Machinefabriek (4) - With voices

Publié le 7 Novembre 2019

Machinefabriek (4) - With voices

   L'homme aux machines de Rotterdam, Rutger Zuydervelt, alias Machinefabriek, élargit toujours davantage son univers sonore. Au carrefour des musiques électroniques, ambiantes, expérimentales, il utilise tout ce qu'il trouve, cassettes audio, générateurs de sons, sons enregistrés, qu'il combine avec ses synthétiseurs et autres possibilités offertes par l'électronique, pour créer, sculpter, une musique à la fois très élaborée et au potentiel émotionnel incroyable. Cette fois, comme le titre l'indique, il travaille avec les voix en orfèvre, en joaillier : il monte les voix pour les sertir dans une polyphonie électro-acoustique extraordinaire.

   « L'idée était que chaque chanteur, intervenant vocal, fasse ce qui lui vient naturellement. L'élément d'imprévisibilité était important pour moi. » précise Rutger. La voix peut chanter, dire un texte, émettre des sons inarticulés : le compositeur se charge de sa mise en valeur, en traitant chacune d'elle selon ses particularités sonores. Les huit titres sont construits à partir de huit voix différentes.

   Atmosphère éthérée pour "I", la voix de Terence Hannum, artiste visuel et musicien : la frontière entre voix humaines et voix de synthèse est inaudible. Nous sommes dans un vaisseau spatial assailli par des perturbations, et qui reprend sa route, son sillage de plus en plus étoffé de drones et de voix démultipliées, de distorsions rauques, qui percute parfois un nuage de particules pour mieux rebondir, foncer dans les textures granuleuses, forer dans le tissage devenu immense des voix. Quelques fragments mélodiques fournis par la chanteuse néerlandaise Chantal Acda sont incorporés dans une sorte de rituel annoncé par des percussions répétées en début de morceau, enrobées par des vagues de synthétiseurs. La voix est diffractée, les segments vocaux fracturés et montés en parallèle, en écho, le tout dans une forge grondante dont les murs s'éloignent sous des poussées sourdes. La douceur des voix féminines semble peu à peu triompher de forces noires, et l'on entend comme le râle de voix masculines basculant dans le néant. Terrifique, cette musique ! On retrouve la voix du compositeur et chanteur américain Peter Broderick, qui a déjà travaillé avec Machinefabriek, notamment pour ce chef d'œuvre qu'est Mort aux vaches, sur le titre III. Peter semble hébété, pousse des sons cadencés, doublés, triplés par d'autres voix, dans un opéra-borborygme très étonnant, éclaté par des percussions sèches, puis quelques mots installent un climat poétique propice aux agrandissements imaginaires, d'autres voix, comme des voix de gorge, nous propulsent dans des confréries telluriques d'une extrême puissance, avec une coda quasi chamanique. Un grand moment ! Marianne Oldenbourg chante vraiment en IV, sans doute un air traditionnel irlandais ou celtique, sur un tapis d'aigus tenus qui s'enrichit de multiples voix, un véritable chœur cosmique porté par des grondements donnant l'impression d'un folk intersidérant.

   Avec les Anversois de Zero Years Kid, le titre V est le plus grinçant au début, puis carrément fantomatique, les voix se croisant dans un temps coupé par des fulgurances. Une bande sonore idéale pour films de morts-vivants ! On dérive ensuite au fil de curieuses mélopées enveloppées de semi-ténèbres, finissant par se fondre en un chœur de lamentations accompagné de jappements à la mort. Le VI, sur la voix du britannique Richard Youngs, renoue avec les espaces éthérés du premier titre pour flotter entre tessitures traditionnelles comme le chant diphonique, et fractures électroniques, drones. C'est un des très grands titres de l'album, aux graves somptueux, aux échappées harmoniques confondantes. Le VII (voix de Wei-Yun Chen) a des allures bruitistes, une musique industrielle passée à la moulinette, des sons de terrain, ce qui donne un collage inégal en dépit d'un relatif retour mélodique. À sauver, la dernière minute, jouant bien de la voix chuchotante de Wei-Yun.

    Le disque s'achève avec le VIII et la voix de la chanteuse américaine Marissa Nadler. C'est un titre nettement plus long, un peu plus de onze minutes. Et un des sommets de l'album. La voix de sirène, angélique, de Marissa, est magistralement détournée, ornée, dans des volutes d'une profondeur inouïe. Les contrepoints vocaux sont d'un raffinement étonnant, soutenus par une électronique se faisant organique, enveloppante comme un manteau de caresses.

   Un des grands disques de l'année 2019 (il est paru en tout début d'année).

Mes titres préférés : I / II / III / VI / VIII //  Deux autres très bien. Évitable : le VII. (la vidéo de Marco Douma sur la page bandcamp m'incite à plus de modération...)

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Paru en janvier 2019 chez Western Vinyl / 8 plages / 46 minutes environ

Pour aller plus loin :

- le disque en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 15 octobre 2021)

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