Mario Verandi - Eight Pieces for the Buchla 100 series

Publié le 13 Janvier 2022

Mario Verandi - Eight Pieces for the Buchla 100 series

   Le compositeur et producteur argentin Mario Verandi, maintenant établi à Berlin, a déjà à son actif une œuvre abondante qui comprend aussi bien de la musique électroacoutique, de l'ambiante ou encore des interventions électroniques, des installations sonores. J'ai salué en janvier 2021 son beau Remansum pour piano, instruments et électronique. Depuis, en résidence artistique  au Krenek Institut à Krems en Autriche, il a eu la chance de pouvoir explorer les possibilités d'un synthétiseur légendaire, le Buchla 100 Series, conçu par Don Buchla en Californie dans les années soixante. Peu sont encore opérationnels. Celui de Krems fonctionne parfaitement. D'où ces huit modules de plus ou moins cinq minutes : huit études en somme pour explorer l'univers du Buchla.

 

   Les modules de Verandi ne ressemblent pas à ce qu'on pourrait attendre du Buchla. Pas de grandioses envolées, de draperies dramatiques ou de vagues impressionnantes. D'où d'ailleurs une première écoute décevante, en ce qui me concerne. Il faut oublier le Buchla légendaire ! L'argentin explore un autre Buchla, tout en finesse, en légèreté. On croit entendre des signaux radios interplanétaires émis par des objets inconnus, des êtres indéfinis. La ligne est minimale, mais chantante, voire subtilement dansante. De module en module, Mario Verandi dépouille le Buchla de ses robes de soirée : c'est une mise à nu, comme dans le module II, suite de boucles percussives sèches suivie de bourdons brouillés sur le même tapis percussif, puis de fuites spiralées, de virgules à la Miró. Le module III est plus énigmatique encore, entre les hoquets répétitifs aigus et des surgissements graves, une prolifération anarchique de perturbations dans une structure ferme, jusqu'aux quasi coassements et la coda moqueuse. C'est un Buchla volontiers ironique que pilote Verandi. Écoutez la danse lourdaude du Module IV, enveloppée d'un lacis d'aigus affilés, d'étoiles filantes. Et puis soudain, un chant surgit, si beau, si étrange, paré de transparences, de gazouillis stridulants. N'est-il pas en train d'explorer un univers d'insectes électroniques ? Le module V semble un sommeil hypnotique peuplé d'un grouillement de formes menant un véritable sabbat infernal : pas de doute, c'est Goya en personne au Buchla ! À nouveau, le Buchla lance ses lassos, ses moqueries agaçantes, puis se replie sur des drones au limite de l'audible avant de laisser percer une courte plainte émouvante : curieux module VI, hésitant entre extraversion et introversion, puis lâchant un mouvement oscillatoire ganté de drones cotonneux et terminant par une aphasie minimale percussive relevée de fines excroissances dans des aigus affilés.

Le Buchla 100 Series

Le Buchla 100 Series

    Ces modules forment une série de variations, de modulations sur des pas rythmiques similaires. Ce qui n'empêche pas le module VII, après un début déjà familier, de s'essayer dans des textures un peu plus épaisses, grasses pour une fois, comme s'il se prenait pour un orgue d'église... mangé de parasites, de trajectoires d'objets sonores insolites, pour revenir sonner tel un astronef de croisière au milieu de la poussière sidérale, non sans quelques contorsions presque facétieuses. Le module VIII est comme un verre grossissant de l'ensemble du disque, alternant brefs passages baroques, grinçants, parodiques et voltes de microparticules, d'oiseaux railleurs minuscules.

   Un disque tout à fait étonnant, splendide parcours dans les entrailles inconnues de ce synthétiseur magnifique. Le monstre technologique cache un miracle de raffinements sonores pour le plus grand plaisir des oreilles attentives ! L'un des mérites de l'album est aussi de ne pas prendre trop au sérieux l'instrument, de dévoiler son potentiel parodique, ludique. Le Buchla se révèle un naïf charmeur, mené par un compositeur qui, manifestement, s'amuse, jubile à troubler l'image d'un des patriarches vénérables de la musique électronique...

Paru en novembre 2021 chez play loud ! productions / 8 plages / 35 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute ("Modul I" seul pour l'instant) et en vente sur bandcamp :

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