l'imaginaire créatif. L'intérêt ne faiblit pas tout au long des deux heures. Les énergies ne cessent de surgir, de nous envelopper dans un présent éternel, à la fois presque le même et toujours différent. Les motifs s'enchevêtrent, naissent et meurent sans cesse, rayonnent dans de multiples directions. Terry Riley vit une transe qu'il transmet avec une incroyable chaleur. La musique se fait courant irrésistible, vague de fond, geyser d'harmoniques, si bien que le moi étriqué de l'auditeur ne résiste pas, baisse les barrières, se laisse envahir pour s'ouvrir à ces flux colorés obstinés. L'être redevient poreux avec délices, se contorsionne sous le chant charmant. Voilà l'esprit qui danse tel un feu follet, se vaporise et se grise. Plus rien ne pèse dans ce ballet d'émanations. L'aleph, c'est le taureau de feu, la force cosmique indomptable, enfin retrouvée sous les doigts de ce prodigieux musicien qui tutoie l'infini avec une fougue et une douceur somptueuses. Au commencement était le synthétiseur et son maître, Terry Riley. Et le commencement ne cesse de recommencer, aussi neuf qu'au premier jour...

   En guise de prolongement, Terry Riley cite Jack Kerouac, un extrait de Some of the Dharma :

 

The sun is a big wheel

And cosmic particle's a little wheel

And I'm a medium wheel

 

My vibration is on a motor vegetable level

And the sun on a million-yeared gaseous pulse level

And Cosmic particle lasts a second, owns a tiny wheeel

And the solar wheels

And the swing of my wheel

Engulf and circumscribe it.
Essence of Heating

Hears vibration

       Of all wheels and levels everywhere.

       S-h-h-h-h-h-h it sounds like.

 

---------------------

Paru en janvier 2012 chez Tzadik / 2 cds / 2 titres / 1h 53'

Pour aller plus loin

- le  domaine de Terry Riley.

- hélas pas d'extrait disponible : vous pouvez trouver le disque sur la page du label Tzadik.

- un bel article titré Le sutra de la béatitude consacré à Jack Kerouac.

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles le 24 avril 2021)

Lire la suite

Publié le 16 Février 2012

Douwe Eisenga - House of mirrors

   Beau titre qui touche juste pour ce nouvel album du compositeur minimaliste néerlandais Douwe Eisenga. Les amateurs de Douwe y retrouveront des pièces déjà enregistrées, réarrangées pour la formation de chambre italienne La Piccola Accademia degli Specchi, qui réclamait au compositeur des morceaux pour son répertoire. Douwe Eisenga a connu Matteo Sommacal, le directeur artistique de l'Ensemble, par l'intermédiaire d'un réseau social,  ayant vite perçu la convergence de leurs approches. La Piccola Accademia compte deux pianistes, une flûtiste, une saxophoniste, un violoniste et une violoncelliste.

   Le minimalisme aime les variations, on le sait. Faire le plus avec le moins. Alors, la même idée peut être déclinée pour deux pianos —comme dans The Piano Files, pour quatuor de saxophones — comme dans Music for Wiek, ou pour ensemble de chambre, ici, ce qui est d'ailleurs fréquent aussi bien dans la tradition classique en général. Là où les grincheux protestent et font les dédaigneux, c'est que cette école musicale aime la simplicité, au moins apparente. Le cœur d'une pièce peut se réduire à quatre ou cinq notes, combinées en motifs proches, répétés, décalés, inversés, tronqués, augmentés : la complexité est seconde, dans l'agencement. D'où la métaphore : toute composition minimaliste un peu étendue est une maison des miroirs. Certains sont agacés, surtout s'ils écoutent d'une oreille distraite. Les aficionados, dont je suis — vous l'aurez remarqué ! —, se régalent, se délectent, se prélassent avec volupté dans ces rêts serrés, fascinants. Et ici, me direz-vous ?

     Le disque s'ouvre sur le superbe "Motion", avec une belle attaque caracolante des deux pianos, bientôt reprise par les autres instruments : dynamique irrésistible, cercles langoureux escaladés tour à tour par un ou deux instruments qui se tiennent alors sur la crête, brèves suspensions comme des respirations dans le crescendo énergique. La "Passacaglia", après cet allegro, est un andante suave aéré par les phrases mélancoliques des pianos, les notes filées des cordes. Basée sur une sonate du compositeur néerlandais d'origine allemande Christian Ernst Graf (1723-1804), "La Musica del Giorno" prend la forme d'une danse enjôleuse, à l'exubérance proprement charmante : la musique nous enferme dans les développements de ses volutes, ne nous laissant aucun répit. "L'Atlante delle Nuvole" retravaille les thèmes de "Cloud Atlas" (pour deux pianos sur The Piano Files) mais aussi de Music for Wiek : chaleur du saxophone aux lignes sinueuses, piano sobrement percussif, flûte aux cercles veloutés, violoncelle calme et grave, violon en tant que rotor de cette sarabande irréelle, d'essence baroque au fond, tout en entrelacs, en reprises et envolées brumeuses ou miroitantes.Le plus long morceau avec ses seize minutes, "Kick", fait la part belle aux deux pianos dans son introduction d'un peu plus de trois minutes, marche légèrement claudicante, clapotante, épaulée par la flûte et le saxophone, avant un brutal emballement, ce tournoiement fou qui donne le vertige, toute la musique de Douwe tourne autour de cet emportement, cette entrée dans la ronde infernale et brillante, suivie de phrases ralenties dans l'attente pressentie d'une nouvelle irrésistible accélération. La vie est une succession de tours de manège plus ou moins rapides : pas question de descendre en route, si bien que l'on peut ressentir comme une panique à l'écoute de cette musique qui ne laisse guère le temps du doute. Sa douceur séductrice est au service d'une énergie au fond authentiquement violente, à laquelle on peut rester, cela m'arrive encore, extérieur : on écoute le manège tourner, étranger à cette férocité trop bien rodée, démultipliée jusqu'à la nausée. Le titre éponyme, en italien, donne la même impression en version courte : la majesté grave des phrases de violoncelle est laminée par la chevauchée épuisante. Vous voilà étonnés ? Je ne donne pas dans le dithyrambe, souvent homme varie : j'aimais hier, moins aujourd'hui ? Mais c'est surtout dû à ce que j'appelle l'effet Glass. Le minimalisme tourne parfois...en rond, se répète trop prévisiblement. Hier, j'extrayais le meilleur. Aujourd'hui, mon oreille est caustique, j'ai du mal à rentrer dans la ronde, sauf pour l'excellent "Motion". En somme, un disque agréable, non sans beautés, mais moins convaincant que les deux précédemment chroniqués : musique plus habile qu'habitée, trop narcissique à la longue ?  

---------------------

Paru en 2011 chez  Zefir Records / 6 titres / 56 minutes.

 

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

   Au passage, un coup de chapeau au label Tzadik fondé par John Zorn, et une pensée pour l'œuvre de Madge Gill (1882-1961), femme qui se disait inspirée par un esprit bienfaisant, "myrninerest", titre de l'album d'Ikue Mori auquel j'ai pensé en voyant un grand dessin sur un rouleau de calicot dans l'exposition "L'Europe des Esprits, La Fascination de l'occulte, 1750-1950", qui vient de s'achever au musée d'art moderne de Strasbourg (pour aller s'installer je crois à Berne : monumentale et superbe exposition !). En regardant cette œuvre (ci-dessous), je me dis qu'elle n'est pas sans rapport avec le minimalisme : multiplication en miroir de visages identiques ou quasiment, aspect labyrinthique de la composition, motifs répétés, décalés, horreur du vide, impression de tournoiement. Le dessin n'est pas daté, mais serait antérieur à 1958. 

Madge Gill, Encre de Chine sur calicot

Madge Gill, Encre de Chine sur calicot

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 20 avril 2021)

Lire la suite

Publié le 3 Décembre 2011

Jeroen van Veen & Friends - Minimal piano collection (vol.X-XX) : la bible du minimalisme (suite)

   Jeroen van Veen, compositeur et pianiste néerlandais, est un infatigable ambassadeur du minimalisme. Le deuxième volet de l'anthologie Minimal piano Collection, commencée en 2007 sur le label Brilliant Classics, est sorti depuis un an. Un travail monumental à mettre en parallèle avec l' Anthology of noise and electronic music dirigée par Guy Marc Hinant sur le label bruxellois Sub Rosa. Le coffret rassemblant les dix premiers volumes pour piano solo se terminait sur une adaptation pour plusieurs pianos de l'incontournable "In C" de Terry Riley, transition vers ces nouveaux Cds consacrés aux compositions pour deux à six pianos.

    Ceux-ci s'ouvrent sur les soixante-dix-neuf minutes et seize secondes des vingt-cinq sections du "Canto Ostinato" de son compatriote Simeon ten Holt, né en 1923, qui fut l'élève à Paris d'Arthur Honegger et de Darius Milhaud : une adaptation pour deux pianos, interprétée par Jeroen et son épouse Sandra, de cette composition monumentale, à l'origine pour quatre pianos, écrite entre 1976 et 1979. Magnifique entrée que cette musique d'une incroyable fraîcheur, au rythme entraînant, constamment chantante : l'auditeur est porté par une douce houle, dont la surface est aérée par des bulles mélodiques récurrentes. Cette musique est naïve, dans la plus belle acception du terme, animée d'un rêve de jouvence, de perpétuelle renaissance. Vous voilà prêts au long bain de vigueur qu'est le minimalisme bien compris, chaque Cd gorgé à bloc. Si les minimalistes américains se taillent évidemment la part du lion, vous y rencontrerez aussi le sud-africain Kevin Volans, l'anglais Tim Seddon, le russe Alexander Rabinovitch, l'estonien Arvo Pärt, le belge  Wim Mertens, quelques autres néerlandais, mais aucun français...la renommée de Frédéric Lagnau étant peut-être trop limitée. Je n'irai pas jusqu'à dire que tout est admirable dans ces dix volumes, mais que de pages splendides rassemblées : le "Long night" de Kyle Gann  pour trois pianos, "Two pianos" et "Piece for four pianos" de Morton Feldman, "Piano phase" et "Six pianos" (évidemment !) de Steve Reich, avec un volume XIX extraordinaire. D'abord , du Philip Glass, du meilleur : "In Again Out Again" (en écoute plus bas), de 1968, une pièce qui s'apparente à "Piano phase" de  Steve Reich, avec une structure en miroir, chaque pianiste jouant vingt motifs, le premier de 1 à 20, le second de 20 à 1. Puis "Theme von Wiek", de son compatriote Douwe Eisenga, une de mes belles découvertes récentes : une ronde envoûtante, gracieuse, tout en transparences mélancoliques. Puis les deux pianistes attaquent "Orpheus Over and Under" (en écoute aussi plus bas) de David Lang, composition de 1989 basée sur des tremolos crescendo et decrescendo, en strumming à la Charlemagne Palestine, mais avec la rigueur implacable de David. C'est un obstiné forage pour accoucher d'une beauté vertigineuse. Enfin le capricieux et concertant "Incanto" (en écoute plus bas) du pianiste-compositeur lui-même, inspiré par sa machine à café de marque Incanto, nous confie-t-il, et par une chanson pop qu'il écoutait beaucoup dans sa voiture, chanson réduite, augmentée, variée : pièce enjouée, qui caracole en grappillant des notes nouvelles, rebondit, virevolte, se suspend pour mieux repartir.

   La musique minimaliste est au fond un hymne vibrant au bonheur de vivre, un refus de la crise, de la déprime fabriquée par des médias trop souvent aux bottes de la finance ivre de son pouvoir illusoire. Il faut revenir aux sources, par delà les artefacts d'une civilisation égarée.

Paru en 2010 chez Brilliant Classics / 10 Cds / 83 pièces / 854 minutes

Pour aller plus loin

- le site de Jeroen van Veen

- l'intégrale de "Canto Ostinato" de Simeon ten Holt, en concert en septembre, interprété par Jeroen et Sandra van Veen, Elizabeth et Marcel Bergmann :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 avril 2021)

Lire la suite

Publié le 11 Novembre 2011

Wim Mertens - Series of Ands / Immediate Givens

   Wim Mertens, compositeur flamand minimaliste né en 1953, pianiste et chanteur à l'étrange voix haut perchée de haute-contre, n'était pas encore dans mon index ! Évoqué de temps à autre, certes, mais c'est tout. Après l'avoir écouté, je ne dis pas assidûment - je ne fréquentais que quelques uns de ses nombreux enregistrements - , je l'avais oublié, submergé par le flot des sorties, passionné surtout par bien d'autres musiciens. J'avais à son égard un peu le même sentiment que pour Philip Glass : disons-le tout net, oui, il était pour moi comme une sorte de Philip Glass belge. Comme lui, à la fois très populaire, grâce notamment à leurs musiques de film, ressassant des airs, recyclant sans cesse des ritournelles, presque jusqu'à la nausée pour l'auditeur. Et puis, en même temps, ce sont deux musiciens beaucoup plus subtils qu'ils n'en ont l'air, capables au détour d'une phrase mélodique, d'une reprise, d'atteindre au sublime, à une grâce limpide. En somme, ils ont en commun d'être tantôt agaçants, insupportables même lorsqu'ils flirtent avec la mièvrerie, tantôt fins ensorceleurs, mélodistes et harmonistes accomplis. Cette double face les rend aussi assez attachants : deux musiciens qui ne s'en laissent pas compter, qui persistent dans leur voie sans souci des modes ; deux hommes qui cherchent inlassablement, à partir de leur vocabulaire, de leur syntaxe musicale si reconnaissable que d'aucuns s'en gaussent un peu vite, oubliant sans doute que le génie n'est pas une donnée, qu'il est parfois, et parfois seulement, de manière discontinue, imprévisible le plus souvent, au bout des méandres du parcours. Je ne sais plus pourquoi il m'est venu à l'idée d'entendre ce qu'il devenait. J'ai constaté qu'il était toujours aussi prolifique, et me voici tombé sur ce double album, son dernier en date.

   Le premier, titré "Series of Ands", ne dépayse pas tout de suite l'auditeur. On reconnaît des airs, les paysages sont connus, si bien que l'on se dit d'abord : « Tiens, Wim fait encore du Mertens. », et l'on s'apprête à faire la moue, dépités, à lâcher le fiel de notre semi déception. Tout tourne si rond. Mais il s'agit de réécritures, de vraies réécritures, qui nous prennent au dépourvu.

    Cela m'est arrivé avec "Sonsigns", le deuxième morceau : le piano caracole, surmonté d'une ligne de cuivre, enveloppé de cordes ; survient la voix, en virgules aiguës, serrées, une boucle se boucle dans un arrondi ralenti, et puis cela arrive, à une minute et quarante sept secondes, pour être précis, rupture de rythme et bascule dans un monde délicat, d'un baroque raffiné, sorte de danse disloquée magnifique, avec de belles envolées filées. On respire, on se laisse reprendre par cette musique de chambre colorée, tout en spirales, en volutes empilées. L'album ne cessera d'ailleurs d'osciller entre quasi ambiances de fêtes foraines, de kermesses à flonflons - vous imaginez ma tête dans ces moments ! -, et sarabandes esquissées dans un crépuscule à la Watteau, bluettes translucides et si belles dans leur naïveté : qui d'autre en serait capable ? Écoutez "Face à main", simplicité touchante, grâce surannée du piano, puis la fanfare se déchaîne sans que le pire survienne, car une habile surenchère des textures qui s'enchevêtrent dessine des entrechats fascinants, pièges voluptueux qui - je l'imagine - ont dû inciter Peter Greenaway à faire appel à Wim Mertens pour la musique du Ventre de l'Architecte. Le dernier titre, "Man-in-person", est un majestueux autoportrait sous forme d'élégie en demi-teintes, volte-face inattendue qui dévoile le Wim introverti pudiquement caché derrière la façade ostensiblement chargée, parfois outrancière, dont il s'affuble : cordes nues, retenues, graves, suaves, beau pied de nez à ceux qui le voyaient en bouffon grotesque se contorsionnant dans la poussière des arènes populaires , superbe transition vers le second cd, Immediate givens.

  "Kerf width" nous introduit dans de nouveaux territoires :  cet austère solo de percussion creuse l'écart avec l'empreinte sonore de l'univers mertien, véritable ascèse invitant l'auditeur à chasser tous ses préjugés. Le second titre "The biggest fable of all", un solo de harpe d'un peu plus de trois minutes, est tout aussi surprenant par la rigueur économe de son dialogue entre une cellule refrain et des réponses énigmatiques qui procèdent souvent par grappes de notes répétées, obstinées. Avec "In.Zones", le plus long titre avec plus de treize minutes, on revient vers des rivages plus connus, mais c'est le meilleur du musicien : magnifique mélodie au piano, reprise très vite par tout l'ensemble de chambre, la trompette répondant tout en haut, et un jeu de variations éblouissant, des fractures franches donnant au développement une fraîcheur, un dynamisme irrésistibles. On sent le plaisir des musiciens à nous donner une musique de chambre à la fois évidente et d'une belle élaboration. Un des sommets de ce double-album qui met ensuite en avant tantôt le trombone, la harpe à nouveau, les percussions encore pour finir, en alternance avec des morceaux de bravoure où l'ensemble brille autour du piano chantant, comme dans "Tactility", sa merveilleuse aisance, ce goût de l'étourdissement qui serait factice s'il n'était pas le signe d'un besoin de chaleur, de bonheur facile : n'oublions pas la Flandre balayée par les vents glaciaux ! Il y a du funambule en Wim Mertens, une manière de se tenir sur la corde, de refuser le clivage entre musique populaire et musique savante, et s'il lui arrive de faire quelques faux pas, il se rattrape le plus souvent par des pirouettes et des échappées confondantes pour qui accepte de l'écouter vraiment.

   Un double album à facettes pour (re)découvrir un musicien au fond mal connu (presque rien sur le net au sujet de cette parution...). À noter sur la pochette ce reptile à deux têtes trouvé en Chine et qui daterait d'il y a cent millions d'années... mais qui me semble une manière indirecte d'annoncer la double face de ce disque.

Paru en 2011 chez Usura - EMI Classics / 2 Cds / 8 et 11 titres / Presque deux heures.

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 avril 2021)

Lire la suite

Publié le 24 Octobre 2011

La couverture retenue

La couverture retenue

   Je ne m'étendrai pas sur la polémique qui a conduit Nonesuch et le compositeur à renoncer à la couverture avec la photographie de Masatomo Kuriya. Je constate qu'on a hélas plus parlé d'elle que de la musique de Steve. 

   Je sais que, mis à part les détracteurs qui lui reprochent de créer une œuvre à partir d'un événement terrifiant, certains trouvent ce disque incohérent, voire anecdotique. Je voudrais ici répondre aux uns et aux autres.

   Concernant le reproche d'incohérence, d'abord. Les trois compositions de l'album, si différentes d'allure, s'inscrivent dans la cohérence  globale du parcours de Steve. WTC 9/11 appartient à une veine que je qualifierai d'impure - sans connotation péjorative - : confrontation d'un quatuor à cordes et d'une bande pré-enregistrée, dans la lignée de Different Trains en 1988, avec déjà le Kronos Quartet, ou encore de City Life (1995), même si les sons préenregistrés sont joués en principe en direct sur deux claviers à échantillons. La pureté acoustique se confronte au trouble des sonorités électroniques, des voix retraitées. Le Mallet Quartet représente la ligne pure, plus ancienne, pures percussions dans la lignée de Drumming (1970-1971) ou de Music for Mallet Instruments (1973). Quant à Dance patterns, je la rattacherai à un filon hybride, dont le caractère dansant  a été perçu par nombre de chorégraphes, et ce filon ne comprend pas que des pièces de commande de ces derniers, puisque j'y ferais figurer Music for 18 instruments  de 1978, une de mes préférées, magnifiquement chorégraphiée notamment par une troupe belge dont j'ai oublié le nom. Des percussions, plus deux pianos dans le cas présent, et parfois un véritable orchestre de chambre qui chante la vie. Aussi la réunion des trois ne me paraît-elle pas hétéroclite, dans la mesure où elle fait se côtoyer trois lignes compositionnelles de la galaxie reichienne, et pas non plus le fruit du hasard.

La couverture écartée

La couverture écartée

     Steve précise avoir voulu que WTC 9/11 soit brève, ramassée : pièce "documentaire", dramatique, poignante sans commisération appuyée, remémoration et non monument aux morts, car ouverte sur le monde à venir, "World To Come", comme le lui suggérait la composition éponyme de son ami David Lang. L'ouverture, c'est le Mallet Quartet, dans sa pureté, sa transparence, son évidence lumineuse, et ce sont les Dance Patterns, n'en déplaise à ceux qui rêvent de transformer le 11 septembre en apocalypse noire, en événement interdit de représentation sous prétexte qu'il serait au-delà de toute possibilité de le dire, d'en rendre compte. Quelle naïveté de leur part, et quel orgueil ! L'artiste ne représente jamais le réel : il en propose une vision subjective pour donner à penser. De plus, la tragédie du 11 septembre, aussi épouvantable soit-elle, n'est hélas ni unique ni pire que bien d'autres : c'est pourquoi s'offusquer qu'un artiste s'en empare est à mon sens rien moins que ridicule. Reproche-t-on à Delacroix sa vision des Massacres de Chios ? à Francis Ford Coppola son Apocalypse now ? Le paradoxe du véritable artiste, c'est qu'il parvient à tirer de la beauté de l'horreur, et il n'y a pas à s'en scandaliser si l'on y réfléchit - à moins d'une volonté évidente d'exploitation commerciale dont on ne saurait soupçonner Steve - , car le tabou, le refoulement, produisent de facto une véritable putréfaction de leur contenu qui, faute d'être appréhendé, alimente toutes les phobies liées au sacré, à l'inhumain. La musique de WTC 9/11 ne fait rien d'autre que de s'approprier l'événement pour lui restituer sa dimension humaine : il va falloir que tous les Américains acceptent l'évidence et cessent d'être honteux de ce qui leur est arrivé. Les États-Unis ne sont pas intouchables, le rêve américain s'est écroulé avec les deux tours, c'est arrivé à bien d'autres dont on ne parle même pas.

   J'ai fait écouter à une jeune fille la composition de Reich, sans donner aucune information à son sujet. Elle était très impressionnée, mal à l'aise : "C'est une musique de meurtre, d'épouvante", m'a-t-elle dit. Steve ne triche pas, ne maquille pas : il donne à entendre avec une incroyable justesse, une puissance dramatique rarement atteinte. Il faut écouter WTC 9/11 à pleine puissance, comme du rock. L'impact est extraordinaire : le Kronos étincelant, en archange-keroubim flamboyant, démultiplié, comme des sirènes striées, bloquées, cerné de ces voix voilées, fantomatiques, de ces creux peuplés de nuages de particules, dans un climat de compte-à rebours. Une réalité irréelle à force d'intensité chaotique, cauchemardesque, un dies irae d'après la mort de dieu : une punition, un châtiment, d'une certaine manière la fin d'un monde, mais non pas la fin du monde ! Les deux mouvements suivants prennent en charge l'humain, avec ces témoignages de voisins, de pompiers. La musique des voix est bouleversante : la monstruosité ne parvient pas à bout de la beauté de l'homme, voilà ce que nous dit Steve. Dans cette procession de voix distordues, harmonisées, coulées dans la musique du quatuor à cordes se donne à entendre la dignité, l'éminente dignité de l'homme face au pire. Le symbole orgueilleux est tombé, restent les hommes et les femmes qui témoignent, et c'est beau, je ne trouve pas cela choquant, car l'homme est musique lorsqu'il se contente de son humble dimension, qu'il exprime ses émotions vraies. À cet égard le dernier mouvement est le plus abouti : distorsion des voix filées, insertion de fragments psalmodiés de la Shmira, cette pratique juive qui consiste à s'asseoir près du mort et à réciter des psaumes ou des passages de la Bible jusqu'à l'enterrement : majesté de la douleur, et juste après la tête se relève, il y a un monde qui attend, le quatuor tranche en gestes clairs, à peine nuancés par le violoncelle élégiaque, « and there's the world right here ». On entend à nouveau les sirènes du début, mais le coup d'archet final y met un terme péremptoire : le temps des lamentations est fini, place à l'espérance, à la vie qui continue.

   Le Mallet Quartet rompt avec tout pathos. On y retrouve le pulse dionysiaque, la joie de la frappe sur les deux marimbas et les deux vibraphones, et même de véritables mélodies. Comme d'habitude, l'ensemble So Percussion y est extraordinaire, lumineux, précis. Le dvd qui accompagne l'album les montre dans leur studio garage, hyper concentrés et détendus à la fois. D'une durée très voisine de WTC 9/11, c'en est le contrepoint idéal. Après le concret éprouvant, l'épaisseur d'un réel inquiétant, voici l'abstrait translucide, la ferveur attentive à capter les harmoniques, la joie qui surgira plus belle encore après le second mouvement lent, intériorisé. De quoi dissiper les fumées noires, ne faut-il pas vivre quand même après ? La danse de la vie, syncopée, tout en déhanchements, on l'entend dans les Dance Patterns qui terminent cet album. Deux vibraphones et deux xylophones, plus deux pianos pour une pièce à la limite du facétieux, avec un moment miraculeux de retenue et de grâce très rare chez Steve - j'ai pensé à Peter Garland - avec cette formidable intrication rythmique, ce tricotage rigoureux qui font tout le charme de ce musicien au meilleur de sa forme.

   Un disque remarquable, l'un des grands chefs d'œuvre de Steve Reich, dont j'admire et salue l'intégrité rigoureuse, l'humanité simple. À écouter dans les meilleures conditions pour entendre le remarquable travail sur le son, d'une précision magnifique.

    On n'échappe pas à la polémique. La pochette écartée était évidemment meilleure...

Paru en 2011 chez Nonesuch / 7 titres / 37 minutes.

Pour aller plus loin

- le deuxième mouvement de "WTC 9/11" , puis la première partie du "Mallet Quartet" :

 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 avril 2021)

Lire la suite

Publié le 3 Octobre 2011

The Salt Lake Electric Ensemble interprète "In C": une relecture inspirée.

1913 : Le Sacre du Printemps d'Igor Stravinski

1946-1948 : Les Sonates et Interludes pour piano préparé de John Cage

1964 : In C de Terry Riley

Meph. - Eh ! Je t'arrête !

Dio. - Quoi ?

Meph. - Que prétends-tu faire ?

Dio. - Tu n'as pas deviné ? Je fais une liste des grandes dates de l'histoire de la musique du vingtième siècle : les œuvres qui ont tout changé...

Meph. - Pour qui me prends-tu ? Mon pauvre, t'es devenu complètement maboul ! Ta liste, c'est pire qu'une passoire dont on ne voit plus les trous tellement les siècles en ont ajouté. Va au but !

Dio. - Je passerai donc sur les innombrables interprétations de ce morceau-phare du minimalisme. Tout le monde s'approprie In C, signe que la pièce fait partie du paysage musical. En 2010, Innova Recordings nous donnait la version du New Music Ensemble de Grand Valley State University, accompagnée de dix-huit remixes : un magnifique double album.

Meph. - D'accord, mais alors là !!!

Dio. - Une relecture radicale, audacieuse. Le Salt Lake Electric Ensemble est né pendant l'été 2009 du désir de son fondateur Matt Dixon d'interpréter ce classique du minimalisme en utilisant un ordinateur portable. Au fil des répétitions, le groupe s'est élargi de trois à huit membres : il comprend des artistes multimédia, des musiciens adeptes de l'électronique et des rockers.

Meph. - Un beau mixage. Le résultat : la musique réinventée à partir d'une batterie d'ordi et de percussions acoustiques.

Dio. - L'original sonnait très oriental, avec son instrumentation  - non spécifiée il faut le rappeler - colorée par les cuivres et les bois, marquée par des percussions qui n'étaient pas sans rappeler les orchestres balinais.  Une version chinoise, pour orchestre traditionnel, existe d'ailleurs aussi, tout naturellement.

Meph. - Le tempo était souvent nettement marqué par les percussions, ou un piano. D'où un aspect rutilant, claironnant des 53 motifs, une tenue du ton.

Dio. - Là, tout est intériorisé, fondu. Quelque chose d'organique, plus souple...

Meph. - Velouté, moelleux, avec des écarts de niveau sonore très sensibles.

Dio. - Des boucles qui nous enlacent...

Meph. - On va éviter une étude musicologique : ...et une fin totalement imprévue, énergie rock et magie électronique !

Dio. - Une musique d'aujourd'hui, fascinante, envoûtante.

Meph. - À voir avec le travail vidéo de Patrick Munger. Curieusement, je trouve cette version plus psychédélique encore que celle de 1964.

Paru en 2010 / Autoproduit par le SLEE / 65 minutes

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

- Une petite comparaison entre la version originale..

...et la première partie de la nouvelle version (il faudrait bien sûr aller jusqu'à la cinquième vidéo !) :

Lire la suite