Sunnk - Weaving Ritual

Publié le 20 Mars 2021

Sunnk - Weaving Ritual

Rituel d'une Saison en enfer

Sunnk ? Le nom m'est inconnu. Je cherche et trouve qu'il désigne un héros de jeu vidéo. Rien d'autre. Mais je me suis trompé . C'est "sunnk", et non "suunk" ! La pochette m'intrigue avec son côté cabalistique. Weaving ritual serait son premier disque solo, paru en février chez Mille Plateaux, une maison de disques de Francfort. Faute d'autres renseignements à vous fournir, parlons des sept titres qui correspondent évidemment - quoique mystérieusement aussi - à l'heptagramme et à l'heptagone de la pochette, créée par Stuart Graham. Weaving ritual, c'est un rituel de tissage, troisième album d'une série baptisée "Hyperglitch". Le glitch, rappelons-le, est une forme de musique électronique expérimentale marquée par de brusques augmentations de tensions liées à des dysfonctionnements des dispositifs électriques ou électroniques, qui produisent des sons déformés, tordus, saturés, certains d'entre eux présents dans les jeux vidéos.

   Dès "il a la couleur du soufre", on plonge dans un univers sépulcral, fantomatique et dévasté. Une courte boucle déformée, comme bloquée, donne naissance à des vents noirs, libère un piano frangé de drones vibrants. On avance solennellement dans la poussière accumulée des soleils explosés, dont le rayonnement monte sur les derniers soubresauts de la matière noire. "Gossamer" développe une toile arachnéenne aux nombreuses fractures, déchirures, et l'on croit entendre des voix d'outre-monde à travers les textures en lambeaux, déchiquetées par les glitch. C'est d'une sombre et magnifique beauté !

   Le titre éponyme est une splendeur horrifique concoctée par un sabbat de créatures éclatées, en perpétuelles distorsions, dont sourdent parfois des moments d'incroyable chute de tension, ô le geignement des créatures au milieu de la fournaise infernale ! Ne cachons pas que la première écoute peut dérouter les auditeurs, qui ne perçoivent que l'entrechoquement permanent des surtensions. Mais l'auditeur attentif perçoit le fil de cette galerie hallucinée, savamment tendu : rituel de tissage, en effet, monstrueux et pourtant émouvant, un peu comme l'est le Frankenstein de Mary Shelley. Ce que donne à entendre Sunnk, c'est le vertige abyssal des créatures perdues... Suunk, n'est-ce pas sunk, participe passé de to sink, couler, sombrer, avec un redoublement du u, voyelle sombre... "broken hand", c'est le calme après le lamento affolé, le piano qui impose sa lumière un peu trouble, et le souffle lourd comme une béquille prenant appui sur le sol, qui dans une rage contenue augmente sa frappe jusqu'à faire gicler des ténèbres courbes, marteau-piqueur éclaboussé... Il ne reste que le piano hésitant, survivant au milieu des rues de Berlin, de la circulation, comme le laisse à entendre le titre, "The threads of the sun in Berlin" (Les rayons du soleil à Berlin). C'est un cinquième titre presque élégiaque, bucolique, mais hanté par les ombres tout de même. On n'échappe pas si facilement aux démons venant se glisser entre les voix étouffées d'esprits lointains, avec le retour des glitch sur un rythme implacable, glacé, d'une effarante somptuosité sonore : "Weaving ritual reprise" est un titre totalement hanté, le chant paradoxal du cortège des réprouvés, des maudits de tous les bords, dans une parade d'une sublime mélancolie basculant dans le néant... Reste la nuit, l'orgue de " the sole night", d'un dépouillement si inattendu, draperie radieuse et sombre pataugeant dans le passé de disques qui craquent. Musique d'après la chute, des eaux ruisselant le long des voûtes souterraines. Quand l'orgue cabré dans sa grandeur se tait, le piano reprend comme il peut au milieu des grondements sourds et des chuchotis obscurs de la matière sa marche tel le dernier porteur de lumière...

Le glitch, ici, loin d'être un gadget sonore, est le vecteur, l'outil d'un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens, comme aurait dit Rimbaud. C'est un album pour les Voyants, pour les Entendants !

   Absolument envoûtant. Une musique impeccablement conçue, dense comme un diamant noir !

Paru début février 2021 chez Mille Plateaux / 7 plages / 27 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

 

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