Ståle Storløkken - Ghost Caravan

Publié le 8 Octobre 2021

Ståle Storløkken - Ghost Caravan

Enregistré aux grandes orgues de l'église de Steinkjer (Norvège) interprété par le célèbre guitariste Stian Westerhus, Ghost Caravan suit The Haze of Spleeplessness enregistré avec de vieux synthétiseurs dignes d'un musée et des logiciels contemporains. Le compositeur Ståle Storløkken, figure du jazz norvégien et des musiques expérimentales, relie ce nouveau disque à la tradition des organistes qui improvisaient dans l'église du Sacré-Chœur de Paris en explorant le potentiel sonore de leur grand orgue.

   Le disque est structuré autour de quatre "Cloudland" et de quatre "Spheres", à peu près alternés et laissant la place en six au titre éponyme et en 9 à "Drifting On Wasteland Ocean". Le premier pays de nuages nous pose au ras des tuyaux. Nous participons aux mystères de la soufflerie : drones épais légèrement pulsés, notes émergeant d'un cône de chuintements. "First Sphere", c'est l'orgue en majesté, un hymne tendu vers la lumière, arcbouté sur des basses grondantes. "Cloudland II" nous rabat aux origines du son. On voit le fantôme de la cathédrale tâtonnant le long des murs, les effleurant à peine, si fragile. Lorsqu'il s'assied au pupitre, il fait entendre tous les bruits des mécanismes. "Second Sphere" évoque véritablement une caravane fantôme, une scène irréelle d'un film expressionniste en noir et blanc. Cette série d'improvisations, autour de quelques éléments clés, plonge au cœur de l'instrument, de ses claquements, grincements, pour s'élever dans "Ghost Caravan" à la majesté trouble d'une curieuse incantation grotesque. Nous serions dans une antique et très vaste crypte pour une liturgie ténébreuse : que surgissent tous les démons des autres mondes, semble appeler ce titre hypnotique...

   Le pauvre fantôme trébuche et balbutie en "Cloudland IV", réussissant à peine à émettre quelques notes timides au-dessus d'un cliquetis lamentable. Il se rattrape dans "Third Sphere" à la splendeur sépulcrale, qui se fait chant poignant dans certains passages, où l'on retrouve l'incantation de "Ghost Caravan", affaiblie. Le fantôme exprime sa solitude, sa déréliction en mélismes colorés, avant de se redresser et de clamer sa dignité. L'orgue donne son grand jeu, proteste en aplats syncopés pour sonner à plein régime. C'est splendide ! Il est temps de dériver sur l'océan désert ("Drifting On Wasteland Ocean"). Nous sommes revenus humblement dans les chuchotements, les respirations de la machinerie. La caravane fantôme, n'est-ce pas l'orgue lui-même, tout ce qu'il porte en lui, que l'organiste, s'il est inspiré, tirera de l'énorme instrument  ? C'est Frankenstein enfermé dans le buffet, qui halète à grand peine, submergé par son humiliation, cachant sa honte. Quelle musique expressive, idéale pour bien des films fantastiques !

  La quatrième sphère, qui conclut l'album, est bouleversante, on croit entendre les échos de cantates de Bach. À mi-chemin de l'essoufflement et des tonitruances, une humble et calme montée vers la lumière.

   Un magnifique disque d'orgue contemporain !

Paru en avril 2021 chez Hubro / 10 plages / 37 minutes environ

Pour aller plus loin :

- disque en écoute et en vente sur bandcamp :

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