Publié le 12 Juillet 2023
Conçu au départ pour une installation au Pavillon arménien de la Biennale de Venise en 2022, Seven Common Ways of Disappearing est devenu le premier album de l'artiste arméno-lithuanien Andrius Arutiunian. Il s'agit d'une pièce pour piano à queue réaccordé et électronique analogique, pour deux musiciens qui naviguent dans la topographie de la partition, donnant de la composition une des multiples versions possibles Ici le compositeur est l'interprète unique de l'une d'entre elles. La partition prend la forme d'un ennéagramme, en hommage à Georges Ivanovitch Gurdjieff, maître spirituel controversé mais influent, qui a tenté d'introduire en Occident un syncrétisme philosophico-ésotérique marqué par les pensées moyen-orientales, soufies, bouddhistes... C'est lui qui a réintroduit la figure ésotérique de l'ennéagramme, considéré par le compositeur comme un schéma structurant. Ci-dessous une vidéo réalisée lors de l'installation au Pavillon arménien de la 59ème biennale de Venise.
Deux versions titrées "Forwards" et "Backwards" (En avant et En arrière), chacune d'environ vingt-deux minutes, figurent sur le disque. La première se caractérise par un fond de bourdon. On se croirait dans une composition de Éliane Radigue, sur laquelle vient carillonner le piano réaccordé en grappes lumineuses. L'impression d'un décollage imminent, en même temps d'un sur-place extatique, illuminé par les giclées aléatoires du piano devenu portique de cloches pour un temple inconnu, un piano possédé. Cet immense tintinnabulement produit une musique hypnotique, stupéfiante, propre à dissoudre le Moi, d'où peut-être le titre du disque, qui peut aussi faire indirectement référence aux mystérieuses et longues disparitions de Gurdjieff. Vers quatorze minutes, le bourdon s'intensifie, devient grondement tourbillonnant, menaçant d'engloutir le piano livré à sa transe, avant de s'éloigner et de laisser le piano et le reste de l'électronique dessiner de folles figures de chutes libres. C'est absolument magnifique...
"Backwards" est une version plus schizophrène, si j'ose dire, le piano et l'électronique comme des éclats de miroir se répondant plus ou moins autour d'une boucle serrée, presque étouffante, de piano. Le tissu musical semble happé par l'obscur, en dépit des miroitements étincelants du piano brisé. Un mur de percussions perforantes vient occuper le premier plan de l'espace sonore, donnant à cette seconde pièce une dimension inquiétante. Des jets de particules créent d'étranges vents, ou des marées dissolvantes, qui ne parviennent pas, toutefois, à faire taire les pianos (celui de la boucle, et celui qui ne cesse d'éclater en éclaboussures). De lourdes ponctuations plombent la fin de cette version moins séduisante, mais impressionnante par son expressionnisme implacable. Il s'agit d'une destruction, farouche, déterminée.
Une musique fascinante, entre extase lumineuse et puissance magnétique obscure.
Paru début juin 2023 chez Hallow Ground (Lucerne, Suisse) / 2 plages / 44 minutes environ
Pas d'extrait à vous faire entendre, sinon sur bandcamp...
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :