Ivan Vukosavljević - Slow Roads

Publié le 9 Novembre 2023

Ivan Vukosavljević - Slow Roads

   Compositeur né en Serbie en 1986 et installé à La Haye (Pays-Bas) depuis 2014, Ivan Vukosavljević s'intéresse aussi bien aux guitares électriques, aux musiques bruitistes et électroniques qu'aux instruments occidentaux ou indiens, aux ensembles traditionnels... et aux orgues, d'où cet album qui rassemble huit pièces pour orgue solo à tempérament mésotonique [tous les tons sont égaux à une valeur médiane] à quart de comma [ le comma est un huitième de ton, à la limite du perceptible], tempérament faisant écho à la musique pour clavier de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance. Les pièces ont été enregistrées sur cinq orgues historiques différents, datant du début du XVIe au milieu du XVIIe siècle, situés dans des églises médiévales disséminées dans la campagne du nord des Pays-Bas. C'est une manière pour le compositeur de rendre hommage et de mettre en valeur une des cultures d'orgue les plus vivantes au monde, mais peu utilisée par la musique contemporaine.

Lents chemins vers l'Illumination

   Les titres renvoient souvent à la Bible ("Ladder" I et II, à l'échelle de Jacob ; "Psalm" sans numéro au livre des Psaumes ; "Ramum Olivae", le rameau d'olivier, à la fin du Déluge), mais "Echo"(titre 6), est inspiré de l'œuvre d'un célèbre organiste et compositeur néerlandais, Jan Pieterszoon Sweelinck 1562 - 1621), surnommé de son vivant L'Orphée d'Amsterdam, dont les œuvres sont à la jonction des musiques de la Renaissance et de la période Baroque. Le titre 5, "Porete", est un hommage à Marguerite Porete, mystique béguine et femme de Lettres, auteur d'un livre qui fit scandale, Le Miroir das âmes simples anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et en désir d'amour, livre condamné par l'Église et qui lui valut d'être brûlée vive en Place de Grève à Paris en 1310. Quant au titre 2, "When You Are Able To Become The Patterns Of The Earth", s'il a des résonances bibliques, rien n'empêche de comprendre "pattern" comme un clin d'œil aux fameux « motifs » de la musique minimaliste dans la mesure où plusieurs compositeurs de ce courant ont beaucoup écouté de musique de la Renaissance...

    Ce qui surprend toujours dans la musique pour orgue, surtout des orgues historiques, c'est le souffle, le vent, l'impression d'être d'emblée ailleurs que sur terre. Que la première pièce soit titrée "The Ladder" (L'Échelle) n'est pas indifférent. On monte tout de suite, on surplombe, porté par l'air dans les tuyaux. La musique est pure diffusion dans l'espace, ascension douce à travers les nuages harmoniques. On est soulevé dans des flocons de ouate, toujours plus haut, c'est une extase d'une bienheureuse mollesse. Quelle belle entrée feutrée !

   L'orgue se fait flûtes pour le deuxième titre, "When You Are Able To Become The Patterns Of The Earth". Sonneries modestes, étayées de notes agglomérées au long vibrato, elles résonnent, rayonnent, pour se colorer vivement au fil des motifs, gagner en vigueur sans perdre de leur charme immatériel, d'une suavité angélique. "Triptych", aux boucles en canon, prend les allures d'un étonnant hymne minimaliste, sorte de feu d'artifice sonore en trois phases décalées que ne renierait pas un Steve Reich. Quant à "Ramum Olivae", c'est au contraire d'abord une humble salutation de la terre, des oiseaux, tout en courbures descendantes, avec ses chants sifflants et joyeux au milieu des buissons bourgeonnant de sons qui éclosent sur la fin.

   Avec "Porete", l'orgue se fait plus mystérieux, au plus près de bouillonnements intérieurs obsédants rendus par des variations serrées. Puis la pièce se jette dans les flamboiements grandioses d'une extase spiralée, aspirée par le Ciel : superbe évocation indirecte des états d'âme de la mystique et de son effusion dernière dans le bûcher. L'hommage à Sweelinck prend la forme comme d'une comptine, mais se change en une mélodie répétitive inlassablement reprise et variée, antienne envoûtante, écho du Paradis perdu...

   La deuxième échelle, "Ladder II", nous transporte dès les premières notes au plus haut. Pièce transcendante, elle marche au milieu des étoiles, dans le firmament, tranquille et pure, d'une sérénité magnifique.

   Le psaume final, au début si douloureux, déchirant, alterne désespoir et espoir, se redresse après les phases de lamentation, reflet d'une condition humaine tourmentée.

   Un disque admirable, tout en respirations, floraisons et modulations colorées, délicates, en dérapages minuscules et contrôlés au bord de ce que certaines oreilles appelleraient des fausses notes. Les cinq orgues - et les quatre organistes : Tineke Steenbrink, Francesca Ajossa, Jan Hage, Lise Morrison, sonnent merveilleusement les approches d'un monde ineffable au fil de ces compositions désarmantes par leur apparente simplicité et leur véritable richesse intérieure, foisonnante.

De gauche à drioite et de haut en bas : Tinieke Steenbrink, Francesca Ajossa, Jan Hage et Lise MorrisonDe gauche à drioite et de haut en bas : Tinieke Steenbrink, Francesca Ajossa, Jan Hage et Lise Morrison
De gauche à drioite et de haut en bas : Tinieke Steenbrink, Francesca Ajossa, Jan Hage et Lise MorrisonDe gauche à drioite et de haut en bas : Tinieke Steenbrink, Francesca Ajossa, Jan Hage et Lise Morrison

De gauche à drioite et de haut en bas : Tinieke Steenbrink, Francesca Ajossa, Jan Hage et Lise Morrison

Paru en septembre 2023 chez elsewhere music (Jersey City, États-Unis) / 8 plages / 45 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

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